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Ed Tauch et Caresse Crosby (Moulin du Soleil-Ermenonville-1934)
Une des rares photos avec Ed Tauch

Pendant ce temps, la relation entre Linda et Cole continuait à se fragiliser... Linda n’a jamais aimé la Californie, affirmant qu’elle ne convenait pas à sa constitution physique fragile. Mais, objectivement, elle se sentait de plus en plus offensée par Cole qui camouflait à Hollywood de moins en moins ses escapades homosexuelles de Cole. Ses appels pour que Cole abandonne Hollywood restaient vains, et elle était profondément dérangée par sa décision de faire un nouveau film l’année suivante. À Hollywood, Cole a fortement élargi son cercle d'amis, dont beaucoup étaient homosexuels, et Linda craignait que cela n'affaiblisse leur «compagnonage» qui était extrêmement important pour elle. Elle partit pour Paris, et cette séparation dura tout l’été '37. Cole a finalement rejoint Linda à Paris, mais aucun d’eux n'a voulu céder face à leur désaccord. Linda apparaît sur certaines photos prises à cette époque et elle a l’air froide.

Cole a commencé un trekking à pied avec ses «copains» Sturges et Ed Tauch. Leur voyage va débuter à Copenhague et au château d’Elsinore. Une grande partie du voyage est capturée dans les photos, qui présentent de beaux guides, jolis grooms d'hôtels, des statues de nus masculins, putti. Du Danemark, les trois se sont rendus à Oslo, Stockholm, Helsinki, Danzig (où les instantanés comprennent un jeune en costume des Hitlerjungend, les jeunesses hitlériennes), Varsovie, Cracovie, Prague. Munich semble être le moment où Cole Porter s'est retrouvé le plus à proximité des forces nazies qui se renforçaient en Europe à cette époque. Une photo montre de nombreuses croix gammées sur des drapeaux dans une rue, et sur d’autres, il a marqué comme commentaire "Le Duce avec le Führer" et "Architecture nazie moderne", qui aurait particulièrement attiré l’attention de l’architecte Ed Tauch.

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RECTO - Carte postale envoyée par Cole Porter
du Château de Kronborg à Helsingør au Danemark
le 27 août 1937

© YYY
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VERSO - Carte postale envoyée par Cole Porter
du Château de Kronborg à Helsingør au Danemark
le 27 août 1937

© YYY

 

De retour à Paris, Cole a retrouvé une Linda encore en colère. Aucun des deux ne semblait prêt à capituler. Mais Cole avait une partition à écrire pour son prochain musical, "You Never Know". Le 4 octobre 1937, il a embarqué sur l’Estonia en direction de New York, laissant Linda en France.

Peu après son retour d’Europe, Cole Porter a accepté l’invitation de sa vieille amie, la comtesse di Zoppola de passer le week-end dans sa maison de campagne à Mill Neck, près de Oyster Bay, à Long Island. Parmi les autres invités, le duc de Verdura et Diana Vreeland. Le 24 octobre, ils décidèrent de passer l'après-midi au Piping Rock Club de Locust Valley, à Long Island, qui possède un parcours de golf de 18 trous et des terrains de tennis.

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Pipping Rock Club

A l'époque, le club louait des chevaux aux membres. Ce 24 octobre 1937, Cole semblait agité et il proposa une promenade à cheval. Quand ils sont arrivés aux écuries de Piping Rock, il a repéré un cheval qui lui plaisait et a insisté pour monter ce cheval-là, malgré qu'on le prévint qu’il était nerveux. Selon plusieurs de ses amis, la suggestion de monter un cheval plus docile n’a fait qu'accentuer son désir de chevaucher celui, au contraire, qui était plus nerveux. Dans les bois, son cheval a évité quelque chose et est tombé, se retournant sur les jambes de Cole. Porter a subi des fractures de ses deux jambes, et finalement une ostéomyélite (infection de la moelle osseuse) s’est installée.

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Un membre du Club a appelé le Locust Valley Fire Department, qui a envoyé son ambulance. C'est ici que va naître une légende... Cole aimait raconter que, lorsqu’il était allongé avec ses jambes écrasées, attendant de recevoir de l’aide, il a sorti un cahier et a travaillé sur sa chanson « At Long Last Love » à laquelle il manquait un dernier couplet. La chanson a été présentée par Clifton Webb dans le spectacle de 1938 de Porter, "You Never Know" et est un standard.

En guise de remerciement, l'ambulancier qui a conduit l'ambulance sera invité avec sa femme à toutes les premières des créations futures de Cole Porter.

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Cole a subi sa première opération aux jambes à l’hôpital de Glen Cove, puis, après avoir été transféré au Doctors Hospital de Manhattan, il a subi fin novembre la deuxième de ce qui allait devenir une longue liste d'opérations au fil des ans.

Les deux femmes importantes de sa vie, son épouse Linda (à Paris) et sa mère Katie (à Peru, la ville natale de Cole), ont été informées du malheur de Cole presque immédiatement.

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Le grand salon du Doctors Hospital à Manhattan

De Paris, Linda a écrit à Bernard Berenson, son ami historien de l'art, une lettre décrivant d’abord, et à un certain point, ses propres maladies du moment: une côte cassée et une bronchite, « ce qui était presque la pire chose qui pouvait arriver, car, avec une toux constante, les côtes refusaient de guérir ». Mais après des semaines au lit, elle était mieux à même de faire de courtes promenades lorsque le temps le permettait. Elle raconte alors à Berenson la nouvelle de l’accident de Cole: «Pour ajouter à mon égarement, Cole s’est cassé les deux jambes - son cheval lui est tombé dessus - et il est à l’hôpital de Long Island. Pauvre âme! Il doit souffrir terriblement. Je change la date de mon départ du 17 novembre au 3 pour être avec lui ... Je suis vraiment inquiète à mort & j'ai envie d’être près de lui.» On peut s'étonner de l'ordre des événements relatés dans cette lettre...

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Chambre au Doctors Hospital à Manhattan (Carte postale)

Linda et Katie se sont opposées au jugement du Dr Joseph B. Connolly selon lequel les deux jambes de Cole devaient être amputées immédiatement. Linda a fait promettre au médecin qu'aucune amputation ne serait réalisée avant son arrivée d'Europe. Des amis de Cole ont critiqué cette décision, mais l’évaluation de la situation par Linda semble avoir été correcte: il est très vraisemblable que la perte de ses jambes aurait détruit l’esprit de Cole. Des décennies plus tard, lorsqu’une de ses jambes a finalement été amputée, il a pratiquement fermé boutique. Les deux femmes se sont précipitées au chevet de Cole. À l’amie de Cole, Winsor French, Linda a parlé de sa décision de soutenir son mari: «C’est trop déchirant. On n’abandonne pas un navire qui coule.» Rappelons que Linda, vivant en France après son départ d’Hollywood, avait prévu de divorcer de Cole. Pendant des jours après l’accident, il est resté en état de choc, parfois délirant, parfois inconscient.

De nombreux amis sont venus à l'hôpital pour réconforter Cole. Parmi les plus anciennes, il y eut Elsa Maxwell, à qui Cole, lourdement sédaté, a réussi à murmurer: «Cela montre que Fifty Million Frenchmen ne peuvent pas se tromper. Ils mangent des chevaux au lieu de les monter.»

Pendant un certain temps, l'option de l’amputation est restée d'actualité. Un éminent spécialiste, le Dr John J. Moorhead, a été consulté et il a d’abord convenu avec le Dr Connolly que l’amputation était la voie à suivre, mais il a promis de retarder la chose. Lorsque Linda lui a fait remarquer la désolation psychologique que la perte de ses jambes allait entraîner pour Cole, le Dr. Moorhead a dit qu’il attendrait de voir si la fièvre se développait. Si ce n’était pas le cas, il tenterait de reconstruire les jambes, mais il a informé Cole qu’il ne pouvait lui donner aucune assurance que le traitement alternatif réussirait et l’a averti qu’il souffrirait d’une douleur atroce et peut-être permanente.

Peu après l’accident, Linda a alerté Ray Kelly, l'un de ses meilleurs employés-amis-amants, de l’état de Cole. Elle savait que, lorsque Cole sortirait de l’hôpital, il aurait besoin d’aide et elle s’est tournée naturellement vers Ray Kelly comme la personne la plus digne de confiance. Cole a sans doute approuvé le choix. Kelly, un jeune homme grand et large d’épaules qui correspondait probablement aux fantasmes sexuels de Porter, était aussi un compagnon loyal et affable qui pouvait aider à répondre aux besoins de soins de Cole. Kelly était employé par les Porters et recevait la somme alors princière de cent dollars par semaine et se vit offrir un petit appartement.

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Ray Kelly (env. 1945)

Quelques années plus tard, le compositeur Bart Howard se souvient d'avoir rencontré Ray Kelly à Fort Benning, en Géorgie, et s’être demandé à quel point Kelly était gay. Bel homme, Kelly a pris Bart Howard dans ses bras et l’a embrassé. Pendant son séjour en Géorgie, Kelly a rencontré une jeune femme séduisante qu’il a finalement épousée et avec laquelle il a eu quatre enfants. Après la guerre, les Kelly dînaient souvent en privé avec les Porter ou étaient invités à des dîners avec des invités aussi prestigieux que le Duc et la Duchesse de Windsor. Cole Porter n'oubliait jamais les gens qui lui avaient tendu la main.

Au Doctors Hospital de Manhattan, Cole a subi deux opérations pour réparer des nerfs endommagés. La douleur était insoutenable, mais Cole Porter a très majoritairement gardé un comportement stoïque. Même le personnel hospitalier était impressionné par son self-contrôle. Cole a affirmé que cela l'avait aidé de transformer sa situation difficile en une sorte de jeu. Avec Elsa Maxwell, ce jeu revint à assigner une personnalité à chacune de ses jambes: la gauche, il l’a appelée Joséphine et la droite, Géraldine. Joséphine était douce et serviable; Géraldine était "une voyou, une salope, un psychopathe" en accord avec les différents degrés de douleur que chacune de ses jambes lui causait. Aussi difficile que soit Géraldine, Cole a insisté sur le fait qu’il l’aimait autant que la docile Joséphine et voulait s’accrocher à elle. Un jour, à un médecin qui lui demandait comment il se trouvait, Porter a répondu: «Il y a environ mille petits hommes dans mes jambes avec des couteaux pointus et ils les enfoncent partout. J’ai une douleur terrible". Ray Kelly a rapporté qu’à un moment donné, à l’hôpital, Cole prenait 14 sortes de narcotiques, d’hypnotiques et de sédatifs par jour. Et il y avait une grande crainte qu’il doive continuer à suivre un traitement lorsqu’il sortirait de l’hôpital. Quand il disait à l’infirmière: «J’ai besoin de quelque chose, la douleur est trop forte», l’infirmière donnait à Cole une demi-tablette de belladone mais aussi des placebos.» Ray Kelly se souvient de Cole dans son lit d’hôpital «avec les yeux révulsés... et des gouttes de sueur coulant de son front. Il a subi les tortures des damnés.»

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Emplacement du Waldorf Astoria, qui s'étend sur tout un pâté de maisons de la 49ème à la 50ème rue
et de Park Avenue à Lexington Avenue (1931)

© Waldorf-Astoria

Des amis se sont réunis à la mi-janvier 1938 pour accueillir Cole à sa sortie de l’hôpital, et pour célébrer son retour à la vie sociale, même si cette vie sociale était devenue bien restreinte. Elsa Maxwell, comme si souvent dans le passé, était la maîtresse des festivités. Tout était cependant très différent. Cole Porter adorait les automobiles somptueuses. Chaque année, Cole commandait une nouvelle Cadillac noire, dont il faisait enlever tous les ornements; et il avait offert à Linda d’une Rolls-Royce qu’elle utilisait rarement. Mais ce soir-là, on évita tout voyage en voiture et la soirée se déroula dans une des salles de fête du somptueux Hotel Waldorf Astoria, si cher à Cole Porter.

En 1931, le Waldorf Astoria, après une reconstruction totale, avait rouvert ses portes à son emplacement actuel de Park Avenue, devenant ainsi le plus grand et le plus haut hôtel du monde. Conçu dans le style Art déco, il a accueilli des présidents, des souverains, des stars du cinéma et des personnalités culturelles dans ses grands salons et ses suites palatiales.

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Piano de Cole Porter au Waldorf-Astoria
© Waldorf-Astoria

Le Waldorf Astoria a établi une liste de précédents mondiaux: le premier hôtel à avoir l’électricité à chaque étage, le premier à avoir des salles de bains privatives et le premier à offrir un service d’étage 24 heures sur 24. Une rose couronnait chaque commande de service d’étage passée dans les Towers. Cole Porter s’est installé dans les Towers en 1934 et a conservé sa résidence au Waldorf Astoria jusqu’à sa mort en 1964. Les gérants de l’hôtel lui ont offert un piano Steinway qu’il a surnommé « High Society » et sur lequel il a composé des chansons emblématiques, comme « Anything Goes ». Il a qualifié sa suite de dix pièces, situé au 33e étage,, de « rêve de beauté ».

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Cole Porter jouant du piano vers 1956.
© New York Times

Dans cette nuit de janvier 1938, pas de voiture. Les Porter sont simplement descendus de leur suite des tours Waldorf. Il a dû être porté par son valet, Paul Sylvain, et par Ray Kelly. Porter avait récemment embauché Paul Sylvain, et, depuis l’accident, il était la personne la plus importante pour lui, pratiquement une extension de lui-même.

Les dames habillées par Balenciaga et Main Bocher et les messieurs en cravate et queue de pie blancs se sont frayés un chemin à travers l’élégant hall d'entrée jusqu’à la Perroquet Suite, dans le Waldorf-Astoria, où les couples étaient déjà en train de faire du fox-trot avec deux orchestres. Tout le gratin s’était réuni ce soir-là pour remonter le moral de Cole après ses mois d’hospitalisation et toute la douleur et la dépression qui en découlaient. Porter devait être particulièrement heureux de la présence de son amant, Edward Tauch. La soirée était un vrai gala, et Cole a dit après avoir aimé être de retour sous les projecteurs, mais il a avoué qu’il avait encore été si fortement sous l'influence de la morphine qu’il n’avait que des souvenirs vagues de toute la soirée.

De retour à la maison, c'est-à-dire remonté dans sa suite, Cole a joué au piano pendant des heures, surtout des classiques. Une de ses jambes reposait sur un pouf, l’autre sur un tabouret de piano.

Le 3 février, Cole s’est de nouveau rendu au Doctors Hospital où il a subi une nouvelle opération. À cette occasion, le Dr Moorhead l’a encouragé à revenir à la composition, espérant que cela éviterait le délabrement émotionnel qui le menaçait. Porter avait promis à Clifton Webb - un acteur qui avait joué dans le premier musical de Porter à Broadway, 22 ans plus tôt, le flop "America First" - qu’il finirait la partition d'un musical intitulé You Never Know pour que les répétitions puissent débuter en février 1938. Alors, il s’est mis au travail et a abandonné ses plans concernant un spectacle appelé "Greek to You".