8.
1943 - Oklahoma!

 9.2.
Le Golden Age
en un coup d'œil

 9.3.7.
Me and Juliet
(1953)

 9.3.9.
Pipe Dream
(1956)

 9.4.
Quelques «followers»
directs

 10.
1964-1970
La crise

Le maccarthysme ou maccarthisme est une période de l'histoire américaine, connue également sous le nom de «Red Scare» (Peur Rouge) et qualifiée fréquemment de «Chasse aux Sorcières». Pendant deux ans (1953-1954), la commission présidée par Joseph McCarthy traqua d'éventuels agents, militants ou sympathisants communistes aux États-Unis. Plusieurs millions d’Américains sont soumis à des enquêtes judiciaires et policières.

A) Engagements politiques de toujours...

A.1) Engagement politique d'Oscar Hammerstein II

Comme si le rythme effréné de la création et de la production ne lui suffisait pas, Oscar Hammerstein devenait chaque jour un peu plus occupé par de nombreux engagements en dehors du monde du théâtre. Il n’avait jamais été du genre à dire non à ce qu’il considérait comme une bonne cause et était l’une des voix libérales les plus fidèles du monde du divertissement. Au cours de ses «années calmes» à Los Angeles, il avait aidé à fonder en 1936 la Hollywood Anti-Nazi League, pro-soviétique, connue plus tard sous le nom d'American Peace Mobilization dont le but de sensibiliser les membres de l'industrie cinématographique américaine afin de lutter contre le fascisme et le nazisme. Il avait été président de sa commission culturelle, aidant à organiser des émissions de radio et à écrire des articles pour lutter contre l’intolérance raciale. Mais en 1939, la signature de l’accord Molotov-von Ribbentrop, scellant une amitié contre nature entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, a rendu cette ligue obsolète. Oscar Hammerstein a aidé à fonder sa remplaçante, la Hollywood League for Democratic Action.

image
People's Song - Juin 1947 - Vol 2 N°5

En 1945, il a aidé à mettre sur pied le Independent Citizens’ Committee of the Arts, Sciences, and Professions, dont le but était de promouvoir la participation au processus démocratique et serait plus tard dénoncé – en plein Maccarthysme – comme une organisation communiste. En 1946, il rejoint des artistes et des écrivains comme Paul Robeson et Woody Guthrie en tant que membre fondateur de People’s Songs, qui organise des divertissements pour des causes progressistes.

Hammerstein avait également été actif dans le Writers' War Board, une organisation privée de propagande qui travaillait en étroite coordination avec des agences gouvernementales pour promouvoir la cause alliée et combattre le racisme et l’antisémitisme sur le front intérieur. Le groupe a réussi à obtenir que l’armée embauche des travailleurs médicaux noirs et que la Croix-Rouge cesse de classer les dons de sang par race!!!. Nous sommes dans les années ’40 !!! Des auteurs comme Stephen Vincent Benét et Thornton Wilder ont écrit des articles, des essais, des discours, des textes radiophoniques et des livres pour financer l’effort de guerre. Oscar assistait aux réunions hebdomadaires du groupe tous les mercredis, tout en siégeant dans des comités pour créer une émission de radio promotionnant l’aviation navale. Après la guerre, ce groupe s’est reconstitué sous le nom de Writers Board for World Government, une partie du mouvement fédéraliste mondial en pleine croissance, préconisant la formation d’un gouvernement international plus fort que les Nations Unies. Cela deviendra la cause politique la plus passionnée d’Oscar Hammerstein.

Au même moment, Hammerstein restait très impliqué dans l’American Society of Composers, Authors and Publishers, et allait également devenir président de l’Authors Guild, une organisation consacrée à la protection du droit d’auteur et à la préservation des droits créatifs des écrivains.

À l’époque d’Hollywood, les activités politiques et philanthropiques de Hammerstein n’avaient pas empiété sur son travail créatif, ne serait-ce que parce qu’il n’avait pas durant cette période beaucoup de travail stimulant ou satisfaisant à faire. Rappelons qu’à l’époque, Hammerstein était dans un «creux». Mais, depuis Oklahoma! () – qui se jouait toujours devant des salles combles (et nécessitant des auditions régulières pour les remplaçants de la distribution et les compagnies de tournée) – Hammerstein s’est rendu compte que ses démarches de producteur indépendant et son engagement politique lui laissaient peu de temps pour le laborieux processus d’écriture.

A.2) Richard Rodgers n'est pas en reste

Richard Rodgers était tout aussi occupé et avait le même ressenti qu’Hammerstein. Dans ses mémoires Rodgers se retourne sur cette période de folie:

«Même aujourd’hui, il m’est difficile d’écrire calmement sur cette période extraordinaire de ma vie. Il n’y avait tout simplement aucun répit. À peine finissions-nous un projet que nous en commencions un autre. La plupart du temps, nous avons travaillé sur plusieurs spectacles simultanément. Chaque jour nécessitait un flot incessant de décisions. Qui remplacerait Ethel Merman pendant ses vacances? L’offre de quel producteur de cinéma devions-nous choisir pour John Loves Mary? Quelle maison de disques devrions-nous choisir pour l’album original de notre prochain spectacle? Pourrais-je me permettre le temps de rencontrer un jeune interviewer du Los Angeles Times?»

Richard Rodgers

B) En 1953, les choses se corsent...

En 1953, les préoccupations d’Hammerstein vont au-delà de l’aspect artistique. Lorsque son passeport expire en juillet, afin d’en recevoir un nouveau, on lui a demandé de signer et de déclarer sous serment qu’il n’était pas, et n’avait jamais été, membre du Parti communiste. Mais une fois que cela fut fait, on lui a délivré un passeport limité valable seulement six mois, et non les deux ans qui étaient alors la norme. On lui a argumenté que le département d’État avait des informations à propos de sa loyauté en tant qu’Américain, et que pour être éligible pour un nouveau passeport de deux ans, il devrait déposer une déclaration de ses convictions. Sa première réaction selon la famille et ses amis a été simple: «Qu’ils aillent au diable

Cette réponse n’était guère surprenante. Hammerstein était un libéral politique et un fervent défenseur des libertés civiles depuis des années. Comme nous l’avons rappelé ci-dessus, dans les années ‘30 et pendant la Seconde Guerre mondiale, il avait appuyé un certain nombre de causes de gauche. Mais, à la lumière de la dure Guerre Froide, tous les gens qui s'étaient opposés au nazisme et au fascisme en Allemagne, en Espagne et en Italie dans les années ’30 – ils étaient prémonitoires, mais furent punis pour leur prescience – ont été qualifiés de «premature antifascists» (antifascistes prématurés). En Europe, après la Seconde Guerre mondiale, ces gens furent vénérés. Aux États-Unis, ces «antifascistes prématurés» et seront ciblés pendant le maccarthysme. Incompréhensible!

D’où vient ce terme? Ce terme a été utilisé comme mot de code par le FBI pour désigner un «communiste» ou un «communiste présumé». Il faisait clairement référence à des personnes qui étaient antifascistes lorsque les États-Unis étaient en paix avec l'Italie et l'Allemagne avant la Seconde Guerre mondiale. Il est considéré comme normal que les Américains se soient battus contre Hitler, Mussolini et Franco une fois la guerre déclarée, mais pas avant! Parmi les «antifascistes prématurés», on retrouve tous ceux qui avaient soutenu l'Espagne républicaine pendant la guerre civile de ce pays, tant moralement que physiquement. À la fin de la guerre civile espagnole, le seul soutien de la République était l'URSS de Staline et les divers acteurs furent associés au Komintern dans les démocraties occidentales. Ainsi, on a supposé que ces «antifascistes prématurés» étaient probablement devenus communistes. C’est du moins ce que pensaient J. Edgar Hoover (directeur du FBI de 1935 à sa mort en 1972) et de Joe MacCarthy.

Hammerstein avait un ami de toujours, le scénariste et producteur Hy Kraft, qui est revenu à New York après avoir été mis sur la «Hollywood blacklist» pour avoir invoqué le Cinquième Amendement (de la Constitution Américaine) lors de sa comparution devant le House Committee on Un-American Activities. Cette «Hollywood blacklist» (liste noire d’Hollywood) était une liste d’artistes à qui les studios hollywoodiens refusaient tout emploi, parce qu’ils les soupçonnaient de sympathie avec le parti communiste américain. On y retrouve Charlie Chaplin (qui ira jusqu’à s’exiler en Europe de 1953 à sa mort en 1977), Leonard Bernstein, Arthur Laurents, Arthur Miller, Harold Rome, … pour n’en citer que quelques-uns.

Oscar et Dorothy Hammerstein ont tenu à l’inviter à dîner et à regarder un film, et ont ensuite insisté pour qu’ils passent tous les trois chez Sardi’s pour boire un verre. Ce restaurant n’a pas été choisi par hasard, car il peut être considéré comme une institution à Broadway, comme «le» lieu de rencontre avant et après spectacle, ainsi que comme lieu pour les soirées de première. Et c'est même là que les Tony Award ont été imaginés. Aller au Sardi’s revient à «se montrer». Et Kraft en témoigne lui-même: «Le geste d’accueillir publiquement un ami ayant invoqué le cinquième amendement était un engagement provocateur qui a fait se soulever de nombreux sourcils».

Au fil des ans, Rodgers et Hammerstein avaient employé des communistes ou d’anciens membres du parti comme Howard Da Silva, le Jud Fry original d’Oklahoma! () ou Jerome Robbins, le chorégraphe de The King and I (). Mais alors que Rodgers avait adopté une approche plutôt passive face à la plupart des questions politiques, Hammerstein était lui beaucoup plus franc et direct. En 1950, en tant que président de la Dramatists Guild, de la Radio Writers Guild et de la Screenwriters Guild, Hammerstein s’était publiquement prononcé avec fermeté contre la «Hollywood blacklist»:

«Les rédacteurs de cette blacklist établie sur base de leurs propres opinions politiques, aussi répugnantes soient-elles, sont plus en accord avec les pratiques des Soviétiques qu’avec nos traditions démocratiques.»

Oscar Hammerstein


En février 1953, lorsque l’US Tour s’arrête à Atlanta pour une semaine de représentations, certains représentants de l’État de Géorgie ont dénoncé la chanson You've Got to Be Carefully Taught et ont déposé un projet de loi pour interdire les œuvres de divertissement ayant «une philosophie sous-jacente inspirée par Moscou». Hammerstein a rétorqué aux journalistes qu’il était surpris par l’idée que «tout ce qui est bon et humain doive nécessairement provenir de Moscou».

Voici cette chanson si «dangereuse» qui suit le moment où Nellie découvre que les enfants d'Emile sont d'origine métisse. Frustré et incapable de comprendre, Emile demande à Cable pourquoi lui et Nellie ont de tels préjugés. Cable, rempli de dégoût de soi, répond que ces préjugés racistes, «ce n'est pas quelque chose avec lequel on est né», c’est une partie bien enracinée de leur éducation.

Cable
You’ve got to be taught to hate and fear,
You’ve got to be taught from year to year,
It’s got to be drummed in your dear little ear—
You’ve got to be carefully taught!

You’ve got to be taught to be afraid
Of people whose eyes are oddly made,
And people whose skin is a different shade—
You’ve got to be carefully taught.

You’ve got to be taught before it’s too late,
Before you are six or seven or eight,
To hate all the people your relatives hate—
You’ve got to be carefully taught!
You’ve got to be carefully taught!

I was cheated before
And I’m cheated again
By a mean little world
Of mean little men.
And the one chance for me
Is the life I know best.

To be on an island
And to hell with the rest.
I will cling to this island
Like a tree or a stone,
I will cling to this island
And be free—and alone.

Cable
Il faut apprendre à haïr et à craindre
Il faut vous l'apprendre année après année,
Il faut le tambouriner dans votre chère petite oreille
Il faut vous l’apprendre soigneusement.

Il faut vous apprendre à avoir peur
Des gens dont les yeux sont bizarrement faits,
Et des gens dont la peau est d'une teinte différente.
Il faut vous l’apprendre soigneusement.

Il faut vous apprendre avant qu'il ne soit trop tard,
Avant l'âge de six, sept ou huit ans,
À haïr tous les gens que vos proches détestent —
Il faut vous l’apprendre soigneusement.
Il faut vous l’apprendre soigneusement.

J'ai été trompé avant
Et je suis encore trompé
Par un méchant petit monde
Fait de méchants petits hommes.
Et la seule chance pour moi,
C'est la vie que je connais le mieux.

Être sur une île
Et au diable le reste.
Je m'accrocherai à cette île
Comme un arbre ou une pierre,
Je m'accrocherai à cette île
Et serai libre et seul

«You've Got to Be Carefully Taught» de «South Pacific»
Oscar Hammerstein


Ce plaidoyer franc de Hammerstein allait le rattraper en 1953. Surtout qu’il était totalement inconscient que les hauts fonctionnaires du FBI s’intéressaient à ses opinions politiques depuis au moins deux ans, comme le montrent aujourd’hui les archives. Le 29 juin 1951, Alan H. Belmont, le chef de la division du renseignement intérieur du bureau, a informé D.M. Ladd, le n°3 du FBI, que Clyde Tolson, le n°2 du FBI, avait été informé qu’un membre anonyme du Senate Subcommittee on Internal Security (Sous-comité sénatorial de la Sécurité Intérieure) avait soulevé des questions au sujet d’Hammerstein. Si cela, ça ne fait pas Union Soviétique!!!! La surveillance à ce niveau n’était pas futile. Ladd, lui-même fils d’un sénateur républicain du Dakota du Nord, avait été expert en espionnage allemand pendant la Seconde Guerre mondiale et avait été chef du contre-espionnage du FBI, supervisant ses enquêtes sur Alger Hiss, mais aussi Julius et Ethel Rosenberg (un couple de New-Yorkais communistes arrêtés pour espionnage au profit de l’URSS, exécutés sur la chaise électrique le 19 juin 1953).

La note de service d'Alan H. Belmont a ajouté qu’Hammerstein avait été «affilié ou participé aux activités de 17 organisations» qui avaient été citées comme communistes par le procureur général des États-Unis, le House Un-American Activities Committee, ou le California Senate Subcommittee on Un-American Activities. Parmi ces 17 organisations figurent :

  • American Committee for Protection of Foreign Born (Comité américain pour la protection des personnes nées à l'étranger)
  • The Civil Rights Congress (Congrès des droits civiques), une organisation américaine de défense des droits civiques impliquée dans la représentation des Afro-Américains condamnés à mort et voulant mettre en lumière l'injustice raciale aux États-Unis
  • The National Negro Congress (Congrès national des nègres), une organisation à grande échelle ayant pour but de lutter pour la libération des Noirs et contre toute discrimination raciale
  • The National Committee to Win the Peace (Comité national pour gagner la paix), une organisation faisant campagne pour pour le désarmement nucléaire et le retrait de l’implication américaine en Chine, aux Philippines et la guerre civile en Grèce
  • The United American Spanish Aid Committee, une organisation américaine créée en 1936 qui donnait de l'argent, des produits médicaux et de la nourriture aux loyalistes espagnols pendant la guerre civile d’Espagne

Cette note de service citait aussi une chronique de 1950 publiée par Lee Mortimer dans le Daily Mirror sous le titre «Reds, Pinkos and Fronters in Entertainment Field» dans laquelle le nom d’Oscar Hammerstein apparaît fréquemment. Lee Mortimer y affirme ironiquement: «Je ne trouve aucune trace de son plaidoyer pour partager les profits de ses grands succès musicaux

Belmont a recommandé que le bureau de l’Internal Security Section ouvre une enquête sur Hammerstein, afin de déterminer s’il fallait l’inscrire dans l’index de sécurité du FBI des personnes à risques. Clyde Tolson, le n°2 du FBI, a paraphé le mémo avec son approbation.

Mais six mois plus tard, en décembre 1951, un autre mémo provenant du bureau de New York a informé Hoover que «dans la mesure où toutes les pistes ont été analysées, cette enquête est fermée par le bureau de New York

Mais le mois suivant, un responsable militaire, toujours sous le couvert de l’anonymat, a de nouveau demandé au FBI des informations sur Hammerstein, ce qui a provoqué une nouvelle note de Belmont, avec une régurgitation des notes précédentes…

Qu’est-ce qui a changé en 1953? Dwight Eisenhower a été élu président. Il est le premier Républicain à atteindre ce poste depuis 20 ans. En 1933, le Républicain Herbert Hoover (aucun lien avec Edgar Hoover du FBI) a cédé la place au Démocrate Franklin Roosevelt (président de 1933 à sa mort en 1945) auquel a succédé le Démocrate Harry Truman (président de 1945 à janvier 1953). Eisenhower était désireux d’apaiser l’aile droite du Parti républicain, dont une grande partie croyait que le gouvernement fédéral était empli de communistes et de compagnons de route. John Foster Dulles, le nouveau secrétaire d’État américain (ministre des Affaires étrangères) a nommé R.W. Scott McLeod, un ancien agent du FBI, comme secrétaire adjoint pour la sécurité et les affaires consulaires. Il avait pour responsabilité principale de mettre en œuvre les règles de sécurité établies dans le décret 10450 d'Eisenhower, qui voulait écarter de tout emploi fédéral toute personne dont les opinions politiques pouvaient les pousser à ne pas être loyaux aux États-Unis, mais aussi les alcooliques, les personnes atteintes de «perversion sexuelle» (c’est-à-dire à l’époque, les homosexuels). Entre 7.000 et 10.000 employés fédéraux, soupçonnés d’homosexualité, ont perdu leur emploi dans les seules années '50. Si on se limite au département d’État des États-Unis (l'équivalent du ministère des Affaires étrangères des autres pays), McLeod a dirigé des enquêtes qui ont abouti au départ, soit par licenciement, soit par démission sous pression, de quelque 300 employés soupçonnés d'être des sympathisants communistes et de 425 employés soupçonnés d'homosexualité.

Sous les ordres de McLeod, Ruth Shipley, la chef de la division des passeports, a refusé ou restreint les passeports de toute personne qui pourrait présenter un risque pour la sécurité – à nouveau pour des raisons d’orientation politique ou sexuelle. Hammerstein est tombé dans ses filets.

Comme nous l’avons vu, quand le passeport d’Hammerstein, en 1953, n’a été prolongé que de 6 mois plutôt que les 2 ans légaux, il a d’abord réagi de manière immédiate: «Qu’ils aillent au diable

Mais Hammerstein avait des intérêts commerciaux importants en Angleterre qui exigeaient des voyages, parfois dans l’urgence. En 1953, South Pacific () se jouait encore à Londres et The King and I () allait y être créé…. Il a donc dû reconsidérer sa réaction initiale. Il lui fallait un passeport et il a dû se résoudre à défendre son patriotisme devant les autorités de Washington.

En octobre 1953, il a commencé par écrire un brouillon de lettre où il faisait un point pratique sur ses intérêts commerciaux. Mais le mois suivant, il a abandonné cet argumentaire et a couché des arguments sur un plan supérieur. Il a fermement défendu son patriotisme, expliquant son appartenance à la Hollywood Anti-Nazi League dans les années '30 en notant qu’il s’agissait d’une des rares organisations américaines disposées à affronter Hitler à l’époque. Il écrit qu’il n’a jamais vu l’influence communiste dans les affaires de la ligue, mais il reconnaît:

Il serait malhonnête de ma part de ne pas avouer qu’à plusieurs reprises j’ai été averti qu’il y avait des communistes dans la ligue antinazie. Je me souviens de ma réponse. En fait, j’ai dit: «Mon intérêt maintenant est de faire tout ce que je peux pour éradiquer le nazisme, qui est à mon avis la plus grande menace pour notre culture et notre sécurité. S’il y a des communistes dans cette organisation et qu’ils sont prêts à m’aider à le faire, je peux travailler avec eux sans être moi-même communiste. S’il y avait un feu de forêt à l’extérieur de Los Angeles et que nous étions tous sortis avec des seaux pour y verser de l’eau, je ne demanderais pas à l’homme à mon épaule quelle était sa philosophie politique.» »

Oscar Hammerstein


Hammerstein a également admis qu’en 1949 et 1950, il avait fait des versements annuels de 2$ aux vétérans de la Abraham Lincoln Brigade, qui avaient combattu pour la cause loyaliste dans la guerre civile espagnole. Mais lorsque Howard Reinheimer, dont le bureau avait effectué les paiements, a remarqué que l’organisation figurait sur la liste des organisations suspectes du procureur général, les dons ont été arrêtés. Hammerstein a réaffirmé son opposition à toute forme de discrimination. Il a cité des chansons entièrement américaines comme Ol’ Man River (de Show Boat ()) et Getting to Know You (The King and I ()), citant The Last Time I Saw Paris (chanson composée par Jerome Kern, avec des paroles d'Oscar Hammerstein II, publiée en 1940 et chantée dans le film Lady Be Good () de 1941) comme expression de solidarité avec des alliés démocratiques partout dans le monde. Il a aussi noté que State Fair () était le film préféré des deux généraux Douglas MacArthur et George C. Marshall. Il a déclaré que ses principales causes caritatives après la Seconde Guerre mondiale comprenaient la National Association for the Advancement of Colored People (Association nationale pour l’avancement des gens de couleur), le United Negro College Fund (Fonds du Collège des Noirs unis) et les organismes de bienfaisance catholiques. Il a enfin expliqué que son engagement civique principal avait été avec le World Federalist Movement (Mouvement fédéraliste mondial), qui était lui-même anticommuniste et avait été dénoncé comme tel par le parti communiste.

Hammerstein décrit très bien sa démarche:

«Je devrais insister sur le fait que si j’ai été négligent dans le passé en prêtant mon nom à des organisations avec des titres retentissants, je ne fais plus cette erreur»

Oscar Hammerstein


Pour faire bonne mesure, il a ajouté qu’il avait soutenu à la fois le Plan Marshall pour aider les démocraties en difficulté en Europe et l’«action policière» internationale menée par les États-Unis en Corée, et a noté que malgré son soutien au New Deal, il s’était désenchanté du président Harry S. Truman et avait voté pour Thomas E. Dewey, candidat à la présidence de la République, en 1948. Il a dénoncé le communisme comme «la pire brique d’or qui ait jamais été vendue aux plus démunis».

«Mes pièces et mes chansons font l’éloge de la dignité humaine ou sont simplement romantiques et heureuses. J’ai contribué à l’écriture de nombreuses chansons de ce pays, et je ne crois pas avoir laissé tomber la nation ou mis en danger sa sécurité.»

Oscar Hammerstein


En conclusion, il a dit qu’il espérait que le département d’État ne le considérerait pas comme un citoyen de deuxième ou de troisième classe, et qu’il reconnaîtrait son droit à obtenir le même passeport de deux ans auquel tout Américain loyal a droit.

Ce plaidoyer d’Hammerstein est totalement éloquent…

Ironiquement, le jour même où il l’a rédigé, le lundi 23 novembre 1953, Hammerstein et Rodgers ont participé au dîner du quarantième anniversaire de l’Anti-Defamation League of B’nai B’rith (une organisation aux États-Unis dont le but premier est de soutenir les Juifs contre toute forme d'antisémitisme et de discrimination). Qui était présent dans cette grande salle de l’hôtel Mayflower? Le Président Eisenhower, cinq juges de la Cour suprême, le président des chefs d’état-major conjoints, le procureur général Herbert Brownell, et J. Edgar Hoover lui-même! Rodgers et Hammerstein avaient organisé le divertissement de la soirée: le spectacle mettait en vedette Lucille Ball et Desi Arnaz, Eddie Fisher, Helen Hayes et Rex Harrison. Jane Froman a chanté You'll Never Walk Alone, et quand ce fut le tour de Rodgers et Hammerstein de prendre la parole, Ethel Merman les a présentés, en comptant leurs spectacles sur ses doigts.

Et puis ils ont parlé:

Rodgers – Je pense que le théâtre a un plus grand droit que presque toute autre influence en Amérique, à parler de la démocratie.
Hammerstein – Il n’existe aucune intolérance sur la scène américaine, alors nous pouvons plaider pour la tolérance partout ailleurs.
Rodgers – autrement dit, dans notre maison, tout est en ordre. Nous ne sommes pas embarrassés dans nos théâtres d’utiliser des noms d’oiseaux pour nous appeler les uns les autres, car ils ne sont jamais fondés sur la couleur ou la religion.
Hammerstein – Autre chose, personne ne nous dit quoi écrire.
Rodgers – Le public nous dit ce qu’il aime, et c’est la démocratie pour nous.

Rodgers et Hammerstein – 23 novembre 1953


Il fallait oser dire cela, face à Eisenhower et Hoover, alors que l’on est accusé d’avoir des pensées antiaméricaines.

Dans son propre discours, qui a suivi, Eisenhower n’aurait pas pu être plus favorable aux affirmations de Rodgers et Hammerstein, l’homme à qui l’on refuse le renouvellement de son passeport…

«Je ne voudrais pas me rasseoir ce soir sans insister sur une chose: si nous voulons continuer à être fiers d’être Américains, il ne doit pas y avoir d’affaiblissement du code par lequel nous avons vécu; par le droit de rencontrer votre accusateur face à face, si vous en avez un; par votre droit d’aller à l’église, à la synagogue ou même à la mosquée de votre choix; par votre droit de dire ce que vous pensez et d’y être protégé. Mesdames et Messieurs, ce qui nous rend fiers d’être Américains, c’est l’âme et l’esprit.

Président Eisenhower

https://www.youtube.com/watch?v=-8_d2_yDxEU

«Dinner With The President» - CBS - 23 novembre 1953

La video ci-contre est le témoin de la soirée dont nous venons de parler. L'intervention de Mary Martin, suivie de celles de Rodgers et Hammerstein commence à 43:30. Le discours du Président Eisenhower débute lui à 53:35.

Cette semaine de novembre 1953 sera d’ailleurs celle où le Président Eisenhower commencera à combattre ouvertement McCarthy, qu’il se bornait jusque-là «à ne pas aimer». Le lendemain du dîner dont nous avons parlé, McCarthy passe à la télévision pour répondre à la dénonciation du «maccarthysme» par l'ancien Président Truman en dénonçant lui le «trumanisme» qu’il définit comme «la théorie selon laquelle, quelle que soit l'ampleur du mal, il est juste si cela aide votre parti politique». Le sénateur McCarthy n'est plus un hurluberlu isolé. Le fait que les grands réseaux de radio et de télévision ont accepté de lui donner leurs ondes est significatif. Du point de vue strictement légal, il n'apparait pas que le sénateur McCarty puisse exiger un droit de réponse au Président Truman, qui avait attaqué le «maccarthysme» et non l'homme «McCarty». Mais il lui aura suffi de laisser entendre aux chaînes de radio et de télévision qu'en cas de refus, il saisirait la commission fédérale des communications pour obtenir une durée d'émission égale, sinon supérieure, à celle de M. Truman. Jusqu'alors, le Président Eisenhower avait préféré ignorer McCarthy et oublier les attaques diffamatoires lancées contre le Général Marshall et M. Truman, ses anciens supérieurs hiérarchiques, auxquels il doit beaucoup; il a dédaigné les allusions dirigées contre sa propre personne. Toutefois, sans jamais citer le nom de McCarty, il est intervenu ouvertement en tant que Président des États-Unis dans les controverses sur les «brûleurs de livres», l'«infiltration communiste dans les églises protestantes», la gestion des services de contre-espionnage, etc. Eisenhower n’attaquera jamais de front McCarty – ce qui a prolongé son pouvoir – mais fit tout en sous-main pour qu’il «tombe».

Quelques mois plus tard, lors des élections de mi-mandat, les démocrates ont pris le contrôle de la Chambre et du Sénat. McCarthy était devenu un handicap pour son parti. En moins d’un an, McCarthy fut censuré par le Sénat et sa position de force anticommuniste importante prit fin. McCarthy a terminé son mandat, mais il était désormais universellement rejeté par son propre parti. Il déclina rapidement, tant physiquement qu'émotionnellement. Il apparaissait parfois ivre au Sénat. Il est décédé le 2 mai 1957, à l'âge de 48 ans, des suites d'une maladie du foie provoquée par sa forte consommation d'alcool.

Bien que McCarthy lui-même soit parti, la mort du maccarthysme a pris beaucoup plus de temps. L’hystérie générale à propos du communisme s’est poursuivie sous de nombreuses formes par divers superpatriotes.

Le FBI a continué de garder Hammerstein dans sa ligne de mire jusqu’en décembre 1959, lorsque le bureau a noté que quelqu’un — on ne sait pas qui — demandait encore une fois le dossier généré par l’enquête originale de 1951.