8.
1943 - Oklahoma!

 9.2.
Le Golden Age
en un coup d'œil

 9.3.11.
Cinderella
(1957)

 9.3.13.a
The Sound of Music
(1959)

 9.4.
Quelques «followers»
directs

 10.
1964-1970
La crise

Après le succès de Cinderella () à la télévision, Rodgers et Hammerstein vont créer leur avant-dernier musical à la scène, Flower Drum Song (). Basé sur le roman de C.Y. Lee de 1957, Flower Drum Song () a été joué pour la première fois au St. James Theatre de Broadway le 1er décembre 1958. Cette production est entrée dans l'histoire: c'était la première fois qu'un casting de Broadway mettait en vedette une majorité d'acteurs, de chanteurs et de danseurs américains d'origine asiatique. Après plus d'un millier de représentations à Broadway et dans le West End, Universal Pictures sortit l'adaptation cinématographique le 9 novembre 1961. Puis, plus de quarante ans plus tard, Flower Drum Song () a fait un retour à Broadway avec un livret totalement révisé par David Henry Hwang.

Pour ceux qui ne connaissent pas l'œuvre, le synopsis de la version origninale de 1958 () mais aussi le synopsis de la version de 2002 avec une description des personnages en bas de cette page ()

A) Contexte créatif: une période difficile pour Rodgers et Hammerstein

A.1) Coup de mou

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«Pipe Dreamn» (1955)
Le seul vrai "flop" de
Rodgers et hammerstein

Depuis Carousel (), Rodgers et Hammerstein avaient une sorte de règle d’or non écrite: dès la première d’un de leur musical, ils se mettaient au travail sur le suivant. Ce ne fut pas le cas après Pipe Dream ()… Les raisons peuvent en être multiples:

  • la première est que leurs deux dernières œuvres ne furent pas des succès: Me and Juliet () (1953) fut une déception et Pipe Dream () (1955) un flop (bien sûr suivant les normes «Rodgers et Hammerstein»). C’est particulièrement difficile pour les Rois de Brodway qui après le «premier musical de tous les temps» Oklahoma! () (1943) avaient triomphé avec Carousel () (1945), South Pacific () (1949), The King and I () (1951). Sans oublier le film State Fair () (1945) et le succès d’estime Allegro () (1947)
  • ils avaient évidemment maintenant face à eux une vraie «concurrence» de qualité avec des œuvres comme: The Pajama Game () (1954), Damn Yankees () (1955), My Fair Lady () (1956), The Music Man () (1957) ou West Side Story () (1957)
  • le fait que Rodgers ait eu un cancer de la mâchoire durant les répétions de Pipe Dream () a certainement eu un effet direct sur la nécessité de se remettre immédiatement au travail sur l’œuvre suivante
  • et puis, ils ont été aussi occupés par le projet TV Cinderella () et le film South Pacific ()

Quoi qu’il en soit, au début de 1957, soit plus d’un an après la première de Pipe Dream () et six mois après sa fermeture, le duo n'avait aucun projet de musical en perspective pour la scène

A.2) Effondrement de Richard Rodgers

En fait, pour Richard Rodgers, le triomphe de Cinderella () – 109.974.750 téléspectateurs le 31 mars 1957 sur CBS – sonnait creux. Il s’est littéralement effondré. Mais dès novembre 1956, alors qu’il travaillait encore sur Cinderella (), son état se détériorait. Il avait écrit à Hammerstein:

«Apparemment, j’ai été piqué par un insecte ou j’ai mangé de la mauvaise nourriture et, d’une manière mystérieuse, mon système nerveux central a été affecté. Je ne peux pas garder mon équilibre, je marche de façon instable et je me heurte à des tas de choses. Je ne peux même pas signer correctement.»

Richard Rodgers


Rodgers a résisté aux conseils de son médecin de consulter un neurologue ou un autre spécialiste, espérant que les symptômes se résorberaient spontanément, ce qu’ils ont finalement fait.

Mais ce qui ne s’est pas résorbé, c’est la grave dépression qui le rongeait depuis des années et que les triomphes répétés des premières années du duo R&H avaient sans doute rendue supportable ou contournable. Mais la déception de Me and Juliet () et l’échec de Pipe Dream (), ont participé à faire tomber cette protection. Ou le succès prodigieux de leurs «rivals» Lerner et Loewe avec My Fair Lady (), le plus gros succès de Broadway en 1957.

Même sa fille Mary en vint à croire que la personnalité de son père avait subi un changement radical en vieillissant.

«J’ai l’impression très étrange que, au fil des ans, il est passé de quelqu’un qui avait une vie merveilleuse à quelqu’un qui avait une vie terrible»

Mary Rodgers, fille de Richard Rodgers

 

La fin de Lorenz Hart

Pour une personne, la première d’Oklahoma! () – spectacle auquel il avait refusé de participer – a dû vraiment paraître bizarre: Lorenz Hart, le partenaire traditionnel de Richard Rodgers depuis 1919. Assis dans une loge, il a acclamé le spectacle avec le reste des spectateurs. Il lui restait six mois à vivre…
Comme nous l'avons vu, il a alors accepté d’aider Rodgers à préparer un revival de A Connecticut Yankee () offrant à Vivienne Segal, son amie de longue date, une nouvelle chanson comique, To Keep My Love Alive. Mais pendant les répétitions, Hart buvait beaucoup. Il est arrivé totalement saoul pour l’ouverture de Broadway, devant être évacué par des gardes du corps. Après avoir passé la nuit sur le canapé de son frère, il a disparu. Quelques jours plus tard, on l’a trouvé assis sur le trottoir d’une rue, ivre, sans manteau et trempé jusqu’à la peau par une averse glaciale de novembre. La pneumonie a conduit à sa mort quelques jours plus tard. Selon une infirmière, les derniers mots de Hart furent: «What have I lived for?» (Pour quoi ai-je vécu?) Cela l’aurait-il réconforté de savoir que les gens continueraient de chanter et de célébrer ses chansons pour les générations à venir?

Rodgers avait en permanence une humeur sombre, clairement aggravée par les effets étouffants de l’alcool. Depuis le milieu des années ‘30, il avait lutté avec l’alcool passant alternativement de courtes périodes de sobriété à des longues périodes de déchéance alcoolique.

C’est terriblement étrange, car Richard Rodgers avait été terriblement affecté, à la limite du dégoût, par les beuveries de Lorenz Hart, son précédent collaborateur – 28 musicals et plus de 500 chansons de 1919 jusqu'à la mort de Hart en 1943. L’alcool avait terriblement affaibli leur collaboration. Et rappelons la fin terrible de Hart voir cadre ci-contre.

Par ailleurs, il est remarquable que la consommation excessive d’alcool de Rodgers ait si rarement affecté sa productivité. Cette efficacité professionnelle conservée a permis, avec le fait qu’il ne soit jamais ivre en public, de conserver secrète, de son vivant, sa terrible addiction à l’alcool. Et pourtant, il y a eu des indices. Au début de 1957, Moss Hart - même s'ils avaient le même nom de famille, ils n'avaient aucun lien familial avec Lorenz Hart - et sa femme dînent dans l’appartement des Rodgers et, après que Dorothy se soit couchée tôt, restent debout tard avec Rodgers écoutant une émission de musique à la radio. Hart a compté le nombre de Scotches et de sodas consommés après le dîner, et a finalement compté seize.

Par contre les effets indirects de sa consommation d’alcool – ce qu’il a appelé sa dépression «mystifiante» - ont profondément changé son comportement:

«J’ai commencé à dormir tard, à éviter les rendez-vous et à me retirer dans de longues périodes de silence. J’ai perdu tout intérêt pour mon travail et j’ai à peine parlé à Dorothy ou à mes enfants. Je me fichais tout simplement de faire quoi que ce soit ou de voir qui que ce soit.»

Richard Rodgers

 

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Hôpital psychiatrique Payne Whitney - New York

Ses proches ont évidemment remarqué les changements de comportement du compositeur. La fille cadette de Rodgers, Linda, se souvient que son père, de manière assez typique durant cette période, s’endormait durant les réunions de famille, sans doute aidé par les tranquillisants que ses médecins lui avaient prescrits.

Finalement, au cours de la semaine des fêtes du 4 juillet 1957 – la fête nationale aux États-Unis – à Rockmeadow, il était totalement absent. Lorsque sa famille lui a suggéré de se rendre à l’Hôpital psychiatrique Payne Whitney dans l’Upper East Side de Manhattan, Rodgers ne s’est pas opposé et il s’y est même engagé.

Linda s’est précipitée pour acheter un pyjama sans cordon à la ceinture, parce qu’ils avaient tous peur que son père soit suicidaire. Rodgers se souvient de cette période en ces mots:

«Je me suis volontairement séparé de ma famille, de mon travail, de la vie elle-même. (…) Ce fut une période extrêmement déroutante et effrayante de ma vie.»

Richard Rodgers

 

Au milieu des années '50, l’Hôpital psychiatrique Payne Whitney était surtout une retraite dorée pour les patients d’élite souffrant de maladies mentales. Le petit déjeuner était préparé sur commande, et les tables étaient dressées avec des couverts en argent et des serviettes en satin. Au fil des ans, des patients célèbres, de Robert Lowell à Marilyn Monroe, se sont fait soigner là-bas. Les rendez-vous de thérapie de la parole alternaient avec l’application de compresses chaudes apaisantes! Les acteurs répétaient et disaient leurs textes devant des miroirs … incassables. Les célèbres stars d’opéra chantaient des arias dans les douches. Rodgers lui-même jouait aux cartes, lisait, discutait avec d’autres patients et recevait régulièrement des visites de Dorothy et occasionnellement d’Hammerstein. Son séjour a duré trois mois selon ses propres dires — et peut-être un mois de plus.

«Après un exil volontaire de douze semaines, je suis retourné vers ma famille et mon travail comme si de rien n’était.»

Richard Rodgers

 

Les lettres que Rodgers a sauvées de ses amis sympathiques brossent peut-être un portrait plus complet de la profondeur de son désespoir. Son ancienne voisine Edna Ferber a écrit:

«Il n’y a jamais rien eu de tel dans l’histoire du théâtre, dans ce pays ou dans un autre pays. Votre opération réussie d’il y a deux ans, si merveilleusement surmontée, a été traitée par vous avec moins d’égard qu’elle aurait dû l’être... L’avantage de ce temps de loisir forcé est que le processus de pensée et de réajustement se déroule presque imperceptiblement. Vous vous connaîtrez mieux. Vous écrirez même une musique meilleure ou plus merveilleuse, si c’est possible.»

Edna Ferber (dramaturge et romancière américaine), ancienne voisine de Rodgers

 

Moss Hart, lui-même survivant d’une dépression invalidante trois ans auparavant, a écrit:

«Je pense que vous savez, Dick, que moi aussi, j’ai pu goûter à cette expérience effrayante et désagréable que vous avez vécue, et je sais à quel point cela peut être douloureux. Ça passe. Et même, il est parfois difficile de se rappeler cette douleur par après. Je n’aime pas dire cela, mais ce n’est pas toujours une pure malédiction: quand cette douleur disparaît, on goûte et on savoure chaque jour ensoleillé plus fortement.»

Moss Hart

 

L’analyse la plus astucieuse a peut-être été faite par l’écrivain Clifton Fadiman – aussi animateur de radio et de télévision – qui a envoyé une longue lettre manuscrite à Rodgers cet été-là:

«J’ai vécu quelques épisodes de ce que je pense être un cousin proche de vos problèmes. (…) Tu as dû remarquer que les dockers ne souffrent pas de dépression. Ils souffrent de découragement, de frustration ou d’incompréhension, mais pas de cette accumulation imprécise de sentiments négatifs parfois étrangement connus sous le nom de «dépression nerveuse». Le fait est que le problème suit souvent un triomphe, ou une succession de grands succès; ce qui semble paradoxal, n’est-ce pas?... Pour un homme de premier plan comme toi, c’est un moment très dangereux et crucial quand on ressent que l’on a fait ce que l’on voulait faire. Pour un homme de second plan qui satisfait ses ambitions, il est souvent satisfait de son succès, ou du moins sottement complaisant. »

Clifton Fadiman (écrivain)

 

Plus loin dans la lettre, Fadiman suggère que pour le génie, le défi est différent.

«C’est à ce moment-là, précisément quand il a tout, qu’il commence à se demander ce qu’il a. C’est-à-dire si le génie est quelqu’un à l’organisation mentale complexe.»

Clifton Fadiman (écrivain)

 

Rodgers de retour a écrit pour remercier Fadiman pour ses paroles encourageantes. Mais il est toujours resté étonnamment discret sur son traitement.

«L’hôpital a fait des choses incroyables pour moi, et je suis maintenant prêt à travailler et à reprendre le fil d’une vie très heureuse. Des choses que je n’avais jamais tout à fait comprises sont maintenant claires pour moi avec pour résultat que je m’en sortirai mieux et éviterai la possibilité de problèmes futurs.»

Richard Rodgers

 

Hélas, il ne le ferait pas – pas vraiment, en tout cas – et dans les années à venir, sa consommation d’alcool, sa dépression – e t toute une gamme d’autres maladies physiques qui en découleront – auront un impact croissant sur sa créativité.

Mais il pouvait recommencer à travailler avec Hammerstein.

Par contre, c’est cette hospitalisation de Rodgers qui explique qu’il a été majoritairement très absent lors de la production de la version cinématographique de South Pacific (), qui a commencé à l’été 1957.

A.2) Un roman de Chin Yang Lee

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Chin Yang Lee (1957)

Chin Yang Lee a fui la Chine déchirée par la guerre dans les années ‘40 et a émigré aux États-Unis, où il a suivi le programme d’écriture dramatique de l’Université de Yale, obtenant en 1947 un diplôme de Master of Fine Arts. Dans les années ‘50, il gagnait à peine sa vie en écrivant des nouvelles, en travaillant comme professeur de chinois ou comme traducteur et journaliste pour les journaux chinois de San Francisco. Il avait espéré se lancer dans l’écriture théâtrale, mais a plutôt écrit un roman sur Chinatown, The Flower Drum Song (initialement intitulé Grant Avenue).

Lee n’a pas réussi à vendre son roman, mais son agent l’a proposé à la maison d’édition Farrar, Straus and Cudahy qui l’a transmis à un de ses lecteurs, assez âgé, pour évaluation, comme le veut la procédure classique. Le lecteur a été retrouvé mort dans son lit, le manuscrit à côté de lui avec ces mots griffonnés dessus: «Lisez ceci». La maison d’édition l’a fait et a acheté le roman de Lee, l'a publié et le roman est devenu un best-seller en 1957.

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«The Flower Drum Song»
Roman de C.Y. Lee (1957)

Le roman de Lee s’intéresse à Wang Chi-Yang, un homme de 63 ans, qui a fui la Chine pour éviter les communistes. Ce réfugié aisé vit dans une maison à Chinatown avec ses deux fils. Sa belle-sœur, Mme Tang, qui suit des cours de citoyenneté, lui rend visite régulièrement et l’encourage à adopter les coutumes occidentales. Alors que ses fils et sa belle-sœur s’intègrent dans la culture américaine, Wang résiste obstinément à l’assimilation et ne prononce que deux mots d’anglais, «Yes» et «No». Wang souffre également d’une toux sévère, qu’il ne souhaite pas voir guérie, sentant que cela lui donne de l’autorité dans sa maison. Le fils aîné de Wang, Wang Ta, courtise Linda Tung, mais en apprenant qu’elle a beaucoup d’hommes dans sa vie, la laisse tomber; il apprend plus tard qu’elle est danseuse de boîte de nuit. L’amie de Linda, la couturière Helen Chao, qui a été incapable de trouver un homme malgré la pénurie de femmes libres à Chinatown, saoule Ta et le séduit. Au réveil dans son lit, il accepte une liaison, mais finit par l’abandonner, et elle se suicide.

Lassé de l’incapacité de son fils Ta à trouver une femme, Wang trouve pour son fils une «picture-bride», c’est-à-dire une future épouse provenant de son pays d'origine qu'un entremetteur a choisie en utilisant uniquement des photographies et des recommandations des deux familiales. C’était une pratique très courante au début du 20ème siècle auprès des travailleurs immigrés (principalement japonais et coréens) sur la côte ouest des États-Unis. Cependant, avant l’arrivée de la mariée, Ta rencontre une jeune femme, May Li, qui est récemment venue à San Francisco avec son père, lesquels survivent en chantant des chansons déprimantes accompagnés d’un «tambour à fleurs» (Flower Drum). Ta invite les deux dans la maison de Wang, avec l’approbation de son père, et lui et May Li tombent amoureux. Il jure de l’épouser après qu’elle soit faussement accusée par les domestiques de voler une horloge, bien que son père l’interdise. Wang lutte pour comprendre les conflits qui ont déchiré sa maison; son hostilité envers l’assimilation l’isole de sa famille. Finalement, suivant les conseils de son fils, Wang décide de ne pas aller chez l’herboriste pour chercher un remède contre sa toux, mais se dirige vers une clinique occidentale dirigée par des Chinois, symbolisant qu’il commence à accepter la culture américaine.

B) Genèse

B.1) Choisir un nouveau projet

Durant l’été 1957, comme nous l’avons vu, Hammerstein était à Hollywood pour le tournage du film South Pacific () et Rodgers séjournait à l’Hôpital psychiatrique Payne Whitney dans l’Upper East Side de Manhattan pour soigner sa «lourde dépression». Hammerstein a écrit une très belle lettre à son collègue, et ami, Richard Rodgers:

«J’ai passé en revue mes revenus personnels avec mon comptable. Ils doivent être similaires aux tiens. Ces revenus, même sans une grande compagnie théâtrale jouant pour nous, sont stupéfiants. Dieu sait que nous n’avons pas besoin d’argent!
Je me rappelle à moi-même et à toi que nous n’avons aucune pression temporelle – seulement notre désir permanent d’écrire quelque chose quand nous trouvons quelque chose que nous voulons écrire et de le produire quand nous le voulons!»

Lettre d'Oscar Hammerstein à Richard Rodgers

 

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Joseph A. Fields

Et leur projet suivant va naître d’une rencontre fortuite à la cafétéria de la Fox entre Hammerstein et son vieil ami Joseph Fields, l’aîné de la fratrie Fields. Comme son frère, Herbert Fields, et sa sœur, Dorothy Fields – qui avaient écrit en duo la majorité des livrets des œuvres de Rodgers & HartJoe Fields était un dramaturge chevronné, coauteur de succès à Broadway comme Gentlemen Prefer Blondes () (1949) et Wonderful Town () (1953).

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Tract de «Life with Father»
De Howard Lindsay & Russel Crouse
Empire Theatre - Broadway - 1939

Au moment de sa rencontre fortuite avec Hammerstein, il négociait pour acheter les droits d’adaptation à la scène de The Flower Drum Song, le roman à succès récemment publié par C. Y. Lee. Intrigué par le titre du roman, Hammerstein a demandé une copie du roman et a décidé qu'il avait du potentiel à la scène sous la forme d’un musical. Il l'a décrit comme une sorte de version chinoise de Life with Father (la pièce de théâtre de 1939 de Howard Lindsay et Russel Crouse qui s’est jouée 3.224 représentations sur 401 semaines pour devenir la pièce non musicale la plus ancienne à Broadway, un record qu'elle détient toujours). C’est une manière détournée d’affirmer le potentiel qu’il voyait à The Flower Drum Song.

Hammerstein a consulté Rodgers et ils ont choisi d'en faire leur prochain travail, qui serait écrit et produit en association avec Joe Fields. Hammerstein était prêt à collaborer avec Fields sur le livret, avec Fields agissant en tant que producteur associé. Ici aussi, c’était un vrai changement que d’accepter un producteur associé…

B.2) Digression: «Flower Drum»

À quoi fait référence cette notion de «Flower Drum»?

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Flower Drum Opera

  Flower Drum Opera  Le Huāgǔxì («Flower Drum Opera») est une forme d'opéra populaire originaire de la province de Hunan, en Chine, également joué dans les provinces de Hubei, Anhui et Guangdong. Il fait partie des formes régionales de l'Opéra chinois. On trouve déjà des traces de ce style d'opéra en 1695, sous la dynastie Qing.

La plupart des pièces de Huāgǔxì étaient à l'origine des Xiao Xi, de courtes pièces d'une heure ou moins. Ces pièces traitaient souvent de la vie rurale quotidienne. Avec la montée en puissance des artistes professionnels Huāgǔxì et des représentations dans la capitale Changsha, des pièces plus longues, Daxi, ont commencé à être jouées. Ces pièces traitaient de thèmes plus vastes de la satire sociale et de la lutte des classes. Comme d’autres formes d’opéra chinois, Huāgǔxì est mis en scène avec très peu d’accessoires.

Il est initialement joué, comme la majorité des styles d'opéras chinois par deux représentants, jouant le rôle d'un homme et d'une femme (tous deux joués par des hommes), une version plus tardive y ajouta un jeune homme, comme troisième rôle.

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Flower Drum

  L’instrument de musique «flower drum»  Un «flower drum» (tambour à fleurs) est un type de tambour à main chinois à double peau. Il est normalement peint en rouge sur les côtés et généralement plus petit que les tambours habituels, ce qui le rend plus facile à utiliser. Habituellement, une sangle de couleur rouge est utilisée par l'artiste. Il est battu avec des bâtons de bois comme les autres tambours chinois.

Il est amusant de mentionner que l'instrument qui porte le titre du musical Flower Drum Song () de Rodgers et Hammerstein, le «Flower Drum» n'apparait pas dans l'intrigue de la version originale de 1958. Par contre, dans le revival de 2002 ce manque a été comblé et Ta rachète le «Flower Drum» de Mei-Li qu'elle a du vendre pour des raisons financières...

B.3) Écriture

Transformer le roman de C.Y. Lee en musical allait nécessiter toutes les compétences de «compression» d'Hammerstein. Le musical a conservé le thème central de Lee – un thème qui traverse une grande partie de la littérature américaine du XXème siècle: le conflit entre les immigrants de l'Ancien Monde et leurs enfants dans le Nouveau Monde. Le livre de Lee mettait en évidence le patriarche de la famille, Wang Chi-Yang. Hammerstein et Fields ont déplacé le centre de leur histoire du père vers son fils Ta. Dans le roman, Ta est déchiré entre trois femmes:

  • May Li, une chinoise à l’ancienne
  • Linda Tung, une playgirl américanisée
  • Helen Chao, une amie sérieuse qui se languit de lui depuis longtemps et qui finit par se suicider quand il la rejette

Hammerstein et Fields ont également supprimé les éléments les plus sombres de l’œuvre de Lee, dont le suicide d'Helen Chao après son aventure désespérée avec Ta, et ils ont ajouté une intrigue secondaire avec un nouveau personnage, Sammy Fong, un propriétaire de boîte de nuit qui est le rival de Ta dans sa relation avec Linda Tung – qu’ils ont rebaptisée Linda Low.

David Lewis, dans son livre Flower Drum Songs: The Story Of Two Musicals, est très catégorique:

«M. Hammerstein et ses collègues n'étaient manifestement pas d'humeur à écrire un drame musical ou même de donner libre cours à une approche comique avec un contrepoint dramatique du genre de celui que Jud Fry avait donné à Oklahoma! ()... [Ils] ont emprunté la voie la plus sûre commercialement en suivant la recherche d'amour du fils aîné – le thème le plus populaire à l'époque auprès du public de Broadway. Le rôle d’Helen Chao, bien que diminué dans le musical, lui donne néanmoins certains de ses moments les plus sombres, et elle remplit à peu près le même objectif que Jud Fry: être, selon les mots de Hammerstein, «le violoncelle qui donne du corps à l'orchestration de l'histoire»

David Lewis, dans son livre «Flower Drum Songs: The Story Of Two Musicals»

 

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Miyoshi Umeki (Mei-Li)
«Flower Drum Song»
St. James Theatre - Broadway - 1958

Bien que cette nouvelle histoire soit moins aventureuse sur le plan artistique que les succès précédents de Rodgers et Hammerstein, elle était innovante, voire audacieuse dans son traitement des Américains d'origine asiatique, un groupe ethnique qui avait longtemps été durement caricaturé et marginalisé dans la culture américaine dominante. Rappelons que nous sommes à un peu plus de 10 ans de la fin de la seconde guerre mondiale où les États-Unis ont affronté le Japon.

May Li, la Chinoise à l’ancienne du roman, a été rebaptisée Mei-Li. Elle est la «picture-bride» que les riches parents de Sammy ont décidé de marier à leur fils. Mais Sammy adore Linda Low, danseuse dans son établissement. Son ami Wang Ta est invité à épouser Mei-Li, même s'il a promis d’épouser Linda. Nous sommes face à un triangle amoureux entre Mei-Li, Ta et Linda. En fin de compte, Ta se rend compte que c’est vraiment la douce et tendre Mei-Li qu’il aime, et Sammy et Linda finissent ensemble, aussi. C’était un fil assez mince pour une intrigue, un musical à l’ancienne sur deux couples et l’amour qui termine vainqueur! Personne ne meurt, personne ne met son âme à nu, et le temps – même dans le brouillard de San Francisco – est beau et ensoleillé.

C) Création

C.1) Casting

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«The Sound and the Fury»
Film - Twentieth-Century Fox - 1959

  Un metteur en scène  Rodgers, Hammerstein et Fields avaient dans un premier temps espéré engager Yul Brynner comme metteur en scène. Brynner était devenu célèbre grâce au succès du spectacle The King and I () (1951) des mêmes Rodgers et Hammerstein. À ce moment, il avait signé pour le tournage de The Sound and the Fury, dans lequel il avait un premier rôle. Et ils n'ont pas réussi à négocier sa libération de la Twentieth-Century Fox.

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Pat Suzuki (Linda Low), Gene Kelly (metteur en scène) et Miyoshi Umeki (Mei-Li) en répétition pour «Flower Drum Song» à Broadway (1958)

À sa place, ils ont embauché fin avril 1958 l'acteur et danseur Gene Kelly, qui n'avait jamais mis en scène un spectacle théâtral ou musical sur scène auparavant, un choix que Rodgers reconnaîtrait être «inattendu».

Des années plus tard, Gene Kelly lui-même se souviendra de ce travail:

«[Flower Drum Song] est une de ces choses que j’ai faites sans aucun vrai but si ce n’est: «Hey, c’est une bonne idée de travailler avec Richard Rodgers et Oscar Hammerstein et de raconter cette belle histoire au sujet d’une Chinoise.» Cela m’a semblé si beau, et une chance à saisir.»

Gene Kelly

 

Pour compléter l’équipe créative, Rodgers et Hammerstein ont embauché une jeune génération de talents dont:

  • Scénographe: Oliver Smith (40 ans), un scénographe expérimenté dont Rodgers et Hammerstein avaient admiré le travail sur le film Oklahoma! () (1955)
  • Chorégraphe: Carol Haney (34 ans), une jeune danseuse de Broadway ayant gagné un Tony Award pour de The Pajama Game (

  Des artistes chinois et autres  En avril 1958, Rodgers témoigne qu’une partie de la partition est terminée comme une grande partie du livret. Mais Rodgers souligne aussi que le travail le plus difficile concerne le casting. Les trois producteurs recherchaient des acteurs chinois, et si pas chinois au moins asiatiques, une idée qui était, à l'époque, considérée comme «très risquée». Dans les années ‘50, il y avait relativement peu d'acteurs américains d'origine asiatique. Rodgers avait une explication simple – et même simpliste – à la chose, à savoir que les Asiatiques évitaient d’être acteurs à cause de leur pudeur! En réalité, il était difficile d’être un acteur asiatique à partir du moment où il y avait très peu de rôles proposés aux acteurs asiatiques.

Analysons en détail ce casting :

  • Mei-Li: Joshua Logan – qui avait co-écrit le livret de South Pacific () et était le réalisateur de son adaptation au cinéma – a recommandé une jeune actrice japonaise séduisante, Miyoshi Umeki, qu'il avait découverte et engagée l'année précédente face à Marlon Brando dans le film Sayonara (pour lequel elle a remporté l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle). Rodgers a validé sa «voix légère, mais adéquate». Elle a été choisie pour incarner Mei-Li
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    Pat Suzuki (Linda Low)
    «Flower Drum Song» - Broadway - 1958
  • Linda Low: Pat Suzuki est une actrice née aux États-Unis, mais d’origine japonaise de deuxième génération. Elle avait été internée pendant la Seconde Guerre mondiale dans des camps d'internement américains. En 1955, elle a joué dans l’US-Tour de la pièce The Teahouse of the August Moon, qui avait triomphé à Broadway. Durant cette tournée, elle va donner des concerts dans des boîtes de nuit pour arrondir ses fins de mois. Elle va devenir une célébrité locale au Colony Club de Seattle en 1955, pendant trois ans et plus de 2.000 représentations consécutives. Ella a été repérée par Bing Crosby, grâce à qui elle a pu enregistrer un disque chez RCA Records. Elle est alors apparue dans des shows TV comme le The Ed Sullivan Show et le The Tonight Show. Rodgers, après l’avoir vue dans le The Tonight Show l’a appelée pour lui proposer le rôle de Linda Low. Elle a d'abord refusé le rôle, car elle pensait : «C’est trop gros pour moi». Elle gagnera le Theatre World Award pour son interprétation. Et elle chantera le tube du musical, I Enjoy Being a Girl, un numéro très sexy où Linda vante le pouvoir des femmes au «pays des opportunités». Après #MeToo, on peut vraiment dire que cette chanson est profondément sexiste
  • Wang San: le jeune frère de Ta a été joué par Patrick Adiarte (15 ans en 1958), un jeune garçon né aux Philippines. Rodgers et Hammerstein avaient considéré les jeunes artistes qui avaient joué dans The King and I () et sont tombés d’accord sur l'adolescent Patrick Adiarte qui avait joué au fil des années plusieurs jeunes princes en grandissant, avant de finir comme Prince héritier Chulalongkorn
  • Maître Wang Chi Yang: le père de Ta a été interprété par Keye Luke, un acteur sino-américain – il était lui né en Chine en 1904. Il était connu à l’époque pour avoir joué dans 9 films le rôle de Lee, le fils aîné du détective Charlie Chan
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France Nuyen et William Shatner
«The World of Suzie Wong»
© The New York Public Library Digital Collections

L'équipe de création a eu beaucoup de mal à trouver d’autres acteurs asiatiques pour les autres rôles principaux et les artistes de l’ensemble. Il faut dire que «par malchance» quatre autres spectacles avec des thèmes asiatiques se jouaient ou étaient en répétition à New York à ce moment-là faisant, eux aussi, appel à des artistes aisatiques :

  • Rashomon de Fay Kanin et Michael Kanin - Théâtre - Music Box Theatre - du 27 janv. au 13 juin 1959 - 159 représ.
  • The World of Suzie Wong de Paul Osborn - Théâtre - Broadhurst Theatre - du 14 oct. 1958 au 2 janv. 1960 - 508 représ.
  • À Majority of One de Leonard Spigelgass - Théâtre - Shubert Theatre - du 16 fév. 1959 au 25 juin 1960 - 556 représ.
  • une courte série de Kataki, avec le grand Sessue Hayakawa - Théâtre - Ambassador Theatre - du 9 au 25 avril 1959 - 20 représ.
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Ed Kenney (Wang Ta) et Pat Suzuki (Linda Low) - «Flower Drum Song» - 1959
© The New York Public Library Digital Collections

La demande pour les quelques acteurs asiatiques était forte.

Le metteur en scène Gene Kelly et la chorégraphe Carol Haney se sont rendus dans de nombreuses villes américaines pour découvrir des talents. Des agents ont été envoyés dans d'autres villes. À Honolulu, ils ont remarqué un chanteur de boîte de nuit, originaire d'Hawaï, Ed Kenney. Il jouera le rôle de Wang Ta.

Pendant ce temps, à New York, les trois producteurs visitaient des écoles de danse. Une annonce dans les journaux du quartier chinois de New York n’a reçu qu’une seule réponse! Aucune audition officielle n'a eu lieu dans le quartier chinois de San Francisco.

Le rôle de Sammy Fong s'est avéré très difficile à choisir. Initialement, il a été attribué à Larry Storch, un comique de boîte de nuit, mais lors des Try-Out à Boston, il a été remplacé par un autre Caucasien, Larry Blyden, qui était marié à Carol Haney, la chorégraphe du spectacle.

Le rôle de Madame Liang, la belle-sœur de Maître Wang, est revenu à Juanita Hall, une Afro-Américaine à la peau claire qui avait joué une femme tonkinoise, Bloody Mary, dans leur South Pacific ().

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Juanita Hall
- Photo de gauche: rôle de Madame Liang dans «Flower Drum Song» - Photo de droite: rôle de Bloody Mary dans «South Pacific» - Productions originales à Broadway
© The New York Public Library Digital Collections - https://digitalcollections.nypl.org/items/510d47df-4644-a3d9-e040-e00a18064a99

Rodgers écrira plus tard:

«Ce qui était important, c'était que les acteurs donnent l'illusion d'être chinois. Cela démontre l'une des choses les plus merveilleuses à propos du public du théâtre. Les gens veulent croire ce qu'ils voient sur scène, et ils seront d’accord avec tout ce qui est fait pour obtenir l'effet souhaité. Demandez-leur d'accepter qu’Ezio Pinza est Français [dans South Pacific ()], que Yul Brynner est Siamois et neuf dixièmes du chemin est déjà fait avant même le lever du rideau.»

Richard Rodgers

C.2) Répétitions

La période de préproduction a connu ses défis. En juillet 1958, Hammerstein a subi une opération de la vésicule biliaire puis l’ablation de sa prostate, ce qui a entraîné des complications urologiques douloureuses et l’a laissé hospitalisé et hors service pendant un mois. L’écriture du spectacle n’était pas encore finalisée.

Les répétitions ont commencé en septembre 1958, avec Hammerstein toujours en convalescence à la maison et Rodgers parfois si enclin à somnoler que l’équipe éteindrait plusieurs fois les lumières de la salle pour éviter l’indignité de voir le compositeur somnoler. La vérité brute est simple: les partenaires vieillissaient. avait 56 ans et Hammerstein, 63 ans.

À la mi-septembre, Rodgers a écrit à sa femme Dorothy, qui était en voyage en Europe:

«Oscar [Hammerstein] a encore ralenti, Joe [Fields] ne fait rien, Gene [Kelly] est trop attentif aux détails dans sa mise en scène, et je suis le seul à être irréprochable. N’es-tu pas fière?»

Richard Rodgers

 

En fait, Gene Kelly, longtemps habitué aux réalités de travail d’Hollywood, avait du mal à diriger pour la scène, et cela s’est vu. Jimmy Hammerstein se souviendra que Kelly semblait parfois confus et incertain. Hammerstein, comme à son habitude, intervenait souvent discrètement, donnant des conseils en coulisses. Gene Kelly a essayé de faire bonne figure et de motiver la distribution: «Pensez au plaisir que nous avons», a-t-il exhorté après une répétition tard dans la nuit.

Les rapports que Rodgers continuait à envoyer à Dorothy étaient souvent sombres, se plaignant qu’il composait très lentement. Il écrit fin septembre:

«Le spectacle est horriblement rude. Mais ce casting improvisé est plein de charme et de talent potentiel. Même le livret ne semble pas trop mauvais à ce stade.»

Richard Rodgers

 

Un certain nombre de changements ont été apportés aux chansons. My Best Love, une chanson pour Maître Wang, a d'abord été jugée mieux adaptée à sa belle-sœur, mais lorsque Juanita Hall n'a pas pu la chanter, la chanson a été entièrement supprimée. Rodgers et Hammerstein ont transformé une chanson intitulée She Is Beautiful en You Are Beautiful. L'équipe a décidé d'inclure une chanson pour Sammy Fong pour expliquer à Mei-Li qu'ils ne devraient pas se marier. En l'espace de quelques heures, ils ont écrit les paroles et la musique de Don't Marry Me.

Une fois toutes les chansons finalisées, Robert Russell Bennett, qui avait orchestré plusieurs des spectacles précédents les plus réussis des créateurs, a fait de même pour la partition de Flower Drum Song ().

C.3) Try-Out: Boston (octobre 1958)

Ayant décidé de ne pas présenter, comme c’était l’habitude, le spectacle à New Haven, le musical a ouvert le 27 octobre 1958 pour des Try-Out au Shubert Theatre de Boston en prévision d’une ouverture en décembre à Broadway. Mais la pression était là, car la vente anticipée avait maintenant dépassé le million de dollars à Broadway.

Le public de Boston a répondu avec enthousiasme, ce qui a poussé Rodgers à quitter son siège à plusieurs reprises et à courir vers l'arrière du théâtre, à la recherche de quelqu'un à serrer dans ses bras. Les critiques de Boston ont bien apprécié le travail, déclarant qu'une fois le spectacle peaufiné, il serait probablement un succès.

Peu de temps après l'ouverture de Boston, Joe Fields a souffert d'une crise cardiaque et, après sa sortie de l'hôpital, il a dû retourner à New York pour récupérer. L'auteur du roman, CY Lee, qui avait regardé tranquillement les répétitions, se souvient que, lors des représentations à Boston, Hammerstein demandait à une secrétaire de marquer sur le texte tout bruit de grincement des chaises, indiquant que le public était impatient. Hammerstein a réécrit une partie du livret pour élargir l'attention sur Ta aux relations amoureuses des deux couples.

L’interprétation de Larry Storch pour le rôle de Sammy Fong ne fonctionnait pas, et il a été renvoyé, pour être remplacé par Larry Blyden, le mari de Carol Haney et un vieil ami de Jimmy Hammerstein.

C.4) Création à Broadway : 1er décembre 1958

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«Flower Drum Song»
Broadway - St. James Theatre - 1959

Après les essais à Boston, Flower Drum Song () a débuté à Broadway au St. James Theatre le 1er décembre 1958. L'auteur du roman, C.Y. Lee était assis dans le public le soir de la Première; il a déclaré plus tard qu'il avait été nerveux et qu'il avait été «bouleversé» par la réaction positive du public.

La presse fut plus … mitigée :

  • Walter Kerr, dans le Herald Tribune, a qualifié le spectacle de «modeste et engageante feuille au sein d’un livre très complet»
  • Brooks Atkinson, du New York Times, a déclaré que «ce n’était pas une de leurs œuvres maîtresses», mais il a admis qu’il s’agissait «d’une parenthèse agréable avec des personnes très agréables»
  • Mais Kenneth Tynan, le nouveau critique du New Yorker, a livré ce qui a été la toute première raillerie d’un spectacle de Rodgers et Hammerstein: dans sa critique ayant pour titre «Petits esprits chinois», il a noté que Flower Drum Song () contenait «plus qu’un soupçon de pidgin» [«pidgin»: langue véhiculaire faite à base d'anglais et de langues d'Extrême-Orient] et il ne s’est pas arrêté là. Il considérait le spectacle comme «une sucrerie de Broadway périmée, enveloppée d’apparences chinoises factices»
  • En le comparant insidieusement à The World of Suzie Wong, un roman de Paul Osborn récemment adapté en pièce de théâtre à Brodway (triomphe: 508 représ.) parlant des relations d’un artiste britannique avec une prostituée chinoise à Hong Kong, Tynan a conclu que «Rodgers et Hammerstein nous ont donné ce que, si je faisais preuve de retenue, je m’abstiendrais de décrire comme un festival de chansons vaseuses

Et pourtant, le public a afflué vers le spectacle, la vente anticipée a permis de lancer les premiers mois. Mais même lorsque celle-ci fut épuisée, les ventes sont restées fortes et les représentations à guichets fermés étaient la norme. Les ventes du disque de l’«Original Broadway Cast» ont été similaires aux précédents succès de Rodgers et Hammerstein. On était en tous cas très loin des déceptions de Me and Juliet () et de Pipe Dream ()…

Le spectacle a reçu six nominations aux Tony Awards, n’en remportant qu’un seul :

  1. Best Musical (nominé)
  2. Best Performance by a Leading Actor in a Musical: Larry Blyden (nominé)
  3. Best Performance by a Leading Actress in a Musical: Miyoshi Umeki (nominée)
  4. Best Choreography: Carol Haney (nominée)
  5. Best Conductor and Musical Director: Salvatore Dell'Isola (gagné)
  6. Best Costume Design: Irene Sharaff (nominée)
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«Redhead» - Broadway - 1959

Flower Drum Song () a été éclipsé au Tony Awards cette année-là par Redhead (), qui, bien qu'il ait reçu des critiques légèrement meilleures que le spectacle de Rodgers et Hammerstein et ait eu une diffusion considérablement plus courte, a dominé les dans les catégories musicales.

La fréquentation a commencé à décliner au bout d’un an, en décembre 1959, même si elle a continué à dépasser le niveau de capacité de 70% dont une pièce de Broadway avait alors besoin pour faire face aux dépenses. À l'approche de l'été, une période généralement assez mauvaise pour la fréquentation, il fut décidé de fermer le spectacle et la dernière représentation à Broadway fut donnée le 7 mai 1960. Flower Drum Song () s’est donc joué du 1er décembre 1958 au 7 mai 1960, soit 600 représentations, une durée plus longue que n'importe lequel des spectacles avec lesquels il avait concouru pour les artistes asiatiques.

D) Autres Versions

D.1) Création à Londres: mars 1960

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«Flower Drum Song»
Palace Theatre
London - 1960

Alors qu’il se jouait encore à Broadway, le spectacle a ouvert au Palace Theatre de Londres le 24 mars 1960 où il a tenu l’affiche 464 représentations. C'était la première fois que Rodgers et Hammerstein ouvraient ensemble un spectacle au Palace Theatre, après avoir fait du Theatre Royal de Drury Lane leur destination habituelle pour les premières à Londres.

Moins d'artistes asiatiques sont apparus dans la version londonienne: la production du West End mettait en vedette Yau Shan Tung dans le rôle de Mei-Li, Kevin Scott dans le rôle de Ta, George Minami dans le rôle de Wang, Harriet Yamasaki ("Yama Saki") dans le rôle de Linda Low, Tim Herbert dans le rôle de Sammy Fong et Ida Shepley dans le rôle de Madame Liang.

La production a utilisé la chorégraphie de Haney, les orchestrations de Bennett et les décors et costumes de Broadway, mais a été dirigée et supervisée par Jerome Whyte.

La production et l'album du casting londonien ont été bien accueillis.

D.2) US Tour: mai 1960

Après la fermeture de la production de Broadway, un US-Tour débuta le 10 mai 1960 à Détroit. Quatre des acteurs principaux de Broadway, Juanita Hall (Madame Liang), Jack Soo (Frankie Alle), Ed Kenney (Wang Ta) et Keye Luke (Wang Chi-Yang), ont rejoint la tournée. À ce moment, la santé d’Hammerstein était très mauvaise, il est décédé le 23 août 1960. Aucun des trois producteurs n'a accompagné l’US-Tour.

Après trois semaines à Détroit, le spectacle a déménagé à Los Angeles, où la première a attiré un public de stars, dont trois princesses scandinaves. San Francisco a réservé au spectacle un accueil enthousiaste lors de sa première au Curran Theatre le 1er août. Lee et Fields, tous deux présents pour la première locale, ont été ovationnés. Geary Street, sur laquelle se trouve le théâtre, était décorée de lanternes chinoises et une fanfare de «musiciennes chinoises» jouait à l'extérieur. La tournée a continué avec succès, passant 21 semaines rien qu'à Chicago. L’US-Tour a fermé ses portes le 14 octobre 1961 à Cleveland, un mois avant la première du film.

D.3) Film: novembre 1961

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«Flower Drum Song»
Film
London - 1960

  Production  Commençons par un petit retour en arrière. Lorsque le roman The Flower Drum Song de C.Y. Lee est sorti en librairie en 1957, et est devenu un best-seller, certains producteurs de cinéma lui ont proposé de l’adapter au cinéma au même moment où Fields lui proposait d’en faire une adaptation théâtrale. Lee était déchiré entre l'offre de film – plus lucrative: 50.000$ – mais l'obligerait à renoncer à tous les droits, ou l'offre de scène de Joseph Fields, qui ne lui donnait que 3.000$, mais ne le forçait qu’à renoncer aux droits scéniques. Après s'être saoulé le soir de la décision, Lee ne se souvenait plus de l'offre qu'il avait choisie, mais son agent l'a félicité d'avoir fait le bon choix le lendemain matin. Il s'avère que Lee avait choisi l'offre de Fields, qui voulait initialement produire une pièce de théâtre avant que Rodgers et Hammerstein ne s’en mêlent pour en faire un musical.

L'adaptation cinématographique du musical Flower Drum Song () en 1961 a été produite par Universal Studios, une pause pour Rodgers et Hammerstein, qui avaient auparavant fait produire leurs films par la Twentieth Century Fox. Le scénario a été écrit par Joseph Fields, qui avait collaboré avec Hammerstein – maintenant décédé – sur le livret du musical, mais n'avait encore jamais écrit de film musical majeur.

Beaucoup de ceux qui connaissent la version cinématographique de Flower Drum Song () se demandent pourquoi la version scénique n'est pas plus fréquemment relancée. En fait, Joseph Fields a apporté des modifications significatives à l'intrigue et à la structure de la version originale pour la version cinématographique, au point que seule une fraction du dialogue original a été conservée. La version cinématographique est beaucoup moins condescendante envers la communauté américano-asiatique que son prédécesseur sur scène, car elle tente honnêtement et sincèrement d'explorer le choc culturel générationnel dans le quartier chinois de San Francisco au début des années 1960.

En adaptant le spectacle sur scène à l'écran, le librettiste Joseph Fields a amélioré le déroulement du scénario en juxtaposant le placement de plusieurs numéros musicaux dans le scénario. You Are Beautiful, qui a ouvert le spectacle sur scène en duo entre Wang Ta et Madame Liang, a été déplacé vers un moment plus culminant dans la seconde moitié du film où Wang Ta réalise qu'il aime Mei Li. The Other Generation et sa reprise, toutes deux à l'origine dans le deuxième acte du spectacle, ont été fusionnées en une seule chanson et placées plus tôt dans le film. Enfin, Don't Marry Me, également à l'origine dans l'acte I, a été transformée pour servir de numéro de onze heures à l'écran. Cette jonglerie avec l'ordre de passage des numéros musicaux a également été utilisée avec un effet similaire par le scénariste Ernest Lehman dans les versions cinématographiques de West Side Story () et The Sound of Music ().

L'aquarelliste de San Francisco, Dong Kingman, a peint la séquence d'ouverture, qui retrace le voyage de Mei Li depuis Hong Kong.

Le tournage principal a commencé le 20 mars 1961; le film a été en grande partie tourné au Studio 12 (démoli en 2020) des Universal Studios, dans un décor de 4.770 m², construit pour reproduire Chinatown, y compris les scènes d'ouverture de Saint Mary's Square avec une réplique de la statue en acier de Sun Yat-Sen sculpté par Beniamino Bufano, d’un coût de 310.000$. Donc, même si le film se déroule à San Francisco, en Californie, seules quelques scènes ont été tournées sur place, notamment une scène avec Linda Low (Kwan) et Wang Ta (Shigeta) dans une voiture décapotable blanche dans le quartier Twin Peaks de San Francisco surplombant le ville. Des doublures les ont remplacés tous les deux pour les longs plans de la voiture arrivant et quittant Twin Peaks. Les gros plans de Kwan et Shigeta dans la voiture étaient des plans filmés aux studios Universal, à Hollywood, avec la vue panoramique de Twin Peaks projetée sur un écran derrière eux.

En 2008, Flower Drum Song ()a été sélectionné pour être conservé dans le National Film Registry des États-Unis par la Bibliothèque du Congrès comme étant «culturellement, historiquement ou esthétiquement significatif».

  Casting  Le film a été le premier à présenter un casting presque entièrement composé d'Américains d'origine asiatique, y compris les danseurs, bien que trois des chanteurs utilisés pour le doublage n'étaient pas asiatiques.

  Réception  Flower Drum Song () a eu sa première à New York au Radio City Music Hall le 9 novembre 1961. Une projection privée a eu lieu pour le Président John F. Kennedy et sa famille au Kennedy Compound à Hyannis Port le 24 novembre.

À ce jour, on ne sait toujours pas si le film Flower Drum Song () a atteint le seuil de rentabilité, a perdu de l'argent ou a rapporté un petit bénéfice au producteur Ross Hunter.

Certains Américains d'origine asiatique ont trouvé le film offensant au cours des dernières années en raison de stéréotypes courants et de ce qui a été considéré comme une erreur de casting des acteurs américains d'origine japonaise Shigeta et Umeki dans des rôles sino-américains.

«Flower Drum Song» - Film - 1961 (VO)

E) Nouvelle version de 2002

E.1) Développement

En 1996, alors qu'il assistait à une représentation du beau revival de The King and I () au Neil Simon Theatre à Broadway, le dramaturge sino-américain David Henry Hwang s'est demandé si d'autres spectacles de Rodgers et Hammerstein pourraient être relancés et a décidé de travailler sur Flower Drum Song (). Pour les Américains d'origine chinoise, le musical représentait souvent une incarnation du «politiquement incorrect». Mais Hwang avait un faible pour la version cinématographique de 1961:

«C'était une sorte de plaisir coupable... et l'un des seuls grands films hollywoodiens où l'on pouvait voir un grand nombre de très bons acteurs asiatiques à l'écran, chantant, dansant et faisant des blagues»

David Henry Hwang

 

Ted Chapin, président de la Rodgers & Hammerstein Organization, a annoncé qu'un "dramaturge asiatique" anonyme l'avait approché pour réviser Flower Drum Song (). Chapin a qualifié le musical d’«histoire naïve, démodée et antiféministe avec une musique vraiment géniale ... C'est une histoire qui... a besoin de changements». Le testament de Rodgers exhortait ses héritiers à faire ce qu'ils pensaient qu'il aurait accepté (les instructions de Hammerstein sont inconnues), mais de son vivant, sa veuve Dorothy avait refusé d'accepter des changements majeurs dans les pièces. L'implication de Hwang fut rapidement révélée et en 1997, C.Y. Lee annonça que la réécriture avait son approbation.

Hwang a reçu carte blanche en ce qui concerne les dialogues; il n'était pas autorisé à changer les paroles des chansons. Hwang n'avait aucune expérience dans l'écriture de musicals et les producteurs ont embauché le vétéran Robert Longbottom pour mettre en scène cette future production et collaborer sur le nouveau scénario, «en réalité un nouveau musical avec une partition préexistante». Seuls les noms des personnages, le décor du quartier chinois de San Francisco et certaines relations ont été conservés, mais le duo Hwang/Longbottom a cherché à être fidèle à la fois à l'esprit du roman de Lee et au concept original du musical montrant l'Ancien Monde et les générations plus âgées luttant avec les tentations du Nouveau Monde et les désirs de la jeune génération. Ce concept se reflète dans la lutte pour la survie de la compagnie d'opéra chinoise de Wang que concurrence la boîte de nuit plus moderne et américanisée dirigée par Ta.

Le rôle de Mei-Li a été élargi: elle est maintenant une réfugiée chinoise dont le père a été exécuté par les communistes, mais bien qu’au début du spectacle elle soit aux États-Unis depuis ce qui doit être à peine une dizaine de minutes, elle semble déjà en bonne voie pour devenir une «New Woman», une femme moderne affirmée. En fait, Hwang a rajouté trop de bagages à l’histoire enjouée de 1958, avec ses personnages familiers de «musical à l’ancienne» et ses vieilles chansons jaunies de Broadway. Cette œuvre ne pouvait pas confortablement supporter le poids de ces nombreux commentaires sociaux et de tous ces personnages – comme le soulignera Brantley, le critique du New York Times – qui ont pour but premier de fournir des rôles asiatiques positifs. Brantley indiquera que le discours de Mei-Li est «aussi clair et assuré que celui d’une présentatrice de télévision» et elle semble «auditionner pour la nouvelle équipe améliorée des Charlie’s Angels [la série américaine «Drôles de dames»]». En débarrassant la Mei-Li de Rodgers et Hammerstein «de sa passivité et de son caractère pittoresque», Hwang ne lui a donné aucun «signe d’une personnalité qui lui soit propre ».

La chanson A Hundred Million Miracles (chantée par Mei-Li, Dr. Li, Wang Chi-Yang, Madam Rita Liang et Liu Ma), qui est la première grande chanson du spectacle, contient peut-être les paroles les plus déterminantes de Hammerstein de tout le spectacle. Tout au long de sa carrière, comme dans cette chanson, il a observé et exprimé la beauté de la nature, de l’humanité et de la musique elle-même. Ce sentiment sincère qui aurait pu paraître faux venant d'un autre auteur – «Cent millions de miracles se produisent chaque jour» - était non seulement juste pour Hammerstein et les personnages de Flower Drum Song (), mais était en quelque sorte parfait. Cette chanson est devenue dans la nouvelle version une chanson pour les réfugiés qui fuient la Chine de Mao. Brantley a dit que la chanson autrefois «douce» était maintenant présentée avec «une tristesse surprenante». De plus, l’exquis I Am Going to Like It Here avait dans le nouveau scénario une «reprise ironique» qui, toujours selon Brantley, était un «moment sombre» pour «les travailleurs chinois opprimés dans une usine de cookies».

Et comme pour s’excuser, deux chansons ont maintenant été interprétées non pas comme des chansons intégrées dans l’histoire développée dans le livret, mais comme des numéros dans la boîte de nuit:

  1. Chop Suey (comme The Other Generation) donnait des points de vue différents sur l’assimilation et les différences culturelles
  2. I Enjoy Being a Girl, la chanson de Linda dans laquelle elle se complaît dans sa féminité

Si Hwang était si déterminé à présenter un livret politiquement correct qui bannissait les stéréotypes, pourquoi a-t-il créé le nouveau rôle de Harvard, un costumier de boîte de nuit, gay, que Charles Isherwood dans Variety a décrit comme une «flaming queen» et un «faible stéréotype»? N'est-ce pas passer d'un stéréotype à une autre? Brantley (New York Times) a dit que le personnage efféminé n’était qu’«un moment d’humour pastel» qui rappelle certaines sitcoms TV de l’époque. Dur, dur! De plus, à quoi sert de faire s’exprimer les personnages asiatiques à propos des Américains en termes offensants comme «white devils» (diables blancs), «white demons» (démons blancs) et «caucasian boys» (hommes caucasiens)?

Pour Isherwood (Variety), la tentative de Hwang de «restaurer l’arôme naturel d’un bouquet» de chansons de Rodgers et Hammerstein a fini par être «quelque chose qui ressemblait plus à déodorant», et Brantley a laissé entendre que le revival souffrait d’une «crise d’identité». Certains sont moins durs comme Richard Zoglin dans Time qui a écrit que le revival était «une œuvre de bravoure et d’intelligence et une foi réelle dans les possibilités du théâtre musical», et John Lahr dans le New Yorker a dit que Hwang «élimine les stéréotypes» et a mis un «nouveau châssis sur un vieux moteur».

Une curiosité entourant la production originale de Flower Drum Song () est que malgré la proéminence de Mei-Li en tant que personnage principal, elle n’a pratiquement rien à chanter après le milieu du premier acte. Hwang a heureusement corrigé cela en s’assurant qu’elle aurait six autres chansons (y compris des reprises), dont Love, Look Away (qui était initialement une chanson pour Helen, le personnage mineur qui a d’ailleurs été supprimé dans ce revival) et You Are Beautiful (qui était à l’origine un duo pour Wang Ta et Madame Liang et était maintenant un duo pour Wang Ta et Mei-Li).

Le personnage de Madame Liang a été changé d’une «tante sage» à une «femme d’affaires avisée» dans le show business. Chinatown est dépeint comme un endroit plus difficile pour les nouveaux immigrants, et la poursuite de la réussite matérielle prend un visage plus cynique, en particulier dans l'acte II.

Le revival a coupé The Other Generation et a également laissé tomber le grand numéro de danse du deuxième acte (intitulé Ballet). Le revival a ajouté une chanson (My Best Love) qui avait été coupée pendant le Try-Out de 1958. Pendant le Try-Out de l’automne 2001 du revival à Los Angeles, la chanson The Next Time It Happens (pour Mei-Li) a été rajoutée dans la partition, mais a été abandonnée avant Broadway. Cette chanson avait été entendue à l’origine dans le musical Pipe Dream () de 1955 de Rodgers et Hammerstein.

Selon le New York Times, Hwang «a remodelé l'histoire pour élucider deux de ses propres intérêts thématiques: l'idée du théâtre comme prisme de la société et les conflits générationnels d'immigrants diversement assimilés».

E.2) Création

  Workshops  En septembre 2000, après le développement d’une série de workshops, la nouvelle version a été présentée lors de deux workshops spécifiques pour les bailleurs de fonds potentiels qui ont été très fréquentés. Mais le spectacle n’a pas réussi à réunir suffisamment d’argent pour envisager une ouverture directe à Broadway, mais Hwang espérait qu’une série prolongée à Los Angeles conduirait à lever des fonds supplémentaires.

  Los Angeles  Le revival était initialement prévu pour l’Ahmanson Theatre (2.000 places) à Los Angeles, mais pour économiser de l’argent, le spectacle a été déplacé au Mark Taper Forum de 739 places à proximité. Le producteur Gordon Davidson a engagé un casting entièrement asiatique, dont la star de Broadway Lea Salonga dans le rôle de Mei-Li. Quand le spectacle a ouvert le 14 octobre 2001, la production a reçu des critiques élogieuses de la presse de Los Angeles. Le spectacle était régulièrement complet et était si populaire qu’il est devenu le premier spectacle au Mark Taper Forum à prolonger sa durée prévue. Il a finalement fermé le 13 janvier 2002.

Michael Phillips du Los Angeles Times a qualifié le spectacle de «révision totale et fier de l’être … à mille lieues d’un mégamusical – pas de faux hélicoptères ici [faisant référence à Miss Saigon, où l’influence asiatique est aussi très importante], pas de ballades puissantes assez sucrées pour arrêter le communisme dans ses traces». The Hollywood Reporter pensait que cette recréation était, «bien qu'elle ne soit pas parfaite, une réalisation exaltante». Variety l’a appelé «une opération théâtrale audacieuse, un succès artistique».

  Broadway  Le succès de la série de Los Angeles a suscité suffisamment d’investissement pour permettre de déplacer le spectacle à Broadway. La moitié des acteurs ont été licenciés après la série de Los Angeles pour des raisons non déclarées. Mary Rodgers a plus tard commenté que Randall Duk Kim a remplacé Tzi Ma dans le rôle de Wang parce qu’elle avait admiré la performance de Kim en tant que Kralahome dans le revival de 1996 de The King and I (), mais Kim était indisponible pour la série de Los Angeles. Hwang a aussi considérablement modifié et coupé son long scénario pendant les répétitions et les previews de Broadway. Comme nous l’avons déjà signalé, The Next Time It Happens a été retirée du spectacle.

Le revival comprenait Alvin Ing dans le rôle de Chin qui avait interprété le rôle de Wang Ta dans l’US-Tour original du musical (22 villes pendant 17 mois en 1960 et 1961). Pour ce revival, il a chanté My Best Love, qui avait été joué à l’origine par Keye Luke (dans le rôle de Wang Chi Yang) avant que la chanson soit coupée pendant les previews de Broadway.

Lors de la première au Virginia Theatre, le 17 octobre 2002, de nombreux vétérans du film et de la production de 1958 étaient présents. Bien que les applaudissements du public furent chaleureux, les critiques ont été très … critiques. Durant le premier mois, la prévente a permis de jouer devant des salles pleines, mais la fréquentation a ensuite chuté rapidement. Les producteurs espéraient que le spectacle pourrait tenir assez longtemps pour obtenir un coup de pouce des Tony Awards (bien que nominé pour trois Tony Awards, y compris le meilleur livret, il n’en a remporté aucun), mais en février, ils ont annoncé que le spectacle fermerait le 16 mars 2003, après 25 previews et 169 représentations. Les investisseurs ont perdu toute leur participation.

La production a été mise en scène et chorégraphiée par Robert Longbottom, avec des scénographies de Robin Wagner, des costumes de Gregg Barnes et des lumières de Natasha Katz. La critique Karen Wada, dans sa postface au scénario publié, a blâmé «l’économie léthargique, la nervosité après le 11 septembre, la critique mitigée du New York Times et le temps hivernal anormalement vif» pour expliquer la courte durée de la série. C.Y. Lee a également estimé que l’influente revue du New York Times avait nui à l’acceptation du spectacle, mais a commenté que Hwang a ajouté un dialogue à l’acte II après la série de Los Angeles qui, selon Lee, ralentissait le spectacle. La fermeture à Broadway a été suivie d’un US-Tour qui a recueilli des critiques mitigées, bien que Hwang ait déclaré que le spectacle a été bien accueilli dans toutes les villes sauf New York.

En fait, les critiques de la production de New York ont été majoritairement été négatives. Ben Brantley du New York Times a applaudi les «intentions honorables» de l’équipe créative en ramenant une œuvre [celle de Rodgers et Hammerstein] considérée comme «en phase terminale dépassée», mais a estimé que le nouveau personnage de Mei-Li et le spectacle en général manquaient de personnalité. Howard Kissel du New York Daily News l’a qualifié de «revival divertissant, quoique vulgaire», et Clive Barnes du New York Post ne l’a pas trouvé plus mémorable que la version précédente. La critique de Talkin' Broadway est cinglante, critiquant l’utilisation par Hwang des chansons et des personnages, et les orchestrations, et commentant: «Le livret de Hwang manque beaucoup du charme, de la chaleur et de l’esprit de l’original, et ne prend jamais la grande route où la route basse peut suffire... Hwang a estimé qu’il était nécessaire de réduire l’histoire originale et particulièrement colorée en un simple spectacle avec un triangle amoureux et des blagues boiteuses.» Mentionnons aussi la «tiède» critique de Michael Kuchwara pour Associated Press: «Et puis il y a le confident gay de Linda Low, Harvard. Parlez de stéréotypes. Si vous voulez en perpétuer un, donnez-lui au moins de meilleures blagues.» D’un autre côté, le magazine USA Today et le magazine Time ont publié des critiques positives. L’analyse de CurtainUp était pour la plupart positive et soulignait que Hwang et Longbottom «étaient capables de garder des chansons comme Chop Suey et d’en magnifier son plaisir razzle-dazzle, mais tout en utilisant ses stéréotypes méprisants comme tremplin pour satiriser les attitudes envers les AsiatiquesBrantley était en désaccord, écrivant : «Parce que le point de vue satirique de cette version est si confus, il n’y a pas de verve dans de telles chansons, pas de joie dans leur exécution

En guise de conclusion, citons David Lewis qui a comparé le livret de 1958 et celui de 2002:

«L’histoire ne disparaît jamais complètement. Il est également peu probable que les champions de Hwang disparaissent, même dans une défaite rhétorique. Mais Rodgers, Hammerstein et Fields ont exploité le roman de CY Lee pour exprimer le conflit générationnel et décrire trois femmes qui ont défendent leur honorable recherche de l'amour de Ta. Ces thèmes, qu’on le veuille ou non, résonnent encore aujourd’hui.»

«Flower Drum Songs: The Story of Two Musical» - David Lewis - 2006

F) Commentaires

F.1) «Flower Drum Song» et la notion d’immigration illégale. Méandres…

Peu de fans de Rodgers et Hammerstein, même les plus purs et durs, qualifieraient Flower Drum Song () d'égal à South Pacific (), The King and I () ou Carousel (). Sans parler d’Oklahoma! () ou de The Sound of Music (). Flower Drum Song () souffre d’une gentillesse typique de la vision de Chinatown à cette époque. Ses personnages sont plats et dans la version filmée, le quartier chinois a manifestement construit en studio. Pourtant, le musical met en valeur les intérêts de longue date de Rodgers et Hammerstein pour les questions de justice sociale et raciale, en particulier en ce qui concerne les liens entre les États-Unis et l'Asie. Flower Drum Song () a été le premier musical et l'un des premiers films sur les Américains d'origine asiatique, mettant en vedette des Américains d'origine asiatique.

A la fin des années '50, l’intérêt du public pour les sujets asiatiques a heureusement coïncidé avec la volonté de personnalités puissantes de l’industrie du cinéma de s’opposer à la tendance précédente de faire jouer des personnages asiatiques par des acteurs blancs grimés, ce que l’on appelle aujourd’hui le «whitewashing», terme qui a remplacé l’expression «yellowface». C’est assez similaire avec la problématique des «blackface ». Comme nous l’avons vu, Flower Drum Song () était l'un des cinq spectacles (Flower Drum Song (), Rashomon, The World of Suzie Wong, A Majority of One, Kataki) avec des thèmes asiatiques joués à Broadway en 1959. Ces cinq spectacles malgré le casting partiel d'acteurs blancs au visage jaune (du «yellowface») ont offert de magnifiques opportunités d'acteur aux acteurs asiatiques et américano-asiatiques jamais égalées depuis.

La détermination de Gene Kelly, qui a mis en scène Flower Drum Song () à Broadway en 1958, à recruter des acteurs asiatiques l'a conduit dans les boîtes de nuit de Chinatown, guidé par CY Lee, l'auteur du roman source The Flower Drum Song. Là, il a rencontré l'acteur comique Jack Soo (rôles de Frankie Wing puis Sammy Fong), dont les débuts dans Flower Drum Song () ont conduit à une solide carrière grand public. Mais on peut bien sûr aussi citer Miyoshi Umeki (actrice japonaise dans le rôle de Mei-Li), Pat Suzuki (actrice née aux États-Unis, mais d’origine japonaise de deuxième génération dans le rôle de Linda Low), Keye Luke (acteur sino-américain, né en Chine en 1904, dans le rôle de Maître Wang Chi Yang), …

L'exemple notable de «yellowface» a été le casting de l'actrice afro-américaine Juanita Hall (célèbre pour avoir créé le rôle de Bloody Mary dans South Pacific (), et donc habituée à un casting interracial) dans le rôle de Madame Liang, une tante harcelante qui, à juste titre, chante un grand hymne à diversité appelée Chop Suey.

À l’origine de ce casting progressiste, qui reflétait une nouvelle prise de conscience de l’Asie et des minorités asiatiques aux États-Unis, se trouvait la question très controversée de l’immigration chinoise illégale. Aujourd’hui, les inquiétudes liées à la politique d’immigration aux États-Unis se concentrent principalement sur l’immigration latino-américaine et, plus récemment, sur les réfugiés du Moyen-Orient. Mais, comme nous l’avons vu en parlant du Maccarthysme, durant les années ’50, ce qui dérange et fait peur, c’est le communisme. L’infiltration communiste chinoise était l’un des problèmes d’immigration les plus médiatisés au début de la Guerre froide. À la fin des années ‘50, l’immigration chinoise était soumise à une surveillance étroite. Seuls les parents immédiats des hommes d'affaires déjà présents aux États-Unis sont acceptés. Des tests de paternités sont effectués!

Chinese Confession Program

Depuis 1882, l’immigration des Chinois est illégale aux États-Unis. Ce qui fait qu’il n’y a pu y avoir pendant de nombreuses années qu’une immigration chinoise illégale. En fait, de nombreux Américains d’origine chinoise rentaient – ou le prétendaient – rentre chez eux en Chine pour rendre visite à leur famille et ramener des Chinois plus jeunes, prétendant être leurs parents. Cette pratique s'appelait «Paper Sons» (les «fils de papier»).
En 1956, le Service d'immigration et de naturalisation a institué le Chinese Confession Program (programme de confession chinoise) qui offrait aux illégaux chinois l'espoir de citoyenneté et d'amnistie à condition d’avouer leurs statuts de sans-papiers et la méthode utilisée pour leur immigration. Celui qui se «confessait» devait rendre son passeport et se prêter à une éventuelle expulsion. Mais les «confessés» devaient surtout fournir des détails complets sur leurs familles de sang ainsi que sur leurs familles papier (personnes avec lesquelles ils prétendaient avoir une fausse relation afin de faciliter l'immigration clandestine). Cela signifiait qu'un seul «confessés» pouvait impliquer un grand nombre d'autres personnes, et donc augmenter le risque d'expulsion pour toutes ces autres.
Le programme a abouti à 13.895 aveux, dont environ 10.000 dans la région de San Francisco (où était concentrée la majeure partie de la population chinoise entrée illégalement). C'était bien inférieur au nombre de personnes soupçonnées d'être entrées illégalement. Cet échec du programme a été attribué au manque de confiance de la population chinoise dans les agences américaines de contrôle de l'immigration et au risque d'expulsion encouru par le «confessé» ainsi que par sa famille (de sang et de papier).
Le Chinese Confession Program a pris fin en 1966.

Après la guerre civile de 1945-1949, perdue par les nationalistes (Tchang Kaï-Chek) et gagnées par les communistes (Mao), se crée la communiste République populaire de Chine. À partir de ce moment-là, tous les immigrants chinois étaient considérés par les autorités américaines comme des infiltrés communistes potentiels. Le Chinese Confession Program (voir ci-contre) a tenté de lutter très fermement contre l’immigration chinoise de 1956 à 1966.

Le livret de Flower Drum Song () parle de cette immigration illégale: Mei-Li en est l’exemple le plus flagrant. Mais le musical de Rodgers et Hammerstein n’est pas un brûlot politique et présente plutôt la vie pittoresque du quartier chinois.

Comme nous l’avons vu, Hammerstein et Joseph Fields ont adapté et considérablement modifié le roman The Flower Drum Song de C.W. Lee de 1957 () sur les Wang, une famille du quartier chinois de San Francisco. Le roman se concentre principalement sur un père chinois, totalement traditionnel, qui évite la modernité et la médecine occidentale, et sur son fils aîné Wang Ta, qui est poursuivi par Linda, qui ne lui convient pas, mais qui finit par tomber amoureux d'une petite chanteuse de tambour de fleurs.

Le livret du musical (Hammerstein et Fields) a transformé la chanteuse Mei-Li en une modeste héroïne traditionnelle et a accru la tension dramatique et comique en utilisant deux couples d’amoureux: Mei-Li et Wang Ta, le couple traditionnel chinois, et Sammy et Linda, le couple entièrement américain. Mei-Li et son père immigrent illégalement aux États-Unis afin de retrouver Sammy, car Mei-Li est la «picture bride» de Sammy, sa fiancée arrangée à distance. Après plusieurs rebondissements, on débouche sur une fin heureuse qui associe correctement les quatre protagonistes. L’entrée illégale de Mei-Li aux États-Unis n'apparaît nulle part dans le roman original. Il s’agit d’une invention du musical. Et cet acte «illégal» (le mot est utilisé dans le film) est adouci et même excusé. Le public prend fait et cause pour Mei-Li et est heureux quand elle épouse Ta. Mais c’est sans doute là qu’aujourd’hui nous pouvons avoir des regrets: le musical parle de l’immigration illégale des Chinois aux États-Unis, mais se borne à l’effleurer au travers de l’histoire d’amour de deux adolescents, sans jamais examiner ses causes profondes.

Les différents brouillons du livret de Flower Drum Song () montrent les révisions constantes au cours de la période de Try-Out à Boston, au cours de laquelle Hammerstein et xHammerstein n'ont pas su trouver la solution adéquate aux problèmes qu'ils avaient créés en rajoutant cette notion d’immigration illégale dans le scénario. Le musical a un ton assez éclatant qui ne permet pas de donner sens à la problématique de l'illégalité. Cette encore plus vrai dans la version cinématographique de 1961, où l’arrivée illégale de Mei-Li à San Francisco est une scène comique! Cachée dans l’une des caisses sur un bateau à destination de San Francisco, Mei-Li va pousser un grand cri quand sa caisse glisse sur une passerelle lors du débarquement. Les dockers chinois déconcertés pensent que ce bruit bizarre est dû à leurs propres problèmes d'estomac. On oublie alors le fait que Mei-Li est une clandestine, en pleine illégalité, pendant toute la durée de l'intrigue jusqu'au mariage, lorsque le statut d'immigrée de Mei-Li permet son mariage avec Ta plutôt qu’avec Sammy. Dans son aspect général, l’immigration de Mei-Li est donc présentée comme positive; les Li sont des ajouts merveilleux et vertueux à la société américaine, quelle que soit la légalité de leur immigration.

Les premières notes dans les archives d’Hammerstein montrent qu'il avait d'abord dépeint les Li comme des réfugiés ayant fui avec difficulté de la Chine communiste. Cependant, toutes les références au communisme ont finalement été supprimées du musical. Le changement est fondamental. Plutôt que de dépeindre des réfugiés politiques – qui pourraient être accueillis positivement dans la société en valorisant leur combat anti-communiste ou en vantant leur aspiration à vivre dans le «pays de la liberté» – le musical montre une forme idéalisée et acceptable d'immigration illégale motivée par des aventures amoureuses. Il s’agit donc d’une caractérisation sentimentale de l'immigration très loin des motivations politiques, des contraintes économiques ou des exils des régions en guerre.

Opération Wetback

«Wetback» est un terme péjoratif utilisé aux États-Unis pour désigner les ressortissants étrangers résidant aux États-Unis, le plus souvent les Mexicains. Le mot cible principalement les immigrés illégaux. Généralement utilisé comme une insulte, le terme a été inventé à l'origine et appliqué uniquement aux Mexicains qui sont entrés au Texas depuis le Mexique en traversant le Rio Grande, qui est la frontière américaine, à la nage ou en traversant à gué. Ils terminaient donc le «dos mouillé», «wetback» en anglais.
La première utilisation du terme «wetback» dans le New York Times est datée du 20 juin 1920. Elle sera utilisée tout à fait officiellement par le gouvernement américain, notamment par Dwight D. Eisenhower en 1954, avec son «Operation Wetback», un projet organisant l’expulsion massive des immigrants mexicains illégaux, un programme similaire au Chinese Confession Program.

Au lieu de centrer leur propos sur l’immigration, Hammerstein et Fields ont préféré opter de parler de famille d’origines différentes et de leur américanisation. Mei-Li apprend le terme «wetback» (voir ci-contre) en regardant la télévision mettant en vedette un personnage féminin (vraisemblablement mexicain). Elle va utiliser cette notion avec brio pour empêcher son mariage avec Sammy. Mais comme souvent dans Flower Drum Song (), on va rajouter un peu d’humour. Mei-Li chinoisifie le terme «wetback» dans son charmant anglais approximatif en disant plutôt que «son dos est mouillé». La mère de Sammy, qui parle couramment anglais, comprend et est horrifiée. Elle s'exclame: «Mon fils ne peut pas épouser une Wetback!» induisant de manière détournée l’impression que le reste de la communauté de Chinatown se trouve dans une situation légale.

L’Opération Wetback (voir ci-contre) a expulsé des millions de Mexicains, souvent brutalement, créant un cercle vicieux dans lequel les travailleurs importés via le programme fédéral Bracero pour fournir une main-d’œuvre bon marché ont ensuite été expulsés. Cette Opération Wetback est revenue dans la conscience publique américaine après que le Président Donald Trump l’ait saluée comme une déportation massive réussie: «Repoussons-les au Sud».

Pourquoi Hammerstein, alors qu’il parle de l’immigration chinoise, emploie-t-il les termes de l’immigration mexicaine? En fait, l’immigration mexicaine massive aux États-Unis est estimée à 1,5 million et demi de personnes par an au milieu des années '50. Incomparables avec les centaines ou les milliers d’immigrants chinois. Hammerstein pouvait ainsi utiliser le ressenti populaire de l'immigration clandestine mexicaine massive, pour renforcer le statut d'immigrant illégal des chinois Li.

En plus, à l’époque, «wetback» est bien le terme d'argot le plus familier (et péjoratif) désignant les étrangers «illégaux» dans les années '50. Cet argot est évidemment inaccessible à Maître Wang, l'aîné chinois traditionnel. Par contre, le fait que Mei-Li réussisse à l’utiliser, marque sa tentative réussie de pénétrer dans la culture américaine en même temps qu’elle déclare ne pas en faire partie. Qualifier l’adorable Mei-Li, que le public porte dans son cœur, de «wetback» rend ce terme injuste aux yeux des spectateurs et agit comme un appel implicite à la clémence à l’égard de son immigration clandestine.

Miyoshi Umeki (Mei-Li)

Miyoshi Umeki est née à Otaru, sur l'île japonaise d'Hokkaido. Son père possédait une usine de fer. Elle était la plus jeune de ses neuf enfants. Miyoshi a commencé sa carrière comme chanteuse de cabaret au Japon rêvant de s'installer aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Elle chantait pour un groupe de GI pour 90 cents la nuit pendant son adolescence. Et ça a marché.
Elle a déménagé à New York en 1955 et, en quelques années, elle a réalisé ses rêves américains. En 1957, elle joua aux côtés de Marlon Brando et Red Buttonsv dans Sayonara, dans le rôle de Katsumi, l'épouse soumise et condamnée de l'aviateur américain. Sa performance déchirante lui a valu l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, faisant d'elle la première actrice asiatique, quel que soit son sexe, à gagner, et toujours la seule actrice asiatique à remporter un Oscar. Elle a accepté son Oscar dans un kimono et son discours était doux et hésitant, semblant avoir du mal à surmonter la barrière de la langue. Elle a ensuite remercié «tous les Américains» et s'est inclinée devant le public.

Mais l’effet est encore plus profond. À la création, Mei-Li est jouée par l’actrice japonaise Miyoshi Umekin qui était connue, et admirée, pour son rôle de Katsumi dans le film Sayonara et l’Oscar obtenu en 1957 pour ce rôle. Elle a aussi fortement marqué les esprits par le style de ses remerciements aux Oscars (voir ci-contre et ci-dessous).

30ème cérémonie des Oscars en 1958
Remise d'un Oscar à Miyoshi Umeki
(Meilleur second rôle fémini)

 

Traiter Mei-Li de «wetback», surtout sous les traits de Miyoshi Umeki, a encore adouci la conception de l’immigration clandestine chinoise. N’oublions pas non plus qu’Umeki bénéficiait alors d’une compassion assez générale que ressentaient les Américains pour ces femmes japonaises souffrantes qu’elle a jouées en grand nombre sur scène et au cinéma, façonnant l'opinion publique en faveur d'un Japon d'après-guerre qui était passé de pays-ennemi à pays-ami en moins de dix ans.

Le problème de la fin du spectacle n’a été résolu que très tard, en cours de Try-Out. Hammerstein et Fields – distraits tous deux par la maladie pendant les répétitions – modifiaient constamment la fin du musical pour trouver un moyen d’empêcher le mariage de Sammy et Mei Li. Les brouillons révèlent qu'ils ont expérimenté une scène finale très conflictuelle qui a été jouée pendant les premières représentations à Boston. Dans ces brouillons, Ta prend le contrôle de la situation grâce à des menaces:

Ta
I will inform the Immigration Department
that Dr. Li and his daughter
have entered the country illegally.
Sammy Fong (coming back to Ta)
Look, kid, this involves me.
I might be deported with them!
Madam Fong
Deported!
Dr. Lu Fong
What nonsense you talk, boy.
Thousands of Chinese are in San Francisco illegally.
No one ever informs and no one does anything.
Ta
In this case someone will.
[…]
Dr. Lu Fong
I will teach you, you cannot go on
tickling the tiger’s nose with a straw.
You are facing the most powerful family in San Francisco!
Ta
And you are facing the Immigration Department!
Dr. Lu Fong
I cannot believe
you wish to bring disgrace on us all.
Ta
That may not be necessary!
If I marry Mei Li,
she will be the wife of an American citizen.
Sammy will not be deported and he can marry his girl.

 

Ta
J'informerai le Département de l'Immigration
que le Dr Li et sa fille
sont entrés illégalement dans le pays.
Sammy Fong (revenant vers Ta)
Écoute, gamin, ça m'implique.
Je pourrais être expulsé avec eux!
Madame Fong
Déportée!
Dr. Lu Fong
Quelles bêtises tu racontes, mon garçon.
Des milliers de Chinois sont illégalement à San Francisco.
Personne n’informe jamais et personne ne fait rien.
Ta
Dans ce cas, quelqu'un le fera.
[…]
Dr. Lu Fong
Je vais t'apprendre, tu ne peux pas continuer
à chatouiller le nez du tigre avec une paille.
Vous affrontez la famille la plus puissante de San Francisco!
Ta
Et vous faites face au ministère de l'Immigration !
Dr. Lu Fong
Je n'arrive pas à croire
que vous souhaitiez nous déshonorer tous.
Ta
Cela n'est peut-être pas nécessaire!
Si j'épouse Mei Li,
elle sera l'épouse d'un citoyen américain.
Sammy ne sera pas expulsé et il pourra épouser sa fille.

«Flower Drum Song»

 

Ce que Ta propose ici résout complètement la question de l’illégalité. Mais son chantage envers les parents de Sammy, Madame Fong et le Dr. Lu Fong Fong, aurait pu heurter la sensibilité moyenne des spectateurs fidèles de Rodgers et Hammerstein en déclarant trop crûment que des milliers de Chinois, comme ceux qu’ils avaient vu chanter et danser joyeusement pendant deux heures, se trouvaient illégalement aux États-Unis.

Bien que cette fin ait été conservée pendant un certain temps, elle a finalement disparu au profit de la confession beaucoup plus acceptable de Mei-Li. Mei-Li fait ses aveux comme le prévoit le Chinese Confession Program. La mère de Sammy refuse que son fils américain épouse une personne qui risque d’être expulsée, sachant que son fils pourrait également être expulsé s’il était son époux.

Le final de Flower Drum Song () propose une solution punitive basée sur le statut d’immigration. Plutôt que de garder tout le monde aux États-Unis, la fin heureuse exige que Ta soit prêt à sacrifier sa citoyenneté en disant: «Je suis heureux d'épouser Mei Li même si nous sommes tous les deux expulsés!» Ta est totalement joyeux et, aujourd’hui, tout cela est fort peu crédible.

Il y a aussi une fin heureuse explicite pour Sammy et Linda. Le concept de citoyenneté de naissance est normalisé par la déclaration finale de Sammy lorsqu'il présente Linda comme une épouse convenable – malgré son métier – à sa mère: «Elle est entrée dans ce pays de manière régulière – par l'intermédiaire de sa mère.» La citoyenneté de Linda rachète son manque de vertu, et Madame Fong l'embrasse instantanément, à la fois physiquement et littéralement.

Tout cela est aujourd’hui politiquement insupportable… Mais, à l’époque, dans ces années de guerre froide et de maccarthysme, Flower Drum Song () propose une forme discrète pour décrire les problèmes des minorités auprès du grand public…

F.2) Une vision déformée des Asiatiques

Aujourd’hui, Flower Drum Song () est souvent considéré comme démodé, voire condescendant, mais pour une jeune génération d’artistes américains d’origine asiatique, le spectacle est devenu une sorte de pierre de touche culturelle, une affirmation selon laquelle les Asiatiques pourraient avoir une place dans la culture populaire au-delà des méchants et des métis exotiques.

Nous n’avons pas envie de trancher ici sur ce débat sans fin.

Mais en guise de contrepoint voici la vidéo Flower Drum Song Celebration un des moments de Red Bucket Follies de 2018.

Le numéro d’ouverture des Red Bucket Follies 2018 a célébré les acteurs américains d’origine asiatique à Broadway et a commémoré le 60ème anniversaire du révolutionnaire Flower Drum Song (). Les stars de la production de Broadway en 1958, du film de 1961 et du premier US-Tour ont rejoint les acteurs de la compagnie du revival de 2002 et de son US-Tour pour des retrouvailles inoubliables.

Les décennies d'expérience, la profondeur et l'ampleur de la rupture des barrières réalisées par des acteurs asiatiques ont été magnifiquement honorées par ce numéro.

En tout, plus de 40 artistes asiatiques se sont joints à la célébration sur scène, qui a mis en vedette Sandra Allen, Marcus Choi, xv, Ericka Hunter, Alvin Y. F. Ing, Baayork Lee, Telly Leung, Jose Llana, Jodi Long et v.

Le numéro a été réalisé et chorégraphié par Alex Sanchez et conçu par Leung et Lainie Sakakura.

Red Bucket Follies 2018 - Flower Drum Song Celebration

F.3) «Flower Drum Song» pour Hammerstein et Rodgers…

Flower Drum Song () occupe une position unique dans le canon de Rodgers et Hammerstein. Le musical de 1958 ne fait pas partie des succès indémodables du duo (Oklahoma! (), Carousel (), South Pacific (), The King and I (), The Sound of Music ()). Ce n'était pas non plus l'un de leurs trois ratés commerciaux (Allegro(), Me and Juliet (), Pipe Dream ()). Au lieu de cela, lorsque l’on considère l’œuvre de Rodgers & Hammerstein, elle se situe quelque part entre les deux. Flower Drum Song () s’est joué 600 représentations et a donné lieu à une production londonienne à succès, à des chansons qui sont devenues des classiques, à une adaptation sur grand écran et à un revival largement révisé à Broadway.

Oscar Hammerstein a compris que la balle Flower Drum Song () n’avait pas atteint sa cible. C’était un divertissement habile, mais rétrograde dans un environnement changeant de Broadway qui, l’année précédente, avait accueilli le réalisme novateur et révolutionnaire de West Side Story (), avec des paroles de son protégé Stephen Sondheim.

Hammerstein s'exprime très librement dans une lettre à son fils Jimmy, un mois environ après l’ouverture de Flower Drum Song () à Broadway:

«J’ai connu des flops malheureux dans ma vie. J’ai eu des pièces qui auraient mérité d’être mieux accueillies qu’elles ne le furent. Et puis j’ai eu des succès totalement mérités. Mais c’est le premier coup de chance que j’ai jamais eu.»

Oscar Hammerstein

 

Pour Richard Rodgers, le spectacle représentait autre chose: la confirmation qu’il avait vaincu sa dépression.

«L’expérience de travailler sur Flower Drum Song () a été enrichissante à bien des égards, la moindre n’étant pas de m’avoir convaincu que j’avais surmonté toutes les traces de ma dépression. Ma seule pensée était de continuer à faire ce que je faisais, et je ne voyais rien dans le futur qui pourrait m'arrêter.»

«Musical Stages: An Autobiography» - Richard Rodgers

 



A) Synopsis 1958

A.1) Acte I

Dans la maison de Maître Wang Chi Yang, riche patriarche du quartier chinois de San Francisco, son fils aîné Wang Ta explique à sa tante Madame Liang comment ses rêves sont perturbés par les jeunes filles et lui chante une vieille chanson d'amour chinoise familière (You Are Beautiful) – qu'il prépare pour son «blind date» de ce soir-là – et elle l’accompagne avec nostalgie.

Son père rentre chez lui après s'être fait voler un billet de 100 dollars. Il trouve la vie en Amérique difficile, ne fut-ce que l'idée d'utiliser une banque au lieu d'une boîte sous son lit! Sammy Fong, un jeune homme à succès et complètement occidentalisé, arrive et suggère à Maître Wang Chi Yang que sa «picture bride» qui vient d'arriver de Hong Kong conviendrait mieux à Wang Ta, car elle est trop douce et obéissante pour ses goûts bagarreurs. Il a surtout déjà une petite amie. Il lui présente Mei-Li et son père, le Dr Li; Wang est positivement impressionné: la jeune fille est issue d'une bonne famille et est née la bonne année – de plus, elle peut chanter sa chanson préférée du Flower Drum. Maître Wang Chi Yang est charmé (A Hundred Million Miracles) et les invite à vivre dans sa maison, étant entendu que si le mariage proposé échoue, Sammy Fong sera toujours obligé d'épouser Mei-Li.

Le «blind date» de Ta a lieu avec Linda Low, une jeune Chinoise très américanisée. Nous apprendrons qu'elle est la petite amie de Sammy Fong et une strip-teaseuse dans son club. Linda lui fait forte impression en chantant I Enjoy Being a Girl. Mais elle ment à Ta au sujet de sa carrière et de sa famille. Ta, sachant que les Sino-Américains ont du mal à trouver un emploi, envisage d'aller à la faculté de droit, postposant ainsi de trois ans sa probable lutte pour obtenir un emploi. L'impulsif Ta demande à Linda de l'épouser. Elle accepte, mais elle a besoin du consentement de sa famille et ment à nouveau, disant qu'elle a un frère qui doit approuver le mariage. Lorsqu’il rentre chez lui, Ta rencontre Mei-Li qui ne l’impressionne pas.

Le lendemain, chez Maître Wang Chi Yang, tout est en agitation. Un banquier compte l'argent de Wang pour lui ouvrir un compte. Wang a du enfiler à contrecœur un costume occidental pour la cérémonie de remise des diplômes de son fils xMaître Wang Chi Yang et Helen Chao la couturière (qui adore Ta) est arrivée avec sa toge, spécialement confectionnée pour l’occasion. Mei-Li est hypnotisée lorsque Ta paraît, vêtu de sa toge et de sa toque de diplômé. Lorsque la famille part pour la cérémonie, elle chante I Am Going to Like It Here. Wang a acheté à Mei-Li une robe occidentale pour la cérémonie et Ta est cette fois visiblement séduit par son apparence (Like a God), mais il a déjà invité Linda et son «frère».

Lors de la fête de remise des diplômes, Madame Liang amène de nombreux membres de la communauté à célébrer la grande diversité de la vie américaine, qu'elle appelle Chop Suey. Et on y retrouve bien Linda avec son «frère» (en fait un comédien de la discothèque de Sammy). Elle se présente officiellement, comme s’y attendait Ta, son «frère» donnant alors son consentement pour le mariage. Lorsque Ta informe son père de ses intentions de mariage, ce dernier refuse catégoriquement, car cette femme extravertie et américanisée n’est pas ce que Wang a en tête pour son fils aîné. (You be the Rock) Et Wang et Ta se disputent.

Sammy Fong arrive et n’est pas dupe du petit jeu de Linda: Linda, frustrée par ces cinq années où elle a «fréquenté» Sammy, est maintenant déterminée à épouser quelqu'un, et si Sammy ne veut pas se manifester, elle se contentera de Ta. Mei-Li, se croyant rejetée par Ta, comprend qu’elle va devoir épouser la personne qui lui était initialement promise, Sammy. La même peur saisit Sammy, à qui cette union ne convient pas, et il tente de pousser Mei-Li à renoncer: Don't Marry Me.

Dans les jours qui suivent, Sammy contre-attaque en invitant les Wang, Mei-Li et son père à assister au spectacle dans son "Celestial Bar" (Fan Tan Fannie). Linda y fait son strip-tease, réalisant trop tard qui est assis à la meilleure table. Les invités de Sammy sortent en trombe, à l'exception de Ta, qui est tellement humilié qu'il ne sait pas quoi faire. Il se sent profondément trahi par Linda qu’il découvre comme strip-teaseuse et comprend que son «frère» n’est pas son frère. Il est emmené par son amie d'enfance Helen Chao, une couturière qui confectionne les costumes de Linda et dont l'amour pour Ta n'est pas partagé. Linda, révoltée lorsque Sammy la nargue en lui levant son verre, lui jette un seau à champagne sur la tête.

A.2) Acte II

Ta, ivre, passe la nuit dans l'appartement d'Helen (Ballet).

Le lendemain matin, Mei-Li apporte le manteau de Maître Wang à Helen pour qu'elle le raccommode. Elle est affligée lorsqu’elle découvre chez Helen le smoking de Ta avec la fleur qu'elle y avait épinglée. Comprenant où Ta a passé la nuit – et en tirant de rapides conclusions – elle prend la fleur et part rapidement.

De son côté, Ta a hâte de rentrer chez lui pour apaiser son père… Il laisse Helen seule, totalement inconscient des tentatives de la jeune fille pour l'intéresser.

Wang veut que le bar de Sammy et ses «mauvais esprits» soit fermé; mais sa belle-sœur l'informe qu’aux États-Unis on ne peut s’opposer à la libre entreprise. Wang et Madame Liang s'interrogent sur les faiblesses de la jeune génération (The Other Generation) après que San, le plus jeune fils de Maître Wang, soit apparu habillé pour le baseball et exigeant un sandwich.

Ta arrive à la maison pour admettre que son père avait raison, Mei-Li est la fille qu'il lui faut. Maître Wang et le Dr Li, les deux pères, proposent d'officialiser les fiançailles de leurs enfants, mais Mei-Li, ayant avoué à Ta qu'elle l'avait aimé au premier regard, croit désormais qu'il aime Helen ou Linda. En guise de preuve, elle montre la fleur qu’elle a récupérée chez Helen. Mei-Li ne veut plus rien avoir à faire avec Ta, et les Li quittent définitivement la maison des Wang.

De son côté, Sammy a décidé d'épouser la tigresse Linda. Il lui annonce son intention lorsqu'elle vient dans son penthouse (Sunday). Il téléphone au tribunal communautaire pour prévenir qu’il souhaite formaliser légalement son mariage. Lorsqu’il y arrive avec Linda, il découvre que le Dr Li est là avec Mei-Li pour faire respecter le contrat de mariage «picture bride» de sa fille avec Sammy. Et ce dernier se sent à nouveau «piégé», en fait doublement piégé, car il va devoir épouser Mei-Li et que Linda est à nouveau persuadée qu'il l'a trompée.

Quelques jours plus tard, Ta apporte à Mei-Li, qui vit avec son père chez Sammy, un cadeau de mariage composé d'une paire de boucles d'oreilles de sa mère qu'elle portait le jour de son mariage. Ils s’avouent leur amour réciproque. Ta promet de trouver une issue au dilemme, mais ce sera finalement Mei-Li qui aura l’idée salvatrice en regardant le Late Late Show à la télévision.

Le cortège nuptial descend Grant Avenue à San Francisco avec la mariée Mei-Li, lourdement voilée, portée sur une chaise à porteurs (Wedding Parade). Sammy boit dans le gobelet de mariage traditionnel, puis offre le gobelet à sa nouvelle épouse. Dévoilée, Mei-Li avoue à la mère de Sammy qu'elle ne peut pas épouser Sammy, car elle est une étrangère clandestine – une tactique qu'elle a apprise en regardant la télévision américaine. Le contrat de mariage «picture bride» est donc nul, ce qui permet à Sammy et Ta d'épouser leurs véritables amours, Linda et Mei-Li.

B) Synopsis 2002

B.1) Prologue

Mei-Li commence une «chanson de tambour à fleurs» qu'elle a apprise de son père (A Hundred Million Miracles), qui se transforme en thème musical alors qu'elle commence son propre voyage vers l'Occident. Protestant contre les doctrines rigides des communistes chinois, qui considèrent tous Mao comme leur «Père», le père de Mei-Li s'oppose courageusement aux maoïstes. Il est arrêté, mais exhorte sa fille à fuir le pays. Elle apprendra plus tard qu'il est mort en prison. Ce sont les techniques de narration de l'opéra chinois qui permettent de décrire le voyage périlleux de Mei-Li à travers l'océan, alors qu'elle se blottit dans la cale d'un navire avec d'autres réfugiés, son précieux tambour de fleurs à la main. Finalement, Mei-Li et les autres réfugiés arrivent, respirant le nouvel air frais de la liberté en Californie, aux États-Unis.

B.2) Acte I

Mei-Li arrive au Golden Pearl Theatre de San Francisco, dirigé par le plus vieil ami de son père, Wang Chi-Yang, qui a émigré en Amérique des années plus tôt. Sa femme est décédée pendant la traversée. Wang s'accroche à sa mission de jouer de l'opéra traditionnel chinois, malgré un public toujours en diminution. Avec peu d'interprètes disponibles, son fils Ta est obligé de jouer les rôles féminins traditionnels (At the Golden Pearl), mais la passion du jeune homme est bien ailleurs: le Nightclub Night. La nuit, son père lui permet d'utiliser le théâtre pour monter des modestes revues mettant en vedette l'objet de son affection, Linda Low. Ta voit l'arrivée de Mei-Li comme une opportunité de confier les rôles féminins à une vraie femme. Elle est fascinée, à son tour, par les manières occidentales de Ta, bien qu'elle ne sache pas à quel point il est chinois et à quel point il est devenu américain. Elle est également séduite par Ta lui-même (I Am Going to Like it Here).

Le chœur de Ta répète pour la soirée Nightclub Night quand Linda arrive, en retard comme d'habitude. Ta a eu une nouvelle idée, inspirée par Mei-Li. Pourquoi ne pas combiner la culture chinoise avec le strip-tease occidental? Cela n’amuse que légèrement Linda qui a peu de connaissances sur les cultures traditionnelles chinoises; elle repousse les avances de Ta parce qu'elle ne sort qu'avec des hommes de race blanche. Lorsque Mei-Li visite ses coulisses pour en savoir plus sur les coutumes américaines en matière de rencontres, Linda se rend compte que cette nouvelle fille est tombée amoureuse de Ta et propose d'aider Mei-Li à séduire Ta, en commençant par expliquer à quel point la vie est meilleure pour les femmes en Amérique qu'en Chine. (I Enjoy Being a Girl). La chanson devient le hit de la Nightclub Night.

Le père de Ta, Wang, est consterné, mais son vieux sage acolyte, Chin, est amusé. Mei-Li dit à Ta qu'il ne devrait pas ignorer les méthodes traditionnelles; son père lui avait dit à quel point les parents de Ta avaient été merveilleux lorsqu'ils avaient interprété The Flower Boat Maiden. Elle explique que l'histoire n'est pas celle qu'il pense – «ringarde» – mais plutôt une belle histoire dans laquelle la jeune fille fait comprendre à l'humble érudit qu'il est un dieu (You Are Beautiful). À la fin de la chanson, Mei-Li et Ta se retrouvent de manière inattendue à se regarder dans les yeux. Ta dépose un rapide baiser sur la joue de Mei-Li, puis s'excuse. «Vous, les Américains, vous vous excusez trop», dit-elle.

Madame Rita Liang, «agent théâtral pour talents orientaux», a vu Nightclub Night et vient de signer avec Linda Low, pour qui elle a de grands projets. Ces projets incluent la transformation du Golden Pearl Theatre en la discothèque la plus branchée de Chinatown. À l’exception de Wang, elle rallie rapidement tout le monde à sa vision d'un lieu agréable attirant pour les touristes occidentaux curieux de découvrir une culture chinoise exotique (Grant Avenue). À contrecœur, Wang laisse le Nightclub Night prendre le relais – du moins pour un moment.

L'un des compagnons de voyage de Mei-Li, Chao, travaille dans une usine de cookies. Alors qu'il fait sa livraison quotidienne au club, Chao est surpris d’y voir Mei-Li. Il l'invite à dîner. C'est la soirée d'ouverture, donc elle ne peut pas y aller. Ta observe la conversation et remarque l'intérêt de Chao pour Mei-Li. Lorsqu'elle partage son incapacité à comprendre les habitudes des rencontres amoureuses aux États-Unis, Ta lui assure sur un ton ludique qu'elle est le genre de fille dont l'attrait est tellement plus simple; un jour, un homme spécial voudra passer un «Sunday» idyllique avec elle.

Mei-Li se rend dans les coulisses pour demander conseil à Linda sur la façon de gérer son attirance croissante pour Ta, qui l’a conviée pour une «longue discussion» après la représentation. Linda prête à Mei-Li une de ses robes, et soudain, Mei-Li, d'une simple fille se transforme en une belle jeune femme (I Enjoy Being a Girl - Reprise).

C'est la grande soirée d'ouverture du Club Chop Suey. Le nouveau numéro de Linda, inspiré par l'idée de Mei-Li d'utiliser des ventilateurs, donne le coup d'envoi de manière enfumée et sexy (Fan Tan Fannie).

En raison de la demande du public, le club présente trois spectacles et le maire est attendu pour le troisième. Quelque chose dérange Wang; malgré ses opinions obstinées, il commence à aimer ce qui se passe dans son théâtre. Mais il y a un numéro de marin qui ne passe pas très bien. Harvard, un jeune homme qui a accepté de confectionner tous les costumes en échange qu’on lui donne une place de vedette dans le spectacle, n'est tout simplement pas à la hauteur. Ainsi, avec son instinct d'interprète prenant le dessus, Wang assume lui-même le rôle et dirige la compagnie dans Gliding Through My Memoree.

Le spectacle est un grand succès. Wang est tellement heureux de sa transformation personnelle qu'il décide qu'il lui faut un nouveau nom: Sammy Fong. Cependant, le complot de Linda visant à lier Ta à Mei-Li se retourne contre elle. Ta a le sentiment d'avoir été piégé et considère Mei-Li comme un prix de consolation. Il regrette ce qu'il a dit, mais c'est trop tard. Mei-Li l'a entendu et elle s'enfuit, pour revenir seule, dans ses vêtements chinois. Elle se retrouve à nouveau réfugiée, parmi un groupe d’immigrés désillusionnés (Finale – Act One).

B.3) Acte II

Plusieurs mois plus tard, le nouveau numéro de Sammy Fong est prêt! Sur la scène du Club Chop Suey, Wang – dans son personnage scénique de «Sammy Fong» – apparaît habillé en chef de cuisine et interprète un numéro de boîte de nuit extravagant mettant en vedette des baguettes dansantes et des choristes dans des cartons à emporter (Chop Suey). Ta, consterné, estime que son père a troqué sa dignité contre la réussite financière. Ta comprend que son père a rejoint à Madame Liang dans son projet d'étendre leurs clubs de Chinatown à travers tout le pays. Il comprend que son père a non seulement supprimé tous les spectacles traditionnels, mais qu'il a également supprimé la Nightclub Night de Ta.

Ta ne pense à rien d’autre qu’à Mei-Li. Chin, le vieil ami de Wang Chi-Yang (aujourd’hui Sammy Song) intervient, expliquant d'abord ce qu'est l'amour (My Best Love), puis informant Ta de l'endroit où se trouve Mei-Li: elle travaille à l'usine de cookies avec Chao (I Am Going to Like It Here - Reprise).

Mei-Li est fâchée de voir Ta et elle lui annonce qu'elle part à Hong Kong avec Chao. Ta leur souhaite bonne chance et s'en va. Chao est enthousiaste et il suggère de vendre le «tambour à fleurs» de Mei-Li pour les aider à payer leur voyage. Elle est d'accord.

Sammy Fong et Rita Liang dînent dans un restaurant chinois. Même s'ils se rapprochent ouvertement, ils se mettent en garde mutuellement de ne pas franchir la ligne (Don't Marry Me).

Linda part pour Los Angeles. Ta vient lui dire au revoir, même s'il aurait préféré l'accompagner: «Tu es mon premier amour... et ma dernière chance». Sa vie semble vide – même Mei-Li s'en va. Linda mentionne qu'elle a vu le «tambour à fleurs» de Mei-Li chez un prêteur sur gages. Le lendemain matin, Linda prendra le bus Greyhound de 7h du matin pour Los Angeles. Si Ta veut la rejoindre, c'est à lui de décider.

Un groupe d'hommes et de femmes chinois se rassemblent sur les quais, leurs rêves d'une vie meilleure brisés, pour rentrer chez eux, en Chine. Mei-Li est parmi eux, pas sûre d'avoir pris la bonne décision (Love, Look Away). Ta arrive, avec son tambour. Il sait à quel point cela compte pour Mei-Li. Alors il a récupéré le tambour chez le prêteur sur gages et a raté le départ du bus de Linda pour Los Angeles. Ta souhaite bonne chance à Mei-Li.

De retour au théâtre, Ta a développé une estime pour le théâtre traditionnel chinois et il dirige désormais les interprètes dans le même opéra que celui que répétait la troupe au début du spectacle (The Most Filial Son). Le père et le fils se sont réconciliés et Wang dit à Ta que sa défunte épouse lui a fait se sentir plus qu'un homme. «L’amour d’une belle jeune fille transforme un humble érudit en Dieu», dit Ta.

«Tu as toujours tort», dit une voix venant de l'obscurité. C'est Mei-Li. Elle a décidé de ne pas y retourner. Elle veut rester. «L’amour de la jeune fille aux bateaux fleuris ne transforme pas l’érudit en Dieu. Il a toujours été un Ddieu», dit-elle. Ta lui demande s'il est bien l'homme qu'il lui faut (Like a God). Dans une prière, ils recherchent la bénédiction de leurs ancêtres alors qu’ils choisissent de vivre ensemble.

Le mariage de Ta et Mei-Li est un grand événement pour tout le monde (Processionnal), y compris Linda, qui revient de Los Angeles. Il s’agit d’un mariage traditionnel chinois, mais qui a clairement lieu en Amérique, un pays où les gens recherchent un nouvel avenir, quel que soit leur lieu de naissance. «A hundred million miracles are happening every day» («Finale»).

C) Personnages dans la version de 2002

C.1) Mei-Li

Nouvelle immigrante de Chine, Mei-Li chérit son «tambour à fleurs», souvenir de son cher père. Traditionnelle et modeste, mais volontaire et déterminée, elle est fascinée par Linda et Ta et leurs manières américaines. Elle tombe amoureuse de Ta et s'acclimate progressivement aux coutumes américaines tout en gardant le respect de son passé. Lorsque Ta rejette son affection, Mei-Li ferme amèrement son cœur et envisage de retourner en Chine avec Chao.

C.2) Wang Chi-Yang «renommé» Sammy Fong

Acteur d'opéra chinois et immigrant à San Francisco, Wang Chi-Yang dirige le Golden Pearl Theatre de Chinatown. Le plus vieil ami du père de Mei-Li, Wang a perdu sa femme lors de leur voyage aux États-Unis et a élevé seul son fils. Bien qu’il s’accroche d’abord à sa mission de jouer de l’opéra traditionnel chinois, il embrasse plus tard l’éclat du show-biz américain, renommant le théâtre «Club Chop Suey» et se produisant sous le nom de «Sammy Fong».

C.3) Ta

Le fils sino-américain de Wang, aujourd'hui âgé d'une vingtaine d'années, Ta joue depuis des années dans l'opéra chinois de son père dans des rôles féminins traditionnels. Entiché de Linda Low, il se retrouve néanmoins séduit par la beauté et l'honnêteté de Mei-Li. Pourtant, il garde ses distances et manque de perdre le grand amour de sa vie. Malgré les conflits avec son père, Ta est un fils fidèle et un homme bon.

C.4) Linda Low

Showgirl sino-américaine, Linda est une Américaine fougueuse et confiante qui considère sa féminité et son sex-appeal comme sources de pouvoir. Artiste à couper le souffle, elle intègre les idées de Mei-Li dans son numéro et épate le public avec son numéro enfumé et sexy «Fan Tan Fannie». Ingénieuse en matière de cœur, elle aide Mei-Li et Ta à trouver le chemin de l’amour.

C.5) Madame Rita Lang

Agente artistique sino-américaine, Rita Liang est une femme d'affaires ambitieuse dotée d'une grande personnalité. Elle a pour vision de transformer Golden Pearl Theatre en la boîte de nuit la plus branchée de Chinatown, et plus tard de franchiser les clubs dans tout le pays. Forte et indépendante, elle hésite à poursuivre une relation avec Sammy Fong, malgré leur attirance mutuelle.

C.6) Chin

Ancien ami de la famille Wang, Chin est un sage chinois d'une soixantaine d'années. Il est amusé par la nouvelle approche de Linda et Ta en matière de discothèque et aide à guider Ta vers le vrai bonheur avec Mei-Li.

C.7) Harvard

Jeune Américain d'origine chinoise, Harvard est tellement impatient de se produire au Club Chop Suey< qu'il accepte de confectionner des costumes en échange d'une place en vedette. Malheureusement, il n'est pas assez talentueux pour réaliser le grand numéro de marin.

C.8) Chao Hai-Lung

Nouvel immigrant chinois, Chao a rencontré Mei-Li lors de leur voyage à l'étranger. Après avoir obtenu un emploi dans une usine de cookies, il aime Mei-Li et lui demande de retourner en Chine avec lui.

C.9) Mr. Chong

Le propriétaire sino-américain de l'usine de cookies On Leock Fortune Cookie Factory.

C.10) Mr. Lee

Un propriétaire de restaurant sino-américain.