B.7.1) Cole Porter et le cinéma, des débuts difficiles

Dès l'apparition du cinéma parlant le 6 octobre 1927 avec le film The Jazz Singer, l'attrait pour la musique au cinéma fut énorme. Et bien sûr, il y eut de nombreux 'musicals cinématographiques'.

Le 7 novembre 1929 sortit chez Warner le film "Paris" basé sur le musical "Paris" avec Irene Bordoni (Vivienne Rolland) et Jack Buchanan (Guy Pennell). Il n'existe aucune copie de ce film et il faut signaler qu'aucune chanson de Cole Porter du spectacle original n’a été utilisée dans ce film... Un coup dans l'eau!

B.7.1.a) «The Battle of Paris» (1929 - N/B - Paramount Pictures)

image
«The Battle of Paris»

Quelques jours plus tard, le 30 novembre 1929, sort le film The Battle of Paris réalisé par Robert Florey. Ce film raconte une assez belle histoire, s'intéressant à Georgie, une chanteuse dans les rues de Paris qui fait équipe avec Zizi, un pickpocket. Lors d'un contôle de police, elle rencontre Tony, un jeune artiste américain. Elle le retrouve le lendemain pour lui rendre son portefeuille. Tony persuade Georgie de rester chez lui et de poser pour lui, et c’est ainsi qu’ils tombent amoureux. Lorsque la guerre est déclarée, Tony s’engage et Georgie garde son appartement pour lui. Alors qu’elle est infirmière dans un grand hôpital à Paris, Georgie se lie d’amitié avec trois «mousquetaires» de la pègre parisienne. Lorsque Tony, en permission, ne rentre pas à la maison, elle le trouve dans les bras de Suzanne, une serveuse de café. Avec ses amis, Georgie monopolise leur attention avec son talent musical. Plus tard, Suzanne va se venger: elle attire Georgie hors de l’appartement et la fait emprisonner. Tony et ses amis partent à sa recherche. Après une bataille avec les méchants, les amants sont enfin réunis.

Il s'agit du premier film parlant de Gertrude Lawrence et "La grande star" de théâtre britannique a rarement été vue à son meilleur jour au cinéma, même avec un scénario médiocre et une musique étonnamment tiède. Il s'agit aussi du premier film musical avec des chansons de Cole Porter. Le film comporte 4 chansons dont 2 de Cole Porter: Here Comes The Bandwagon et They All Fall In Love, chantée par Cole Porter.

image
Gertrude Lawrence (Georgie)
et Walter Petrie (Tony)
image
Gertrude Lawrence (Georgie)
et Walter Petrie (Tony)

 

B.7.1.b) «Fifty Million Frenchmen» (1931 - Technicolor & N/B - Warner Bros)

image
«The Battle of Paris»

Le musical Fifty Million Frenchmen () a été adapté au cinéma, dans une réalisation de Lloyd Bacon. Il a entièrement été filmé en Technicolor et est sorti en salles en 1931 par Warner Bros. La distribution comprenait Ole Olsen, Chic Johnson, William Gaxton, Helen Broderick, John Halliday, Claudia Dell, Lester Crawford et Evalyn Knapp.

Le tournage a été achevé en 1930 et le film devait initialement sortir à la fin de 1930, mais a été mis de côté en raison de l’apathie perçue du public envers les musicals, après trois années de sorties intensives de ce type de films. Warner Bros a sorti le film en février 1931 après avoir supprimé toute la musique et donc, on se retrouve avec une version de Fifty Million Frenchmen () sans aucune chanson de Cole Porter!!!

Dans une critique du New York Times, Mordaunt Hall a écrit: «Seuls quelques épisodes légèrement amusants sont dépeints... Ce film a été produit sans les chansons de Cole Porter et le travail prismatique est parfois mal éclairé. Les acteurs, y compris Olsen et Johnson, William Gaxton, Helen Broderick, John Halliday, Claudia Dell, font leur travail avec un évident enthousiasme même s'ils sont malheureux dans ce projet

Bien que sorti en Technicolor, le film ne survit qu’en noir et blanc.

B.7.1.c) «The Gay Divorcee» (1934 - N/B - RKO Films)

image
«The Gay Divorcee»

En 1934, le musical de Porter "The Gay Divorcee" a bénéficié d'une adaptation cinématographique. A l'affiche, on allait retrouver Fred Astaire (Guy Holden), Ginger Rogers (Mimi Glossop), Eric Blore (serveur) et Erik Rhodes (Rodolfo Tonetti). Mais aussi Alice Brady (Tante Hortense), Edward Everett Horton (Egbert 'Pinky' Fitzgerald) et Betty Grable (une cliente de l'hôtel).

Les règles de censure du cinéma de l’époque ne permettaient pas de traiter le sujet du divorce à la légère, ce qui a entraîné une légère modification du titre du film. La logique était qu’un divorce lui-même ne pouvait pas être «gai», mais qu’une personne divorçant pouvait l’être, et ainsi la «morale des cinéphiles du monde entier a pu être sauvée» lorsque le titre a été changé de Gay Divorce à The Gay Divorcee.

Bien sûr, à l’époque le mot «gay» avait pour le grand public un sens très clair: «plein de joie». Dans les années 1890, le terme «gey cat» (une variante écossaise de gay) était utilisé pour décrire un vagabond qui offrait des services sexuels à des femmes ou un jeune voyageur qui venait de prendre la route et en compagnie d’un homme plus agé. Cette derniére utilisation suggére que le jeune homme était dans un réle sexuellement soumis et pourrait étre l’une des premieres fois où l’expression «gay» a été utilisée impliquant une relation homosexuelle. Ce n'est qu'en 1951, que le mot «gay» est apparu pour la premiére fois dans l’Oxford English Dictionary en tant qu’argot pour homosexuel, mais a probablement été utilisé de cette maniére «underground» au moins 30 ans plus tôt. Et ce n'est pas éonnant que Cole Porter, l'homosexuel «camouflé par un mariage», utilise cette terminologie encore «camouflée» à l'époque.

Une fois encore, le film ne reprend qu’une seule chanson de la partition originale du musical signée par Cole Porter: Night and Day. Les chansons The Continental - qui est devenue la première chanson à remporter l’Oscar de la meilleure chanson - et A Needle in a Haystack ont été écrites par le parolier Herb Magidson et le compositeur Con Conrad, et Let’s K-nock K-nees et Don 't Let It Bother You avaient des paroles de Mack Gordon et la musique de Harry Revel.

image
Ginger Rogers et Fred Astaire dans «The Gay Divorcee»

Après le film Flying Down to Rio, Fred Astaire était réticent à faire un deuxième film avec Ginger Rogers. Il avait commencé sa carrièrer en duo de danse avec sa sœur, Adèle Astaire, mais voulait s’établir en tant que danseur solo. Astaire envoya une note à son agent au sujet de Rogers: «Ça ne me dérange pas de faire une autre photo avec elle, mais en ce qui concerne cette idée d’équipe, c’est non! Je viens de réussir à quitter un partenariat et je ne veux plus être enfermé dans un autre.» Mais lorsque les critiques ont fait l’éloge du couple Astaire-Rogers dans Flying Down to Rio, Astaire a été convaincu, et lui et Rogers ont réalisé The Gay Divorcee, le deuxième film de leur partenariat sur dix au total. L’énorme succès du film a contribué à ce qu’Astaire & Rogers se classe #4 parmi les plus grandes stars du box-office de 1935 (il est sorti à la fin de 1934). Ils atteindront leur apogée en 1936 au #3, et à la fin de la décennie, ils se sépareront.

B.7.1.d) «Adios, Argentina» (1934 - 20th-Century Fox) - Jamais finalisé

Fin 1934 et début 1935, Porter compose une partition (6 chansons) pour un film de la Fox qui sera intitulé Adios, Argentina. Le film ne sera jamais produit. Les chansons ne seront jamais publiées, sauf Don’t Fence Me In, que le public n’a pas entendu jusqu’à ce que la chanson soit reprise le film de 1944 Hollywood Canteen. Aucune des 6 chansons n’est mémorable. C’est inexplicable, car Porter était à l'époque au sommet de sa forme. Sa mère a confié à un journaliste que Cole préférait créer des spectacles à Broadway que d'écrire pour des films. Mais à l'époque, tout le monde devait aller à Hollywood, ne fût-ce que pour des raisons économiques. Cette raison ne s'appliquait pas à Cole Porter. Par contre, le fait que, dans ces années-là, tout le «beau monde» artistique était à Hollywood, était une vraie motivation pour Porter.

B.7.2) «Born to Dance» (1936) - Son premier vrai film

image
Affiche avec Eleanor Powell
pour un cinéma à Anvers (Belgique)

© «Born to Dance» - MGM - 1936

Pour Cole Porter, l'année 1936 va avoir deux visages: il va tourner son premier «vrai» film à Hollywood et créer un nouveau musical, Red, Hot and Blue. Nous allons nous intéresser, dans cette partie, à la création de son film. La section suivante traitera du musical, même si le travail sur les deux projets s'est fait conjointement.

Après l'explosion du cinéma parlant dès 1927, la crise de '29 avait tempéré certaines ardeurs. En ce qui conerne les films musicaux, un trop plein s'est vite fait sentir suite au nombre trop important de films proposés et surtout de leur médiocrité: pour attirer massivement le grand public, les producteurs misent tout sur les chorégraphies des danseuses et sur les scènes de coulisses de spectacles mettant en avant les « Girls » en petites tenues.

En plus, dans le milieu des années '30, suite à plusieurs scandales, le « code Hays » fait son apparition. Code d’autocensure signé par les studios hollywoodiens interdisant les allusions sexuelles dans les films (nudité, baiser trop langoureux, etc). Nouveaux problèmes, nouveau changement. Les films musicaux deviennent alors des comédies sentimentales où le héros, homme élégant et spirituel, tombe amoureux d’une jeune femme qui n’a aucune attirance pour lui et qu’il séduit en dansant. Le stéréotype étant les productions des studios RKO avec leurs deux vedettes fétiches, Fred Astaire et Ginger Rogers. Toutes les maisons de productions se lancent alors dans l’aventure et se cherchent leurs stars. Bing Crosby pour la Paramount, Shirley Temple et Alice Faye pour la 20 th Century Fox, et Jeannette MacDonald pour la MGM. Dans ce cadre, après son triomphe avec Anything Goes () et son succès avec Jubilee (), Cole Porter va évidemment être courtisé par Hollywood. En 1935, la MGM propose un contrat à Porter.

En décembre 1935, Cole Porter est parti à Hollywood avec Linda, un endroit qu’il a aimé dès le début. Selon lui: "Hollywood, c’est comme vivre sur la lune, n’est-ce pas?" Et, à partir de là, il a vécu à Hollywood pendant quatre à six mois chaque année. Lors de cette première visite, les Porters louent une très grande et élégante maison sur le Sunset Boulevard. Les années suivantes, ils ont choisi une maison plus petite avec une seule chambre et une piscine. À Hollywood, Cole voyait des amis comme les Astaires, mais allait rarement au studio. Fred Astaire était l’idéal de Porter qui rêvait d'être comme lui. Mais Linda aimait Hollywood beaucoup moins que Cole surtout que son homosexualité, nourrie par l’opportunité des mœurs californiennes, était devenue plus flagrante.

La journaliste américaine Dorothy Kilgallen a écrit que cet habitué de Paris, de Manhattan et de la Riviera était devenu Hollywoodien. Dans une longue interview, Porter décrivait ses plus discrets plaisirs sur la côte ouest, parmi lesquels l’équitation. Il avouait préférer composer à cheval plutôt qu'au piano… « Quand j’écris une chanson au piano, c’est toujours nul », dit-il simplement. Mais il avoue aussi adorer lire des essais ou faire des puzzles. Il parla aussi de musique avec la journaliste Kilgallen. Porter sentait que, au milieu des années trente, le swing était peut-être en déclin et il n’était pas sûr de quel type de chanson prendrait sa place. Dubitatif, il dit: "Des chansons sentimentales, sans prétention. Avec de l'amour et du rire." Il pensait que des temps meilleurs produiraient des chansons plus lumineuses.

En Californie, Cole s'est montré comme un personnage déjanté, rappelant le dandy qu’il fut à l’école préparatoire ou au collège. Cela s'exprimait par exemple par ses tenues vestimentaires. En ce qui concerne les vêtements, il adorait les tenues tapageuses. Un jour, il rendit visite à un tailleur d'Hollywood, voulant se faire confectionner une veste de sport. Il a demandé au tailleur de lui montrer des échantillons de tissu. Le tailleur arriva avec un catalogue de tissus, chacun d’une teinte distincte. Il demanda à Cole de faire son choix. Cole a refusé et lui a demandé de les employer tous pour faire sa veste. Le tailleur s'est exécuté et Cole arbora avec fierté une veste multicolore!

Le 1er juin 1936, Linda est partie en Europe pour tenter de vendre, sans succès, leur maison parisienne. Elle réussit seulement à organiser le rapatriement aux États-Unis d'une grande partie de leur mobilier précieux. Beaucoup ont attribué à tort ce déménagement à la passion des Porters pour la Californie, mais, en fait, ils étaient inquiets du basculement idéologique de l'Europe avec des figues comme Mussolini ou Hitler.

image
Louis B. Mayer et Irving Thalberg

Le 2 juin 1936, Sam Katz, vice-président de la MGM, a téléphoné à Cole Porter pour lui demander de venir aux studios pour jouer et chanter les chansons composées pour Born to Dance () devant Louis B. Mayer et Irving Thalberg, les fondateurs de la MGM. Il a accepté, mais redoutait cette présentation. Le lendemain, il est arrivé à la rencontre de Sam Katz, Louis B. Mayer et Irving Thalberg. Selon Cole Porter, ce dernier avait l’air plus mort que vivant - il mourra d'ailleurs deux mois plus tard à l'âge de 37 ans! Il n'avait manifestement aucune envie d'assister à cette présentation. Étaient aussi présents Sid Silvers et les actrices Eleanor Powell et Virginia Bruce. Quand Cole Porter a eu chanté Rolling Home, il s'est rendu compte que l’atmosphère était plutôt amicale. Quand il a eu fini Hey, Babe, Hey, il y a eu des applaudissements fous et L. B. Mayer a commencé à sautiller dans la pièce, chuchotant aux gens. Lorsqu'il a attaqué Entrance of Lucy James Thalberg est soudainement devenu une personne différente et a commencé à sourire ... Au moment où il a eu terminé la chanson, Thalberg a sauté de son siège, s’est précipité vers Cole Porter, lui a pris la main et a dit : « Je tiens à vous féliciter pour votre magnifique travail. Je pense que c’est l’une des meilleures partitions que j’aie jamais entendues. » Il a été suivi par Louis B. Mayer qui l'a serré dans ses bras en lui disant: «Cole, que dirais-tu de signer ton contrat pour l’année prochaine?» À quoi, Cole Porter, imprévisible comme toujours, a répondu: «Non, L.B., je ne comprends pas les questions d’argent.»

Louis B. Mayer a dit à Sam Katz: «Sam, ce matériel est si beau que je ne veux pas que tu prennes le moindre risque avec lui. Je veux que chaque mot soit entendu, et pour m’en assurer, je veux que tu fasses des 'rushes' de ces chansons et que tu les montres dans des cinémas sous forme de courts-métrages pour voir si le public peut comprendre chaque mot. Et ... ce final est si brillant, que je veux que tu ailles en ville et dépenses 250.000$ sur cette seule chanson.» Quelques jours plus tard, Cole Porter a signé un contrat de trois ans avec MGM pour faire des 'chansonnettes' - c'est l'expression de Porter lui-même ('ditties' en anglais) - qui allaient lui rapporter une fortune.

Une fois ce contrat signé, la vie a continué. Cole a passé l'été à l'hôtel Waldorf de New York. Cole adorait les 'fin de soirées'. Souvent, il partait en voiture après une représentation du samedi soir. Linda n’était pas incluse, mais elle ne s'opposait en rien à cela. Cole Porter aimait ces week-ends avec des "copains de choix" et semblait s’amuser plus là-bas qu’ailleurs. Parfois, il remplissait sa voiture de choristes, masculins bien entendu. Une fois, il a loué un bus pour transporter une foule d’invités du week-end. Selon Cole, Linda a certainement réalisé quel intérêt Cole avait dans ces week-ends et la nature des relations de son mari avec certains.

image
Affiche avec Eleanor Powell
© «Born to Dance» - MGM - 1936

Il est difficile, aujourd'hui, d'avoir une image précise de ce que fut l'Amérique de ces années '30, et en particulier la musique américaine de l'époque. Il est encore plus difficile d'imaginer la vision que les Européens avaient des États-Unis, un pays qu'ils n’avaient jamais vu. Vers le milieu des années '30, la musique de Cole Porter était bien connue et très admirée par les Européens. En fait, c'était le cas dans le monde entier.

En novembre, selon un journal qu’il tenait, Cole s'est rendu à la MGM pour discuter d’un film. Ce sera Born to Dance (), dans lequel Jimmy Stewart chante l’une des chansons d’amour les plus célèbres de Porter, Easy to Love. Stewart a avoué plus tard qu’il avait trouvé quelques notes de la chanson très hautes, trop hautes pour sa voix. Il a demandé à Cole Porter de les descendre quelques peu mais il a refusé. En fait, cette chanson avait été écrite pour William Gaxton dans Anything Goes () mais n'a jamais été utilisée. Elle a été réécrite pour Born to Dance (). En raison de la censure exercée par le Code Hays dans les années '30, la phrase originale "Si doux de se réveiller, Tellement agréable de s’asseoir avec des œufs et du bacon" a dû être changée - on se demande pourquoi - en "Ça vaut le coup de se languir, Qu'il est bon de garder le feu ardent du foyer".

image
Affiche avec Eleanor Powell
© «Born to Dance» - MGM - 1936

I’ve Got You Under My Skin est une autre chanson de Porter du film qui a aujourd'hui la stature d’un standard. Le succès de cette chanson est devenu évident lorsque le Columbia College Yearbook a révélé qu’un sondage qu’il avait réalisé considérait I’ve got you under my skin comme la meilleure chanson populaire de 1936. Auparavant, Variety avait classé trois chansons de Porter parmi les «plus jouées à la radio» : I’ve Got You Under My Skin, Easy to Love et It’s De-Lovely. Les deux premières proviennent du film Born to Dance () et la troisième du musical de Porter Red, Hot and Blue () sorti la même année et dont nous allons parler dans le prochain chapitre. Un certain nombre de connaissances de Porter ont prétendu que, dans I’ve Got You Under My Skin, Porter faisait allusion non seulement au sexe, mais aussi aux drogues, qui étaient populaires auprès de certains de ses amis proches.

Les commentateurs ont qualifié l’intrigue de Born to Dance () de "gars-rencontre-fille" et le film de "gigantesque comédie musicale". Les plateaux de tournage combinés mesuraient 60m de large sur 25m de profondeur et 30m de hauteur. Plus de 3.000 personnes ont travaillé dans la production: un millier de menuisiers, de peintres et métallurgistes ont construit le décor; 50 hommes l’ont nettoyé et poli; cent costumières ont assisté le créateur de costumes, Adrian, et une cinquantaine d’autres gardaient les costumes en bon état. Il y avait 100 maquilleurs, de même que 125 électriciens, 25 accessoiristes et 75 caméramans. Sans parler des spécialistes comme les souffleurs de verre, qui faisaient partie du personnel de production, et les 300 danseurs. Les proportions grandioses du film s’expliquent en partie par le désir du studio de faire du film un digne prolongement de Broadway Melody de 1936 et The Great Ziegfeld.

 

image
James Stewart (Ted Barker), Buddy Ebsen (Mush Tracy), Sid Silvers (Gunny Saks) et Raymond Walburn (Capitaine Percival Dingby)
© «Born to Dance» - MGM - 1936

  Résumé du film   Le film met en scène trois matelots de sous-marins, Ted Barker (James Stewart), Gunny Saks (Sid Silvers) et Mush Tracy (Buddy Ebsen), qui arrivent à New York après quatre ans de mer. Le film commence lorsque leur sous-marin atteint le port de New York, les marins chantant Rolling Home. Alors que de nombreux marins sont en permission, Gunny et Mush ne peuvent débarquer avant que leur capitaine les envoie livrer une lettre au contre-amiral Stubbins. Nora Paige (Eleanor Powell), une chanteuse et danseuse qui vient d'être dégagée d'un spectacle de Broadway, entre au Lonely Hearts Club, valise à la main. La réceptionniste du club, Jenny (Una Merkel), lui propose de partager son appartement avec elle. Quand elle présente Nora aux autres personnes du club, Nora démontre ses talents en chantant et en dansant Rap Tap on Wood (les voix de Miss Powell sont doublées par Marjorie Lane).

image
James Stewart (Ted Barker)
et Una Merkel (Jenny Saks)

© «Born to Dance» - MGM - 1936
image
Una Merkel (Jenny Saks)
et Juanita Quigley (sa fille)

© «Born to Dance» - MGM - 1936

Jenny se confie à Nora quant à son mariage avec un marin: ce dernier avait été son partenaire dans un marathon de danse de vingt-huit jours - très courants durant la crise de '29. Après le marathon, dans les deux jours qu’ils ont passés ensemble avant qu’il ne reprenne la mer, ils ont conçu une fille, Sally. Elle ne lui a jamais avoué qu’il était le père. Ce marin était Gunny, qui est impatient de raviver une relation avec sa femme. Pendant ce temps, Mush tombe amoureux d’une talentueuse chanteuse/serveuse, Peppy Turner (Frances Langford). L'amour entre dans la vie de Nora sous la forme de Ted Barker. Lors de leur première rencontre au Lonely Hearts Club, Ted chante Hey, Babe, Hey à Nora pendant qu’ils dansent. Puis plusieurs autres membres de l’équipe chantent un chœur, dont Nora, Gunny, Jenny, Peppy, Mush et le groupe The Foursome. La chanson se termine avec les marins et leurs copines dansant des claquettes.

image
James Stewart (Ted Barker)
et Virginia Bruce (Lucy James)

© «Born to Dance» - MGM - 1936

Plus tard, le capitaine Percival Dingby (Raymond Walburn) annonce que Lucy James (Virginia Bruce), une célèbre actrice, monte à bord du sous-marin. Les hommes célèbrent son arrivée en chansons. Une fois à bord, avec son mignon petit chien dans les bras, Miss James chante Love Me, Love My Pekinese. Lors d’une séance de photos avec le capitaine, il jette son chien par-dessus bord; tous les marins plongent pour sauver le chiot. Les jours suivants, le journal présente une photo de Ted rendant son chien détrempé à Miss James. McKay, son agent, complote immédiatement pour inventer une histoire d'amour entre Ted et Lucy afin de faire la publicité de son nouveau spectacle.

La scène suivante est l’une des plus célèbres, sinon la plus célèbre séquence musicale du film. Ted commence à chanter Easy to Love à Nora alors qu’ils se promènent dans Central Park. Après un baiser, Nora chante; ils s’embrassent à nouveau et elle danse pendant que Ted dirige un orchestre imaginaire. Un policier de Central Park (Reginald Gardiner) reprend le rôle de maestro symphonique alors qu’il dirige l’orchestre imaginaire dans une combinaison du Dance of the Hours d'Amilcare Ponchielli (compositeur italien d'opéras) et Easy to love. À la fin du numéro, le policier/chef d’orchestre s'effondre dans une mort simulée.

image
James Stewart (Ted Barker) et Eleanor Powell (Nora Paige)
© «Born to Dance» - MGM - 1936

 

image
James Stewart, Buddy Ebsen, Eleanor Powell,
Frances Langford, Una Merkel et Sid Silvers

© «Born to Dance» - MGM - 1936

Mais, Lucy et son agent McKay ont organisé avec l'aide du Capitaine Dingby que Ted dîne avec Lucy au Club Continental. Le divertissement de la soirée était les danseurs de salon Georges et Jalanas (Georges et Jalana apparaissaient eux-mêmes dans leurs propres rôles) interprétant I’ve Got You Under My Skin. Ted avait promis à Nora qu’il la retrouverait plus tard dans Central Park, mais après avoir attendu bien au-delà de l’heure prévue, Nora part découragée. Le journal du lendemain matin affiche une photo de Ted et Lucy ensemble, ce qui, bien sûr, trouble Nora. Quand Ted l'appelle pour s’excuser, elle lui raccroche au nez.

Ted se rend au bureau de l'agent McKay pour négocier avec lui un emploi pour Nora dans la nouvelle production de Lucy, mais il ne veut pas que Nora sache leur arrangement. McKay accepte et fait de Nora l'understudy de Lucy. Jenny, Sally et Nora visitent le sous-marin, mais Jenny n’est toujours pas sûre de vouloir que Gunny sache qu’il a une fille, alors Nora prétend que Sally est son enfant. Ted suppose que Nora est mariée et recule. Lucy commence à s’attacher à Ted et interdit toute nouvelle publicité sur leur relation. Elle dit que, si des articles ou des photos paraissent dans les journaux, elle ne jouera pas le soir de la première. Lors de la visite de Ted à l’appartement de Lucy, elle avoue son affection croissante pour lui en chantant la chanson la plus célèbre du film, I’ve You Got Under My Skin.

Peppy Turner reprend Easy to Love lors d'une répétition du spectacle de Lucy alors que Mush, qui a maintenant quitté la marine, danse autour d’elle. Lucy est de plus en plus contrariée. Elle n’aime pas son costume et pense que l’arrangement de la chanson est impossible à danser. McKay demande à Nora de danser sur l’arrangement, ce qu’elle fait brillamment. Quand Lucy réalise ce qui se passe, elle demande à McKay de virer Nora, ce qu’il fait à contrecœur.

Jenny avoue à Ted, qui a aussi quitté la marine, qu'elle est la mère de Sally et pas Nora. Il rajoute que Nora est amoureuse de lui. Elle lui raconte aussi que Nora a été virée du spectacle. Ted convoque la presse et leur raconte une histoire inventée. Quand les titres du matin annoncent que Lucy James va épouser un ancien marin, Lucy reste fidèle à sa menace et décide de ne pas continuer le spectacle. Cela signifie, bien sûr, que son understudy, Nora, deviendrait la star du spectacle.

image
James Stewart (Ted Barker) et Eleanor Powell (Nora Paige)
© «Born to Dance» - MGM - 1936

Juste avant le début du générique, Ted félicite Nora pour sa splendide performance et Jenny dit enfin à Gunny qu’il est père (malheureusement, il a déjà signé pour quatre ans de plus dans la marine).


Born to Dance () est sorti en salles en novembre 1936. Après l’avant-première, un officiel du studio a télégraphé à Cole: "Votre partition a été applaudie du début à la fin et quand votre nom est apparu sur l’écran au générique, les ovations ont été à leur comble". De nombreux critiques ont qualifié Born to Dance () de «plus grande comédie musicale» qu’Hollywood ait jamais réalisée. Cet avis paru dans Hollywood est typique:

« La musique et les paroles de Cole Porter raviront les amateurs de mélodie ainsi que les plus cultivés; deux ou trois chansons deviendront certainement des succès populaires, en particulier la valse 'Hey, Babe,' et 'Easy to Love'. Les chansons ont de la couleur et de la nouveauté, et certaines, dans cette extravagante production, surtout le final retentissant, ont l’élan et la vigueur nécessaires à s'accorder avec le spectacle visuel. »

Hollywood - Novembre 1936

 

Porter a été particulièrement impressionné par le nombre de critiques qui utilisaient les mots "suave" et "sophistiqué." Il a déclaré dans une interview qu'il avait travaillé «comme un chien» pour garder tout ce qui était sophistiqué hors de sa musique... L’intervieweur note que ce que Porter voulait vraiment faire, c’était d’écrire de véritables chansons populaires américaines.

« Ces grandes chansons populaires sont difficiles à écrire. C'est en fait si dur que peu d’entre elles n’ont jamais été écrites. Elles naissent plutôt. Irving Berlin est le plus proche de l’écriture d’une vraie musique américaine... sans être banale. C’est quelque chose que j'admire. »

Cole Porter

 

Mais Porter a continué à être mécontent des commentateurs qui faisaient de lui un membre d'une intelligentia.

« Les allusions sophistiquées sont bonnes pour environ six semaines ... Les paroles sophistiquées sont plus amusantes, mais seulement pour moi et environ 18 autres personnes qui, de toute façon, sont tous des invités à la Première. Le jeu raffiné, urbain et adulte dans le domaine musical est un luxe créatif. »

Cole Porter

 

Les personnages débraillés et leurs propos musclés ont pu être un clin d'œil de Porter dans la direction d’un public moins élitiste.

Et le public?

À leur apogée, les musicals au cinéma ont reçu une profonde attention de la part du public, qui a été captivé par une combinaison de décors fantastiques, de numéros de danse méticuleusement chorégraphiés, de grands talents de l’époque et de numéros musicaux à couper le souffle. Born to Dance () en est un très bon exemple.

image
Eleanor Powell
© «Born to Dance» - MGM - 1936

Born to Dance () met en vedette l’une des danseuses les plus dévouées de la Metro-Goldwyn-Mayer, Eleanor Powell. Ballerine douée devenue danseuse de claquettes, Powell a démontré un immense potentiel pour les musicals, en raison de ses capacités de danse impeccables et presque masculines. Bien que ses capacités d’actrice soient limitées, elle possèdait une présence imposante tout au long de ses numéros de danse, tout en souriant constamment dans les routines difficiles. Avant Born to Dance (), Powell venait de faire ses débuts au cinéma dans Scandals de George White en 1935, ce qui l’a incitée à signer un contrat avec la MGM. Son premier film MGM fut The Broadway Melody of 1936, sorti en 1935.

image
James Stewart
© «Born to Dance» - MGM - 1936

On retrouve aussi dans ce film le tout jeune James Stewart, futur acteur emblématique du cinéma américain dont il fut l'une de ses plus grandes stars, plusieurs fois nommé aux Oscars. Il y a de nombreux moments, généralement dans les premières années de la carrière d’un acteur, qui servent de phase expérimentale, où les studios de cinéma apprennent à positionner au mieux ses nouveaux talents. La carrière cinématographique de James Stewart n’en était qu’à ses balbutiements, alors le studio a essayé de le faire jouer dans les meilleurs films possibles pour son style, sa prestation et son attrait. Allan Jones était initialement destiné pour le rôle de Ted, mais finalement le rôle a été attribué à James Stewart. Grâce à son rôle principal dans Born to Dance (), le studio a décidé qu’il n’était pas né pour danser, ce qui fait de ce film le seul échantillon des capacités de Stewart à chanter et à danser. The New York Times a déclaré que son «chant et sa danse ne lui vaudront (heureusement) jamais d'être reconnu comme chanteur-danseur», et Variety a qualifié son chant et sa danse de plutôt douloureux, bien qu’il ait trouvé Stewart plutôt positif dans les autres moments.

Alors, bien sûr, le film n'a aucun scrupule à s'éloigner de toute réalité, une caractéristique que présentent, il est vrai, de nombreux musicals au cinéma à l'époque. La pauvre Eleanor Powell, par exemple, est seule dans le parc, jusqu’aux petites heures du matin. Un instant plus tard, Merkel a besoin d’avoir une discussion privée avec Powell et dit à la jeune fille d'« aller jouer ». Ce qu’elle fait. Sur le pont de Washington! De plus, la scène finale nous offre un décor massif à des lieues de toute réalité.

Arthur Freed (1894-1973)

Arthur Freed, sous contrat avec la MGM, fut l'incarnation de l'âge d'or de la comédie musicale américaine, en y produisant quasiment tous les films marquants du genre, au premier rang desquels The Wizard of Oz, Annie Get Your Gun, Show Boat, An American in Paris, Gigi, Singin' in the Rain... Son équipe de scénaristes, de réalisateurs, de compositeurs et de vedettes a produit un flux constant de comédies musicales populaires et acclamées par la critique jusqu’à la fin des années 1950.
Freed quitte la MGM en 1961.

La scène finale du film présente des dizaines de danseurs défilant sur un cuirassé. la scène se termine par Eleanor Powell prenant confiance sur scène et prouvant que son personnage a réussi en tant que danseuse à New York. Powell descend vivement dans un escalier et danse sur le cuirassé Art déco. Elle se lance dans un salut debout, alors que les canons du navire tirent directement sur la caméra. Ce dernier numéro a été créé par Roger Edens, un compositeur et arrangeur qui deviendra plus tard un membre crucial de l’unité Arthur Freed. Des années plus tard, il qualifiera lui-même cet impressionant numéro final de «très mauvais goût».

Bien que Born to Dance () possède une intrigue légère et parfois un peu trop sucrée, ses aspects positifs l’emportent de loin sur toutes les critiques négatives. Ne pouvant encore profiter de décors naturels, comme le feront les films des années '40, Born to Dance () propose des numéros emplis de l’esprit spirituel de Cole Porter. Ce film est un parfait exemple de musicals dynamiques et optimistes des années '30. Il met aussi en évidence du travail d’équipe parfait de tant d’individus impliqués dans la réalisation de ce film.