6.
1927 - Show Boat

 7.2.
Les Revues de
l'après Ziegfeld

 7.3.C.
George & Ira Gershwin
(2/10)

 7.3.C.
George & Ira Gershwin
(4/10)

 7.4.
Le Royaume-Uni
Années '20 et '30

 8.
1943 Oklahoma!

D) George et Ira Gershwin (II) (3/10) (Suite)

D.2) Une belle palette de musicals dans les années '30 (Suite)

  Girl Crazy (1930) - 272 représentations  

1930 - Broadway

image

La saison suivante, Girl Crazy () a ouvert à l’Alvin Theatre et ce musical de George et Ira Gershwin a été la plus longue série de la saison 30-31. Il contenait une partition spectaculaire de Gershwin qui a laissé quatre standards (Bidin’ My Time, Embrace You, I Got Rhythm et But Not for Me).

Ethel Merman a fait ses débuts à Broadway dans ce spectacle. Ce fut là qu’a commencé l’une des carrières les plus remarquables du théâtre musical américain. Girl Crazy () était le deuxième spectacle de Ginger Rogers à Broadway (elle avait fait ses débuts deux ans plus tôt dans Top Speed ()), mais une fois que Hollywood lui a tendu les bras, elle n’est plus reparue sur la scène musicale New-Yorkaise avant 1965 quand elle a succédé à Carol Channing lors de la création de Hello, Dolly! (). Outre Ethel Merman et Ginger Rogers, la distribution de Girl Crazy () comprenait également la star de Broadway Willie Howard, qui a ajouté son humour yiddish au spectacle, et le couple de danse de salon, Tony et Renee DeMarco.

Red Nichols et son orchestre comprenaient un nombre ahurissant de musiciens qui sont devenus des grands noms, dont: Glenn Miller, Benny Goodman, Jack Teagarden, Gene Krupa et certaines sources citent également Tommy Dorsey. Le soir de la première, George Gershwin a, en personne, dirigé l’orchestre.

image
Ginger Rogers dans «Girl Crazy»
© www.gershwin.com

L’histoire suivait Danny Churchill (Allen Kearns), un riche playboy que sa famille envoie en Arizona dans l’espoir qu’il s’y installe une fois éloigné de Broadway, de ses lumières, de ses bruits et surtout de ses sirènes féminines. Lorsqu’il part pour les grands espaces, Danny engage un chauffeur de taxi de New York (Gieber Goldfarb, joué par Willie Howard dans un rôle initialement destiné à Bert Lahr) pour l’y conduire. Une fois qu’il arrive à destination dans le petit village perdu, Danny décide que l’endroit a besoin de piments et il décide d’y ouvrir un casino de jeu. Pour parfaire l’ambiance, il fait venir de nombreuses ‘chorus girls’ de Broadway. Mais bientôt, il va succomber au charme à la responsable locale du bureau de poste, Molly Gray (Ginger Rogers). Mais il y a bien sûr d’autres personnages hauts en couleur: Kate et Slick Fothergill (Ethel Merman et William Kent), un couple marié qui dirige le casino de Danny, dont Kate est aussi l’une des artistes. Gieber Goldfarb (Willie Howard) ajoute son humour juif à l’humour global du musical, surtout quand il tente d’échapper aux hommes sans foi ni loi de l’Ouest américain en prétendant être un Indien: il devait être le premier Indien de l’histoire avec un lourd accent juif new-yorkais. Goldfarb a aussi un penchant pour les imitations, et parmi ses victimes se trouvent Eddie Cantor, Maurice Chevalier et George Jessel.

image
William Kent et Ethel Merman dans «Girl Crazy»
© Jim Lane's Cinedrome

Une revue non signée du New York Times a fait l’éloge d’un «très bon» spectacle, «plein d’entrain» et si le livret n’était guère plus que «utilisable», les Gershwins l’ont plus que compensé avec de la «bonne» musique et des paroles «délicates et séduisantes». Le critique mettait en avant cinq chansons : Bidin’ My Time, Embrace You, But Not for Me, Sam and Delilah et I Got Rhythm, et a souligné que cette dernière a provoqué «une véritable frénésie». L’un des «atouts» de la soirée était assurément Ethel Merman qui, avec son «style très particulier de chant», a apporté «un immense plaisir» au public. Quelques mois après l’ouverture, Brooks Atkinson a écrit que la musique de George Gershwin était «pleine d’enthousiasme et de gaieté» et qu’Ira Gershwin avait «écrit les textes comiques les plus réussis dans un spectacle musical américain». Atkinson a également fait remarquer que Ginger Rogers pouvait porter un fusil «sans compromettre son charme» et qu’Ethel Merman pouvait «flatter votre intelligence en jouant son rôle avec une sardonique réserve».

Le musical qui avait ouvert le 14 octobre 1930 à l'Alvin Theatre tiendra l’affiche jusqu’au 6 juin 1931 et sera, comme nous l’avons dit, la plus longue série de la saison. C’est d’autant plus remarquable que, ne l’oublions pas, à cette époque, les ravages économiques et sociaux suite à la crise de ’29 sont à leur apogée.

«I Got Rhythm»
«Songs she has made famous»
© Shellac Revival (2020)

Ce fut un succès immédiat; le buzz avait déjà été formidable depuis le try-out de Philadelphie. Une grande partie du buzz - et presque tout après l'ouverture de Broadway - concernait une jeune sténographe de 22 ans devenue chanteuse de cabaret du Queens qui faisait ses débuts à Broadway dans l'un des rôles secondaires du spectacle: Ethel Merman. Merman ne chantait pas une note pendant la majeure partie du premier acte et le public la considérait comme un simple support comique. Mais dans la dernière scène de l'acte I, elle avait sa chanson, Sam and Delilah. Les spectatuers étaient éblouis dans leurs sièges. Puis presque immédiatement, elle assénait un second coup, fatal celui-là, avec une chanson que George et Ira semblent avoir créée avec sa voix en tête (même s'ils ne l'ont pas fait): I Got Rhythm. Elle a fait rugir le public à en faire tomber le plafond de l'Alvin Theatre. En plein musical, il y a eu un rappel, puis un autre et un autre - plus que quiconque ne pourrait s'en souvenir plus tard. C'était l'un des knock-out en deux coups les plus étonnants de l'histoire de Broadway. À l'entracte du premier soir, Ethel Merman était la nouvelle reine de la comédie musicale américaine, un poste qu'elle n'allait pas abandonner pendant 36 longues et magnifiques années.

1932 - Film RKO

image
«Girl Crazy»
Film (1932) - RKO

Autre preuve de son succès, il y a eu trois versions cinématographiques du musical. La première a été produite par RKO en 1932 avec Bert Wheeler et Robert Woolsey. Contrairement par exemple, à Laurel et Hardy, Abbott et Costello, ou les Marx Brothers - Wheeler et Woolsey sont en grande partie oubliés aujourd'hui, mais ils ont encore leurs fans parmi les cinéphiles. Quoi qu'il en soit, ils étaient extrêmement populaires dans les années '30. Leur production à elle seule démontre que le public n'en avait jamais assez. Les Marx Brothers, par exemple, ont réalisé 13 films au cours de leur carrière, de 1929 à 1949. Wheeler et Woolsey ont réalisé eux 22 longs métrages - plus un court-métrage qu'ils ont réalisé et cinq dans lesquels ils ont fait des apparitions - juste entre 1929 et 1937. Et ils ne se sont arrêtés qu'à cause de la santé défaillante de Woolsey, qui est mort d'une insuffisance rénale à 50 ans en 1938.

Wheeler et Woolsey n'ont jamais été une vraie équipe au sens du showbiz d'aujourd'hui, comme Woolsey a pris soin de le souligner lorsque les deux se sont séparés (brièvement) après la sortie de Girl Crazy (): «J'aurais aimé comprendre que Wheeler et moi n'avons jamais vraiment formé une équipe à aucun moment. Il avait son manager et son avocat et moi j'avais le mien.» Wheeler avait commencé dans le Vaudeville avec un numéro où il montait sur scène avec un livre de blagues et annonçait qu'il allait en lire quelques blagues. Il en lisait une, pui enchainait les blagues totalement ringardes les unes après les autres, d'une telle manière que le public finissait par hurler de rire. Woolsey, qui mesurait 1m65, avait commencé comme jockey mais quand il s'est cassé la jambe lors d'une chute de cheval, sa carrière s'est terminée. Woolsey s'est alors lancé dans le show business.

image
Wheeler & Woolsey dans «Peach O'Reno »
Film (1931) - RKO

Réunir les deux fut une idée de Florenz Ziegfeld: il les a jeté un peu comme deux personnages de bande dessinée face à Ethelind Terry (Rio Rita) et J. Harold Murray (Jim), les deux stars de cette extravagance musicale de 1927 qu'était Rio Rita (). Lorsque RKO a acheté les droits pour tourner le film Rio Rita (), ils ont remplacé les stars par John Boles et Bebe Daniels, mais ils ont demandé à Wheeler et Woolsey de recréer au cinéma leurs rôles de la scène. Déjà à ce stade initial, la dynamique de l'équipe était en place, et elle varierait peu dans les engagements suivant: le naïf Wheeler, aux yeux écarquillés, est manipulé par un Woolsey qui parle vite et qui mange des cigares. Les deux ont eu un tel succès dans Rio Rita () que RKO les a réuni à nouveau (The Cuckoos) et encore (Dixiana), et encore et encore - un nouveau film en moyenne, tous les trois mois. «Ils étaient assez mauvais», avouera plus tard Wheeler, «mais ils ont tous fait de l'argentGirl Crazy () était leur dixième, en deux ans et demi.

Bien que cette première version cinématographique de Girl Crazy () soit amusante en soi, elle est musicalement décevante parce qu’elle n’a conservé que trois chansons du musical original (Bidin’ My Time, But Not for Me et I Got Rhythm). Il faut aussi noter une (partiellement) nouvelle chanson que les Gershwins ont écrite pour le film, le charmant duo comique You’ve Got What Gets Me - en fait une partie de la musique de cette chanson avait été utilisée dans la chanson Your Eyes! Your Smile!, qui avait été abandonnée lors des try-out de Funny Face () en 1927.

1943 - Film MGM

image
«Girl Crazy»
Film (1943) - MGM

Une deuxième adaptation au cinéma du musical est sortie en 1943, produite par la MGM, avec Judy Garland, Mickey Rooney, Rags Ragland, June Allyson, Nancy Walker, Guy Kibbee et Tommy Dorsey and His Orchestra (comme on l’avait mentionné, il est amusant de noter que Dorsey avait vraisemblablement été l’un des musiciens dans la production originale de Girl Crazy () à Broadway). Le film conserve six chansons de la production de Broadway (Bidin’ My Time, Embrace You, But Not for Me, I Got Rhythm, Treat Me Rough et Could You Use Me).

Au moment où Girl Crazy () revient à l'écran, l'attitude d'Hollywood envers les comédies musicales avait diamétralement changé: seulement 10 comédies musicales sortent au cinéma en 1932, lorsque le premier film (échec) de Girl Crazy () est sorti sur les écrans. Par contre il en sort 50 en 1942, l'année où MGM a décidé d'en tourner un remake et 75 en 1943, lors de la sortie de Girl Crazy () de MGM. À présent, les comédies musicales sont devenues les oeuvres favorites d'Hollywood.

MGM a acheté les droits de Girl Crazy () à RKO en 1939 à la demande du producteur Jack Cummings, neveu de Louis B. Mayer, patron de la Metro-Goldwyn-Mayer, L'idée originale de Cummings était de faire un remake du film avec en tête d'affiche Fred Astaire et Eleanor Powell, ce qui aurait vraisemblablement remis l'accent sur les chansons et aurait été plus conforme à la création de Broadway. Mais rien de tout cela n'est jamais arrivé. Cummings a conservé les droits pendant plusieurs années sans réussir à monter le film. Entre-temps, son collègue de la MGM Arthur Freed avait produit un certain nombre de musicals à succès, dont trois avec Mickey Rooney et Judy Garland: Babes in Arms () (1939), Strike Up the Band () (1940) et Babes on Broadway () (1941). .

À la mi-1942, Arthur Freed avait sous contrat le réalisateur John Murray Anderson, le directeur musical Johnny Green, la costumière Irene Sharaff et la starlette de la natation Esther Williams pour développer un film pour Williams, mais cette équipe n'a jamais réussi à accoucher d'un scénario réalisable et le projet est resté en veilleuse. Freed s'est alors adressé à son «collègue» Cummings et a proposé un échange: l'ensemble du «package Esther Williams» contre les droits de Girl Crazy () qui serait destiné à devenir le nouveau film Mickey Rooney et Judy Garland. Cummings a aimé l'idée, tout comme Louis B. Mayer, et l'échange fut finalisé. Cummings produira Bathing Beauty () (1944), le premier film d'Esther Williams. Girl Crazy () est entré en production en janvier 1943 avec pour réalisateur Busby Berkeley, qui avait déjà réalisé les trois précédentes comédies musicales avec Mickey Rooney et Judy Garland dont nous avons parlé ci-dessus.

image
Arthur Freed (1894-1973)
Producteur de cinéma

Aujourd'hui, le nom Arthur Freed est souvent considéré comme un synonyme de «comédies musicales MGM», comme s'il avait été le seul producteur musical de ce prestigieux studio. Or, il n'en est pas du tout ainsi: il y avait aussi Jack Cummings et Joe Pasternak qui tous deux ont eu leur part de gloire à l'époque. Pourtant, l'unité de production dirigée par Freed était une machine de guerre, terriblement bien huilée. Freed avait le don d'attirer les meilleurs talents mais surtout d'en tirer le meilleur parti. Sa production de Girl Crazy () a réuni deux hommes nostalgiques qui voulaient bien faire les choses: Roger Edens et Georgie Stoll, qui tous deux avaient oeuvré dans la fosse d'orchestre de Girl Crazy () à Broadway, 13 ans plus tôt. Stoll est crédité comme directeur musical et Edens comme adaptateur musical. Mais cela ne décrit qu'en surface ce que Edens a vraiment fait sur le film. En réalité, il était le bras droit de Freed, bien plus qu'un simple «adaptateur musical», et sur Girl Crazy (), il était pratiquement ce que l'on appellera plus tard un «producteur délégué» - le gars sur le plateau gardant un œil sur les choses pour l'homme en charge qui est lui libéré. En fait, sur cette version cinématographique de Girl Crazy (), il y a eu des problèmes presque immédiatement.

image
«Girl Crazy» - «I Got Rhytm»
Film (1943) - MGM

La première séquence tournée par le réalisateur Busby Berkeley était I Got Rhythm, qui devait s'intégrer dans le scénario aux trois quarts environ du film. Edens n'aimait pas ce qu'il voyait: «J'avais écrit un arrangement de I Got Rhythm pour Judy Garland et nous n'étions pas d'accord sur le résultat. Je voulais une séquence rythmée et simplement mise en scène, mais Berkeley a tout compliqué. Il a, comme souvent, intégré des foules, des mouvements de caméra et de nombreuses filles en jupes à franges... Sans oubier des figurants qui faisaient claquer leurs fouets et tiraient des coup de fusil, couvrant la musique et la voix de Judy. Eh bien, nous nous sommes hurlés dessus et j'ai déclaré qu'il n'y avait pas assez de place dans ce film pour nous deux.» Bon, Edens a quelque peu exagéré; il n'y a pas eu de coups de feu couvrant la voix de Judy Garland. Pour le reste, il avait raison.

image
«Girl Crazy» - «I Got Rhytm»
Film (1943) - MGM

La relation de travail du réalisateur Busby Berkeley avec sa star, Judy Garland, était également en train de s'effriter. C'était le cinquième film dans lequel il la dirigeait - il y avait eu For Me and My Gal () en plus des trois avec Rooney dont nous avons déjà parlé. La perception par Judy de Busby Berkeley était passée de «Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans lui» (lors de For Me and My Gal ()) à «J'avais pris l'habitude de penser qu'il avait un gros fouet noir et qu'il me fouettait avec» (dans une conversation avec la chroniqueuse Hedda Hopper, rapportée dans l'autobiographie de cette dernière). Judy avait approché de l'hystérie lors du tournage de la séquence I Got Rhythm, sa nervosité étant encore augmentée par une cascade conçue par Berkeley dans laquelle elle et Rooney ont été suspendus par les chevilles. Aggravant encore les choses pour elle, sa chanson était accompagnée de dizaines de pistolets tirant encore et encore autour d'elle. Après que I Got Rhythm ait été dans la boîte, le médecin personnel de Judy lui a ordonné de ne plus danser pendant trois semaines.

Pour mettre la cerise sur le gâteau avec cettre première scène, Berkeley a mis neuf jours pour la tourner au lieu des cinq jours prévus et le budget avait déjà un dépassement de 60.000$. Alors récapitulons: après moins de deux semaines, Girl Crazy () était en retard et au-dessus du budget. Judy Garland était épuisée, Roger Edens était furieux. De toute évidence, Berkeley devait partir. Freed l'a retiré du projet et l'a remplacé par Norman Taurog. Taurog n'est entré dans aucun livre d'histoire du cinéma même si sa carrière a été longue et prolifique à Hollywood. Il a réalisé plus de 170 courts et longs métrages entre 1920 et 1968. En 1931, à 32 ans, il devient le plus jeune réalisateur à gagner un Oscar (pour Skippy) - un record qu'il détient toujours.

image
Judy Garland et Mickey Rooney
«Girl Crazy» - Film (1943) - MGM

Les choses se sont mieux déroulées après ce changement de réalisateur, même si le tournage est resté assez ardu; Rooney et Garland étaient deux des plus grandes stars de la MGM, et le studio a tout fait que leur présence à l'écran soit maximale. Cette version cinématographique de 1943 de Girl Crazy () a utilisé six des chansons du spectacle de Broadway, avec quelques autres (Sam and Delilah, Bronco Busters, Barbary Coast, ...) présentes dans le livret original avant leur suppression. Le scenario original du film prévoyait l'utilsation de Boy! What Love Has Done to Me!, When It's Cactus Time in Arizona et The Lonesome Cowboy mais ces chansons ont été éliminées dans les réécritures du scénario par Fred Finkelhoffe.

Dans cette version, Danny est un étudiant et son magnat de père (Henry O'Neill) annule son retour à Yale et l'envoie à l'université de sa propre jeunesse, dans l'ouest, le Cody College. Là, très vite, sous l'œil du doyen (Guy Kibbee), il va se retrouver comme un poisson hors de l'eau, tombant amoureux de la petite-fille du doyen, la receveuse des postes, Ginger Gray (Judy Garland). Dans les versions précédente le personnage s'appelait Molly Gray. Pourquoi a-t-il changé de prénom? Nul ne le sait... Peut-être pour rendre hommage à l'actrice qui avait créé le rôle à Broadway, Ginger Rogers.

A partir de là, Girl Crazy () devint une variation de la formule hey-les-jeunes-si-on-faisait-un-show, le type d'histoire classique des comédies musicales de Mickey Rooney et Judy Garland, car il permettait sans scénario solide d'enchainer les numéros de chant et de danse. Dans ce film, la variation est devenue hey-les-jeunes-si-on-faisait-un-rodeo-et-sauvions-notre-école-de-sa-fermeture. L’intrigue s'inspire très largement du livret original de Bolton et McGowan... Mais, en 1943, à Hollywood en général, et en particulier dans l'unité de Arthur Freed à la MGM en particulier, il s'agissait avant tout d'être «efficace» et donc, cette version de Girl Crazy () était ce qu’elle reste aujourd’hui: une série exaltante de très beaux moments musicaux, enchaînés les uns aux autres, dans des décors tape à l'oeil.

image
«Girl Crazy» - «But Not for Me»
Film (1943) - MGM

Nous n'allons pas aborder chacun de ces moments musicaux ici... Mais attardons-nous sur l'un des principaux. Une soirée est organisée pour se battre contre a fermeture du Cody College. Cette fête mène à l’inévitable malentendu lorsque Ginger croit que Danny a retrouvé ses anciennes habitudes de séducteur quand il s'approche de la fille du gouverneur (Frances Rafferty). Tout débouchera bien sûr bientôt sur une fin heureuse, mais il faut avant une magnifique lamentation de Judy Garland qui prend la forme de But Not for Me. Ce n’est pas seulement le point culminant de Girl Crazy () - c’est le point culminant de toute la carrière de Judy Garland. Avec tout le respect dû à Over the Rainbow, Have Yourself a Merry Little Christmas ou The Man That Got Away, ici avec But Not for Me on touche au meilleur de Judy. Son collègue Gil Stratton, qui jouait Bud Livermore, a murmuré à la fin de la prise de vue de la scène qu'«il aurait été normal de devoir payer pour assister à un tel moment». La simplicité de la mise en scène de Taurog, la délicate cinématographie de William Daniels, et les talents combinés de Judy et des frères Gershwins fusionnent tous dans le genre de magie que pouvait assurer le Hollywood de cette époque.

Une dernière anecdote. À l’origine, Girl Crazy () devait se terminer par une reprise de Embraceable You, avec Mickey Rooney et Judy Garland entourés par le reste de la distribution. La mise en scène flamboyante de Busby Berkeley de I Got Rhythm, – qui, comme nous l'avions vu, avait provoqué son écartement – devait se situer environ 20 minutes avant la fin du film. Mais vu l'aspect grandiloquent de cette scène, elle risquait de faire passer pour incipides toutes les scènes suivantes. Il y a donc eu un remaniement précipité du scénario et Girl Crazy () tel qu’il est sorti le 26 novembre 1943, s’est terminé par I Got Rhythm. Ça a dû faire mal à Roger Edens; il avait obtenu ce qu’il voulait et Berkeley avait été viré du flim, et maintenant c’est Berkeley qui a littéralement eu le dernier mot – et, rappelons-le, des coups de fouet, des coups de feu et tout et tout. Mais c’était la bonne décision, et, même à contrecœur, Edens a probablement dû l’admettre.

Inévitablement, Girl Crazy () a été un énorme succès, le plus rentable et le dernier des quatre films du duo vedette Rooney/Garland. C’est aussi sans aucun doute leur meilleur. Dommage que ça n’ait pas été tourné en Technicolor mais ... à la MGM à l’époque, le Technicolor était toujours considéré comme un truc cher dont les comédies musicales Rooney/Garland n’avaient pas besoin pour être des succès. Le Girl Crazy () de 1943 est le produit de l’usine hollywoodienne à son meileur, avec deux étoiles au sommet de leur jeunesse, de leur charme, de leur énergie et de leur affection mutuelle. Qui pourrait demander plus?

1965 - Film MGM

image
«When the Boys meet the Girls»
Film (1965) - MGM

La troisième adaptation cinématographique a pour titre When the Boys Meet the Girls (), à nouveau à la MGM, un film sorti en 1965. Les années '60 ont été un âge d’or pour les comédies musicales au cinéma; elles ont dégagé une recette inégalée (plus de 250 millions de dollars) et ont remporté plus de prix (quatre Oscars du meilleur film, plus une poignée plus que respectable de prix d’interprétation) qu’elles n’en avaient jamais eus, et n’en auront jusqu’à aujourd’hui. Il y a eu des triomphes comme: West Side Story (), Gypsy (), The Music Man (), The Sound of Music (), My Fair Lady (), Mary Poppins (), Funny Girl (), Oliver! ()... Rien de moins. Mais il y avait aussi Star! (); Doctor Dolittle (); Camelot (); Hello, Dolly! (); Paint your wagon ()... d’énormes productions, très coûteuses qui ont contribué à ce quart de milliard de recettes, mais pas assez pour réaliser des profits.

Mais il y avait de nombreux signes que cet âge d’or financier était sur sa fin, car le vrai âge d’or, artistique, celui des années ’50, était vraiment terminé. Le cinéma américain des années '50 est un géant aux pieds d’argile. Dans les années 1930 et 1940, les gens allaient trois ou quatre fois par semaine au cinéma. L’arrivée de la télévision ébranle Hollywood. En outre, une loi antitrust interdit maintenant aux studios de tout posséder, soit les droits de production, de distribution et de diffusion en salles. Cherchant désespérément à rester en équilibre financier, les studios ont fortement réduit leurs frais en sabrant dans les départements de musique, les artistes engagés à l’année, les auteurs internes, les orchestres et directeurs de danse internes, … . À la MGM, par exemple, les unités d’Arthur Freed, de Jack Cummings et de Joe Pasternak ont été asséchées. Freed a produit sa dernière comédie musicale cinématographique, Bells are ringing (), en 1960, et il a à peine atteint le seuil de rentabilité; après deux autres films (The Subterraneans et Light in the Piazza), il avait a (à peu près) pris sa retraite. Il avait pourtant nourri un espoir désespéré à la fin des années ‘40, durant les années ‘50 et au début des années ‘60 de produire Say It With Music, un film sur la vie et les chansons d’Irving Berlin, mais en vain.

Les goûts de la musique populaire avaient également changé, et la vieille garde d’Hollywood a eu du mal à s’y adapter. Hollywood était déchiré entre West Side Story () et The Sound of Music () d’un côté, et Jailhouse Rock () et A Hard Day's Night () de l’autre.

image
Connie Francis
«When the Boys meet the Girls» - Film (1965) - MGM

C’est dans cette atmosphère, en plein milieu de la décennie 1960, qu’une troisième version cinématographique de Girl Crazy () a vu le jour. Ce film a été conçu comme un véhicule pour la chanteuse pop Connie Francis. Sa popularité commençait tout juste à décliner sous l’assaut de l’invasion du rock britannique, symbolisée par les Beatles, mais c’est l’analyse que nous en avons aujourd’hui, avec le recul nécessaire. À l’époque, elle semblait plus populaire que jamais, étant la première femme à avoir deux numéros consécutifs dans les hit-parades (Everybody's Somebody's Fool et My Heart Has a Mind of Its Own en 1960).

Toujours en 1960, Connie Francis fait ses débuts à l’écran dans le film de la MGM Where the Boys Are () (la chanson-titre a été un énorme succès). Il était de coutume à l’époque, quand un chanteur avait une chanson à succès, de sortir un nouveau single aussi vite que possible, donc la MGM et Connie Francis ont fait suivre Where the Boys Are par la chanson Follow the Boys. Et c’est pourquoi, lorsque le studio a décidé de retravailler Girl Crazy () pour Connie Francis, le film a été doté d’une nouvelle chanson Connie: When the Boys Meet the Girls.

image
Harve Presnell
«When the Boys meet the Girls» - Film (1965) - MGM

La co-star de Connie était Harve Presnell, un vétéran de l’opéra qui avait fait sensation à Broadway dans The Unsinkable Molly Brown) (), puis remporté un Golden Globe pour la version cinématographique où il jouait avec Debbie Reynolds. À cette époque de sa carrière, il était grand et beau, avec une voix de baryton luxuriante. Mais en 1965, les choses avaient changé et il jouait beaucoup moins: il n’avait plus fait de musical depuis Kismet () en 1955, et avait enchaîné des rôles alimentaires dans des pièces de théâtre, sans qu’il puisse y chanter. Il a fait un autre grand film, volant le succès dans Paint your wagon () à Clint Eastwood et Lee Marvin avec son interprétation de They Call the Wind Maria, puis il revint au théâtre régional et aux tournées de Broadway jusqu’à ce qu’il retourne au cinéma dans ses années ‘60 et ‘70. Les choses ont mieux fonctionné pour lui alors; sa rigidité devant la caméra de ses jeunes années prenait la forme d’une dignité patricienne dans ses années de vieillesse, et il a eu une deuxième carrière distinguée dans des films importants (Fargo, Saving Private Ryan, Flags of Our Fathers, Evan Almighty) avant de mourir d’un cancer du pancréas à 75 ans en 2009.

Mais tout cela était encore un futur lointain en 1965. Pour l’instant, il était Danny Churchill, suivant les traces légères d’Eddie Quillan (le Danny de 1932) et celles plus imposantes de Mickey Rooney (le Danny de 1943). Dans cette version de 1965, Danny est un étudiant diplômé (Harve Presnell avait 31 ans, après tout) dans un College – rappelons qu’aux USA le «College» est une école supérieure – de l’Est entièrement masculin où il crée un scandale en faisant participer une troupe de danseuses dans le spectacle annuel de l’université. Banni, il se retrouve au Cody College près de Reno (Nevada), où il rencontre et tombe amoureux de la responsable de la poste Ginger Gray (Connie Francis). Le ranch du père de Ginger risque la fermeture car ce dernier a d’énormes dettes de jeu envers divers gangsters de Reno. Avec l’aide de ses amis de l’université, il va transformer le ranch de Ginger et de son père en un motel pour les divorcés afin de renflouer les caisses. Danny courtisant Ginger, il tente de garder secrète son ancienne réputation de playboy. C’est alors que débarque son ancienne petite amie Tess, une chercheuse d’or, qui le poursuit sans relâche, lui et sa fortune.

image
Lobby Cards - «When the Boys meet the Girls» - Film (1965) - MGM
© Heritage Auctions, HA.com

Dans l’ensemble, When the Boys Meet the Girls (), n’est pas vraiment un mauvais film. Mais si l’on veut être honnête, la réussite semble fortuite, pas délibérée car le film n’est pas vraiment fini et l’on peut en trouver une double raison dans sa production.

Tout d’abord, la raison principale semble en être redevable à ce que l’on peut charitablement dénommer l’équipe «créative» du film. Ils étaient tous, à une exception près, un ramassis d’amateurs de second ordre – du producteur Sam Katzman au réalisateur Alvin Ganzer, en passant par le scénariste Robert E. Kent et le directeur musical Fred Karger. Sam Katzman avait à son palmarès (plus de 200 films au total) la production de quelques films mémorables de série "B" dont les titres sont éloquents: It Came from Beneath the Sea (1955), Earth vs. the Flying Saucers (1956). Il s’est aussi risqué à quelques films musicaux dont Rock Around the Clock (1956) ou Cha-Cha-Cha Boom! (1956), et deux films secondaires avec Elvis Presley en vedette: Kissin' Cousins (1964) et Harum Scarum (1965). Alvin Ganzer n’a réalisé que deux longs métrages en plus de celui-ci – The Girls of Pleasure Island (1953) et Three Bites of the Apple (1967) – dans une carrière consacrée presque exclusivement à des séries télévisées oubliées.

En plus de la médiocrité des créateurs du film – et peut-être à cause de cela – When the Boys Meet the Girls () a l’air d’un film qui ne sait tout simplement pas pourquoi il est fait, qui est son public cible, ou même ce qu’il vend. Pour en être persuadé, il suffit de comparer les affiches des trois versions cinématographiques de Girl Crazy () :

L’affiche de Girl Crazy () de 1932 sait exactement ce qu’elle vend: Wheeler et Woolsey, pour le meilleur ou pour le pire (et cela semblait «pour le meilleur» à l’époque); leurs visages et leurs noms dominent complètement le graphisme, suggérant une hilarité sans retenue.

C’est la même chose avec le Girl Crazy () de 1943: on annonce clairement les stars Mickey Rooney et Judy Garland – avec en plus en bas d’affiche une mention de Tommy Dorsey et son groupe – le tout agrémenté d’une vache de bande dessinée offrant le promesse d’un torrent de rires.

Maintenant, When the Boys Meet the Girls () .

Il est difficile de faire une affiche comprenant autant d’information, sans aucun message direct, sans aucun nom de vedette apparaissant clairement, … .

Le titre ressort à peine!

En guise de conclusion, cette longue analyse permet de montrer le trajet de ce que beaucoup appellent l’«âge d’or de la comédie musicale à Hollywood» à travers une triple adaptation d’un spectacle légendaire de Broadway.

 

1932-1943-1965 - Un parcours au sein de l'«âge d'or» des comédies musicales à Hollywood

Le Girl Crazy () de 1932 était le produit d’un temps où Broadway s’effondrait et où les comédies musicales semblaient appartenir au «passé». Mais la partition immortelle de Gershwin a été adaptée pour le cinéma en prenant place dans une «comédie musicale verbale» qui ressemblait à une forme d’«avenir». La comédie musicale était à l’aube d’un grand renouveau; le talent étant présent même s’il n’avait pas encore trouvé ses marques dans le domaine cinématographique: les techniques spécifiques qui feraient des musicals hollywoodiens quelque chose de distinctement différent de leurs cousins de Broadway étaient en cours de découverte et de développement.

En 1965, un petit tiers de siècle plus tard est arrivéWhen the Boys Meet the Girls () – un film pas totalement dénué de talent, mais dont l’équipe créatrice ne maîtrisait tout simplement pas ce qu’elle faisait.

Ce naufrage organisationnel se déroule à la toute puissante MGM, rien de moins.

C’était comme si Arthur Freed, Roger Edens, Jack Cummings et Joe Pasternak avaient vidé leurs bureaux leurs bureaux de la MGM, mettant les seules copies du studio de How to Make a Movie Musical dans leurs mallettes avant d’éteindre les lumières.


 

 

Mais entre ces deux moments – symbolisant le début et la fin d’un âge d’or – on est dans un autre monde.

Les étoiles (dans tous les sens du terme) étaient parfaitement alignées, et le produit final ne pouvait être un échec car il avait été conçu en tous points pour ne pas être un échec.

Conçu par le producteur Arthur Freed, qui était arrivé au cinéma avec le son et avait fait ses classes de producteur d’abord sur The Wizard of Oz (); conçu par Roger Edens et Georgie Stoll, qui avaient participé au spectacle Girl Crazy () lors de sa création à Broadway et avaient encore dans leurs doigts la vitalité de la partition de Gershwin; conçu par Busby Berkeley, qui avait participé aux débuts de l’âge d’or et avait encore un truc ou deux, que cela plaise à Roger Edens ou non. Et il a été conçu pour Mickey Rooney et Judy Garland, deux immenses stars, parmi les plus talentueuses qui aient jamais travaillé à Hollywood.

Le Girl Crazy () de 1943 est ce qui pouvait arriver de mieux quand les mécanismes de l’usine Hollywood étaient tous en place et bien entretenus.

 

1992 - Re-naissance: «Crazy for you»

image
«Crazy For You»
Shubert Theatre - Broadway - 1992

Girl Crazy () a connu en quelque sorte une «re-naissance» avec la création de Crazy for you () qui a ouvert au Shubert Theatre à Broadway en 1992 pour une série marathon de 1.622 représentations, du 19 février 1992 au 7 janvier 1996.

L’adaptation vive et joyeuse de Ken Ludwig comprenait les «bêtes» blagues nécessaires («Je ne suis pas venu ici pour me faire insulter!» «Eh bien, où allez-vous habituellement?»).

Le programme du spectacle mentionnait que le livret s’inspirait largement de Guy Bolton et Jack McGowan et de leur Girl Crazy (). Le nouveau livret conservait l’essentiel de l’intrigue originale. La chorégraphe Susan Stroman a créé une série de danses spectaculaires. Cinq chansons de Gershwin issues de Girl Crazy () ont été retenues de la production originale (Bidin’ My Time, Could You Use Me?, Embrace You, I Got Rhythm et But Not for Me) et un certain nombre d’autres ont été empruntées au large catalogue de Gershwin.

Crazy for you () a été recueilli neuf Tony Awards et en a remporté trois (dont la meilleure comédie musicale et la meilleure chorégraphie).