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«Leave it to Me!» - Partition «Most Gentlemen don't like love»

Cole Porter a rebondi du désastre You Never Know () avec le hit Leave It to Me! (), une adaptation très large de Clear All Wires, une comédie de 1932 de Bella et Samuel Spewack qui s’était jouée pour 93 représentations au Times Square Theatre, avant d’être adaptée au cinéma en 1933.

Le musical avait en tête d’affiche les comiques William Gaxton et Victor Moore dans leur quatrième de huit duos, et a été leur troisième gros succès de la décennie (après Of thee I sing () et Anything Goes () – avant un autre succès énorme en 1940 dans Louisiana Purchase () d’Irving Berlin). Sophie Tucker et Tamara ont également joué des rôles importants dans le spectacle. Enfin, cerise sur le gâteau, Leave It to Me! () a marqué les débuts à Broadway de deux stars: Mary Martin (dans un rôle vedette) et de Gene Kelly (dans le chœur).

Dans ce spectacle, Victor Moore a eu l’un de ses meilleurs rôles. Il incarnait Alonzo P. Goodhue, un malheureux mari dominé par sa femme (Sophie Tucker). Cette dernière n’ayant de cesse que de s’élever dans l’échelle sociale, elle force son mari à quitter le monde merveilleux de Topeka – qui comporte un hôtel de ville, un cinéma, et « autres merveilles » – pour déménager à Moscou afin qu’il devienne ambassadeur des États-Unis en URSS. Quand Mme Goodhue s’amuse avec Staline, elle se réjouit que «les Kennedy soient en ébullition!». Attention nous sommes à la fin des années ’30 et il ne s’agit pas encore du futur Président John Fitzgerald Kennedy ou de Robert Kennedy, mais plutôt de leur père, Joseph Kennedy, qui avait été nommé en ’38 ambassadeur au Royaume-Uni, pays qu’il estimait fort peu. Mme Goodhue signale a Staline qu’un jour son mari «aura sa statue au Hall of Fame». Mais, Alonzo lui, en cachette de sa femme, fait tout ce qu’il peut pour être rappelé aux États-Unis. Mais quand il viole une propriété diplomatique et frappe un fonctionnaire nazi, le monde entier l’applaudit. Quand il tire «par erreur» sur quelqu’un, il s’avère qu’il a tiré sur un contre-révolutionnaire, ce qui fait de lui le héros de la Russie. Mais finalement, quand il présentera un plan pour la paix et la fraternité mondiale, le Département d’État décidera de le démettre de ses fonctions et il pourra retourner à Topeka.

My Heart Belongs to Daddy – chanson immortalisée plus tard par Marilyn Monroe – est devenu le hit du spectacle. Elle était chantée ici par la jeune et débutante Mary Martin. Cette dernière ronronnait les paroles grivoises de la chanson et simulait un strip-tease. Elle a mis en lumière tout le talent de Mary Martin. Au début, elle ne figurait pas dans la liste des vedettes, mais son nom a rapidement trouvé sa place sur la page-titre du programme où elle a été placée en cinquième position juste après Gaxton, Moore, Tucker et Tamara. La partition incluait également un «avertissement sensuel» de Tamara avec Get Out of Town, la deuxième chanson la plus connue du musical; les ballades charmantes et discrètes de Tamara et Gaxton Far, Far Away et From Now On; sans oublier Most Gentlemen Don’t Like Love et Tomorrow interprétées par Sophie Tucker. Elle chantait aussi I’m Taking the Steps to Russia, dans laquelle elle promet d’apprendre des pas de danse sur de la musique de swing aux camarades soviétiques (elle mettra des «fourmis rouges» dans leur pantalon et introduira des «brand-new trickies» aux «Bolshevikies» parce que «Communithm» a besoin de «rhythm»). Cela ne s’invente pas…

Dans le New York Times, Brooks Atkinson fait l’éloge du «magnifique carnaval», qui offre la partition «la plus spirituelle» de Porter, une histoire «comique» et un cast au meilleur en chant et en danse. Moore était «toujours corpulent et étourdi» avec une expression «attachante», de «l’enfantillage dans les yeux et une voix qui se traîne dans une misère sans espoir à la fin de chaque ligne»; Gaxton était plein d’énergie et chantait avec «délectation»; la voix de Tamara avait une «beauté qui est pleine d’enchantement»; et Tucker jouait son rôle avec un réel «épanouissement» et une «vulgarité jubilatoire» qui ont donné au musical «une vraie force» qui «emporte le public».

Après avoir joué 291 fois, le musical a fermé temporairement le 15 juillet 1938 pour 4 semaines de vacances d’été. Les représentations devaient reprendre le 14 août, mais cela ne fut pas possible à cause de Sophie Tucker. Tucker était la présidente de l’American Federation of Actors, un syndicat défendant plutôt les acteurs et actrices. Des machinistes – qui étaient représentés par l’IATSE, l’International Alliance of Theatrical Stage Employees – lui ont présenté une charte de l’American Federation of Labor, qu’elle a accepté d’appliquer aux acteurs. L’Actors Equity a considéré l’acceptation de cette charte comme un acte de «trahison» de l’actrice Tucker et l’a suspendue! Le syndicat Actors Equity a également interdit à tous ses membres de paraître sur scène avec elle!! Entre-temps, les machinistes ont annoncé que si Tucker n’était pas autorisée à travailler, ils refuseraient eux aussi de travailler. La situation ne s’est apaisée que quand un accord fut conclu selon lequel le syndicat des acteurs avait le droit de se gouverner sans ingérence du syndicat des machinistes.

Avec la résolution de ce «contretemps», le musical a finalement rouvert avec trois semaines de retard, le 4 septembre 1938. Le spectacle ne s’est plus joué que seize fois, fermant le 16 septembre, enregistrant donc un total de 307 spectacles avant de se lancer dans une tournée nationale. Il faut dire que Mary Martin et Gene Kelly n’étaient plus dans le spectacle lorsqu’il a repris en septembre, remplacés respectivement par Mildred Fenton et Joel Friend. La «débutante» Mary Martin a connu ensuite deux échecs consécutifs, avec ses deux musicals suivants, Nice Goin'! () et Dancing in the Streets (), qui ont tous deux fermé lors des try-out avant d'atteindre Broadway. Mais à la fin de 1943, elle a rebondi avec le succès One Touch of Venus (), qui lui a définitivement donné sa place de grande dame du théâtre musical américain. En 1939, Gene Kelly apparaît dans la revue One for the Money et la pièce de William Saroyan, The Time of Your Life (Prix Pullitzer 1940), puis joue dans le rôle-titre dans Pal Joey () de Richard Rodgers et Lorenz Hart, en 1940, rôle qui lui vaut un contrat par David O. Selznick à Hollywood. Il n’apparaît plus jamais sur la scène de Broadway (mais il chorégraphie la comédie musicale Best Foot Forward () de Hugh Martin et Ralph Blane) et deviendra la star la plus marquante des musicals hollywoodiens des années ’50.