6.
1927 - Show Boat

 7.2.
Les Revues de
l'après Ziegfeld

 7.3.C.
George & Ira Gershwin
(1/10)

 7.3.C.
George & Ira Gershwin
(3/10)

 7.4.
Le Royaume-Uni
Années '20 et '30

 8.
1943 Oklahoma!

D) George et Ira Gershwin (II) (2/10) (Suite)

D.2) Une belle palette de musicals dans les années '30

  Strike up the Band (1930 et … 1927) - 191 représentations  

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La décennie des années ’30 avait ouvert le 13 janvier 1930 à Broadway avec un revival nostalgique du musical de 1903 The Prince of Pilsen () avec Al Shean, une ancienne star du Vaudeville. Ce fut un flop aux 16 maigres représentations.

Le vrai départ de la décennie est assurément symbolisé par le deuxième spectacle qui a ouvert le lendemain à Broadway, la satire antiguerre Strike Up the Band () des frères Gershwin. L’œuvre est plus que le premier nouveau musical de la décennie; elle est importante parce qu’elle inaugure un certain nombre de revues et de musicals politiquement orientés, certains très amers et d’autres plus doux. Strike Up the Band () fut un succès modeste, mais il incarnait l’esprit de l’époque, et sa très belle partition de Gershwin fut la première de trois satires politiques signées des deux frères (il fut suivi du hit fracassant et du prix Pulitzer Of thee I sing () et du flop Let 'Em Eat Cake ()).

Parmi les autres spectacles ouvertement politiques qui ont ouvert au cours de la décennie, on peut mentionner:

  • Free For All () : socialisme sur le campus
  • Face the Music () : satire de la vie de la Dépression
  • Saluta () : comprenait un chanteur et danseur Mussolini, ici nommé «The Dictator»
  • Parade () : revue de gauche
  • Mother () : une diatribe pro-gauche
  • Johnny Johnson () : une diatribe antiguerre
  • The Cradle Will Rock () : un regard de gauche sur la gestion et le travail
  • I'd rather be right () : une satire faible qui dépeint un Roosevelt avuncular chantant et dansant
  • Pins and Needles () : revue axée sur le travail qui trouve le temps de caricaturer Hitler, Mussolini, Hirohito et Anthony Eden dans Four Little Angels of Peace et qui comprend également des chansons et des croquis sur l’ordre de The Red Mikado, The Little Red Schoolhouse, Mussolini Handicap et F.T.P. Plowed Under
  • Hooray for What! () : à propos de la course aux armements
  • No More Peace () : un jeu antiguerre avec un antagoniste semblable à Hitler
  • Sing Out the News () : une autre revue de gauche, qui offrait des croquis et des chansons du type de I Married a Republican, Gone with the Revolution, Congressional Minstrels, A Liberal Education, My Heart Is Unemployed et Franklin D. Roosevelt Jones
  • Knickerbocker Holiday () : où la politique d’Olde New York reflète occasionnellement l’actuelle 1938
  • Leave It to Me! () : une satire légère qui inclut un salut à Notre Amie et Camarade, Mère Russie
  • Sing for Your Supper () : une revue un peu à gauche du centre

En fait, Strike Up the Band () n’est pas vraiment à 100% un véritable nouveau musical. En effet, une production antérieure de Strike Up the Band () avait fermé en 1927 lors de ses try-out à Philadelphie (après une première série au New Jersey) et donc avant son arrivée à Broadway. Le livret était de George S. Kaufman, et le musical se décrivait comme une satire de la guerre. Dans cette version, le fromager américain Horace J. Fletcher (Herbert Corthell) exhortait le gouvernement d’entrer en guerre lorsque la Suisse proteste contre une taxe sur les fromages importés aux États-Unis. La fortune de Fletcher allait financer la guerre, et si le gouvernement accepte de baptiser le conflit en son nom, Fletcher promettait de donner au gouvernement un pourcentage de ses profits de guerre.

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Illustration du Herald-Tribune par Al Hirschfeld
annonçant l'ouverture à Broadway de «Strike up the Band»
© The Clark & McCullough Database - www.http://www.aaronneathery.org/film/CaM/cmcindex.htm

Les enjeux politiques deviennent «complexes» lorsque la Suisse a la témérité d’envoyer au gouvernement américain une lettre qui n’est pas dûment affranchie, un outrage qui force les contribuables à payer jusqu’à six cents pour les frais d’affranchissement!!! Pendant ce temps, la Suisse insiste sur le fait que la guerre soit menée sur son territoire parce que les bagarres seront excellentes pour le tourisme, mais certains aux États-Unis veulent que la guerre se déroule sur le sol américain, tout comme la guerre de Sécession. Mais Fletcher a ses propres problèmes lorsqu’un journaliste révèle que le lait utilisé dans le fromage de Fletcher est de qualité inférieure. Il se remonte le moral en décidant que pour assister à une «bonne» bataille, les spectateurs devront payer 5,50$ la place. Comme si cela ne suffisait pas, les patriotes américains insistent pour que tout ce qui est suisse (y compris Guillaume Tell et le roman Le Robinson Suisse) soit rebaptisé ou interdit. À ce moment, l’Islande déclare qu’elle ne peut rester neutre et déclare ainsi la guerre aux États-Unis et à la Suisse. On retrouve des soldats américains en plein ennui en Suisse, passant leur temps libre à tricoter des chandails pour les gens de chez eux. Les choses finissent par se régler d’elles-mêmes, la guerre est annulée, et il est révélé que l’un des directeurs de Fletcher a toujours été un espion suisse qui s’est arrangé pour qu’une qualité inférieure de lait soit utilisée pour le fromage de l’entreprise. Mais coup de tonnerre final, la guerre revient, car les États-Unis et la Russie sont en désaccord sur un nouveau tarif sur le caviar. On est très loin de l’image que l’on peut avoir des frères Gershwin, près d’un siècle plus tard!

«Strike up the Band»
(2011 Studio Cast Recording)
© PS Classics (2011)

Un consensus se déclara pour estimer que cette satire était un peu trop cynique et directe, et donc trois ans plus tard, le cynisme a été plutôt adouci en remplaçant le fromage par du chocolat et la plupart de l’histoire ne se déroulait plus dans la réalité, mais dans un rêve de Fletcher. Malheureusement, si la production de 1927 était peut-être trop amère, l’adaptation de 1930 était sans doute trop douce. Ces deux versions valent la peine d’être comparées à deux autres œuvres des frères Gershwin, Of thee I sing () (1931) et à Let 'Em Eat Cake () (1933). La première était une satire géniale de la politique américaine qui est devenue l’un des musicals avec la plus longue série de la décennie, mais la seconde était sombre et pessimiste et n’a pas trouvé son public ni les faveurs de la critique, et a fermé après onze semaines.

Le livret de la version de 1930 de Strike Up the Band () était écrit par Morrie Ryskind, à la demande de Kaufman (mais le programme a noté qu’il se basait sur le livret de 1927 de Kaufman). Fletcher est cette fois un fabricant de chocolat qui pousse le gouvernement à faire la guerre à la Suisse lorsque ce pays proteste contre une taxation américaine trop élevée sur l’importation de chocolat. Encore une fois, un journaliste découvre que le chocolat de Fletcher est fait avec du lait de qualité inférieure, mais la guerre (réglée lorsque le renseignement américain intercepte et décode des secrets de l’armée suisse transmis par un yodel, en apparence, innocent), les intrigues des grandes entreprises, et les complications romantiques sont heureusement résolues quand il s’avère que Fletcher a rêvé pratiquement tout le musical! En conséquence, toute dureté qui aurait survécu dans le livret de 1930 était intrinsèquement adoucie vu qu’il s’agissait d’un rêve quelque peu inoffensif.

La satire adoucie de la version de 1930 aurait pu paraître terriblement tiède, mais la partition brillante de Gershwin était l’une des plus belles de l’époque. Les partitions des versions de 1927 et de 1930 avaient de nombreuses chansons communes, mais chacune des versions avait aussi ses chansons propres. La musique est mélodiquement riche avec des paroles alternativement romantiques et comiques. Et il y a de longues scènes qui peuvent rivaliser avec le meilleur de Gilbert et Sullivan. À titre informatif, c’est suffisamment rare, il existe des enregistrements originaux (en studio) des deux versions, ce qui nous permet de disposer de témoignages durables du génie des Gershwins (pour plus d’informations sur les enregistrements, voir ci-dessous).

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La troupe de «Strike up the Band»
& Paul McCullough (extrème gauche) et Bobby Clark (extrème droite)
© www.gershwin.com

Dans la version de 1930, le duo populaire Bobby Clark & Paul McCullough a brillé sur scène. Le cigare de Bobby, sa canne et ses lunettes étaient tous là, comme de vraies références, et bien sûr, il était le maître de la scène. On ne peut qu’imaginer la folie de ses impertinences dans Mademoiselle in New Rochelle lorsqu’il reluquait les ratés suisses et vantait les vertus de leurs «genoux» et de leurs «orteils», sans parler de leurs «ceci» et de leurs «cela». Et comme toujours, McCullough a joué les larbins de Bobby dans ses délires comiques. Et comme dans The Prince of Pilsen (), le musical avait dans sa distribution une ancienne grande star, Blanche Ring, qui jouait Mrs Grace Draper, une femme riche qui souhaitait que les États-Unis accueillent cette guerre parce que, après tout, la guerre de Sécession avait, elle, pu se prolonger longtemps.

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Clark et McCullough dans «Strike up the Band»
© The Clark & McCullough Database - www.http://www.aaronneathery.org/film/CaM/cmcindex.htm

La partition a offert deux standards: la contagieuse chanson titre Strike up the Band et la ballade nostalgique Soon. La musique de cette deuxième chanson était déjà présente, mais de manière brève, dans la production de 1927 dans le final du premier acte. Pour la version de 1930, elle a été élargie et transformée en ballade. Bobby Clark avait deux numéros comiques de premier ordre, Mademoiselle in New Rochelle et If I Become the President. Et puis il y avaient les délicieuses scènes musicales «à la manière de» Gilbert et Sullivan, comme Fletcher’s American Chocolate Choral Society, Typical Self-Made American et He Knows Milk.

La version de 1927 comprenait l’irrésistible Yankee Doodle Rhythm, la lamentation amère d’un soldat, Homeward Bound, et Meadow Serenade, l’une des plus belles ballades que Gershwin ait jamais écrites (étonnement abandonnée dans production de 1930). La version de 1927 comprenait aussi The Man I Love, mais elle a aussi été inexplicablement abandonnée dans la version de 1930. En fait, cette chanson a tenté de se faufiler dans trois musicals de Gershwin et, bien qu’elle n’ait jamais atteint Broadway, elle est néanmoins devenue l’une des chansons les plus populaires de Gershwin. À l’origine, elle faisait partie de la partition de Lady be good () (1924), où elle a été introduite par Adele Astaire, mais a été abandonnée lors des try-out pré-Broadway. Elle se trouvait donc dans la version de 1927 de Strike Up the Band () qui n’a pas atteint Broadway. Enfin, Ira Gershwin a un temps imaginé l’intégrer à Rosalie () (1928) où elle aurait été chantée par Marilyn Miller, mais Ira Gershwin lui-même avoue dans «Lyrics on Several Occasions» qu’il n’est pas sûr que la chanson ait fait partie un jour des répétitions.

Dans sa critique du New York Times de la production de Broadway, J. Brooks Atkinson a trouvé la partition «ambitieuse, originale et polyvalente» et a déclaré que Gershwin avait «apporté une contribution originale à la scène musicale comique». Il a fait l’éloge de l’«effet de chant grégorien» de Fletcher’s American Chocolate Choral Society, l’«humour ironique de Typical Self-Made American et les «folies» de Mademoiselle in New Rochelle. Il a aussi qualifié les «pitreries» de Bobby de «totalement satisfaisantes», décrivant la scène où le comédien fumant son cigare décidait de souffler la fumée à l’intérieur de son manteau, ce qui entrainait l’image hilarante de la fumée tentant de s’échapper par les manches. Atkinson a cependant trouvé que le livret dans un premier temps «prometteur» est vite devenu trop «compliqué et diffus».

Robert Benchley, dans le New Yorker, a estimé que la partition contenait «certaines des meilleures» musiques jamais écrites par Gershwin, et que les paroles d’Ira étaient «toujours élaborées, justes et amusantes». Il estimait que le deuxième acte «perdait petit à petit en intérêt, mais, ayant commencé si haut, cela n’était pas grave».

Quoi qu’il en soit, après l’échec de 1927, la version de 1930 tiendra l’affiche pour 191 représentations au Times Square Theatre. Il y a eu au moins trois reprises majeures du musical, et toutes ont pris l’option de 1927, celle du fromage.