Le but de ce chapitre est de mettre en évidence en quoi Cole Porter – du moins celui d’avant son accident d’équitation – était tellement représentatif d’une époque. Comment son style de vie se retrouve tellement dans ses œuvres. Il a eu une double vie et cela se retrouve dans tous les sous-entendus, dans tous les « seconds degrés » de ses œuvres. Il a été un fêtard, et cela aussi irradie sur toute son œuvre. Cela nécessite quelques digressions…

A.4.1) Diaghilev et les Ballets Russes

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Diaghilev

Cole Porter a découvert les Ballets Russes lors de ses voyages d’étudiants durant l’été 1909, l’année où Serge Pavlovich de Diaghilev a présenté la compagnie à Paris pour la première fois.

Doué à la fois d’un goût exquis et d’une rare puissance imaginative, Diaghilev avait aussi des compétences surprenantes en tant qu’organisateur de spectacles, de critique d'art, de protecteur des artistes et d'impresario. Dans une lettre qu’il a écrite à sa mère, Diaghilev a inclus un charmant autoportrait:

« Je suis d’abord un grand charlatan, mais avec brio; deuxièmement, je suis un grand charmeur; troisièmement, j’ai un grand toupet; quatrièmement, je suis un homme avec une grande quantité de logique, mais avec très peu de principes; cinquièmement, je pense que je n’ai pas de vrais dons. Je crois tout de même que je viens de trouver ma vraie vocation, être mécène. J’ai tout ce qu’il faut pour économiser de l’argent - mais ça viendra. »

Diaghilev

 

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Couverture de 1901 de
«The World of Art»

En russe: Mir Iskusstva (Мир искусства)

En 1898, il avait fondé une importante revue, The World of Art, et en 1909, il a organisé des expositions très réussies présentant les œuvres de jeunes peintres russes, tout cela dans le but d’aiguiser le goût de la société russe. Et il a réussi à le faire. Les gens s’habillaient différemment, changeaient leurs meubles et décoraient leur maison d’une nouvelle manière suite aux présentations de Diaghilev. Mais il va aussi provoquer un renouveau majeur du ballet dans le monde, grâce aux Ballets Russes.

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Affiche de la première saison
des Ballets Russes au Châtelet

Les Ballets Russes ont été la première compagnie de ballet russe en tournée, mais la troupe ne s'est jamais produite en Russie! Après la révolution de 1905, Sergei Diaghilev a compris que la réforme artistique serait étouffée dans son pays et a installé la compagnie à Paris.

La première saison des Ballets Russes a lieu au Théâtre du Châtelet, du 18 mai au 18 juin 1909. Le chaos provoqué par de nouvelles révoltes puis révolutions en Russie au cours des deux décennies suivantes n’a jamais permis à la compagnie de se représenter dans son pays avant sa dissolution en 1929.

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Lydia Sokolova
des Ballets russes

L’élue sacrifiée dans la «Danse sacrale»
dernier ballet du spectacle

Les Ballets Russes, aujourd’hui considérés comme l’une des compagnies les plus influentes du XXème siècle, ont été les premiers à encourager les chorégraphes et compositeurs prometteurs, souvent, mais pas exclusivement d'origine russe. Lorsqu’il a été recruté par Diaghilev pour composer des œuvres pour les Ballets Russes, Stravinsky lui-même était presque inconnu! C’est avec Le Sacre du Printemps qu’il s’est forgé une réputation de compositeur visionnaire, ayant révolutionné la fonction du rythme en musique. Créé en 1913, ce ballet moderniste a généré à l’époque une véritable révolution dans le monde de la danse, avant de devenir un succès notable avec le temps. Plus de 150 productions du ballet ont été créées dans le monde entier depuis sa première.

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Nijinski dans le rôle-titre
du ballet «Petrouchka»
© Photo d'Herman Mishkin - Library of Congress

De 1909 à 1913, Vaslav Nijinski est le danseur étoile des Ballets Russes et marque de son interprétation les créations de Schéhérazade, du Spectre de la Rose, de Petrouchka et de L'Après-midi d'un Faune. Il acquiert une réputation mondiale grâce à ses chorégraphies, parfois controversées dont la scène finale très suggestive de L'Après-midi d'un Faune est un exemple.

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Vaslav Nijinsky est accroupi sur son genou gauche, la tête penchée, devant un foulard en tant que Faune dans «L’après-Midi d’un Faune»
© Photo de 1912 d’Adolf de Meyer tirée du livre de 1914 «Nijinsky: L’après-midi d’un Faune»

Diaghilev a eu une relation amoureuse avec Nijinski. Lors d’une tournée en Amérique du Sud en 1913, à laquelle Diaghilev, souffrant d’un fort mal de mer, ne put prendre part, Nijinski tomba amoureux de la danseuse hongroise Romola de Pulszky et l’épousa le 10 septembre de la même année à Buenos Aires. En chemin, à Vienne, son épouse Romola donne naissance le 19 juin 1914 à une fille. Dans un élan de jalousie, Diaghilev, qui reçut un choc en lisant le télégramme annonçant le mariage, congédia Nijinski sans préavis.

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Leonide Massine dans le rôle-titre
du ballet «La légende de Joseph»

Après le départ de Vaslav Nijinsky, Leonide Massine est devenu la star masculine prééminente et a repris les rôles de Nijinsky et, de 1915 à 1921, il sera le chorégraphe principal des Ballets Russes de Sergueï Diaghilev. Dès son arrivée aux Ballets Russes en 1914, il était devenu le protégé de Diaghilev qui lui avait inculqué le goût de l’art moderne. Il lui avait aussi offert la chance de devenir chorégraphe en 1915. Grâce à Diaghilev, Massine a fait la connaissance de nombreuses personnes importantes de l’art moderne (Georges Braque, Henri Matisse, Jean Cocteau, Pablo Picasso, Erik Satie, Igor Stravinsky ...) et a commencé à créer des collaborations artistiques innovantes dans la musique, les décors et les costumes des productions de ballet qu’il chorégraphiait. Diaghilev et Massine furent amants. Le règne de Massine dure quelques années, puis l’histoire se répète: Massine se marie et démissionne de la compagnie avant d’en recevoir l’ordre cinglant qui n’aurait pas tardé à arriver - pour avoir eu une liaison hétérosexuelle au sein de l’entreprise! Diaghilev l’a traité d’ingrat, disant: «Rien qu’un beau visage et de pauvres jambes

Alors qu’il se remettait difficilement du chagrin d’âme de sa séparation d’avec Massine, à la fin du mois de février 1921, Diaghilev a pris Boris Kochno, un adolescent, comme amant puis secrétaire. «Vous serez mon secrétaire», lui a dit Diaghilev. «C’est-à-dire», a demandé le jeune homme. «Vous inventerez votre métier», s'était-il entendu répondre. C'est ainsi que Boris, grâce à son autorité souvent féroce et son goût toujours sûr, avait mué en numéro 1-bis de l'illustre compagnie.

A.4.2) Boris Kochno avant Cole Porter

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Boris Kochno (vers 1927)
© photo de Man Ray - Musée National de Monaco

Boris Evgenievich Kochno est né à Moscou, en Russie, le 3 janvier 1904. Il est le fils d'un colonel des hussards de la garde impériale russe. Son père étant mort, il fuit avec sa mère et ses deux sœurs la révolution bolchévique. Installé à Elisabethgrad (actuellement Zinovievsk, en Ukraine), il y fait la connaissance du compositeur polonais Karol Szymanowski en 1919 – il a 15 ans – dont il devient l'amant malgré les vingt ans qui les séparent. Après un passage par Constantinople, Kochno arrive à Paris en octobre 1920.

Ayant appris le français comme la plupart de l’intelligentsia russe de l'époque, il rencontre le peintre Sergueï Soudeïkine qui le présente l'année suivante, début 1921, à Serge de Diaghilev, le directeur des Ballets Russes. Comme nous l’avons vu, ce dernier, après une très courte liaison, l'engage comme secrétaire. Pressentant les talents littéraires du jeune homme, il lui confie la rédaction du livret de l'opéra-bouffe Mavra de Stravinsky, compositeur favori des Ballets Russes depuis une dizaine d'années, puis les arguments de la plupart des ballets commandés pour la compagnie à Georges Auric (Les Fâcheux - 1924), Henri Sauguet (La Chatte - 1927) et Sergueï Prokofiev (Le Fils prodigue - 1928) entre autres.

Sergueï Grigoriev, qui a dirigé les Ballets Russes pendant vingt ans, décrit Kochno comme «un jeune homme intelligent et instruit, doué pour la poésie et désireux de contribuer au travail du Ballet.»

Kochno accompagnera Diaghilev jusqu'à la fin de sa vie, en 1929. Cette relation était rapidement devenue indispensable pour tous les deux.

A.4.3) Première «rencontre» Kochno-Porter en 1923

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«Les Noces» au eatro Colón, Buenos Aires, 1923
© Bronislava Nijinska collectio - Library of Congress

Un des grands événements parisiens de la fin de la saison 1922-1923 à Paris, est la création par les Ballets Russes, le 13 juin 1923 au Théâtre de la Gaîté à Paris de Les noces, un ballet sur une musique d’Igor Stravinsky. La chorégraphie en est confiée à Bronislava Nijinska, alors directrice des Ballets Russes. Elle sera la seule femme chorégraphe de l’histoire des Ballets Russes. Dans les études modernes, elle est considérée comme une féministe précoce. En tant que chorégraphe incontournable et chef de file du ballet dans le domaine du ballet, Nijinska a créé de nombreuses œuvres révolutionnaires axées sur l’évolution des rôles de genre dans les années '20. Les Noces, qui déconstruit le romantisme du mariage, est souvent considérée comme son œuvre la plus importante.

Le ballet, racontant les noces de paysans russes, mêle l'inspiration primitiviste à la modernité du geste. Il s'agit aussi d'un rite érotique, qui rappelle la puissance du Sacre du printemps de Vaslav Nijinski. Même si Les Noces a reçu un accueil mitigé lors de ses premières représentations – ce sera pire trois ans plus tard lors de la création londonienne - sa première à Paris le 13 juin 1923 est accueillie avec enthousiasme. Et c’est ici que nous retrouvons Cole Porter.

La fête de première est organisée sur une grande péniche sur la Seine. En plus des artistes, dont Diaghilev et Stravinsky, le tout Paris est là: les artistes Natalia Goncharova, Fernand Léger, Jean Cocteau et Pablo Picasso; la célèbre pianiste Marcelle Meyer; le mondain Comte Étienne de Beaumont; le romancier Raymond Radiguet. Et bien sûr les mondains Linda et Cole Porter. Sans oublier Boris Kochno, secrétaire de Diaghilev. Ils ne font que se croiser… mais se remarquent très vraisemblablement.

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De g. à dr.: Gerald Murphy, Sara Murphy, Cole Porter
et Linda Lee Thomas en 1923 à Vienne

Rappelons que Cole Porter aimait les ballets. En cette même année 1923, il avait accepté la proposition de Gerald Murphy de composer la musique pour un court ballet destiné aux Ballets Suédois. Il invite les Murphy à le rejoindre avec Linda à Venise pendant trois semaines afin de faciliter sa collaboration avec Gerald Murphy sur le ballet. À Venise, Gerald et Cole ont travaillé sur Within the Quota (), «une œuvre vivante et satyrique autour des impressions d’un jeune immigrant suédois aux États-Unis». Within the Quota () a été décrit comme «un ballet-pantomime voulant montrer ce qui est interdit en Amérique», un thème qui était cher à Porter. L’immigré débarque, et chaque fois qu’il désire quelque chose, il découvre que c’est interdit: alcool, danse, amour.

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L'imMigrant
dans le ballet «Within the Quota»
© Mini Book of Arts

Dans ce ballet annoncé comme «le premier ballet jazz», la musique de Porter fut qualifiée de «futuriste». La musique a vraiment «dessiné» le ballet plutôt que le contraire. Par exemple, avant le lever du rideau, l’entrée d’un navire dans le port de New York est suggérée. On entend un sifflement au loin. Peu à peu, il s’approche. On entend comme le rugissement de circulation. En fait, la musique, c’est New York. Ce n’est pas une belle harmonie, mais une description musicale vivante... Le seul mot qui décrit parfaitement la musique est «Vérité». Il s’agit d’un mélange vraiment merveilleux de discorde et d’harmonie.

Le Figaro a qualifié Within the Quota () de «triomphal» et a mentionné que Rudolph Valentino et son épouse ont assisté à l’ouverture. Une critique non identifiée a fait l’éloge de la musique de Porter, qui «comprenait un très bon jazz et quelques dissonances polytonales qui avaient été composées pour être drôles, ce qui fonctionnait.» Peu de temps après, les Ballets Suédois se sont dissous. En 1954, Porter a déclaré à un de ses biographes, Richard Hubler: «Les partitions originales sont perdues et je n’ai pas de copies. Mon seul effort pour être respectable doit rester virtuel.» C’était sans doute un clin d’œil aux croyances de sa femme qui était persuadée que son mari avait un talent caché pour une musique «plus noble» que celle de ses musicals. Grâce à une recherche réussie de la part de Robert Kimball, la partition a été récupérée après la mort de Porter et le chef d’orchestre John McGlinn l’a enregistrée avec la Sinfonietta de Londres en 1989.

Porter et Diaghilev étaient amis. Enfin, «amis mondains». Kochno se souvient que cette année-là Diaghilev lui a envoyé un message de Venise: «Cole écrit un ballet... Danger!» Diaghilev méprisait le jazz et semblait, par erreur, considérer que la musique de Porter – en fait toute la musique populaire – appartenait à ce genre nouveau. Kochno décrivait Diaghilev comme «un ami de Cole Porter...», mais soulignait que «Diaghilev ne lui a jamais parlé de sa musique et a fait semblant de ne pas savoir que ce charmant, haut vivant 'Américain à Paris' était compositeur». Toujours selon Kochno, Diaghilev était «indigné par l’invasion du jazz en Europe et par son influence sur les jeunes compositeurs». Porter a invité Diaghilev et Kochno à déjeuner avec George Gershwin, qui lui a joué sa Rhapsody in Blue – avant qu’elle ne soit créée le 12 février 1924 – dans l’espoir qu’elle puisse être utilisée par les Ballets Russes. Diaghilev a écouté l’œuvre et a confié qu’il songerait à l’utiliser pour un ballet, mais Gershwin n’en a plus jamais entendu parler. Durant toute sa carrière, Diaghilev n’a jamais commandé la moindre musique à un compositeur américain.

A.4.4) Venise 1924

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Palazzo Papadopoli (Venise)

Durant l’été 1924, les Porter ont organisé une soirée peu banale dans le jardin du Palazzo Papadopoli, palais de la Renaissance construit au XVIème siècle et qu’ils avaient loué cette année-là. Ils ont décidé de présenter une soirée de ballet mise en scène par Diaghilev et Kochno. Ils ont construit une scène qui s’adossait au Grand Canal!

Trois arches couvertes de vignes ont été installées comme cadre de scène, et trois statues prêtées par les musées ont fait office d’arrière-plan. Deux duos masculins issus de Les Matelots ont été dansés, ainsi qu’une tarentelle (danse traditionnelle associée à une forme musicale originaire du Sud de l'Italie) et une sélection de Les Biches. Cole Porter jouait les musiques au piano et, selon Kochno, il a dû chanter la musique de Les Matelots à Cole Porter pour qu’il puisse la jouer, car aucune partition n’était disponible. Les Porter ont considéré la soirée comme un grand succès, malgré un terrible orage en début de soirée. Mais cet orage était incomparable à la tempête qu’a provoquée Diaghilev quand il a appris que les Porter, dans leur enthousiasme, avaient donné aux danseurs, en plus de leurs cachets d’artistes, des petits cadeaux. «Comment osent-ils faire des cadeaux à mes artistes, mes artistes n’ont pas besoin qu’on leur jette de misérables croutons de pain!» Il a appris qu’après le spectacle, les Porter allaient fait un tour de Piazza San Marco avec quelques-uns de leurs invités. Diaghilev s’est précipité à leur rencontre et, en pleine Piazza San Marco, a expliqué à Cole et Linda – devant leurs invités – sa manière de penser. Kochno a affirmé qu’il s’agissait d’un «scandale de première classe».

C’est par ailleurs pendant ces trois semaines à Venise que Cole Porter a commencé à composer les Greenwich Village Follies () de John Murray Anderson dont nous avons parlé. Mais Anderson n’a pas aimé les sournoises paroles de Porter ou ses airs sensuels. La première du spectacle a eu lieu à New York le 16 septembre 1924. Petit à petit, Anderson a supprimé les chansons de Porter, les unes après les autres, les remplaçant par des chansons d’autres auteurs. Cela n’a pas du tout affecté Porter qui continuait à se revendiquer avec nonchalance comme un flâneur qui s’est fait une place dans le monde de la musique. Au fond de lui-même, il aspirait à rivaliser avec les pros. Ce comportement nonchalant a conduit bon nombre de producteurs à ne pas engager Porter. Kitty Carlisle Hart résumait parfaitement la chose: «Cole Porter rêvait de rencontrer le succès comme auteur-compositeur, mais il craignait tellement l’échec qu’il prétendait n’être qu’un playboy qui écrivait accidentellement quelques chansons. »

A.4.5) Année 1925

Parmi les chansons que Cole avait écrites pour Greenwich Village Follies (), on trouve Two Little Babes in the Wood et I’m in Love Again. Selon le grand intellectuel américain Gilbert Seldes - spécialisé dans la défense des formes artistiques et des médias nés ou principalement développés aux États-Unis (jazz, comic strip, musicals, télévision, etc.) – a qualifié I’m in Love Again de «meilleure chanson de M. Porter». La chanson, à la fois par ses paroles et sa musique, décrit très bien l’ivresse de tomber amoureux. Le deuxième couplet contient une ligne frappante: il décrit «quelqu’un de triste» qui rencontre «quelqu’un de mauvais / Mais le genre de mauvais qui est doux». Cette phrase a probablement été inspirée par l’ «engouement» de Porter à l’époque pour Boris Kochno.

Cet à l’été 1925 que Porter et Kochno devinrent amants. Dès ce moment, Porter a écrit à Boris Kochno une série de lettres d’amour. Dans la première, Porter mentionne avoir passé il n’y a pas longtemps «des noires semaines à l’hôpital de New York». En 1920, Porter avait eu une blennorragie et avait été testé positif pour la syphilis. Les traitements douloureux de la syphilis, à cette époque pré-pénicilline, justifient sans doute le terme «noire». Dans cette lettre écrite en français, Porter implore Kochno:

« Ne sois pas une prima donna. Écris-moi. Je suis à Paris depuis trois semaines, nous allons en Espagne pour Pâques, à Séville pour la Feria – Paris mois de mai et juin-octobre. Tu es si silencieux. Et comme moi, je suis si heureux d’être de retour, si heureux de revenir à la vie... j’ai envie de te voir. Est-il possible que tu m’aies oublié? Même si c’est le cas, dis-le-moi. »

Lettre de Porter à Kochno

 

Le 6 septembre 1925, à deux heures du matin, une heure où Cole Porter semblait se consacrer à l’écriture de lettres d’amour ou de paroles de chansons (souvent interchangeables pour Porter), il envoya des mots ardents à Kochno, qui avait rencontré Linda la veille et avait trouvé grâce auprès d’elle. La lettre est écrite en français… Pour la simplicité de la lecture, l’orthographe et la syntaxe ont été corrigées.

« Dimanche matin
2 hres
Boris
Tu t’es fait une grande amie aujourd’hui - c'était Linda. Après que tout le monde soit parti, elle est venue dans ma chambre, me voir — Et elle ne parlait que de toi – disant que tu avais été charmant, qu'elle te trouvant très gentil, et que vous aviez beaucoup ri ensemble cet après-midi.
Je mets la troisième phrase à la fin, parce que je crois que c’est la plus importante. Bien que très peu de gens l'amusent – je ne sais pas te dire combien je t’en suis reconnaissant – tu l'as fait. Et cela rend tout tellement plus facile.
Quant à ton départ, j'essaie de me consoler en pensant à ton retour, mais c'est assez difficile. Et la seule chose que je veux vraiment faire, c'est de monter sur la Campanile et annoncer à la piazza que je suis amoureux à mourir de quelqu'un qui a pris le train de ce soir pour Naples et que je vais le suivre.
Mais, tu sais, Boris, je suis sûr de toi, et... C'était tellement pénible de te voir toujours au beau milieu d'autres personnes, que, peut-être, nous sommes un peu plus tranquilles en étant séparés pour le moment sachant que, une fois, arrivés à Paris, ça va être si facile de te voir.
Oh, il n'y a pas à dire, Boris, je t'adore à un tel point que je ne pense qu'à toi – je ne vois que toi + je ne rêve qu'au moment où nous serons réunis. Goodnight, darling.
C. »

Lettre de Porter à Kochno

 

En lisant cette lettre que Porter a écrite à Kochno, on peut se rendre compte du sentiment d’amour dont il était capable. A ce moment, Kochno était en route pour Naples et son ardent amant lui manquait déjà. Cette passion peut surprendre ceux qui ne connaissent Porter que par la personnalité nonchalante qu’il a choisi de présenter dans la société. Mais ces mots aident ceux qui sont émus par les chansons de Porter à comprendre les origines de l’ardeur qui se retrouve dans ses paroles, dans ses rythmes palpitants et ses mélodies enivrantes.

A.4.6) Un vrai amour mais passager...

À la fin des années ‘20, Porter et Kochno se sont séparés et leurs vies ont pris des directions très différentes. En 1928, Diaghilev laisse la production du ballet Ode entièrement entre les mains de Boris Kochno. À cette époque, Kochno était responsable de nombreux scénarios de nouveaux ballets et Diaghilev considérait Kochno comme son successeur: Diaghilev l’appelait «Le jeune chêne». Diaghilev insistait pour que Kochno accède à cette fonction de par lui-même, sans aucune aide de sa part. Après la dernière maladie de Diaghilev en 1929, Kochno fut l’un des rares admis dans la chambre des malades et c’est lui qui envoya à Grigoriev la terrible nouvelle: «Diaghilev est mort ce matin. Kochno