8.
1943 - Oklahoma!

 9.2.
Le Golden Age
en un coup d'œil

 9.3.12.
Flower Drum Song
(1959)

 9.3.13.b
The Sound of Music
2) Mort Hammerstein

 9.4.
Quelques «followers»
directs

 10.
1964-1970
La crise

La collaboration finale entre Rodgers et Hammerstein allait devenir l'un des musicals les plus appréciés au monde. Cette oeuvre créée il y a plus de 60 ans, qui dépeint la montée du nazisme dans l'Autriche de 1938, nous donne un message de liberté et de solidarité qui n'a pas pris une ride...

A) Contexte créatif: une histoire vraie

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La jeune Maria Augusta Kutschera

A.1) Une jeunesse difficile

The Sound of Music est une histoire incroyable – mais aussi une histoire vraie. Elle est basée sur la saga de la véritable Famille von Trapp et, surtout, de Maria.

La vie mouvementée de Maria Kutschera a débuté dans un train en direction de Vienne. Sa mère avait passé sa grossesse au Tyrol, mais avait entrepris ce voyage à la demande insistante du père de Maria désirant s'assurer que I’acte officiel reprenne Vienne comme lieu de naissance. Mais Maria est née peu avant minuit, le 25 janvier 1905, avec l'aide du chef de train. Une vie où rien ne se passe comme prévu vient de commencer...

Sa mère est morte quand elle avait seulement trois ans et son père, incapable de faire face, l'a confiée à des parents nourriciers. Il ne lui rendait visite qu'occasionnellement. Il mourut quand elle avait neuf ans et Maria a été envoyée chez un parent éloigné qu'elle appelait Oncle Franz, animé d'un comportement dominateur et violent. En réaction, elle faisait tout ce qui était possible pour le contrarier. Elle s'est enfuie de la maison pour se rendre dans les montagnes et a assumé divers petits boulots dans une station balnéaire. Après un été où elle s'est assumée toute seule, elle retourne à Vienne et s'inscrit au State Teacher's College of Progressive Education. Elle a adoré ces moments, se livrant à des activités de plein air avec ses camarades de classe. Elle s’est d’ailleurs vite transformée en un garçon manqué robuste et bronzé. Elle a cependant développé une véritable passion pour la musique religieuse qu'elle avait entendue émanant des églises de Vienne. Ce n'était pas le contenu sacré de ces chants qui l’a attirée, mais ... the sound of music, le son de la musique. Cependant, quelque chose avait changé au fond d’elle.

Pour fêter la fin de ses études, Maria a effectué une randonnée dans les Alpes et s'est isolée sur un glacier où, elle a longuement admiré un coucher du soleil. Il y a des moments anodins qui peuvent changer une vie. Eh bien, ce coucher de soleil a attisé cette petite étincelle de dévotion religieuse perdue en elle et l'a transformée en une véritable flamme. Maria Kutschera venait de vivre une véritable révélation. Comme elle l'a écrit dans ses mémoires en 1972:

«Tout d'un coup je n‘ai pu qu‘ouvrir mes bras largement face à toute cette beauté et crier: «Merci mon Dieu, pour cette grande création merveilleuse qui est Vôtre. Que pourrais-je vous donner en retour?» À ce moment précis, il a traversé mon esprit que la meilleure chose que je pouvais lui céder était précisément tout ce qui me plaisait tellement. En d'autres termes, renoncer à l'alpinisme... renoncer à vivre dans la nature et m'enterrer dans un couvent qui, à mon souvenir, était un endroit sombre avec un caractère médiéval... Je suis descendue de mon glacier et j'ai simplement dit au revoir à mes collègues.»

Maria Kutschera

 

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L'abbaye de Nonnberg
© Tourismus Salzburg GmbH

Maria s‘est rendue à Salzbourg, un endroit idéal pour une conversion spirituelle - appelée par certains «la Rome du Nord». C'est Nonnberg Abbey qu'un policier local a recommandé à Maria lorsque celle-ci lui a demandé quel était le couvent le plus strict de la ville. Elle a gravi les 144 marches vers la porte d'entrée de l'impressionnante abbaye. Étonnamment, elle a très rapidement réussi à s‘adresser en personne à la Révérende Mère Abbesse. Elle lui a tout simplement annoncé qu'elle était là pour rester.

Cette totale innocence a certainement dérouté la Mère Abbesse. Il faut savoir que le long et minutieux processus permettant de devenir nonne ne commençait que lorsque l'on était admise comme postulante, à l'essai donc pour une période de probation et d'éducation, qui pouvait durer plusieurs mois. Ensuite, pendant un an ou plus, il fallait passer par les lourdes tâches du noviciat. Maria n’avait aucune caractéristique d'une jeune femme destinée à devenir une épouse du Christ, mais son intelligence intuitive faisait d’elle un excellent professeur pour les enfants venus suivre des cours à Nonnberg Abbey.

A.2) La volonté de Dieu

Lorsqu’un jour, Maria a été convoquée chez la Mère Abbesse, elle s'est demandé ce qu'elle avait fait de mal. La Révérende Mère lui a expliqué ce que Dieu attendait d’elle: le Baron von Trapp, un capitaine de vaisseau résidant à Aigen près de Salzbourg, vivait seul avec ses sept enfants, orphelins de mère. L'un d’eux avait contracté la scarlatine et avait besoin d'un professeur particulier. Maria allait lui être prêtée par l'abbaye pendant dix mois pour remplir ce rôle éducatif.

Ainsi, à l'automne 1926, Maria Kutschera, vêtue d'une robe marron d'occasion appartenant à la plus récente des postulantes de l'Abbaye, quitta ce sanctuaire ou elle se sentait si bien, emportant avec elle seulement une guitare et une sacoche pleine de livres. Ce voyage dans le monde inconnu de la famille et de la responsabilité exigeait qu'elle rassemble toute la confiance qu'elle avait en elle.

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Captain Georg von Trapp
& Agathe Gobertina Whitehead
Photo de mariage (1911)
© Famille von Trapp

Georg von Trapp avait hérité de son père une charge d’officier dans la marine impériale. Ce dernier avait reçu la particule honorifique "von" de l'Empereur François Joseph pour vaillance alors qu'il commandait son navire. Georg s’était lui aussi distingué comme commandant de sous-marin de la marine impériale durant la Première Guerre mondiale et avait reçu la Maria Theresa Cross et le titre de Baron.

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Baronne Agathe et ses enfants (1919)
Le bébé est Johanna
© Famille von Trapp

À la fin de la guerre, l’Autriche se trouvant du côté des perdants, son armée se vit presque totalement interdite. Georg fut privé de tout commandement et revint auprès de son épouse Agathe pour se consacrer à la construction de son nouvel avenir. Sa famille se composait de nombreux enfants: son fils ainé Rupert (né en 1911), Agathe (1913), Maria (1914), Werner (1915) et Hedwig (1917). La famille avait été obligée de déménager plusieurs fois au cours de la guerre et ses finances étaient au plus bas. Ils se sont installés dans la maison d'un parent à l'extérieur de Vienne et eurent deux autres enfants: Johanna (1919) et Martina (1922).

En 1922, une épidémie de scarlatine a frappé et en septembre, quelques mois seulement après la naissance de Martina, la Baronne von Trapp est décédée. Heureusement, ses enfants se sont révélés autonomes, optimistes et solidaires de leur père, mais aussi les uns des autres. En 1925, le Baron von Trapp emménagea dans une villa à Aigen, près de Salzbourg, avec ses enfants et un petit personnel domestique. C'est à cette maison élégante, mais en aucune façon grandiose, que Maria Kutschera fut «prêtée" en 1926.

A.3) Autonomes, optimistes et solidaires

Le Baron était en voyage d'affaires et Maria a été présentée à ses 7 élèves par la femme de ménage. Elle eut un véritable coup de foudre pour les enfants - qui avaient un âge beaucoup plus proche du sien que de leur père - et les occupa avec tout ce qu'elle aimait le plus: des promenades à pied, du vélo, de l'équitation et, bien sûr, le chant.

Surtout le chant.

La jeune Maria a confié à Maria Kutschera:

«La musique a toujours été dans la famille. Ma mère adorait la musique. Elle jouait du violon et du piano et nous chantions avant votre arrivée. Nous connaissions au moins 100 chansons. Ce que vous nous avez appris ce sont les madrigaux (ndlr - le madrigal est une forme ancienne de musique vocale qui s'est développée au cours de la Renaissance et au début de la période baroque) et, bien sûr, même si c'était très difficile, nous avons trouvé que cela ne nous posait aucun problème.»

La petite Maria, fille du Capitaine von Trapp

 

Le Baron semblait heureux, mais était un homme distant, voire renfermé. Il était plutôt calme et doux - un peu comme s'il était toujours atteint par la mort de sa femme et la perte de sa carrière - et n'était certainement pas un père martial et punitif.

Les souvenirs de sa carrière militaire étaient omniprésents, comme par exemple, la manière d'appeler ses enfants. «Mon père utilisait un sifflet de maitre d'équipage pour nous appeler» raconte Johannes, le plus jeune enfant de la famille von Trapp. «Il y avait des signaux différents pour chacun des enfants. C'était très efficace, mais nous ne devions pas marcher au pas. Juste répondre au signal.» Maria s'est attachée à apporter au Baron toute la stabilité dont il manquait et a été ravie d’entendre qu'il avait l'intention de se remarier avec la Princesse Yvonne, une cousine éloignée de sa première épouse.

Mais le Baron avait une autre idée et, avant la fin du séjour de dix mois de Maria à la villa Trapp, il lui a demandé de devenir la mère de ses enfants.

Maria von Trapp se souvient dans ses mémoires:

«S‘il m‘avait simplement demandé de l'épouser, je n‘aurais pas pu dire oui, car à cette époque je n’étais vraiment pas amoureuse. Je l’appréciais beaucoup, mais je ne l'aimais pas. Par contre, j‘adorais les enfants et donc d'une certaine manière, j'ai épousé les enfants.»

Maria von Trapp

 

Ils se sont mariés à l'église de l'Abbaye de Nonnberg le 26 novembre 1927.

A.4) De la musique plus sophistiquée

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Les 9 enfants en 1936
© Famille von Trapp

La vie a continué à peu près comme auparavant, mais les activités de la Famille von Trapp incluaient dorénavant un travail sur de la musique plus sophistiquée. Le Baron accompagnait souvent sa famille au violon, et les pièces musicales jouées comprenaient la musique de chambre de Haydn, Corelli et Haendel.

Maria était maintenant devenue elle-même mère, et le clan s'était élargi de deux nouveaux enfants: Rosemarie en 1929 et Eléonore en 1931. Maria a relevé le défi de s‘occuper des 9 enfants à la fois avec énergie et sérénité. Mais la crise boursière de 1929 et la dépression mondiale qui s‘ensuivit allaient emporter la fortune de la famille von Trapp presque du jour au lendemain. Cette fortune provenait entièrement de la famille d'Agathe et de l'invention par son grand-père de la torpille. Maria s'est avérée être une experte pour serrer les cordons de la bourse, en louant des chambres de la villa et transformant une pièce en chapelle.

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Lotte Lehman
© Famille von Trapp

En 1935, un jeune prêtre, le père Franz Wasner, a séjourné dans la villa, car il venait célébrer la Messe de Pâques. Il a entendu la famille chanter et a réalisé à quel point ils étaient remarquables. Il a pris le temps de leur enseigner des arrangements plus compliqués et leur a fait découvrir des morceaux destinés à un chœur a cappella. La meilleure soprano lyrique de Vienne à l'époque, Lotte Lehman, a été tout aussi impressionnée et entreprit de convaincre Georg de laisser sa famille chanter en public. En tant que membre de l’aristocratie autrichienne, Georg a trouvé que c’était indigne, mais a fini par accepter de chanter une seule fois dans l'une des compétitions annexes du Festival de Salzbourg.

Le succès a été au rendez-vous et le Trapp Chamber Choir a remporté un prix pour ses débuts à la scène. Dans un premier temps, ils ont reçu des invitations émanant de toute l'Autriche, mais après avoir joué dans la salle principale du Festival de Salzbourg en 1937, cela s'est étendu à toute l'Europe. A |'automne 1937, ils furent engagés par un producteur professionnel pour une grande tournée européenne et Georg von Trapp de se soumettre a ce qui était devenu incontournable.

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Trapp Chamber Choir
© Famille von Trapp

A.5) Une combinaison irrésistible

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6 décembre 1935, Radio, Vienne, Autriche
© Famille von Trapp

Soutenus par le Père Wasner, leurs spectacles se composaient d'une première partie avec de la musique classique sacrée et d'une seconde partie composée de chansons populaires pour lesquelles la famille von Trapp se parait de costumes nationaux autrichiens. La combinaison de sophistication et de simplicité s'est révélée irrésistible. Les von Trapp incarnaient quelque chose de rare et que peu d'autres groupes artistiques pouvaient revendiquer: un amour les uns pour les autres, un amour pour leurs traditions et un amour pour leur patrie. Ce dernier allait être soumis à rude épreuve par l'Anschluss, lorsque l'armée allemande d'Hitler allait annexer l'Autriche. Quand on lui demande de manifester sa joie que l'Autriche soit intégrée au IIIème Reich d'Hitler en arborant le drapeau nazi au fronton de son domicile, Georg refuse.

Lui qui avait si longtemps été éloigné d'un poste militaire à responsabilités, se voit offrir le commandement d'un sous-marin de la marine allemande. Il refuse cet «honneur».

Les von Trapp - qui sont devenus de véritables stars internationales à l'époque - ont poliment décliné l'invitation reçue de chanter à une Fête d'anniversaire d'Hitler.

Enfin Rupert, le fils ainé, qui avait des ambitions pour une carrière médicale, se vit offrir un poste dans l'un des meilleurs hôpitaux viennois. Cela semblait une magnifique opportunité, jusqu'à ce que Rupert comprenne que le poste était disponible seulement parce que de nombreux médecins juifs avaient été empêchés d'exercer leur métier.

Ils comprirent qu'il n'y avait aucun moyen d'arrêter les nazis.

Les von Trapp estimèrent qu'ils n‘avaient d'autre choix que de quitter leur vénérée Autriche. L’exil et la persécution étaient préférables a la passivité, a déclaré Maria dans ses mémoires.

A.6) Timing impeccable

Quatre mois après l'invasion nazie, les von Trapp ont programmé en toute discrétion leur émigration. Un an plus tôt, l'impresario américain Charles L. Wagner avait offert au chœur von Trapp la possibilité de chanter à New York. Le passeport de Georg élaboré pour cette occasion et les frontières en constante évolution ont permis à la famille de voyager vers l'Italie. Donc en août 1938, chaque membre de la Famille a préparé un sac à dos, prétendant qu’ils allaient en vacances en famille en Italie.

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Départ pour New York
© Famille von Trapp

La famille et le Père Wasner embarquèrent calmement à bord d'un train pour le Tyrol du Sud. Le lendemain, la frontière a été fermée. Leur timing - ce qui est normal pour un groupe harmonique - était impeccable, et la devise de la Famille n'a jamais semblé plus appropriée: ‘Ne laisse pas l’adversité te terrifier’.

Alors qu'ils finalisaient leur voyage vers l'Amérique, Georg et Maria ont découvert qu'un dixième von Trapp, Johannes, était en chemin. Le 7 octobre 1938, ils se sont rendus à Londres et ont appareillé pour New York.

Vingt et un ans plus tard, leur histoire incroyable allait être magnifiée à la scène dans The Sound of Music ().

A.7) Les von Trapp aux États-Unis

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Les membres de la famille Trapp: les "TrappFamily Singers" - circa 1947
© Famille von Trapp

Une fois aux États-Unis, ils ont gagné de l'argent en se produisant à l'échelle nationale et internationale, d'abord sous le nom de "Trapp Family Choir", puis de "Trapp Family Singers".

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The Story of the Trapp Family Singers

Après la Seconde Guerre mondiale, ils fondèrent le Trapp Family Austrian Relief fund (fonds de secours autrichien de la famille Trapp), qui envoyait de la nourriture et des vêtements aux personnes pauvres en Autriche. Désormais basée en permanence aux États-Unis, la famille a interprété son mélange unique de musique liturgique, de madrigaux, de musique folklorique et d'instruments devant des publics dans plus de 30 pays au cours des 20 années suivantes.

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Maria Von Trapp et sa famille devant le Trapp Family Lodge en 1965.
© Famille von Trapp

Le Capitaine von Trapp est mort en 1947 à 67 ans. Maria a écrit un récit de la famille The Story of the Trapp Family Singers qui a été publié en 1949 et a inspiré le film ouest-allemand de 1956 The Trapp Family qui, à son tour et comme nous allons le voir, a inspiré le musical de Rodgers et Hammerstein à Broadway en 1959, The Sound of Music ().

Le groupe s’est dissocié en 1947. Maria et plusieurs de ses enfants sont partis en Nouvelle-Guinée pour faire du travail missionnaire. Plus tard, Maria est revenue diriger le Trapp Family Lodge pendant plusieurs années. Maria est décédée en 1987 et a été enterrée dans le cimetière familial situé sur leur propriété.

B) Genèse du musical «The Sound of Music»

B.1) Mary Martin et Vincent J. Donehue

Rodgers et Hammerstein allaient cette fois connaitre leur prochain projet bien avant que Flower Drum Song () ne soit même terminé. Il leur est arrivé comme un «paquet cadeau» grâce à une des stars qui leur fut parmi les plus fidèles: Mary Martin. Même si Mary Martin avait déjà joué un premier rôle dans un musical, Annie get Your Gun (), c’était dans l’US-Tour original, et elle n’oubliera jamais que Rodgers et Hammerstein lui avaient offert la célébrité à Broadway avec South Pacific () en 1949. Depuis lors, elle avait triomphé sur scène dans Peter Pan () en 1954, mais était aussi devenue une célébrité de la télévision grâce à:

  • Peter Pan () pour NBC (1955 et 1956) (plus d'infos: )
  • Annie get Your Gun () mettant en vedette John Raitt pour le même réseau en 1957 (plus d'infos: )
  • Mais il y eut aussi toute une série d’ «émissions musicales spectaculaires» :
    • The Ford 50th Anniversary Show (1953) avec des duos Martin/Merman, diffusé sur NBC et CBS (plus d'infos: )
    • General Foods 25th Anniversary Show: A Salute to Rodgers and Hammerstein (28 mars 1954) (diffusé sur tous les réseaux) (plus d'infos: )
    • Noël Coward & Mary Martin – Together With Music (1955)
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The Skin of Our Teeth
Affiche de la pièce originale de 1942
© Famille von Trapp

Revenons à l’aventure «The Sound of Music ()». Mary Martin avait joué en 1955 dans un revival de la pièce de théâtre de 1942 The Skin of Our Teeth de Thornton Wilder, avec Helen Hayes et George Abbott. Cette version avait été créée à Paris, puis était revenue aux États-Unis pour des séries de très courtes durées dans diverses villes, finissant par 22 représentations à Broadway. Enfin, le spectacle a été télévisé le 11 septembre 1955.

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Vincent J. Donehue
© Famille von Trapp

Le metteur en scène de ce projet était un ancien acteur, Vincent J. Donehue. Le spectacle, très novateur pour l’époque a été très difficile à monter et cela s’est magnifiquement passé entre Donahue et Mary Martin. En 1957, il sera le réalisateur de la version TV de Annie get Your Gun () (plus d'infos sur la version TV: ) où Mary Martin jouera le rôle-titre.

En 1958, Donehue devient «dépisteur d’histoires» chez Paramount Pictures, c’est-à-dire qu’il devait regarder beaucoup de films, de pièces de théâtre, de romans… pour dénicher des pépites qui seraient de futurs succès au cinéma. Dans ce cadre, Donehue a vu deux films ouest-allemands basés sur la vie de Maria von Trapp:

  • Die Trapp Familie
  • Die Trapp Familie in Amerika

Les deux films sont disponnibles ci-dessous:

Die Trapp Familie (1956)
Die Trapp Familie in Amerika (1958)

 

Ces deux films ont impressionné Donehue et il s’est dit que c’était un projet digne d’être poursuivi. Il a reconnu l’attrait universel de son histoire: une jeune postulante dans une abbaye autrichienne qui tombe amoureuse d’un commandant veuf de l’ex-marine impériale et de ses dix enfants, l’épouse et transforme cette famille en un groupe musical de réputation internationale. Donehue a parlé de ces films allemands à son associé et ami, Richard Halliday… le mari de Mary Martin.

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Mary Martin et son mari Richard Halliday avec
Larry Hagman (19 ans), fils de Mary et de son premier mari
Hellar (10 ans), leur fille
Photot prise au Phoenix Theatre (Londres) en 1951
(Elle était à Londres pour y jouer «South Pacific»)

Halliday a trouvé que ce serait une magnifique pièce de théâtre à créer avec sa femme Mary Martin en tête d’affiche, dans le rôle de Maria. Mary Martin était elle aussi enthousiaste. Ils ont contacté naturellement le producteur Leland Hayward – qui avait été producteur associé de South Pacific () – et lui ont proposé d’être partenaire de cette production. Ils ont ensuite contacté Howard Lindsay et Russel Crouse – qui étaient pour les pièces de théâtre à Broadway ce que Rodgers et Hammerstein étaient pour les musicals – pour écrire la pièce. L’idée originale a très vite été d’inclure de la musique baroque provenant du répertoire de la famille von Trapp dans la pièce. Puis quelqu’un — la plupart des récits disent que c’était Hayward — a eu une idée brillante: pourquoi ne pas commander à Rodgers et Hammerstein une nouvelle chanson, ou deux, que «Mary pourrait chanter quelque part dans le spectacle» et qui compléterait l’histoire?

Face à cette proposition, Rodgers s’est senti mal à l’aise. Il trouvait l’histoire formidable, mais il ne voulait pas composer une chanson qui serait jouée au beau milieu d’extraits de Bach et Mozart. Rodgers et Hammerstein ont convenu que les partitions hybrides n’ont jamais fonctionné. Ils ont tous deux regardé les deux films allemands. Ils étaient maintenant persuadés que ce spectacle devait être soit une pièce de théâtre pure, sans musique, soit un vrai musical, composé de A à Z. En privé, Rodgers a déclaré à Hayward:

«Il est hors de question que je rivalise avec Mozart, Brahms et les chansons folkloriques autrichiennes. Oscar et moi aimerions écrire toute la partition.»

Richard Rodgers

 

Sensibles à la remarque de Rodgers et Hammerstein, Leland Hayward et Richard Halliday acceptèrent de produire ce spectacle plutôt sous la forme d’un musical que d’une pièce de théâtre. C’est à ce moment-là que Rodgers et Hammerstein leur annoncèrent qu’ils étaient déjà engagés dans un autre projet, Flower Drum Song (). Rodgers se souvient de cette problématique:

«Nous devions expliquer que nous serions liés à Flower Drum Song () pendant un an. Mais ils sont revenus avec les deux mots les plus flatteurs possibles: «Nous attendrons.» »

Richard Rodgers

 

Sans cela, The Sound of Music ( n’aurait pas été The Sound of Music (… Et en fait, ce long retard va s’avérer très judicieux pour résoudre tous les problèmes qui vont être rencontrés.

B.2) Obtenir les droits d'adaptation

Comme nous l’avons dit, Georg von Trapp meurt dans le Vermont en 1947 et sa veuve publie ses premières 'Mémoires', The Story of the Trapp Family Singers, deux ans plus tard. Vu l’existence de ce livre, Halliday et Hayward ont supposé qu’ils auraient besoin de la permission de Maria von Trapp pour adapter la saga de la famille pour la scène, et ils se sont mis à sa recherche … ce qui fut une vraie épreuve, car le groupe musical des von Trapp s’était dissocié depuis 1957 et que l’on ne savait pas du tout où se trouvait Maria von Trapp. À un tel point que des récits différents de cette quête existent:

  • Pour certains, la Baronne von Trapp faisait du travail missionnaire en Australie, à Tahiti, aux Samoa et en Nouvelle-Guinée, et à chaque escale, elle ignorait les lettres de quelqu’un nommé Mary Martin, dont elle n’avait jamais entendu parler. Lorsque son navire a finalement accosté à San Francisco, cette version raconte que Halliday l’attendait et l’a invitée à voir Mary jouer dans une production en tournée d’Annie get Your Gun (). On dit que Maria von Trapp a adoré le spectacle, mais qu’elle a eu du mal à imaginer Martin jouer Maria von Trapp sur scène.
  • Pour d’autres, Maria aurait finalement été retrouvée dans une infirmerie dans un hôpital d’Innsbruck, en Autriche, où elle se remettait du paludisme qu’elle avait contracté dans le Pacifique.

Quoi qu’il en soit, les droits d'adaptation de l'histoire de sa vie n’appartenaient plis à Maria von Trapp: elle les avait vendus directement à la société de cinéma ouest-allemande. William Fitelson, l’avocat de Halliday, entama des négociations avec la compagnie ouest-allemande, car l’option de Paramount sur le film était venue à échéance. Le film avait battu des records de box-office en Europe, et son succès commercial avait fait de sa star, Ruth Leuwerik, la plus populaire actrice du cinéma allemand.

En fait, Maria von Trapp avait vendu les droits de son livre pour seulement 9.000$ à la société allemande (Munich) Divina-Film qui a produit les deux films dont nous avons parlé. Fitelson dut faire pas moins de six voyages à Munich pour négocier l’achat des droits. Les Allemands n’ont demandé à Halliday rien de moins que 200.000$. Frank Goodman, le futur attaché de presse de The Sound of Music (), se souvient de cette période:

«Rodgers était un homme d’affaires très habile. Mary Martin et lui ont cherché des capitaux pour couvrir ces 200.000$ et devinez comment ils ont obtenu cette somme? Mary Martin avait un contrat à long terme avec NBC Television. Elle avait obtenu un énorme succès pour eux dans Peter Pan (). NBC pouvait le rejouer, année après année, et les enfants adoraient... Alors Rodgers a demandé aux dirigeants de NBC une avance... NBC voulait bien sûr garder leur star heureuse, et ils savaient que Mary rapporterait cette somme pour eux à l’avenir, alors ils ont accepté de prêter à Mary Martin et Rodgers les 200.000$ afin qu’ils puissent l’utiliser pour terminer leur affaire avec les Allemands!»

Frank Goodman

 

Halliday a en outre accordé un petit pourcentage de ses propres droits sur le musical. Générosité pure? Non, plutôt un encouragement pour Maria von Trapp à raconter son histoire. Quoi qu’il en soit, cela allait rapporter de très importantes sommes à Maria von Trapp vu le succès du musical.

B.3) Écriture: Lindsay & Crouse

À cette époque, il n’y avait pas d’auteurs de théâtre commercial plus expérimentés qu’Howard Lindsay et Russel Crouse. Ils ont collaboré de manière incroyable durant 27 ans (de 1935 à 1962) en écrivant des pièces de théâtre et des livrets de musicals.

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Affiche de «Anything goes»
Barbican Theatre - London - 2022

Ils ont commencé leur collaboration en modifiant profondément le livret initial de Guy Bolton et de P.G. Wodehouse du musical Anything goes () (Cole Porter) (plus d'infos: ).

Après ce triomphe – le plus gros succès de la saison 34-35 à Broadway, et l’un des rares musicals de l’époque très fréquemment joué de nos jours. Ils écriront les livrets de 6 autres musicals:

  • Red, Hot and Blue () (1936)
  • Hooray for What! () (1937)
  • Call Me Madam () (1950)
  • Happy Hunting () (1956)
  • The Sound of Music () (1959)
  • Mr. President () (1962)

Ils ont aussi écrit de très nombreuses pièces de théâtre, dont Life with Father (1939) qui tint l’affiche 3.224 représentations (8 nov. 1939 au 12 juil. 1947) et est encore aujourd’hui la plus longue série pour une pièce de théâtre à Broadway. Citons aussi State of the Union (1945), qui a remporté le Prix Pulitzer.

Ayant déjà travaillé avec Lindsay et Crouse sur Call Me Madam (), Leland Hayward les a approchés avec plusieurs idées, dont:

  • l’écriture d’un livret pour un musical tiré de Gone with the Wind
  • l’écriture d’un livret pour un musical tiré d’un livre paru un 1957, Gypsy Rose Lee: A Memoir
  • l’écriture d’un livret pour un musical sur la famille von Trapp pour mettre en vedette Mary Martin

Ce fut cette dernière proposition qu’ils trouvèrent irrésistible, même si, compte tenu de son âge (45 ans), Mary Martin n’aurait probablement jamais été choisie dans la pièce si elle n’avait pas été écrite pour elle.

Rapidement, Lindsay et Crouse ont esquissé un livret d’une soixantaine de pages pour un spectacle dont le premier titre de travail est The Singing Heart.

Dès le début, leur scénario s’appuie fortement sur le scénario du film allemand. Leur villa von Trapp, comme celle du film, comporterait un salon spacieux avec un escalier incurvé et un balcon au-dessus. Leurs religieuses philosophiques, comme celles du film allemand, aiment dire: «Quand Dieu ferme une porte, il ouvre une fenêtre.» Et comme dans le film allemand, les von Trapps s’échappaient en portant des vêtements de randonnée et des sacs à dos. Peu importe que la vraie famille von Trapp ait fui l’Autriche par un train pour l’Italie, et non par une randonnée dans les montagnes jusqu’en Suisse, qui se trouve à des centaines de kilomètres de Salzbourg.

Mais les dramaturges ont également apporté des changements importants. Ils ont éliminé le rôle du Père Wasner et inventé un nouveau personnage, un impresario nommé Max Detweiler, pour lancer la carrière musicale des enfants von Trapp. La baronne Elsa Schraeder remplacerait la Princesse Yvonne en tant que fiancée du Capitaine von Trapp. Lindsay et Crouse donneraient également de nouveaux noms à tous les enfants et remplaceraient le fils aîné de la famille, un diplômé de l’école de médecine nommé Rupert, par une fille adolescente nommée Liesl.

B.4) Influence de Mary Martin et Sœur Gregory

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Sœur Gregory Duffy
Rosary College’s theater - 1972.

Mary Martin elle-même a joué un rôle crucial dans la création du personnage de Maria, grâce à son amitié durable avec une religieuse dominicaine qui a dirigé le département de théâtre au Rosary College à River Forest, Illinois.

Comment s’étaient-elles rencontrées? Sœur Gregory, née Katherine Eleanor Duffy et ayant fait ses études à l’Université de l’Iowa et à l’Université catholique, a fait ses vœux en 1939 et a été affectée à enseigner au Rosary College (maintenant appelée Université Dominicaine) trois ans plus tard. Passionnée de théâtre, elle se rend à New York chaque été pour voir les dernières créations de Broadway et écrit à Mary Martin après l’avoir vue dans la production originale de South Pacific (), exprimant une admiration particulière pour le thème de la tolérance raciale de la pièce. La Sœur et la star entrèrent dans une relation épistolaire amicale. Quand Sœur Gregory retourna à Manhattan l’année suivante, Mary Martin l’invita dans les coulisses et ses souvenirs sont très clairs:

«Elle n’a pas agi comme une nonne, ni comme nous, pauvres âmes ignorantes, pensions que les nonnes agissaient. Elle était pleine d’entrain, enthousiaste, avec un train de marche digne d’un bon joueur de baseball. Elle avait aussi une belle peau claire et des yeux brillants et bruns. Nous sommes tous tombés amoureux d’elle.»

Mary Martin – «Some enchanted evenings»

 

Au fur et à mesure que les travaux progressaient, Sœur Gregory devint une conseillère de confiance, non seulement pour Halliday, mais aussi pour Rodgers et Hammerstein. En février 1958, elle écrivit une lettre dactylographiée de cinq pages à Halliday et Mary Martin, décrivant sa vision de l’histoire:

«Le but principal de la vie, me semble-t-il, est mis en avant dans la lutte de Maria pour choisir entre deux vocations. Comme tout être humain adulte, elle doit trouver la réponse à la question: «Que veut Dieu que je fasse de ma vie? Que veut-il que je fasse de mon amour?» »

Sœur Gregory

 

Elle a pris soin d’expliquer que, selon elle, les religieuses (et les prêtres) ne sont ni effrayés par l’amour ni incapables de le partager. Mais ils sont été attirés par vocation «parce qu’ils apprécient le don de la vie et qu’ils ont une grande capacité d’amour».

«Elle a été l’inspiratrice des chansons joyeuses My Favorite Things et Maria, parce qu’elle nous a dit à quel point les religieuses s’amusent et ont de nombreux moments heureux à l’intérieur d'un couvent ou d’une abbaye. Je l’entends encore dire: «Ne rendez pas les religieuses moralisatrices!» »

Mary Martin – «Some enchanted evenings»

 

Sœur Gregory s’inquiétait aussi de la façon dont Richard Rodgers gérerait la musique des scènes du couvent. Elle a dit à Halliday que trop utiliser les chants grégoriens serait fatigant, mais aussi qu’utiliser une musique tape-à-l'œil de Broadway serait totalement inapproprié. Rodgers était inquiet lui aussi :

«Étant donné mon manque de familiarité avec la musique liturgique, ainsi que le fait que j’étais d’une foi différente [athée d’origine juive], je devais m’assurer que ce que j’écrivais serait aussi authentique que possible.»

Richard Rodgers

 

Rodgers a donc fait quelque chose d’inhabituel pour lui: il a entrepris des recherches musicologiques. Par l’intermédiaire d’un ami, il s’est arrangé pour entendre un concert de musique liturgique.

Au lieu d’une ouverture standard de musical reprenant les principaux thèmes musicaux de l’œuvre, il a composé un chœur de religieuses a cappella en prière avec Dixit Dominus. Cela serait suivi d’un Alleluia sonnant qui se fond dans l’interprétation par Maria de The Sound of Music (. Sœur Gregory approuva avec enthousiasme le résultat final, écrivant qu’elle et quelques sœurs avaient pris la partition et creusé dans le Praeludium de Rodgers – comme elle appelait l’«Ouverture» – jusqu’à ce qu’elle «tourne vraiment en orbite et s’envole partout».

Après avoir vu les paroles proposées par Hammerstein pour Climb Ev’ry Mountain, la sage Sœur Gregory a écrit à Mary Martin une lettre disant:

«Cela m’a conduit à la chapelle. (Détendez-vous, les copains, je suis sûr que cela n’affectera pas vos spectateurs de la même façon.) Cela m’a fait prendre conscience de la grande chance qu’ont ceux qui trouvent un rêve qui absorbera tout leur amour, et une fois trouvé, le portent jusqu’à la fin... Les paroles de M. Hammerstein semblent exprimer parfaitement, mais sans effort, ce que nous, les âmes ordinaires, ressentons, mais ne pouvons pas verbaliser.»

Sœur Gregory

B.5) Influence de la vraie Maria von Trapp

Une autre influence sur le développement du livret fut Maria von Trapp elle-même. Après avoir lu une première ébauche de ce qui était provisoirement intitulé The Singing Heart et ensuite Love Song, Maria von Trapp a souligné que son personnage devait être plus garçon manqué qu’elle ne l’avait été elle-même, afin de rendre sa transformation en mariée et mère encore plus difficile. Dans le documentaire allemand original, Maria apparait en glissant sur la rampe d’un escalier, à la grande consternation de ses sœurs. Elle estimait également que la sévérité du Capitaine von Trapp était accentuée au détriment de sa véritable transformation en un mari et père aimant. Mais Lindsay et Crouse n’ont pas tenu compte de la préoccupation principale de la baronne: dans la réalité, c’était un professeur séminariste vivant avec la famille Trapp qui a enseigné le chant aux enfants. Les dramaturges chevronnés étaient persuadés que l’histoire serait meilleure en donnant à Maria cette mission importante.

B.6) Influence de la vraie Maria von Trapp

Néanmoins, en janvier 1959, un mois après l’ouverture de Flower Drum Song (), les quatre auteurs avaient commencé à se rencontrer pour travailler sur le spectacle qui était maintenant provisoirement intitulé Love Song.

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De g. à dr.: Richard Rodgers, Oscar Hammerstein,
Howard Lindsay et Russel Crouse en 1959

Alors que cet hiver tournait au printemps, les collaborateurs ont accéléré le rythme, se réunissant une fois en janvier, cinq fois en février, six fois en mars. Lindsay et Crouse travaillaient habituellement sur le livret à la maison de ville de Lindsay sur East 94th Street, puis rejoignaient Rodgers et Hammerstein pour des conférences plus larges à la maison d’Hammerstein sur East 63rd Street. Hammerstein confia à son fils Jimmy qu’il était heureux d’être libéré du fardeau d’écrire le livret, et aurait abandonné cette tâche des années plus tôt s’il avait trouvé des collaborateurs du calibre de Lindsay et Crouse. De toute évidence, ce fut le plus beau des partenariats. Timothy Crouse se souvient:

«Tous les quatre, nous avons adoré le projet et avons adoré travailler ensemble. Je ne crois pas qu’il soit exagéré de dire que nous nous aimions.»

Timothy Crouse

 

Oscar et Dorothy Hammerstein ont passé un mois en Jamaïque cet hiver-là, dans une maison qu’ils avaient récemment achetée. Là, sous le soleil des Caraïbes, Hammerstein a écrit les paroles de The Sound of Music ()», la première chanson de Maria. Lorsqu’il a eu fini cette chanson, il a décidé que le musical devait porter le titre de cette chanson.

Il a aussi commencé à travailler sur la chanson inspirée qui mettrait fin au premier acte. Dans celle-ci, la Mère Abbesse dirait à Maria, qui craint de tomber amoureuse du capitaine, qu’elle doit retourner à la villa von Trapp pour savoir où son cœur est vraiment. Dans une première ébauche, la Mère Abbesse affirmait à Maria: «Ne pensez pas que ces murs éliminent les problèmes. Vous devez faire face à cette décision. Vous devez affronter la vie, où que vous soyez

Ce à quoi Maria devra faire face à la fin, bien sûr, ce sera Climb Ev’ry Mountain, un hymne solennel, émouvant et édifiant, dans le même style que You’ll never walk alone de Carousel (, dans laquelle la Mère Abbesse exhorte Maria de choisir à quoi elle veut consacrer son amour, dans la phrase mémorable de Sœur Gregory:

Climb every mountain,
Ford every stream,
Follow every rainbow
Till you find your dream.

 

Escaladez toutes les montagnes,
Traversez à gué tous les cours d’eau,
Suivez chaque arc-en-ciel
Jusqu’à ce que vous trouviez votre rêve.

«Climb Ev’ry Mountain» - «The Sound of Music»

B.7) Casting

  Le Capitaine von Trapp  Selon le directeur du casting, Eddie Blum, alors que le livret du musical avançait, le gros problème était de trouver quelqu’un pour jouer le Capitaine von Trapp face à Mary Martin. La décision avait été prise dès le début de ne pas faire jouer Mary Martin avec un accent autrichien, mais les producteurs se demandaient s’il ne serait pas logique de choisir un acteur européen pour interpréter son mari.

Un certain nombre d’acteurs ont été considérés :

  • Ils ont pensé à Christopher Plummer, qui n’avait pas encore tout à fait 30 ans. MaisMary Martin aurait 46 ans juste après l’ouverture de la pièce…
  • Ils ont recherché dans le monde de l’opéra – espérant peut-être trouver un nouveau Ezio Pinza comme dans South Pacific (). Ils ont auditionné un grand acteur allemand. Mais… il ne pouvait pas chanter.
  • Les producteurs ont auditionné l’acteur hollywoodien Leif Erickson: il pouvait chanter et ils l’aimaient. Mais… pas assez.

Après tous ces « Mais… », ils ont porté leur attention sur Theodore Bikel, un acteur et chanteur né à Vienne en 1924 dont la famille juive avait fui l’Autriche pour la Palestine en . Bikel tournait un film aux Pays-Bas, mais Halliday et Hayward l’ont emmené à New York pour une audition. Il a chanté Luck Be a Lady et My Time of Day de Frank Loesser dans Guys and Dolls (). Les producteurs lui ont ensuite demandé de chanter une chanson folklorique et il l'a joué sur sa propre guitare. Les souvenirs de Theodore Bikel sont éloquents:

«Et, pendant que tout cela se passait, Mary Martin s’est penchée en avant, a tapé sur l’épaule de Richard Rodgers et a dit: «Nous n’avons plus besoin de chercher plus loin, n’est-ce pas?»

Theodore Bikel

 

Il a obtenu le rôle du Capitaine von Trapp. En fait, Bikel avait été un ami du fils de Martin, Larry Hagman, lorsque Hagman était à Londres avec l’US Air Force.

Theodore Bikel se souvient:

«J’étais un très bon ami de Larry [Hagman] lorsqu’il était dans l’armée de l’air, à Londres. Il a vécu dans un appartement qui était littéralement à côté de chez moi, et nous avons beaucoup traîné ensemble. Larry est venu jouer de la guitare chez moi et a chanté des chansons. En fait, il a inventé des chansons. J’en ai même mis un dans mon livre de chansons folkloriques.»

Theodore Bikel

 

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Mary Martin et Theodore Bikel
«The Sound of Mucic» - Broadway - 1959

Mais Bikel avait dix ans de moins que Martin, ce qui ne faisait que souligner que Mary Martin était trop âgée pour le rôle qu’elle jouait… Pour compenser la différence d’ âge, Bikel a été envoyé chez le coiffeur pour avoir une bande grise teinte dans ses cheveux. Le traitement serait répété toutes les deux semaines pendant toute sa participation au spectacle. Bikel disait souvent: «Ils ne pouvaient pas la rajeunir, alors ils m’ont fait vieillir».

Theodore Bikel parlait couramment cinq langues et se débrouillait dans deux autres. Il était capable de chanter les chants traditionnels de 21 pays, mais il affirmait que le terme de «chanteur traditionnel» n’était correct que lorsqu’il chantait dans le yiddish de son enfance. C’est tout spécialement pour lui, pour mettre en valeur ses talents, que la chanson Edelweiss a été composée. Mais Bikel a quitté The Sound of Music () après deux ans, alors que le triomphe se poursuivait. Il avait peur de se figer dans un stéréotype. Il jouera en 1964 le pompeux professeur hongrois Zoltan Karpathy qui se laisse abuser par Eliza Doolittle dans My Fair Lady () et, en 1967, Tevye le laitier dans Fiddler on the Roof () qu’il ne se privera cette fois pas de jouer plus de deux mille fois, plus que tout autre acteur.

  Les enfants  Il y avait un autre défi: le casting de sept enfants, âgés de huit à treize ans. Le metteur en scène Vincent Donehue se souvient:

«Nous avons interviewé plus de 300 enfants. Ils devaient respirer la santé et la joie et, bien sûr, ils devaient chanter. Mais ce dont nous nous soucions le plus était de quel genre d’êtres humains ils étaient.»

Vincent Donehue

 

Étant donné que les enfants grandissent si rapidement, ils devaient être remplacés avec une certaine régularité au cours de la longue série du spectacle. Et vu que Mary Martin était sévèrement myope, elle exigeait que tous les remplaçants soient de la même taille que le précédent et aient leurs cheveux teints, si nécessaire, pour ressembler aux originaux avec lesquels elle s’était habituée à jouer.

En fin de compte, Vincent Donehue les a bien choisis. Les enfants allaient être conjointement nominés pour un Tony Award pour leurs performances (dans la catégorie meilleure actrice vedette !!!!).

C) Création

C.1) Répétitions

  Mary Martin en pleine forme  

«Travailler à nouveau avec Mary Martin m’a fait apprécier encore plus à quel point elle est extraordinaire. Pendant les répétitions et pendant le spectacle à Broadway, elle s’entraînait constamment, tant vocalement que physiquement. Rien de ce que nous avons suggéré n’a été jugé trop exigeant... Pendant toutes les années où je l’ai connue, je ne l’ai jamais vue donner une performance inférieure à ce qu’elle avait de meilleur en elle.»

Richard Rodgers

 

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Mary Martin s’est entraînée comme une combattante au cours de l’été 1959. Mary Martin a déclaré: «Ce fut l’un des spectacles les plus disciplinés que j’ai jamais fait.» Et comme le montre un reportage de dix pages dans le magazine Life, Mary Martin s’entraînait tous les jours avec un sac de frappes pour améliorer son instrument vocal vieillissant. «L’exercice renforce l’action de son diaphragme et aide également à conditionner son corps pour produire de grands tons», a expliqué William Herman, son professeur de chant pour le spectacle.

Mary Martin et William Herman
La préparation de Mary Martin au spectacle comportait des exercices avec un sac, sous les ordres de son professeur de chant, William Herman. Il dit que cela renforce son action du diaphragme et aide également à conditionner son corps pour produire de gros sons.
Life - 23 novembre 1959
© Life Magazine / Time inc. www.life.com


Dans un autre article où elle était en couverture, dans le magazine This Week — un encart hebdomadaire dans les journaux du dimanche partout au pays — Martin a présenté à l’écrivain Charles D. Rice, sa «chambre de torture» au-dessus du studio de William Herman. Il s’en souvient:

«Mary Martin nous a conduits à l’étage dans une pièce qui ressemblait à une salle du service des urgences d’un hôpital. Il y avait trois lits — des «Lits Pilates», comme elle les appelait — placés en une rangée. [C’était un demi-siècle avant que la Méthode Pilates devienne une partie de la routine de nombreux amateurs de condition physique.] Ces lits ressemblaient à des instruments de torture, et ils l’étaient d’une certaine façon, mais la torture était constructive. Vous pouviez ramer, soulever des poids ou encore un certain nombre d’autres moyens abominables de faire de l’exercice.»

William Herman

 

Mais Mary Martin s’est expliquée:

«Je ne pense pas que les gens réalisent à quel point il faut chanter fort sur scène. Quand je finis une chanson comme «Do-Re-Mi», les spectateurs pensent que j’ai seulement chantonné. Mais voici la façon dont je la chante vraiment… »

Mary Martin

 

Et elle a commencé à chanter: ce fut une explosion sonore qui a failli arracher les cheveux des gens présents.

  Oscar Hammerstein pas en forme du tout  Les répétitions ont commencé le matin du 1er septembre 1959 au Lunt-Fontanne Theatre, et Hammerstein a abordé ce moment avec le sang-froid d’un expert :

«Je pense que ce sera la 46ème fois que je m’assois avec un casting pour une première lecture d’une pièce que j’ai écrite – sans compter les pièces que nous avons produites ou les compagnies étrangères de pièces de théâtre. Je suppose que cela fait de moi un ancien combattant. J’en ai aussi l’impression; sinon, je ne serais pas assez calme pour dicter des lettres ce matin.»

Oscar Hammerstein à son vieil ami et ancien collaborateur Harry Ruby

 

Mais à peine deux semaines plus tard, l’optimisme naturel de Hammerstein allait être mis à l’épreuve comme jamais auparavant. Le 16 septembre 1959, il est allé voir son médecin, Benjamin H. Kean, qui avait pris le relais d’Harold Hyman, à la retraite. Après l’examen, le Dr. Kean a déclaré Hammerstein en bonne santé, mais il lui a demandé s’il avait quelque chose dont il voulait discuter. Au début, Hammerstein a dit non, mais alors qu’il partait, il a dit: «Vous savez, je me suis réveillé au milieu de la nuit, affamé. J’ai pris un verre de lait et puis ça a étéKean a réfléchi un instant, puis a rattrapé Hammerstein sur Park Avenue pour lui dire qu’il aimerait faire des tests concernant un éventuel ulcère, juste pour être prudent.

Hammerstein a marché les quelques pâtés de maisons jusque chez lui et à son arrivée, il a exprimé à haute voix ses frustrations par rapport à Rodgers: «Bon sang! J’ai un ulcère. Ce fils de pute a réussi

Mais ce n’était pas un ulcère. Les tests ont révélé un cancer de l’estomac, et une opération a été prévue pour le 19 septembre à l’hôpital de New York. Lindsay et Crouse ont envoyé à Hammerstein une note joyeuse, l’exhortant à ne pas s’inquiéter et empruntant une ligne de son duo d’amour pour la jeune Liesl et son prétendant Rolf:

«Cher Oscar,
on a soixante, allant vers les septante, et vous pouvez compter sur nous. Guéris-toi bientôt.
Love, Howard et Buck.»

Lindsay et Crouse

 

La veille de l’opération, son cancer étant encore secret, Hammerstein a croisé Mary Martin dans les coulisses du Lunt-Fontanne et lui a donné un morceau de papier plié, expliquant qu’il contenait des lignes pour le spectacle, bien qu’il ne savait pas encore où elles iraient. «Ne les regarde pas maintenant», lui a-t-il dit. Elle est allée dans sa loge, où Rodgers lui a annoncé la mauvaise nouvelle et a dit qu’ils devaient tous faire de leur mieux. Lorsqu’elle a déplié le morceau de papier d’Hammerstein, Martin a vu les mots qu’il avait écrits à l’origine pour la chanson Climb Ev’ry Mountain et qui finiraient dans une chanson de Maria, la reprise de Sixteen Going on Seventeen, dans laquelle Maria, tout juste de retour de sa lune de miel avec le Capitaine, rassure Liesl sur les joies de l’amour véritable:

A bell is no bell
Till you ring it,
A song is no song
Till you sing it,
And love in your heart
wasn’t put there to stay—
Love isn’t love
Till you give it away ...

 

Une cloche n’est pas une cloche
Tant que vous ne la sonnez pas,
Une chanson n’est pas une chanson
Tant que vous ne la chantez pas,
Et l’amour dans votre cœur
N’a pas été mis là pour y rester...
L’amour n’est pas l’amour
Tant que tu ne le rends pas...

«Sixteen going on seventeen - Reprise»

Jusqu’à la fin de sa vie, Mary Martin chérirait les mots.

Quelques jours plus tard, Hammerstein a été opéré. Le pronostic postopératoire était sombre; le cancer était de stade IV, ce qui signifie qu’il s’était propagé. Le chirurgien, le Dr. Frank Glenn, avait enlevé les trois quarts de l’estomac d’Hammerstein et a informé sa femme Dorothy que son mari serait mort dans six mois à un an. Il l’avait prise à part pour lui annoncer la nouvelle, et quand les enfants, attendant à proximité, ont vu son effondrement, ils savaient que le diagnostic était mauvais. Mais quand Oscar a demandé à Dorothy ce que les médecins avaient dit, elle a peaufiné sa question, en répondant: «Ils ont tout simplement coupé». Et il ne lui a pas posé d’autres questions… Hammerstein resterait à l’hôpital jusqu’au 4 octobre 1959, puis passerait encore dix jours à récupérer à la maison.

  Des répétitions studieuses  Pendant ce temps, The Sound of Music () se mettait en place, mais il y avait beaucoup de travail. Ce spectacle qui semblait limpide devait en fait rester totalement contrôlé. Maria ne peut à aucun moment faire une blague, se lâcher. Elle doit incarner ce personnage qui garder un contrôle serré sur ses. Et puis, c’est une vraie épreuve physique: elle apparait dans 18 des 19 scènes du spectacle; a eu 14 changements de costumes, chante 10 chansons… et monte des escaliers à six reprises. Son mari et producteur, Halliday, a mis un jour un podomètre sur sa femme à un moment donné et a calculé qu’elle marchait près de 5 kilomètres par représentation!

C.2) Try-Out : New Haven (5-10 oct. 1959)

Le 25 septembre 1959, alors qu’Hammerstein était encore à l’hôpital, le décor a été transporté à New Haven, pour une ouverture le 5 octobre 1959. C’est à New Haven que l’équipe de création — sans Hammerstein, bien sûr —l’apparition des nazis en chemise brune et croix gammée, dans le second acte, était trop lourde. Ils décidèrent qu’on les entendrait surtout depuis les coulisses, porteraient des uniformes bleus ou des chemises brun clair, et ne diraient que «Heil!» et pas «Heil, Hitler!». Ce choix édulcoré n’a pas plu à Theodore Bikel (Capitaine von Trapp) qui rappelons-le avait fui l’Autriche devenue nazie après l’Anschluss de 1938. Mais il n’avait pas le pouvoir d’influencer. En fait, l’apparition d’un nazi sur scène était très rare dans une pièce de Broadway en 1959, ce qui a sans doute provoqué la peur des producteurs.

C’est également à New Haven que Rodgers et ses collaborateurs ont décidé que le personnage du Capitaine avait besoin d’un moment plus fort dans le deuxième acte pour souligner son changement de caractère, sa chaleur croissante – et pour profiter de l’habileté de Theodore Bikel avec la guitare folklorique qui lui avait valu son rôle lors des auditions. Rodgers a composé un air simple dans l’attente des mots qu’Hammerstein rajouterait quand il serait assez bien pour travailler. Cela sera fait à Boston.

Mais une période de répétitions en Try-Out est aussi emplie d’anecdotes, la plupart provoquées par la montée de tension à l’approche de la première. Quelques exemples…

  • Stefan Gierasch, qui jouait le premier nazi Herr Zeller, a reçu un nouvel uniforme, suite aux modifications dont nous avons parlé. Il voyait beaucoup Bernice Saunders (actrice de l’ensemble), parce qu’il avait une relation avec la fille avec qui Bernie logeait. Gierasch ayant enfilé son nouvel uniforme bleu et a demandé à Saunders: «À quoi ça ressemble?» Elle lui a répondu que ses parties intimes étaient beaucoup trop en évidence dans son pantalon serré.
  • Bien que Lucinda Ballard ait conçu les costumes pour le spectacle, Mainbocher était responsable de la robe de mariée et de la robe de fête de Maria. Il y a eu une crise dans les coulisses lorsque Mary Martin a insisté sur la dentelle et les rubans bleus pour les sous-vêtements de Maria! Au bout d’un temps, Rodgers a dû demander au producteur Leland Hayward d’intercéder. Rodgers et Hayward se sont disputés au sujet des culottes de Mary et ils sont descendus dans la rue, et quand ils ont croisé Halliday, autre producteur, mais aussi mari de Martin, il leur a crié: «Vous ne pensez qu’au spectacle! Vous ne vous souciez pas de Mary.»

L’ambiance entre Halliday et Rodgers devint terrible. L’épouse de Russel Crouse, Anna, a affirmé: «Richard Rodgers en savait plus sur le théâtre qu’Halliday, mais Halliday était toujours là pour protéger Mary. Et Mary était très intelligente. Elle laissait son mari s’énerver et, lorsqu’on lui demandait à elle ce qui se passait, elle faisait la fille surprise qui «ne savait rien à ce sujet». Plusieurs fois, Rodgers a perdu son sang-froid avec Halliday et lui a dit ses quatre vérités. Mary et Rodgers ne se parlaient pas pendant un certain temps après cela.

C.3) Try-Out : Boston (14 oct. – 7 nov. 1959)

C’est finalement à Boston qu’Oscar Hammerstein a pu voir pour la première fois The Sound of Music (), son 44ème et dernier spectacle.

«Je me souviens qu’il était assis dans une loge, avec sa femme Dorothy. Dorothy est sortie pendant pour retrouver Russel [Crouse], et elle lui a dit: «Je n’avais vu Oscar pleurer qu’une fois depuis que nous sommes mariés … et aujourd’hui il a pleuré.» J’avais le cœur brisé. »

Anna Crouse

 

En coulisses, après le spectacle, alors qu’elle regardait Oscar donner à la distribution des notes méticuleuses et de soutien, ce fut au tour de Dorothy Hammerstein de fondre en larmes.

Comme décidé lors des Try-Out à New Haven, une chanson allait être rajoutée pour le Capitaine von Trapp pour tenter d’adoucir son personnage. Rodgers avait écrit la musique à New Haven et Hammerstein, après son opération, est arrivé au milieu des Try-Out à Boston, et il a écrit les paroles d’Edelweiss, qui est devenue la seule chanson solo de Theodore Bikel. Avec un piano au Ritz-Carlton, Rodgers et Hammerstein ont élaboré la version finale de la chanson, avec sa dernière ligne simple: «Bénis mon pays pour toujours», et la chanson est entrée dans le spectacle. Ce fut un succès immédiat, et Bikel se souviendra qu’un fan l’a un jour arrêté à la sortie des artistes: «J’aime cet Edelweiss», ajoutant: «Bien sûr, je la connais depuis longtemps, mais seulement en allemandCe furent les paroles de la dernière chanson, la 1.589ème, écrite par Oscar Hammerstein II.

Les critiques de Boston furent en partie mitigées. Elliot Norton, le plus influent des critiques de Boston, s’est plaint «de la stupidité, de la rigidité et de la fausseté du scénario de cette opérette cucul», mais Elinor Hughes du Herald l’a qualifiée de «merveilleuse nouveauté de cette saison».

De son côté, le public a adoré le spectacle.

C.4) Création à Broadway: Lunt-Fontanne Theatre (16 nov. 1959 – 15 juin 1963)

Malgré la déception de Me and Juliet (), l’échec de Pipe Dream () et le succès mitigé de Flower Drum Song (), le grand public attendait toujours avec impatience la nouvelle création du duo Rodgers et Hammerstein. Ils n’oubliaient pas le plaisir qu’ils avaient eu avec Oklahoma! (), Carousel (), South Pacific () et The King and I (). Ou Cinderella () à la télévision.

Lorsque The Sound of Music () a ouvert ses portes au Lunt-Fontanne Theatre de Broadway le 16 novembre 1959 (et 5 previews depuis le 11 novembre), le musical qui avait coûté 480.000$ avait une vente anticipée record de 2.320.000$.

Le public de la première soirée contenait l’étincelant gratin habituel: Helen Hayes, Claudette Colbert, Ethel Merman, Marlene Dietrich, Katharine Cornell, Gypsy Rose Lee, Moss Hart … Mais il y avait aussi Maria von Trapp, la vraie, portant une robe de satin vert que Mary Martin lui avait donnée pour l’occasion.

Comme ils l’avaient fait avec South Pacific (), Rodgers et Hammerstein étaient assez confiants en leur nouvelle création pour réserver le toit de St. Regis pour la fête d’après-spectacle. Lors de l’arrivée de Mary Martin à la soirée, elle a serré la main d’Helen Hayes, a embrassé Claudette Colbert avant de se tourner vers Ethel Merman, d’embrasser Marlene Dietrich, puis d’embrasser des gens à droite et à gauche. Mais cela, c’était le début de la soirée. Anna Crouse (la femme de du co-librettiste Russel Crouse) se souvient que ce fut très vite une soirée «effroyable» dès que les critiques des journaux du matin sont devenues disponibles. Malheureusement, la critique très négative d’Elliot Norton à Boston lors des Try-Out s’est avérée être un signe avant-coureur des principales critiques de Broadway. Comme Mary Martin s’en souviendra, lorsque les critiques ont été lues à haute voix:

«Elles disaient toutes: «Oh, comme c’est ennuyeux, ennuyeux, ennuyeux, tous ces enfants, chiens et religieuses!» »

Mary Martin à propos de la presse à Broadway

 

Voici quelques exemples:

«Le théâtre musical que Rodgers et Hammerstein avaient révolutionné avec Oklahoma! () en 1943 a l’air aujourd’hui écumé. Il est décevant de voir la scène musicale américaine succomber aux clichés de l’opérette.»

Brooks Atkinson dans le New York Times

 

«Il y a sept bambins nécessaires au récit, et je ne suis pas contre les bambins. Mais doivent-ils sauter dans leur lit si souvent et de manière si anormale? Doivent-ils porter autant de costumes de bandes dessinées, sourire si intensément, et donner des conseils si précoces à leurs aînés? Mais la cascade de sucreries ne se limite pas aux jeunes. (…)
Je ne peux que souhaiter que personne n’a été trop ému par l’abandon des flocons de neige et son remplacement per des cornflakes. Avant que The Sound of Music () n’arrive à mi-chemin de ses tâches prometteuses, il devient non seulement trop doux par les mots, mais aussi trop doux par la musique»

Walter Kerr in the New York Herald TribuneWalter Kerr in the New York Herald Tribune

 

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«Pourquoi ce duo – qui a révolutionné la comédie musicale américaine avec Oklahoma! (), suivi par des succès mémorables comme Carousel (), South Pacific () et The King and I () – a-t-il encore une fois déçu ceux d’entre nous qui se tournent vers eux pour la suprématie dans le milieu musical de Broadway?
Leur dernière œuvre, The Sound of Music (), écrite avec Lindsay et Crouse, et mettant en vedette Mary Martin, suggère que l’une des raisons pourrait être la combinaison de deux révérences. Le style religieux et mathématiquement précis de composition de M. Rodgers a été jadis aéré par l’irrévérence contrastée et l’humour espiègle des paroles de feu Lorenz Hart. Alors que son second partenaire, M. Hammerstein, s’est montré à l’occasion parfaitement capable d’écrire une chanson comique, sa prédilection pour la sincérité, son abandon du particulier pour l’universel, ont tendance à ajouter plus de poids à une musique qui est déjà lourde.
Ajoutez à cela l’histoire vraie d’une baronne autrichienne si pieuse qu’elle est devenue missionnaire en Nouvelle-Guinée, et une équipe d’auteurs [Russel et Crouse] ayant une capacité éprouvée à écrire des pièces populaires conventionnelles qui soulignent les valeurs positives de notre société, et toute l’entreprise devient encore plus lourde. Et la goutte d’eau est la sélection de Mary Martin pour jouer la dévouée Maria von Trapp. Car Miss Martin a créé une impression générale de bonté extravertie et de sainteté à côté de laquelle les saints déjà canonisés semblent des personnages désagréables…
Le résultat est incroyablement peu excitant. (…)
Ce n’est pas simplement son histoire insipide qui rend The Sound of Music () peu spectaculaire, c’est le traitement sentimental et sans imagination qu’on en fait. Il est vrai que beaucoup de vieux musicals traditionnels étaient aussi bons que The Sound of Music (), mais ils étaient habituellement sauvés par les imperfections et les surprises des collaborations. The Sound of Music () se noie dans la perfection et le bon goût. Dans des spectacles comme celui-ci, il est difficile de féliciter ou de blâmer les gens. »

Henry Hewes dans Saturday Review

 

Bien qu’il ait défendu seul South Pacific () contre les rancœurs de ses collègues critiques britanniques, Kenneth Tynan n’était pas positif au sujet de cette collaboration entre Mary Martin avec Rodgers et Hammerstein:

«L’entrain de Martin est ravissant, malgré une tendance à s’adresser aux membres du public comme si, comme les Trapps, ils étaient ses beaux-enfants.
Elle peut toujours chanter ses notes aussi allègrement et soudainement, bien que la lumière du soleil de sa voix soit un peu plus faible qu’elle ne l’était auparavant.
Pour résumer sans controverse, The Sound of Music () est un spectacle pour les enfants de tous âges, enfin de six à onze ans et demi environ.»

Kenneth Tynan dans The New Yorker

 

Même un article paru dans le magazine Life a été contraint de reconnaître que le spectacle était trop succré pour son propre bien:

«Mary Martin imprègne tout avec son charme et tout le spectacle est comme une soirée de Noël pleine de plaisirs et de sucreries – bien que certains puissent souhaiter qu’il y ait un peu plus d’épices et de brandy.»

Life Magazine

 

Christopher Plummer (le Capitaine von Trapp du film de 1965), appellera le musical «The Sound of Mucus»…

Bien sûr, certains trouvèrent le spectacle magnifique. Mais nous sommes très loin de l’unanimité.

Dès le début, les créateurs de The Sound of Music () ont été excessivement prudents sur le sentimentalisme au cœur de l’histoire, ce qui a rendu son succès phénoménal presque embarrassant pour eux.

«Le sentiment n’a jamais été impopulaire, sauf pour quelques rares personnes malades qui sont rendues encore plus malades par la vision d’un enfant, une possibilité de mariage ou la pensée d’un foyer heureux», a déclaré Hammerstein, qui a ajouté – étant plus qu’un peu malhonnête – que: «Aucun événement n’a été inventé ou déplacé pour jouer sur les sentiments du public comme certains critiques semblent le ressentir. La plupart des critiques se sont moqués du livret qui, comme on pouvait s’y attendre, était qualifié de trop sentimental», a ajouté Richard Rodgers, qui a ajouté que «la vérité, c’est que presque tout ce qu’il contenait était fondé sur des faits». «Bien que ce soit une histoire vraie, le fait qu’elle se déroule en Autriche rappelait les opérettes», a ajouté Howard Lindsay. «Nous devions garder l’histoire convaincante et crédible, sans la laisser entrer dans le pays jamais vu où l’opérette vit.»

Ces déclarations sont évidemment fausses. Rappelons que:

  • L’aînée des enfants Trapp n’était pas, en réalité, une jeune fille de seize ans qui allait découvrir l’amour, mais un adolescent maladroit.
  • La vraie Maria fut à l’origine envoyée chez les Trapp pour s’occuper de la deuxième fille du Capitaine, qui était couchée dans un lit, frappée de scarlatine quand elle était plus jeune.
  • Plutôt que de désapprouver le chant, Georg von Trapp accueille la musique chez lui et accompagne ses enfants sur divers instruments bien avant que Maria n’entre dans leur domaine.
  • Lorsque la famille Trapp s’est échappée d’Autriche en 1938 suite à l’Anschluss, il ne s’agissait pas d’une fuite spectaculaire et pittoresque au travers des Alpes, mais dans le confort d’un voyage en train vers l’Italie. «Grimpez dans n’importe quel train» n’aurait pas eu le même impact émotionnel que «Grimpez la montagne».

Les Hammerstein assistèrent à la Première avec Herbert Mayes, rédacteur en chef du magazine McCall, et sa femme, qui étaient leurs locataires à l’étage supérieur de l’appartement situé au 10 East 63rd Street. Leur retour à la maison ce soir-là était un peu triste. «Herbert m’a dit plus tard qu’en montant dans l’ascenseur, ils ont entendu Oscar pousser un soupir de désespoir», se souvient Anna Crouse. «Cela m’a brisé le cœur

Rodgers et Hammerstein – comme Lindsay et Crouse – ont payé le prix de leur long succès. Et si The Sound of Music () semblait décalé et démodé aux yeux des critiques, c’est parce qu’il souffrait de la comparaison de la concurrence contemporaine:

  • Fiorello! (), une satire tranchante de la politique new-yorkaise qui remporterait le Prix Pulitzer pour le théâtre
  • Gypsy (), l’histoire graveleuse de la mère de scène indomptable de la strip-teaseuse Gypsy Rose Lee (avec des paroles de Stephen Sondheim et en tête d'ffiche)
  • Once Upon a Mattress (), un twist effronté sur The Princess and the Pea avec la musique de Mary, la fille de Rodgers.

Mais le soir suivant, les producteurs et les auteurs étaient de retour au Lunt-Fontanne, et Oscar a regardé le public de près comme toujours. À l’entracte, il a assuré à ses collaborateurs que le Big Black Giant – c’est comme cela qu’il appelait le public, le grand géant noir – avait rendu un verdict tout à fait différent:

«Ne vous y trompez pas! C’est un succès... Il suffit de regarder et d’écouter ce public! Ils se fichent des critiques. Je vous le promets, c’est un succès retentissant!»

Oscar Hammerstein

 

Hammerstein – et les spectateurs – avait raison. Les critiques n’ont rien pu face à la combinaison gagnante de Rodgers et Hammerstein, Russel et Crouse, ces deux duos ayant le nom de Mary Martin attaché aux leurs. The Sound of Music () a apporté de la joie à des millions de spectateurs à travers le monde. Il se jouera à Broadway pendant trois ans et demi, et près de deux fois plus longtemps dans le West End, où il deviendra la plus longue série pour un musical à Londres à l’époque (2.385 représentations). La version cinématographique de la Twentieth Century-Fox deviendra le film le plus rentable de tous les temps, surpassant même Autant en emporte le vent lors de sa sortie initiale.

Rodgers et Hammerstein étaient sensibles aux critiques, qui différaient si nettement de la véritable adhésion populaire. Et ils étaient sans doute conscients que The Sound of Music () serait leur dernier spectacle et pèserait lourdement sur leur réputation.

Le musical a eu 7 nominations aux Tony Awards, et en a gagné 5. Elle a eu le Tony Award du Best musical, ex æquo avec Fiorello! (. Mary Martin a été Tony Award de la meilleure comédienne dans un musical. L'ensemble du casting pour enfants a été nominé dans la catégorie Meilleure actrice en vedette en tant que nominé unique, même si deux des enfants étaient des garçons.

Martha Wright a remplacé Mary Martin dans le rôle de Maria à Broadway en octobre 1961, suivie de Karen Gantz en juillet 1962, de Jeannie Carson en août 1962 et de Nancy Dussault en septembre 1962. Jon Voight, qui épousa plus tard sa co-star Lauri Peters, reprit le rôle de Rolf de septembre 1961 à juin 1962. Theodore Bikel n'était pas satisfait de jouer le rôle du Capitaine von Trapp, car il n'aimait pas jouer un même rôle encore et encore. Dans son autobiographie, il écrit: «Je me suis alors promis que si j'en avais les moyens, je ne ferais plus jamais une course aussi longue

L'album original du casting de Broadway s'est vendu à trois millions d'exemplaires.