Le DuBarry Was a Lady () de Cole Porter a été l’un des plus grands succès de l’époque. L’œuvre avait de nombreux atouts: deux importantes têtes d’affiche avec Bert Lahr et Ethel Merman, de somptueux costumes signés Raoul Pene du Bois et d’impressionnantes chorégraphies imaginées par le chorégraphe Robert Alton (il crée au moins six danses majeures pour le spectacle). Les blagues étaient souvent risquées - au sens osées du terme - et au moins deux des chansons de Cole Porter (It Ain’t Etiquette et But in the Morning, No!) ont été jugées trop choquantes que pour pouvoir être diffusées à la radio.

Trois chansons sont devenues des standards: la belle ballade Do I Love You? (pour Ronald Graham); le duo Friendship (pour Lahr et Merman); et les commérages ell, Did You Evah! (pour Betty Grable et Charles Walters). Le musical s’est joué pendant plus d’un an, et a été le dernier book-musical à ouvrir à Broadway dans les années ’30. Ce n’est qu’une coïncidence, mais la revue Wake Up and Dream () de Porter avait été la dernière production des années ‘20 à ouvrir, le 30 décembre 1929.

Dans cette histoire, Louis Blore (Bert Lahr) est le préposé aux toilettes pour hommes dans un cabaret de Manhattan, le «Club Petite», où May Daley (Ethel Merman) est la chanteuse vedette. Les autres artistes du cabaret sont Alice (Betty Grable) et Harry (Charles Walters). Louis est amoureux de May, mais elle ne s’intéresse qu’au beau Alex Barton (Ronald Graham), le frère d’Alice. Quand Louis boit accidentellement un Mickey Finn – boisson alcoolisée dans laquelle on a versé une drogue à l'insu de celui qui la consomme – destiné à Alex, il rêve qu’il est Louis XIV et que May est sa maîtresse, la DuBarry. À partir de ce moment-là, tout le monde dans la vie de Louis à New York a un homologue dans la France du XVIIème siècle. Cela dégage dans le musical beaucoup de place pour des chansons, des ballets, de la comédie et des moments «coquins». La plupart du spectacle se déroule durant l’hallucination de Louis, mais pour la scène finale, il se réveille et se retrouve à New York. Bien que May et Alex soient toujours un couple, May et Louis portent un toast à leur éternelle … «amitié».

Brooks Atkinson du New York Times a déclaré que DuBarry Was a Lady () y avait «toutes les qualités d’un carnaval de haut niveau à Broadway» avec une partition «animée» et orné de «magnifiques parures». Il soulignait la présence de danses parmi «les plus délicieuses» de la saison et d’une distribution faite d’interprètes «hors du commun». Le tumultueux Lahr était «en grande forme» donnant vie à «plein de singeries démesurées». Ethel Merman était «le parfait ménestrel du musical» et chantait ses numéros «avec la joie et le magnétisme de la parfaite chanteuse de music-hall». Mais, selon Atkinson, DuBarry Was a Lady () avait l’un des «livrets les plus bruts qui ait jamais atteint les quartiers chics» et il «a introduit un niveau d’obscénité à Broadway».

Une production londonienne a ouvert ses portes le 22 octobre 1942, en pleine guerre, au Her Majesty’s Theatre pour 178 représentations, avec Arthur Roscoe et Frances Day en tête d’affiche.

En 1943, la MGM a produit une adaptation cinématographique du musical, assez divertissante, avec en vedette Red Skelton et Lucille Ball dans les rôles principaux, auxquels s’ajoutaient Gene Kelly, Virginia O’Brien, Zero Mostel, Rags Ragland, George Givot, Donald Meek, … L’adaptation de l’histoire a été réalisée par Nancy Hamilton et le film a été réalisé par Roy Del Ruth. Le film a repris trois chansons du spectacle (Do I Love You?, Katie Went to Haiti et Friendship), et deux chansons du musical pouvaient être entendues comme musique de fond (Well, Did You Evah! et When Love Beckoned). Des nouvelles chansons ont été écrites pour le film par divers paroliers et compositeurs, et bien qu’elles ne soient pas de Cole Porter, elles sont assez amusantes. En outre, Gene Kelly avait un formidable numéro de danse exécuté dans le cadre d’un spectacle dans une discothèque. Mais l’humour osé du musical scénique a été atténué fortement pour l’écran.


Une grande partie du théâtre musical durant la Grande Dépression a pris la forme d’un divertissement comique léger. Les spectacles de Cole Porter représentent la forme la plus parfaite de ces spectacles. Des chansons drôles et habiles, avec de l’émotion et des insinuations osées, tout cela combiné avec élégance et sophistication, définit le travail de Cole Porter durant les années ‘30. Malgré son terrible accident de cheval qui l’a laissé physiquement diminué, Cole Porter respire la joie de vivre, l’exubérance.

Pour s’en rendre compte, citons les mémoires de Cy FeuerGot The Show Right Here» - Simon & Schuster - 2003) :

«Cole Porter avait quatre maisons, chacune conservée dans un état permanent d’occupation au gré de ses visites. Toutes étaient équipées avec son linge, ses ustensiles de cuisine et ses vêtements, et chacune disposait de son personnel attitré. Cole voyageait fréquemment et sans bagages. Il avait un appartement à Paris ; une suite au Waldorf Towers de New York ; une luxueuse demeure campagnarde à Williamston, dans le Massachusetts ; et une maison à Brentwood. Au Pavillon (un restaurant renommé de New York), sa table était réservée en permanence. On y gardait également ses couverts en argent, de même que ses assiettes, ses serviettes de table et même son menu personnel. [Quand il se déplaçait dans un hôtel hors de la ville] Cole se faisait toujours précéder par une foule de gens de maison qui agissaient en son nom avec l’attention qu’on accorde à un monarque en déplacement. Un de ses assistants amenait d’abord ses effets personnels de New York. L’hôtel enlevait les reproductions de tableaux qui pendaient aux murs de son appartement et les remplaçait par ses tableaux de peintres célèbres comme Van Gogh, Utrillo et Cézanne. Des photos de ses amis étaient disposées un peu partout dans l’appartement sur des tables et sur son piano arrivé avant lui. Il avait aussi ses propres draps marqués à ses initiales, son nécessaire de toilette, ses serviettes, ses objets en porcelaine, en cristal, ses plateaux en argent, ses vases de fleurs et ses corbeilles à papier. Il avait même ses propres tables pour le dîner et le petit déjeuner, pour les jeux de cartes, et même une table à repasser… Il arrivait enfin par le train, comme s’il était le roi George V.»

«Got The Show Right Here» - Simon & Schuster - 2003