L’accueil mitigé de Me and Juliet () n’a pas remis en cause la volonté de Rodgers et Hammerstein de créer ensemble des musicals. Il faut dire qu’ils avaient connu dans les dernières années tellement de succès que dès qu’un auteur ou un producteur pensait à l’adaptation en musical d’un roman ou d’une pièce de théâtre, son premier choix s’orientait souvent vers notre duo. Ce sera le cas de Pipe Dream ()… Un projet improbable qui bouillonnait depuis des mois. Ce sera un flop.
On peut se tromper, même quand on s’appelle Rodgers et Hammerstein. D’ailleurs ils en feront d’autre, comme refuser de participer au projet My Fair Lady () ou Fiddler on the Roof (). Mais cela est une autre histoire.
Pour ceux qui ne connaissent pas l'œuvre, le synopsis et une description des personnages se trouve en bas de cette page ()
A) Génèse
A.1) Cy Feuer, Ernest Martin et John Steinbeck
Remontons en 1952. Les producteurs Cy Feuer et Ernest Martin avaient remporté deux succès consécutifs à Broadway:
- Where's Charley? () de Frank Loesser et George Abbott – 792 représentations – 11 octobre 1948 9 septembre 1950). Rodgers et Hammerstein faisaient partie des investisseurs de Where's Charley? (), ce qui a permis d'obtenir des investissements supplémentaires
- Guys and Dolls de Frank Loesser et Abe Burrow & Jo Swerling – 1.200 représentation – 24 novembre 1950 28 novembre 1953
Cy Feuer et Ernest Martin ont alors proposé au romancier John Steinbeck que son roman Cannery Row de 1945 soit adapté en musical. Feuer et Martin ont été particulièrement attirés par la galerie de personnages de ce roman qui se déroule pendant la Grande Dépression à Monterey, en Californie, dans une rue bordée de conserveries de sardines connue sous le nom de Cannery Row. Parmi les personnages, on trouve: Lee Chong, émigrant chinois exploitant l'épicerie du quartier; Doc, un biologiste marin; Dora Flood, propriétaire et exploitante du restaurant Bear Flag qui est aussi le bordel le plus important et le plus fréquenté de Monterey; Mack, un sans-abri qui est le chef d'un groupe de sans-abris appelé «Mack and the boys» dont Hazel, un jeune homme simple d'esprit, mais bon cœur, à qui une mère trop fatiguée par la grossesse a donné un prénom féminin… .
Cy Feuer et Ernest Martin ont demandé à Steinbeck d’en écrire un livret. Au début, Steinbeck s’est senti à l’aise dans l’adaptation, mais il s’est vite rendu compte qu’il était personnellement mal à l’aise avec la mécanique de la dramaturgie et a fait une contre-proposition: il leur a proposé d’écrire un nouveau roman qu’il l’appellerait Sweet Thursday et qui parlerait des mêmes personnages. En fait, Cannery Row se déroulait à Monterey en Californie avant la Seconde Guerre mondiale et, dans Sweet Thursday, Doc revenait de la guerre et trouvait Cannery Row presque désert. Même son amie proche Dora, qui dirigeait le restaurant Bear Flag, un bordel, est décédée et sa sœur Fauna a pris sa place de «mère maquerelle». Ancienne assistante sociale, Fauna enseigne aux filles comment mettre une table correctement, dans l'espoir que parmi leurs clients, elles finiront par épouser un homme riche. Les amis de Doc, Mac et Hazel sont toujours là. Ils décident que le mécontentement de Doc est dû à sa solitude et tentent de le mettre en relation avec Suzy, une prostituée qui vient d'arriver à Monterey. Les deux ont une brève romance; dégoûtée par sa vie de pute, Suzy quitte le bordel et s'installe dans une chaudière de locomotive abandonnée. Elle décide qu'elle ne peut pas rester avec Doc, mais dit à ses amis que si Doc tombait malade, elle prendrait soin de lui. Hazel, voulant bien faire, casse le bras de Doc pendant qu'il dort, réunissant les deux amants. À la fin, Doc et Suzy partent à La Jolla pour collecter un ensemble des spécimens marins.
A ce stade, Feuer, Martin et Steinbeck voulaient que l'œuvre soit composée par Loesser, mais celui-ci était occupé par un projet qui devint finalement The Most Happy Fella (). Face au refus de Loesser, xFeuer et Martin ont contacté Rodgers et Hammerstein avec leur projet, alors intitulé The Bear Flag Café.
Rodgers et Hammerstein connaissaient bien Steinbeck, tant sur le plan professionnel que personnel. Le terrible échec de la pièce de Steinbeck Burning Bright n’avait pas affecté leur amitié, et la femme de Steinbeck, Elaine, avait été assistante-régisseuse sur la production originale d’Oklahoma! (. Les associés étaient intrigués par l’idée de Feuer et Martin, avec la mise en garde habituelle: ils devaient être producteurs uniques, mais ils rétrocéderaient à Cy Feuer et Ernest Martin une part importante des bénéfices.
A.2) Rodgers et Hammerstein entrent dans la danse
Dès le début, le «prude» Hammerstein était mal à l'aise avec certains aspects de l’histoire, rappelant à Cy Feuer: «Nous faisons des spectacles familiaux». Mais, Hammerstein a été attiré par les personnages. Doc et Suzy étaient culturellement inadaptés, chacun à sa manière, mais attirés l'un par l'autre, Doc plutôt maussade et Suzy plus vive. Des couples similaires ont conduit au succès, non seulement dans les couples de Carousel () et South Pacific (), mais aussi dans l'œuvre d'Hammerstein avant sa collaboration avec Rodgers, comme The Desert Song () et Rose-Marie ().
Au début de 1953, Steinbeck commença à envoyer à Hammerstein les premières ébauches de son nouveau roman, Sweet Thursday. Rodgers était également préoccupé par l'idée d'avoir une prostituée comme personnage féminin principal, mais a finalement cédé. C’était une période de doute pour Rodgers et Hammerstein, après l’échec relatif de Me and Juliet (). Ils allaient cette fois découvrir ce qu’est un vrai flop. Avant d'accepter de faire le projet Sweet Thursday, le duo avait envisagé d'autres projets pour leur prochain musical, comme une adaptation du film Saratoga Trunk. L'avocat David Merrick leur a aussi proposé d'adapter une œuvre de Marcel Pagnol - Merrick détenait les droits de scène de nombreuses pièces de Pagnol – mais le projet ne s’est pas fait, car Rodgers et Hammerstein voulaient être seuls producteurs et Merrick exigeait d’être producteur associé; Merrick a emmené le projet ailleurs et cela fut le hit Fanny (). Hammerstein déclarera plus tard: «Pourquoi diable avons-nous abandonné Fanny ()? Qu'essayions-nous de prouver? Mon Dieu, c'est une belle histoire et regardez certaines des cochonneries que nous avons faites!»
A.3) Ecriture et casting initial
Ecriture difficile Steinbeck a continué à écrire Sweet Thursday à la fin de 1953 tandis que Rodgers et Hammerstein se sont rendus à Londres pour produire la création londonienne de The King and I (). Alors que Hammerstein recevait du nouveau matériel de Steinbeck, lui et Rodgers commencèrent à planifier les scènes musicales et à décider où placer les chansons.
Le 1er janvier 1954, après avoir terminé le roman de Steinbeck, Hammerstein commença à écrire des dialogues et des paroles. Le roman Sweet Thursday a été publié en juin 1954 et a reçu des critiques mitigées. Steinbeck a commenté plus tard: «Certains critiques sont tellement préoccupés par ma position littéraire qu'ils ne peuvent pas lire un de mes livres sans se demander où il s'intégrera à ma place dans l'histoire. Qui se soucie de ça?»
À ce moment-là, Hammerstein avait écrit cinq scènes du premier acte, accompagnées de paroles, s’éloignant généreusement du texte de Steinbeck. L’histoire de Steinbeck était basique: Doc, qui avait toujours été un type insouciant, est revenu de la Seconde Guerre mondiale agité et mécontent, et ses amis décident que ce qui lui fait du mal est sa solitude. Ils s’arrangent pour qu’il ait une relation avec Suzy, une prostituée que Fauna, la mère-maquerelle, a prise sous son aile. Le plan explose quand Suzy se rend compte que Doc est réticent à tomber amoureux d’une pute, et elle rompt leur romance naissante avant que l’amour ne finisse par vaincre à la fin.
Encore une fois, il y avait des signes avant-coureurs de problèmes.
Hammerstein écrit à Rodgers qu’il trouvait les personnages de Steinbeck très intéressants, mais Rodgers lui a répondu en exprimant son inquiétude sur un point, rejoignant un certain questionnements d’Hammerstein: «Quant à savoir si nous pouvons nous en tirer avec un bordel et faire de l’un des personnages principaux une prostituée qui travaille, c’est encore autre chose». Les faits vont démontrer qu’ils ne pouvaient pas.
Les premières ébauches du livret d’Hammerstein conservent la forme de dialogue franc de Steinbeck. Lorsque Suzy arrive en ville pour la première fois, Fauna l’évalue, en devinant la vie difficile qu’elle a vécue: «Une maison pourrie. Pas plus de 15 ou 16 and quand tu l’as épousé — ou peut-être même pas. T’as quitté la maison juste pour t’éloigner du gars.» Même dans cette première version, Hammerstein omet la grossesse de Suzy, qui se termine par une fausse couche. Dans le futur livret final d’Hammerstein, tout dialogue explicite de ce genre a disparu… et les rôles de Suzy et Fauna au sein d’un bordel ne sont plus abordés que par des allusions.
Ce problème de savoir «jusqu’où on peut aller» est soigneusement résumé dans un échange de lettres entre Steinbeck et Hammerstein à l’été 1955, qui ont évidemment des idées totalement différentes sur le sujet. Le 20 juillet, Steinbeck a écrit à Hammerstein pour raconter une histoire à propos d’une prostituée qui avait travaillé au vrai Bear Flag Cafe.
«Elle était bonne et populaire et, lors d’une bonne nuit, elle pouvait avoir vingt à trente clients. Mais dès que le bordel fermait, tous les soirs ou plutôt tous les matins, elle montait dans une vieille voiture et faisait 30 kilomètres jusqu’à Salinas. Une fois, nous lui avons demandé pourquoi. «J’ai un gars là-bas», a-t-elle dit. «Je dois lui faire l’amour ou je ne dors pas bien.» Fin de l’histoire. Je trouve cela romantique, mais je n’imagine pas que le Watch and Ward [l’autorité de censure de Boston] le ferait.»
John Steinbeck
Six jours plus tard, Hammerstein a écrit à propos de cette «fille romantique»:
«Je l’aime bien. Pour le moment, je ne vois pas comment je peux l’intégrer, mais on ne sait jamais ce qui se produira au fur et à mesure.»
Oscar Hammerstein
Quand le titre a-t-il été choisi? C’est difficile à dire, mais le choix de Pipe Dream (), rappelait le tuyau qu'est une chaudière d'une locomotive abandonné dans lequel Suzy emménage lorsqu’elle rompt avec Doc.
Un début de casting Comme pour signaler à tous que ce projet serait l’opposé de Me and Juliet (, Rodgers et Hammerstein ont engagé comme metteur en scène Harold Clurman - désigné en 2003 par PBS comme l'une des personnalités les plus influentes du théâtre américain. Il était l'un des trois fondateurs du Group Theatre de New York, regroupant 28 jeunes artistes qui ont développé un style de théâtre révolutionnaire qui a fortement influencé les productions américaines. Il a mis en scène de nombreuses pièces sérieuses dont, en 1950, The Member of the Wedding de Carson McCullers (triomphe aux 501 représentations). Répétons-le, ce choix n’est pas anodin.
Pour le rôle de Fauna, la mère maquerelle, Rodgers et Hammerstein ont choisi la diva de l’opéra wagnérien Helen Traubel, qui avait récemment été virée du Metropolitan Opera pour avoir travaillé au noir en tant que chanteuse de boîte de nuit! Hammerstein avait vu Traubel lors de sa première apparition au nightclub Copacabana à New York, puis était allé dans les coulisses pour prédire à Traubel qu'elle ne tarderait pas à jouer à Broadway. Il la revit à Las Vegas quelques mois plus tard et lui proposa le rôle de Fauna. Lorsqu'il lui a proposé le rôle, Traubel a accepté avec empressement. Le choix d’Helen Traubel fut un mauvais choix, un de plus, car sa voix s’estompait. Nous y reviendrons.
Dès le tout début du projet, Cy Feuer et Ernest Martin voulaient qu'Henry Fonda (qui était marié à la belle-fille d'Oscar Hammerstein, Susan Blanchard) joue Doc. L'acteur a suivi des mois de cours de chant pour tenter de mettre sa voix à niveau. a déclaré plus tard qu'au bout de six mois de cours de chant, il «ne pouvait toujours pas chanter». Après sa première audition devant Richard Rodgers, Henry Fonda a demandé au compositeur son point de vue honnête, et Rodgers a déclaré: «Je suis désolé, ce serait une erreur.» Cy Feuer se souvient:
«Donc finalement, après avoir traversé tout cela, nous confions Heny Fonda à Rodgers et Hammerstein et il est écarté. Oscar ne voulait pas de Fonda parce que Fonda était son gendre et en plus Rodgers a dit: «Je dois avoir des chanteurs», et il engage Helen Traubel pour jouer Fauna qui s'avère être en tête d'affiche alors que Doc est maintenant le deuxième couteau!»
Cy Feuer
À l’été 1955, Rodgers et Hammerstein ont finalement choisi William Johnson pour le rôle de Doc, qui avait joué le rôle principal masculin dans un US Tour d'Annie Get Your Gun (), qu'ils avaient produit.
Il existe des récits contradictoires sur qui a été le premier choix pour le rôle de la prostituée Suzy. Selon certains témoignages, Rodgers et Hammerstein avaient pour premier choix Julie Andrews, une ingénue Anglaise de 19 ans qui avait fait sensation dans la production de Cy Feuer et Ernest Martin de The Boy Friend (). Andrews se souvient d'avoir auditionné pour les deux hommes et que Rodgers lui avait demandé si elle avait auditionné pour d'autres spectacles. Quand Andrews lui a répondu qu'elle avait auditionné pour un nouveau musical qu'Alan Jay Lerner et Frederick Loewe avaient écrit sur la base de la pièce de George Bernard Shaw, Pygmalion, provisoirement intitulée My Lady Liza – et qui deviendra My Fair Lady () - Rodgers a répondu: «S'ils vous demandent de faire ce spectacle, je pense que vous devriez le faire. Si ce n'est pas le cas, faites-le-nous savoir, car nous serions ravis de vous engager». Le rôle d'Eliza Doolittle dans My Fair Lady () fera de Julie Andrews une star.
Une autre candidate était Janet Leigh, que Rodgers admirait beaucoup, mais l'actrice s'est avérée indisponible. Les producteurs ont finalement choisi Judy Tyler, auditionnée après que Rodgers l'ait repérée à la télévision alors qu'il regardait The Howdy Doody Show, dans lequel elle est apparue dans le rôle de la Princesse Summerfall Winterspring.
Le chant de Tyler, très belté, dérangeait le metteur en scène Harold Clurman, car il pensait que cela faisait paraître son personnage dur et antipathique. «Est-ce que ça ne vous dérange pas?» a-t-il demandé à Rodgers. Mais celui-ci a répondu: «Elle est si jolie que je ne peux même pas y penser.»
Rodgers malade Durant ce même été 1955, un autre problème est apparu: Rodgers éprouvait de la douleur à la mâchoire gauche et rendait régulièrement visite à son dentiste, qui n’était pas inquiet. Mais, en septembre, le dentiste a eu des doutes et a renvoyé Rodgers chez un médecin, puis chez un spécialiste en chirurgie de la tête et du cou. Le diagnostic fut lourd: un cancer de la mâchoire, sans doute le résultat des années où Rodgers fumait et buvait beaucoup. Le chirurgien fut assez mesuré: «Il n’est pas trop tôt, mais il n’est pas encore trop tard».
Les interprétations de la famille de Rodgers sur sa maladie furent très variables.
Sa fille, Mary Rodgers pensait: «Quand il a finalement eu un cancer de la mâchoire, je pense qu’il a été soulagé. Parce qu’il attendait depuis si longtemps que quelque chose de terrible se produise, quand cela s’est finalement produit, il s’est dit: «Oh, eh bien, j’en ai fini avec ça» et il était toujours assez curieusement heureux quand il était à l’hôpital, qu’on s’occupait de lui.»
Mais Daniel Melnick, qui était alors marié à son autre fille Linda Rodgers, a tiré la conclusion contraire: «Avant que cela ne se produise, il était toujours très extraverti et, dans les années à venir, il a commencé à battre en retraite. Pour quelqu’un de cette époque, le cancer était la peste, une condamnation à mort. Quand il l’a frappé, il a eu un effet dévastateur disproportionné.»
Le diagnostic a été posé un vendredi. Les répétitions pour Pipe Dream () devaient commencer le mardi suivant, et l’opération pour le mercredi. Au cours du week-end, Rodgers a écrit une nouvelle chanson et a terminé trois manuscrits pour piano. Il a obtenu la permission de passer à la répétition du mardi matin avant d’entrer à l’hôpital pour se préparer à l’opération. Quand il s’est réveillé le mercredi, sa réaction est toute simple: «Ce que je savais, c’est que j’étais de nouveau conscient dans la salle de réveil, moins une tumeur maligne, une partie d’une mâchoire et de nombreux ganglions lymphatiques.»
Cette opération était lourde: toutes les dents du côté gauche de sa mâchoire ont été enlevées, il a bavé de manière incontrôlable au début, et la pièce de métal qui a remplacé son os de mâchoire laisserait son visage (et son sourire radieux) en permanence un peu déséquilibré, avec pour résultat qu’il préférerait désormais être photographié de profil du côté droit. En public, il était généralement résilient. «Je ne peux pas dire que les procédures chirurgicales et médicales de mon expérience à l’hôpital ont été agréables, mais elles n’avaient rien d’horrible non plus», écrira-t-il des années plus tard. Dix jours après l’opération, même s’il passait encore ses nuits à l’hôpital, il est retourné aux répétitions, pour de courtes durées, et le plus souvent en simple «spectateur».
B) Création
B.1) Répétitions (àpd 20 sept. 1955)
Au début des répétitions Steinbeck a écrit à Hammerstein: «Je suis ravi de Pipe Dream (), de son livret, de sa partition, de sa mise en scène et de sa distribution.» Mais au fur et à mesure de l’avancement des répétitions, un certain désarroi s’est installé en lui, car au fur et à mesure de l’avancée du travail, lentement, la pièce a été modifiée. Tant lors des répétitions, mais surtout lors des Try-Out.
B.2) Try-Out : New Haven (22-29 oct. 1955) et Boston (1-26 nov. 1955)
Selon Helen Traubel (Fauna, la mère maquerelle): la pièce a été «nettoyée ... chaque scène étant, l’une après l’autre, châtrée». Cela a le mérite d’être clair. Les réécritures successives ont rendu le métier de Suzy moins clair et ont également camouflé ce qu’était le Bear Flag Café, un bordel. Une révision a supprimé le casier judiciaire de Suzy pour «mendicité». Ces changements ont été déclenchés par le fait que les spectateurs lors des Try-Out à New Haven et Boston n'étaient pas à l'aise avec l’environnement et le rôle de Suzy; au moment où les révisions ont été terminées, le scénario disait que Suzy était une pensionnaire de Fauna. Dire que la pièce a été «nettoyée» au sens de rendue «propre» n’est pas un mensonge.
Pendant l’avancement des Try-Out de New Haven puis de Boston, Steinbeck devient de plus en plus mal à l’aise face aux adoucissements introduits par Rodgers et Hammerstein. Steinbeck a noté cette tendance sur une page notifiant un changement de dialogue :
«L'une des critiques les plus sérieuses est l'incertitude quant au rôle de Suzy au Bear Flag. Soit c'est une maison close, soit ce n'en est pas. Soit Suzy y a trouvé un emploi, soit elle ne l'a pas fait. A ce niveau, la pièce n’est pas satisfaisante et laisse le public perplexe. Ma position est que Suzy a bien accepté le travail, mais qu’elle n'était pas douée pour cela. Dans le livre, Fauna explique que Suzy n'est pas bonne en tant qu’entraîneuse parce qu'elle a un côté ‘lady’ en elle. J'aimerais que nous puissions garder cette pensée, car elle explique beaucoup de choses en peu de temps.»
John Steinbeck
Dans un autre mémo, Steinbeck a noté que l’émotion de découvrir que Suzy était une prostituée créait une grande partie de la tension dramatique à la scène dans laquelle Doc rejette Suzy, et plus tard, lorsqu’elle-même le rejette. Sinon il n’y a aucun enjeu dramatique, si ce n’est ceux d’une histoire d’amour banale.
Dans la version finale, les activités de Suzy au Bear Flag Café ont été passées sous silence, alors qu'Hammerstein se concentrait sur le développement de sa relation avec Doc. Faisant allusion à l'accent mis par Hammerstein sur la scène dans laquelle Suzy prépare de la soupe à Doc après que Hazel se soit cassé le bras, Steinbeck a déclaré:
«Vous avez transformé ma prostituée en infirmière à domicile!»
John Steinbeck
L’un des initiateurs du projet, Cy Feuer, est tout aussi clair:
«Pipe Dream était devenu une dentelle, et les deux étaient responsables, pas seulement Hammerstein.»
Cy Feuer
Hammerstein avait modifié la raison du malaise de Doc. Initialement, Doc était dépité, car lors de son retour après la Deuxième Guerre mondiale dans sa ville de Monterey, il trouvait que tout avait changé, il ne reconnaissait plus cette ville qu’il avait quittée il y a quelques années. Dans Pipe Dream () le malaise est sa première rencontre avec son service de guerre à sa première rencontre déconcertante avec Suzy. Dans la scène où Suzy arrive à Monterey, soi-disant une gamine poussiéreuse, elle chante une chanson plaintive, sur une mélodie obsédante de Rodgers, Everybody Got a Home but Me:
I rode by a house
With the windows lighted up,
Lookin’ brighter than a Christmas tree,
And I said to myself
As I rode by myself,
Everybody’s got a home but me.
Je suis passé près d’une maison
Avec les fenêtres éclairées,
Plus brillantes qu’un sapin de Noël,
Et je me suis dit que,
Comme je passais seule,
Tout le monde a une maison sauf moi.
«Everybody Got a Home but Me» de «Pipe Dream»
de Rodgers et Hammerstein
Steinbeck avait créé une Suzy malmenée par la vie, qui était devenue une prostituée, mais dont le cœur continuait à battre. Comme Steinbeck l’a dit, Rodgers et Hammerstein en ont fait une infirmière à domicile, sans travail.
Si on s’intéresse au numéro d’ouverture de l’acte II, The Happiest House on the Block, Rodgers et Hammerstein faisaient ressembler le Bear Flag Cafe un peu comme un avant-poste de l’USO (United Service Organizations, une organisation à but non lucratif qui fournit des services de loisirs et de soutien moral aux membres de l’armée américaine):
The happiest house on the block
Is quietly sleeping all day,
But after eleven
Our little blue heaven
Is friendly and foolish and gay
La maison la plus heureuse du quartier
Dort tranquillement toute la journée,
Mais après onze heures
Notre petit paradis bleu
Est amical et fou et joyeux
«The Happiest House on the Block» de «Pipe Dream»
de Rodgers et Hammerstein
Hammerstein avait la réputation d’être pudibond. Après tout, il était né à l’époque victorienne (1902) et il est, très majoritairement, resté façonné par cette époque. La seule blague «cochonne» qu’il approuvait était la blague subtile suivante, difficilement traductible:
A man walks into a store and asks the clerk: “Excuse me, Miss, do you keep stationery?”
She replies: “Yes, until the very last minute, and then I go crazy!”
Il est sans doute paradoxal de voir qu’Hammerstein ne peut transgresser la «morale» en révélant le véritable métier de Suzy au moment même où il transgresse cette «morale» en étant lui-même engagé dans une liaison extraconjugale avec Temple Texas, une danseuse remarquable qui jouait Agnes, l’une des filles du Bear Flag Cafe dans le spectacle.
Si l’on regarde cette période par le petit bout de la lorgnette, Rodgers ayant un cancer et Hammerstein étant sans doute plus distrait que d’habitude, il n’est peut-être pas étonnant que Pipe Dream () ait eu plus que son lot de problèmes.
Beaucoup de chansons de Rodgers étaient belles, mais il n’était pas toujours présent pour les entendre. Hammerstein a fait de son mieux pour «accompagner» la mise en scène hésitante de Harold Clurman.
Mais ces deux empereurs des musicals, qui auraient autrefois su froidement réparer leur spectacle, l’ont laissé dériver vers un flop…
Parce que le conflit entre Doc et Suzy — initialement le rejet par Doc d’une femme qu’il aime parce qu’elle est prostituée — n’a jamais été précisé, Steinbeck s’est plaint que les amants potentiels avaient été réduits à «deux personnes immatures qui se chamaillent». Lors des Try-Out à Boston, Steinbeck a écrit à Hammerstein une lettre emplie de tristesse où il mettait cartes sur table et a résumait le nœud du problème auquel le spectacle était confronté. Rappelant que le critique respecté de Boston, Elliot Norton, avait déclaré que le spectacle était «conventionnel», Steinbeck en a profité pour rebondir:
«J’en ai entendu d’autres dire la même chose en parlant de douceur, de manque de force, de manque de robustesse, tout ce que les gens disent quand ils se sentent déçus. Et croyez-moi, Oscar, c’est ce que ressentent les spectateurs. Ce qui émerge maintenant est une histoire d’amour à l’ancienne. Et ce n’est pas suffisant pour les gens qui ont attendu avec impatience ce spectacle créé par vous, moi et Richard. Lorsqu’Oklahoma! () est sorti, il violait toutes les règles conventionnelles des musicals. C’était un énorme risque. Ils ont adoré et étaient avec vous. South Pacific () a fait un grand bond en avant. Et on vous a même sommé de continuer à aller de l’avant. Mais Oscar, le temps a changé. La forme a changé. Vous ne pouvez pas rester immobile. C’est le prix à payer pour être Rodgers et Hammerstein.»
John Steinbeck
Dur… Surtout quand c’est écrit par un auteur aussi important que John Steinbeck.
B.3) Création à Broadway : 30 novembre 1955
Pipe Dream () a été créée à Broadway le 30 novembre 1955 au Shubert Theatre, le Majestic Theatre n’étant pas disponible. Le spectacle avait bénéficié de la plus grande prévente de billets de l'histoire de Broadway à l’époque, soit 1,2 million de dollars.
Mais les critiques new-yorkais ont largement partagé l’avis de Steinbeck:
- «À l’exception de la belle musique, c’est presque un fiasco» - Time
- «Le spectacle est si chaleureux envers ce monde froid et si hautain par rapport à ses bas-fonds qu'il ressemble à un caramel au beurre enrobé de houblon. Dans la chanson The Man I Used to Be, Doc se plaint de ne pas s’amuser autant qu’avant parce qu’il a «une mission dans sa recherche scientifique. Je me demande si quelque chose d’étrangement similaire ne commence pas à arriver à Rodgers et Hammerstein. Les auteurs semblent incapables de garder l’esprit sur la gaieté. La philosophie ne cesse de percer... Quelqu’un semble avoir oublié d’apporter ce gallon de bon vin rouge.» - Walter Kerr du Herald Tribune
Une partie du ressentiment de Steinbeck a été dissipée lors de la deuxième soirée, à laquelle il a assisté, puis est allé dans les coulisses pour saluer les acteurs. Après un dîner de fête chez Sardi’s au cours duquel le gérant a envoyé du champagne à sa table, il a dit à sa femme Elaine: «Le théâtre n'est-il pas merveilleux?» Était-ce un peu ironique? Personne ne le sait. Quoi qu’il en soit, Steinbeck n’avait aucune rancune; il a dit plus tard à Hammerstein qu'il acceptait que Rodgers et Hammerstein étaient les responsables du spectacle et avaient le droit d'y apporter des modifications.
Malgré la prévente anticipée de 1,2 million de dollars dont nous avons parlé, la plus importante de l’époque à Boradway, Pipe Dream () allait connaître la plus courte série de toutes les créations signées Rodgers et Hammerstein, avec seulement 246 représentations. Il n’y aura pas d’US Tour. Et, comme dans le cas d’Allegro (), il n’y aurait pas de production londonienne, il n’y aurait pas de version cinématographique ni de revival à Broadway. Et il y aurait même très peu de reprises amateurs.
Comme Rodgers et Hammerstein étaient désormais les seuls investisseurs de leurs créations, ils ont perdu tout leur investissement. Et Feuer et Martin qui devaient recevoir la moitié des bénéfices n’ont jamais vu un sou.
Même dans les semaines qui ont suivi l’ouverture du spectacle, Hammerstein était toujours en train de réécrire — un fait souligné par Ed Sullivan dans un hommage à Pipe Dream () le 5 février 1956, lorsqu’il a décrit charitablement le spectacle comme le dernier «smash» de Rodgers et Hammerstein. Ce dernier a dit à Sullivan qu’il n’y avait aucune raison de ne pas essayer d’améliorer un spectacle, même celui que le public payait déjà pour voir. Mais ils n’ont jamais réussi à redresser la barre.
Rodgers et Hammerstein n'avaient pas autorisé les ventes de salles à des groupes, appelées «soirées théâtre», pour la majorité de leurs spectacles. Mais ils ont levé cette interdiction pour Pipe Dream () et ces ventes de salles s’ajoutant aux préventes ont contribué à maintenir le spectacle, car il y a eu très peu de ventes de tickets individuels après la soirée d'ouverture compte tenu des très mauvaises critiques. Plus de 70 représentations ont été entièrement vendues à des groupes.
Des années après l’échec du spectacle, Steinbeck a déclaré dans une lettre adressée au directeur du casting John Fearnley que les dés avaient été pipés dès que Rodgers et Hammerstein ont décidé d’appeler le spectacle Pipe Dream ().
«Ce titre indiquait que Rodgers et Hammerstein n’y croyaient pas. Ils disaient au public que ce n’était pas la réalité avant même de commencer... Si vous lisez à nouveau Sweet Thursday, vous verrez que j’en ai cru chaque mot et que je l’ai créé comme si c’était la chose la plus importante au monde. Pipe Dream () n’a convaincu personne.»
John Steinbeck
Le verdict de Billy Rose – un producteur de Broadway – était plus succinct:
«Vous savez pourquoi Oscar n’aurait pas dû écrire cela? Parce qu’il n’a jamais été dans un bordel de sa vie.»
Billy Rose
A) Synopsis
L'action de la pièce se situe au milieu des années 1950 et se déroule à Cannery Row à Monterey, en Californie. Dans le livre de Steinbeck qui constitue la base du musical, Bear Flag Café est un bordel et Suzy une prostituée. Ceci est évoqué dans le musical, mais jamais exprimé directement.
A.1) Acte I
Aux petites heures du matin, dans un laboratoire de Monterey, en Californie, un biologiste marin surnommé Doc observe des échantillons d'étoiles de mer au microscope prêts à être expédiée vers une université. Lorsque son ami, le simple d'esprit Hazel, que tout cela dépasse, se demande pourquoi il s'intéresse autant à ces échantillons, Doc explique que comprendre la diversité de la vie dans notre écosystème nous aide à mieux nous comprendre (All Kinds of People).
Millicent Henderson, une femme glamour et riche, entre par la pièce voisine, où elle a passé (une partie de) la nuit avec Doc. Elle vient tout juste de se réveiller.
Mac, un autre ami de Doc, arrive avec Suzy, une vagabonde qui vient de se couper la main en brisant une vitrine pour voler un beignet. Bien que Doc ne soit pas médecin, il n'est pas dérangé par le fait que ses voisins viennent chercher chez lui une assistance médicale quand ils en ont besoin. Doc lui bande la main.
Suzy, nouvelle en ville, est curieuse du travail de Doc. Doc, Hazel et Mac lui expliquent les bassins de marée à Suzy (The Tide Pool). Doc se met en colère contre Suzy qui a lancé une insulte à Millicent. Ils se disputent et Suzy le défie, lui demandant à quoi sert finalement tout son travail. Au moment où il sort précipitamment, elle le remercie d'avoir pris soin de sa main.
Mac sermonne Suzy sur le fait que Doc ne mérite pas d'être harcelé et il encourage Suzy à se détendre après ce qui a dû être un long voyage. Agitée, elle lui raconte son voyage de San Francisco à Monterey (Everybody's Got a Home but Me), révélant qu'elle ne sait pas où elle va dormir maintenant. Suzy demande à Mac s'il habite dans le coin et il lui montre un entrepôt au loin; lui et ses huit amis qui y sont accroupis l'appellent «The Palace Flophouse».
Une autre amie de Doc, Fauna, apparaît et lui demande d'essayer le whisky qu'elle envisage pour son entreprise. Elle dirige un établissement (bordel) de l’autre côté de la rue appelé The Bear Flag Café. Mais Fauna, ayant appris qu'une nouvelle fille de la ville s'était blessée, est surtout venue chez Doc pour rencontrer Suzy. Dans un premier temps, Fauna est réticente à inviter Suzy dans son Bear Flag Café, mais lorsque Jim, un flic local en civil qui recherche la fille qui a cassé la vitrine d'un magasin, offre à Suzy un dollar pour quitter la ville, Fauna décide d’accueillir Suzy. Suzy est pleinement consciente de quel genre d'endroit il s'agit. Suzy accepte la proposition de Fauna… En partant, Fauna propose d'acheter à Suzy de nouveaux vêtements et de quoi manger.
Quelques semaines plus tard, Mac dit à Jim que depuis que Suzy a amené Doc à réfléchir à ce qu'il fait de sa vie, Doc parle de vouloir écrire un document de recherche, mais cela nécessitera l'achat d'un microscope coûteux. Chez lui, au Palace Flophouse, Mac n'est pas sûr que Doc sache réellement comment rédiger un article académique. Ray arrive pour essayer de convaincre son beau-frère de revenir à la maison et stupéfie les habitants sans emploi du en révélant qu'il travaille à temps plein 52 semaines par an (On A Lopside Bus). Le Palace Flophouse, où résident Mac, Hazel et d'autres habitants, est un hangar de stockage derrière le magasin chinois, auquel il est relié, qui appartient maintenant à Joe le Mexicain. Il est inclus dans l'acte de propriété du magasin. Mais les hommes du Palace Flophouse ne savent pas si Joe sait qu'il possède également l'entrepôt qu'ils appellent (illégalement) leur maison: il n'a semblé ni exiger un loyer ni les expulser. Même s'il n'est pas encore venu percevoir le loyer, il se rendra forcément compte, à la période des impôts, que l'entrepôt lui appartient.
Joe arrive chez Fauna avec un copain mexicain qui joue de la trompette et a besoin d'un travail. Joe lui suggère de jouer pour les clients de Fauna, et elle accepte de le prendre à l'essai. Avant de partir, Joe mentionne que Doc l'a aidé avec ses impôts sur le revenu. Fauna note que Doc se comporte étrangement ces derniers temps. Joe prétend que c'est dû à une femme spéciale, mais Fauna n'est pas d'accord (Bum's Opera).
Quelques jours plus tard, Mac et Hazel tentent de savoir si Joe est au courant qu'il est propriétaire du Palace Flophouse. Mac rappelle à Joe que Doc prête toujours une main généreuse à ses voisins; maintenant que Doc a besoin de financement pour acheter un microscope, la communauté devrait se rassembler pour l'aider. Pour faire avancer la conversation, Joe s'engage à donner dix dollars si on fait tourner un chapeau. Mac suggère de manière opportuniste un plan qui encouragerait un plus grand nombre de soutiens: une tombola truquée avec le Palace Flophouse comme prix supplémentaire. (De cette façon, le Flophouse appartiendrait à Doc, qui ne forcerait jamais Mac ou sa bande à quitter leur maison.) Ne semblant pas savoir que l'acte de propriété de l'entrepôt est en sa possession, Joe aime l'idée et propose de vendre des billets de tombola à ses clients et amis.
Pendant que Doc travaille, Suzy arrive avec un gâteau envoyé par Fauna. Il lui parle d'un «leprechaun» (un farfadet) qui s'est introduit dans son poste de travail et a rangé certaines choses, laissant un ragoût irlandais mijoter lentement sur la cuisinière. En fait, elle a rangé tranquillement sa chambre pendant qu'il était au bassin de marée pour attraper des spécimens. N’ayant pas compris le message d’attachement, voir de flirt, de Suzy, Doc lui demande pourquoi Fauna enverrait un gâteau si elle ne voulait rien en retour, ce qui la bouleverse. Elle sort en trombe, laissant Doc réfléchir seul dans le laboratoire (The Man I Used to Be).
Fauna arrive, confirmant que Doc avait raison: elle veut quelque chose. Elle essaie de persuader Doc, qui a beaucoup de succès auprès des dames, de courtiser Suzy. Lorsque Doc se montre dédaigneux, Fauna explique que Suzy n'est pas très utile au Café et qu’un important groupe d'habitués est prévu ce soir-là. Ce serait plus facile pour Fauna que Suzy ne soit pas présente, car elle rend souvent les choses plus difficiles. Doc accepte de tenir compagnie à Suzy pour la nuit, la traitant comme une dame. Fauna est reconnaissante et retourne au Bear Flag Café, attendant avec impatience un jeudi soir lucratif (Sweet Thursday). Au Café, pendant que les filles se préparent pour le grand soir, Mac donne à Suzy un message de Doc qui l’invité à un dîner élégant. En privé, Fauna essaie que Suzy prenne confiance en elle, lui rappelant de réfléchir avant de parler et d'être elle-même (Suzy is a Good Thing).
Ce soir-là, le rendez-vous de Doc et Suzy suscite un grand intérêt auprès des habitants de la Cannery Row, la rue principale de Lonterey. Doc, portant inhabituellement une cravate, rencontre Suzy pour le dîner. Tous deux sont nerveux. A table, Suzy essaie d'agir comme une dame, mais le vernis craque parfois. Néanmoins, Doc est inexorablement charmé par elle (All At Once You Love Her). A la fin du repas, ils décident de continuer la soirée sur une dune de sable isolée.
A.2) Acte II
Le lendemain matin, les filles du Bear Flag Café sont épuisées après cette soirée privée. Elles se détendent et bavardent sur le retour très tardif de Suzy à la maison, se demandant comment s'est passé son rendez-vous avec Doc. Au même moment, bien que nous ne soyons qu'en juillet, Fauna est en train de commander les futures cartes de Noël du Bear Flag Café et montre aux filles une proposition. Fièrement, elle lit l'inscription à l'intérieur (The Happiest House on the Block).
Suzy raconte en privé à Fauna la nuit dernière: les intentions de Doc n'étaient pas claires, bien qu'il ait admis à un moment donné qu'il était «seul». Il ne lui a fait aucune avance concrète! Suzy continue de douter d'elle-même, étant persuadée que Doc «n’a besoin de personne comme moi». Fauna lui répond qu'elle est folle de penser ainsi. Fauna encourage Suzy à se reposer avant d'impressionner à nouveau Doc lors de la grande fête du lendemain soir: le Flophouse doit organiser une soirée costumée la nuit suivante, au cours de laquelle le tirage au sort doit avoir lieu.
Le lendemain, Fauna et les filles examinent les costumes de la fête et décident d'un nouveau thème: Blanche-Neige et les Sept Nains. Mac arrive, s'exclamant qu'ils ont vendu plus qu'assez de billets pour acheter le microscope de Doc et ensemble, ils anticipent avec enthousiasme la célébration (The Party That We're Gonna Have Tomorrow Night). Les garçons du Flophouse préparent un sketch pour la fête.
Doc prétend qu'il ne peut pas rester mais ils le convainquent tous… N’oublions pas qu'il doit gagner le tirage au sort, comme prévu. Tout le monde déguisé et la fête commence (The Party Gets Going). Les scénettes à thèmes commencent. Fauna entre déguisée en sorcière et lorsque Hazel entre en tant que prince charmant (avec un timing ridiculement mauvais), elle se transforme en la Fée Marraine de Blanche-Neige (I Am A Witch). Après un tour de passe-passe avec les tickets, Doc remporte la tombola, à la surprise de certains. Mais la soirée n’est pas finie, car chacun à ses objectifs… En tant que Fée Marraine, Fauna présente Suzy, habillée en Blanche-Neige, vêtue d'une robe de mariée (Will You Marry Me?). Tout le monde est ému de manière inattendue jusqu'à ce que Fauna fasse référence à Suzy comme à l'épouse de Doc et que Doc en fasse une blague pour alléger l'ambiance. Suzy est en détresse et Doc part pour les bassins de marée. Alors que les deux partent dans des directions opposées, le groupe se désintègre dans une bagarre.
Le lendemain matin, Suzy convainc Jim de lui prêter de l'argent pour qu'elle puisse rester en ville; elle a trouvé un travail de serveuse dans un restaurant de hamburgers et un nouveau logement – une chaudière abandonnée de locomotive! Jim demande à Hazel ce qui s'est passé la nuit précédente, et Hazel lui répond qu’il a du mal à comprendre et, à la réflexion, il a du mal à comprendre beaucoup de choses (Thinkin'). A un tel point qu’il en oublie la question…
Quelques semaines passent et Joe le Mexicain courtise Suzy. Joe demande à Fauna où réside actuellement Suzy, impressionné par sa nouvelle indépendance. Lorsqu'il part lui faire une sérénade, Fauna le met en garde: ses affections vont dans une autre direction. Ces tentatives de Joe irritent Doc. C’est un signe qui laisse l’entremetteuse Fauna satisfaite (All At Once You Love Her - Reprise).
Le lendemain, Fauna trouve Doc «effrayé» à l'idée de dire à Suzy qu'il l'aime. Fauna, ses filles et les garçons du Flophouse s'unissent pour encourager Doc et l'aider à affronter ses peurs. (How long?)
Doc se rend dans la nouvelle maison de Suzy avec des fleurs à la main – la chaudière abandonnée, ou le «tuyau» comme elle l'appelle (pipe en anglais, d’où le titre). Il ne comprend toujours pas la raison pour laquelle il aime une fille comme Suzy. Suzy le laisse entrer dans la chaudière qu'elle a aménagée comme une maison. Il s'excuse pour ce qui s'est passé lors de la fête. Essayant d'orienter la conversation, il lui demande ce qu'elle recherche chez un homme. Elle lui répond qu’aujourd’hui elle se débrouille bien au restaurant de hamburgers, mais qu’elle reste reconnaissante envers Fauna de lui avoir accordé sa confiance. Et elle est en effet suffisamment confiante pour dire non à Doc. Leur opportunité de romance semble perdue. Pourtant, ils décident tous deux d’être plus intelligents la prochaine fois qu’ils tomberont amoureux. (The Next Time It Happens). Doc admet qu'elle n'est pas la seule à avoir appris quelque chose de ses erreurs, en supposant qu'il est impossible que quelque chose d'aussi merveilleux puisse se produire plus d'une fois dans la vie. Il part, sans grande résolution.
Hazel voit Doc encore plus découragé qu'avant et demande une explication à Suzy. Suzy lui répond qu'elle n'est pas disposée à vivre avec Doc, mais que «s'il était malade ou s'il se cassait une jambe ou un bras ou quelque chose comme ça», elle irait chez lui et lui apporterait de la soupe.
Les roues commencent à tourner dans la tête de Hazel de manière inhabituelle… Quelques temps plus tard, lorsque Mac croise Hazel dans la rue, Mac est surpris de voir son ami avec une batte de baseball à la main.
Le lendemain, lorsque la scène s’ouvre dans le laboratoire de Doc, il reçoit un traitement d'un vrai médecin et essaie de comprendre comment il s'est cassé le bras. Suzy entre et lui prépare de la soupe pendant que Hazel et Mac regardent à tour de rôle par le trou de la serrure. Maintenant qu'il a un bras cassé, dit-il à Suzy, il va lui falloir le conduire jusqu'aux bassins de marée. Doc avoue enfin son amour pour Suzy et ils s'embrassent.
Fauna et les filles arrivent, accompagnés des autres garçons du Flophouse. Doc et Suzy sortent du laboratoire et les habitants célèbrent leur union durement gagnée. Mac donne à Doc ce qui a été acheté avec l'argent de la tombola: le plus grand (télé)scope du catalogue. (Final: Sweet Thursday – Reprise).
B) Personnages
B.1) Doc
Biologiste marin très apprécié à Cannery Row, Doc aide toujours généreusement ses voisins lorsqu'ils lui rendent visite. Il est passionné par la biodiversité marine et les bassins de marée, mais sa vie de travail solidaire l'a rendu un peu trop à l'aise en gardant les autres à distance. Lorsqu'il rencontre Suzy, une sans-abri, quelque chose change. Bien qu'il ait du mal à partager ses sentiments, Doc finit par trouver le courage de lui dire ce qu'il ressent.
B.2) Suzy
Après s'être débrouillée toute seule dans la route pendant de nombreuses, Suzy arrive à Cannery Row, désespérée d’obtenir de la nourriture et un logement. Lorsqu'elle est presque forcée de quitter la ville pour avoir volé de la nourriture, elle tombe amoureuse de Doc, mais doit accepter un emploi dans un bordel sans aucune autre option. Après avoir lutté pour surmonter ses propres problèmes d'estime de soi, Suzy devient indépendante et finit par trouver le bonheur avec l'amour de sa vie, Doc.
B.3) Fauna
La mère-maquerelle et propriétaire du Bear Flag Café de Cannery Row, un bordel proche du laboratoire de Doc. Comme Doc, Fauna est respectée dans la ville et est fière de son entreprise. D'un air maternel, Fauna prend vraiment soin de ses filles et donne même sa chance à Suzy en lui offrant un abri et un travail. Quand Fauna voit Suzy se débattre, elle lui apprend à garder la tête haute.
B.4) Hazel
Bon ami de Doc, Hazel a reçu ce prénom féminin par erreur après que sa mère l'ait confondu avec l'un de ses huit autres enfants. Il est un peu lent, mais noble et aimé de ses amis et colocataires du Palace Flophouse, un entrepôt délabré où ils vivent tous illégalement.
B.5) Mac
Peut-être le résident le plus astucieux du Palace Flophouse, Mac est le premier à se rendre compte que leur maison squattée pourrait leur être retirée. Déterminé à maintenir ce logement non légal, Mac élabore une stratégie pour le protéger et trouve un moyen d'aider Doc tout en s'aidant lui-même.
B.6) Joe
Nouveau propriétaire d'un magasin, Joe est un propriétaire d'entreprise mexicain à Cannery Row. Généreux et honnête, il aide à trouver du travail à ses amis dans le besoin. Il ignore que l'acte de propriété de son magasin comprend le Palace Flophouse, un entrepôt où Mac et sept autres hommes locaux vivent illégalement.
B.7) Ray
Le beau-frère de George, Ray est un homme d'affaires qui étonne les garçons du Palace Flophouse avec des récits de sa vie de travail stable 52 semaines par an.