A.7.1) «La Revue des Ambassadeurs» (Paris-1928)
Cela vaut la peine de mentionner que lorsque le musical Paris () a été présenté pour la première fois à Broadway le 8 octobre 1928 au Music Box Theatre (voir ), les Porter n’étaient pas présents! Cole Porter était à Paris pour superviser un autre spectacle pour lequel il avait été engagé, La Revue des Ambassadeurs (), dans Le Café des Ambassadeurs (l'actuel Espace Cardin ou Théâtre de la Concorde depuis 2024).
En 1928, Edmond Sayag, directeur du Casino d'Ostende et propriétaire du café-concert, surnommé « le Ziegfeld de Paris », voulait remodeler le lieu pour y attirer les Américains à Paris depuis la Première Guerre mondiale, désireux de faire la fête et de dépenser leurs dollars. Il commanda donc tout naturellement à Cole Porter une revue. A cette époque, le compositeur de 36 ans était connu du monde parisien qu’il fréquentait depuis 1917. Comme nous l'avons vu, il avait eut en 1923 un petit succès au théâtre des Champs-Elysées avec la ballet Within the Quota (). La Revue des Ambassadeurs () n’est pas une comédie musicale ni une opérette, mais un ensemble de chansons, entrecoupées alors de numéros indépendants. Du «vaudeville», dirait-on à Broadway. Quinze tableaux et des sketchs... La revue comportait 14 chansons. Et on peut presque dire, comme toujours chez Porter, que chaque chanson a «une histoire». Voici deux exemples...
Lors d’une soirée donnée par Elsa Maxwell, toujours elle, à Paris en 1928, Cole Porter a entendu et admiré Frances Gershwin chanter certaines chansons de ses frères. Fort impressionné, il l’a conduite le lendemain à une audition pour un spectacle qui, comme il le lui a présenté, allait être monté «dans une boîte de nuit chic», Le Café des Ambassadeurs.
Cole Porter et le producteur Edmond Sayag ont décidé de l'engager dans le futur spectacle. S'appuyant sur un très large chœur (Fred Waring et ses Pennsylvaniens voir photo ci-dessus), Frankie (comme on appellait Frances Gershwin) a chanté avec grand succès un medley de chansons de George Gershwin, introduit par ces vers composés par Porter:
I happen to be the sister
Of a rhythm twister.
No doubt you know him
As Mister George Gershwin.
If you're prepared for an orgy
Of music written by Georgie,
I'll try to sing you some fav'rites of
The man I love.
Je suis la sœur
d’un torsadeur de rythme.
Vous le connaissez sans doute
Comme Monsieur George Gershwin.
Si vous êtes prêt pour une orgie
De musique écrite par Georgie,
J’essaierai de vous chanter quelques fav’rites de
L’homme que j’aime.
Le soir de la première, George Gershwin est apparu au piano en compagnie de sa sœur. Frankie se souvient qu’elle était assise à côté de lui sur la scène d’une manière très informelle, comme s'ils étaient à la maison chez elle.
Prenons un autre exemple de chanson de La Revue des Ambassadeurs (). L’année précédant l’ouverture de la revue, Cole et son épouse Linda ont passé l’hiver à New York où il a été parmi les «rares hommes choisis» à rencontrer chez Schuyler Parsons, le grand héros de l’époque, Charles Lindbergh. Plus tôt en 1927, Lindbergh avait fait sa fameuse traversée transatlantique en avion vers la France et Cole, avec son insatiable curiosité, s’était rendu à l'aéroport du Bourget pour faire partie de la foule qui accueillait Lindbergh à son arrivée. Un an plus tard, le 10 mai 1928, La Revue des Ambassadeurs () ouvre ses portes et Paris est divertie par le double sens de:
Pilot me,
Pilot me,
Be the pilot I need.
Please give my ship
A maiden trip,
And we'll get the prize for speed.
So cast away your fears,
Strip my gears,
Let me carry you through.
And when afraid you are
Of going too far,
Then I'll
Just pil-
Ot you.
Pilote moi,
Pilote moi,
Sois le pilote dont j’ai besoin.
S’il te plaît offre à mon vaisseau
Un premier voyage,
Et nous gagnerons le prix de la vitesse.
Alors, chasse tes peurs,
Dépouille mes engins,
Laisse-moi t'emporter.
Et quand tu as peur
D'aller trop loin,
Alors je vais
Juste te pil-
oter.
L’ouverture de La Revue des Ambassadeurs () a été brillante et a donné le ton pour les nombreuses soirées d’ouverture que Porter allait vivre durant sa carrière. Les gens étaient assis à des tables et il y avait beaucoup de personnes debout. Un journal prédit que La Revue des Ambassadeurs () «sera le grand rendez-vous de ceux qui recherchent l’amusement jusqu’à la fin de la saison.» Des fêtes ont été organisées dans tout Paris, par des notables comme Elsa Maxwell, le Prince et la Princesse de Polignac, Lady Cunard et William Randolph Hearst (dont les invités étaient M. et Mme Cornelius Vanderbilt). Linda est venue à Paris d’Italie, où elle était partie pour se remettre de sa maladie respiratoire récurrente.
Ce spectacle fut un succès. Malgré cela, alors que la saison estivale 1929 s'achève, Sayag annonce qu'il va fermer l'Ambassadeur et qu'il sera démoli. Il sera remplacé par un théâtre construit en 1931 par le même Edmond Sayag, également dénommé Café des Ambassadeurs et un nouveau restaurant, portant le même nom.
Jusqu'il y a peu, on pensait les partitions du spectacle perdues alors qu’elles reposaient dans des archives et ont été retrouvées par Christophe Mirambeau, historien du théâtre musical. Il a recrée le temps de 4 représentations à l'Opéra de Rennes cette revue disparue en janvier 2014. Quelques mois plus tard, en juin 2014, le producteur et metteur en scène Ken Bloom a présenté une version en anglais pour un soir au New York’s Town Hall.
A.7.2) «Wake Up and Dream» (Londres puis Broadway-1929)
Impressionné par ces deux succès (Paris () et La Revue des Ambassadeurs ()), le producteur C.B. Cochran - avec qui Cole Porter avait travaillé comme nous l'avons vu à Londres en 1922 - voulait maintenant plus de Porter que des chansons additionnelles isolées; il a planifié une Extravaganza pour le West End similaire aux spectacles de Ziegfeld avec une partition de Porter: 24 décors, 500 costumes, une grande distribution internationale dont Jessie Matthews, Sonnie Hale et Tilly Losch.
La revue, Wake Up and Dream (), a été créé le 27 mars 1929 et a été jouée 263 fois à Londres au London Pavilion, malgré des avis mitigés de la part des critiques.
Après quoi Cochran l’a transférée à New York le 30 décembre 1929 au Selwyn Theatre. La série fut plus courte (136 représentations) sans doute parce que le krach de Wall Street en 1929 avait plongé le pays dans une profonde crise économique. Ici encore, la critique ne fut pas unanime: Brooks Atkinson du The New York Times a écrit que quand cette revue montre son meilleur «ce qui n’est pas le cas tout le temps, elle est un divertissement d’un style très supérieur - léger, rapide et beau... La moitié du temps, cette nouvelle revue est un hippodrome de délices civilisés: la superbe grâce de la danse, la touche délicate et irascible de la comédie, la splendeur significative des costumes, les paroles, le franc réalisme du décor. Mais quand l'oeuvre est fragile, comme c’est le cas l'autre moitié du temps, la perfection du talent est simplement gaspillée.» Le critique du The New Yorker a écrit que c’était «l’une des revues les plus ennuyeuses jamais mises sur les scènes de Boradway». Cependant, le chroniqueur Walter Winchell a fait l’éloge de la revue et des chansons de Porter, notant en particulier que «What is This Thing Called Love? créait une nouvelle race de chansons d’amour.»
Du point de vue de Porter, ce fut néanmoins un succès, et sa chanson What Is This Thing Called Love? est devenue immensément populaire.
Love flew in through my window,
I was so happy then.
But after love had stayed a little while,
Love flew out again.
What is this thing called love?
This funny thing called love?
Just who can solve its mystery?
Why should it make a fool of me?
I saw you there one wonderful day.
You took my heart and threw it away.
That’s why I ask the Lord in heaven above,
What is this thing called love?
L’amour est entré par ma fenêtre,
J’étais si heureuse alors.
Mais après que l’amour soit resté quelques temps,
L’amour est reparti.
Qu’est-ce que cette chose appelée amour?
Cette drôle de chose appelée amour?
Qui peut résoudre son mystère?
Pourquoi devrait-il faire de moi une folle?
Je t’ai vu là un jour magnifique.
Tu as pris mon cœur et tu l’as jeté.
C’est pourquoi je demande à Dieu dans le ciel, là-haut,
Qu’est-ce que cette chose appelée amour?
«What Is This Thing Called Love?» - «Wake Up and Dream» - Cole Porter
Quand le journaliste Walter Winchell a entendu What Is This Thing Called Love?, il en a fait l’éloge et a prédit qu’on se souviendrait longtemps de cette chansn. Winchell avait raison: en 1945, elle a été classée parmi les quarante chansons préférées de tous les temps aux États-Unis. Presque tous les critiques ont complimenté le compositeur pour cette chanson: on parle de ses «qualités larmoyantes, gémissantes et angoissantes». Le rythme insistant est en parallèle avec une mélodie poignante. Cole Porter a dit plus tard lors d'une interview que le titre lui donnait une phrase mélodique envoûtante et que la chanson s’est pratiquement écrite d'elle-même: les mots et la musique sont nés presque simultanément dans son esprit. La chanson entière n'a été que le travail de quelques heures.
Wake Up and Dream, la chanson-titre est pleine de la philosophie de Porter et façonnée probablement par son affrontement avec Platon à l’Académie de Worcester et la croyance de toute sa vie qu’il faut cueillir le jour.
If you wake up, you'll find you've the mind
Of Master Barrie in you.
Listen, young man,
You were once Peter Pan
And you've simply forgotten your theme,
Wake up and dream.
Si tu te réveilles, tu veras que tu as l’esprit
De Maître Barrie en toi.
Écoute, jeune homme,
Tu as été Peter Pan
Et tu as tout simplement oublié ton sujet,
Réveille-toi et rêve.
«Wake Up and Dream» - «Wake Up and Dream» - Cole Porter
Malgré le semi-échec de Wake Up and Dream (), Cole avait rompu soin enchaînement d'échecs et gagné le respect des critiques, comme l'a écrit l'un d'eux: «Porter est un jeune Américain qui passe son temps entre Paris et Venise. L’an dernier, il a écrit plus de hits new-yorkais que n’importe quel compositeur américain. Peut-être que le plus grand hommage à ses talents d’auteur est qu’Irving Berlin l’a engagé pour jouer la musique d’une revue qui sera présentée au Music Box Theatre à New York cet automne.» Cela allait être Fifty Million Frenchmen ().Nous allons y revenir, mais d'abord encore un nouveau petit échec...
A.7.3) «The Battle of Paris» (Film-Hollywood-1929) Echec
La nouvelle renommée de Porter lui a valu plusieurs offres d’Hollywood.
Il écrivit des chansons pour The Battle of Paris (de la Paramount qui sortit en salle le 30 novembre 1929. Malgré ses vedettes, Charles Ruggles et surtout Gertrude Lawrence - dont c'était le premier film poarlan - cela a été un terrible flop.
The Battle Of Paris () comporte quatre chansons, dont deux sont de Cole Porter chantées par Gertrude Lawrence. La meilleure des deux, They All Fall In Love, est une chansonnette à la Let’s Do It. Pour beaucoup d'observateurs, Cole Porter n'était pas vraiment intéressé par le cinéma et il a travaillé un peu «à la légère»...