5.
1866 1927 - Recherches

 6.8.
Paul Robeson
«LE» JOE

 6.9.P.
Show Boat
Londres 1971

 6.9.R.
Show Boat
Londres & Angleterre
1989-1991

 6.10.
Le crash de '29
La fin d'un monde

 7.
1927 1943 - Difficultés

Q) Broadway, 24 avril 1983 - Uris Theatre & HGO (1982, 1989, 2013)

Q.1) Houston Grand Opera

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Houston Grand Opera aujourd'hui (The Wortham Center)
© www.houstongrandopera.org

Aux États-Unis, dans le monde de l’opéra, la décennie du bicentenaire du pays (1976) a vu un regain d’intérêt pour les œuvres américaines. Mais la compagnie qui s’est le plus investie dans cette démarche est le Houston Grand Opera (HGO) sous la direction de David Gockley. Nommé directeur en 1972 (il y restera jusqu’en 2005), Gockley a immédiatement montré sa volonté d’étendre le répertoire à venir, par exemple en offrant son soutien à une tournée de Jesus-Christ Superstar (). Il est important de souligner qu’à cette époque Andrew Lloyd Webber n’était encore «personne», sa première œuvre, Jesus-Christ Superstar () n’ayant été crée aux USA qu’en 1971 (versions pas toujours officielles) et en Angleterre en 1972. Selon les mots de l’histoire officielle de HGO:

«la controverse qui s’ensuivit montré à Houston un avant-goût du point de vue éclectique de David Gockley. Cette attitude n’était pas nécessairement un atout aux yeux des plus conservateurs parmi le public de HGO; certains ont presque fait une crise cardiaque à la simple annonce que HGO produirait Show Boat () à côté de «vrais» opéras. Cependant, l’esprit large de Gokley a offert au public de Houston la chance de voir Treemonisha (), Porgy and Bess (), Hello, Dolly! () et le meilleur de Lehar et d’Offenbach

 

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«Treemonisha» - VHS
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«Treemonisha» - CD - EMI

Le Treemonisha () de HGO, la création mondiale de cette œuvre de Scott Joplin de 1910 avec les orchestrations restaurées de Gunther Schuller (qui a également dirigé), a été un énorme succès. La distribution entièrement noire a conquis le HGO’s Spring Opera Festival en 1975 et a fait un National Tour, dont une des étapes fut l’Uris Theatre de Broadway (du 15 octobre au 14 décembre 1975 - 6 previews et 64 représentations), un enregistrement chez Deutsche Grammophon et une captation vidéo télédiffusée sur PBS et puis vendue en VHS. Le succès de Treemonisha () encourage Gockley à programmer un deuxième opéra américain en 1976: Porgy and Bess (). Cette œuvre majeure n’avait plus été vue dans une grande production depuis 1953 (au Ziegfeld Theatre pour 305 représentations), soit près de 25 ans. HGO a proposé une production restaurée et totalement opératique de Porgy and Bess (), qui a fait un US Tour, visitant 18 villes aux États-Unis, dont un arrêt à Broadway l’Uris Theatre (122 représ.), suivie d’une tournée internationale dont La Scala de Milan, Paris, Tokyo, Osaka et Nagoya.

Q.2) Les «Show Boat» de l’HGO

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David Gockley

Le premier Show Boat () de HGO a ouvert ses portes en 1982, et Gockley a suivi le modèle de Treemonisha () et Porgy and Bess () dans la production et l’exploitation de ce troisième spectacle HGO en sept ans qui nécessitait un chœur et des acteurs principaux noirs. Show Boat () a ouvert comme un spectacle d’été, jouant 14 représentations en 10 jours avant de se lancer dans un National Tour, qui est passé par Broadway, toujours à l’Uris Theatre, mais pour une décevante série de 73 représentations. En fait, au même moment, Porgy and Bess () se jouait au Radio City Music Hall. Gockley a reprogrammé Show Boat () en 1989 dans le cadre de la saison régulière de HGO cette fois, avec des opéras européens chantés dans leurs langues originales. Programmé à côté de Carmen, de Les Noces de Figaro et d’Otello (avec Placido Domingo) - dont chacun a été joué 6 à 8 représentations, Show Boat () restant à l’affiche 14 fois, dépassé seulement par la série de 15 représentations de l’opéra familial Hansel and Gretel. La véritable foi que Gockley avait envers Show Boat () permettait d’attirer un public beaucoup plus grand que même des chevaux de guerre comme Carmen. Cela montre la capacité qu’il avait à atteindre un large public populaire, mais aussi que Show Boat () continuait à être une œuvre actuelle.

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Cairo Opera House

Une autre motivation de ce revival de 1989 a été la possibilité de jouer au Caire, où HGO a eu l’honneur d’être la seule compagnie américaine invitée à apparaître dans la saison d’ouverture du Cairo National Cultural Center, un complexe artistique situé sur une île sur le Nil. Une troupe de Kabuki du Japon, des compagnies de ballet de Londres et de Paris, et un orchestre allemand ont complété les visiteurs. HGO avait longtemps été soutenu par l’industrie pétrolière de Houston, et les connexions avec les sociétés du Moyen-Orient étaient un naturel. L’ambassade des États-Unis a également joué un rôle: elle a promotionné le spectacle, encouragé les autres entreprises américaines au Caire à soutenir le spectacle et a négocié un accord avec le gouvernement égyptien pour que les deux tiers des sièges soient vendus au grand public. Show Boat () s’est avéré être un triomphe. Le public du Caire a pris d’assaut le service de réservation, provoquant «une quasi-émeute». Même la répétition générale s’est vendue. Le Caire a été «infecté par la fièvre du Show Boat (),» a écrit le Houston Chronicle, notant que les différents films de Show Boat () ont même été diffusés à la télévision.

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«Show Boat» - Uris Theatre - Broadway

Comme pour d’autres œuvres, le HGO s’est battu pour monter Show Boat () suivant les intentions initiales de Kern et Hammerstein. Leur mission semble bien avoir été de respecter l'oeuvre plutôt que de s'en emparer et s'en servir pour faire une «recréation moderne».

John McGlinn (chef d’orchestre), John DeMain (directeur musical) et Michael Kahn (metteur en scène) ont utilisé l’ouverture originale en s’appuyant sur Mis’ry’s Comin’ Aroun et ont majoritairement réutilisé les orchestrations de 1927, ou presque. Le Hey, Feller de Queenie, qui n'avait plus été utilisé depuis la version de 1932, a été rajouté.

Comme l’a fait remarquer un critique: «Selon toutes les personnes impliquées, cette chanson contribue grandement à la continuité du spectacle en aidant à faire le dernier saut de l’histoire vers les années ‘20. Dans les productions récentes, il n’y avait pas à ce stade d’évolution de la musique pour faire comprendre au public que l’on avait changé d’époque. Hey, Feller le fait.»

Kim n’avait pas de chanson finale et la version de 1989 de HGO semble être le seul revival majeur à mettre le terrible poids de représenter les années ‘20 sur les épaules de Queenie et du chœur noir.

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Bruce Hubbard

Plusieurs basses afro-américaines ont joué le rôle de Joe dans les différentes productions de Show Boat () de HGO.

Donnie Ray Albert, un ancien de Treemonisha () et l’un des deux Porgys du Porgy and Bess () de HGO, ont chanté Joe en 1982, démontrant la continuité du travail pour les chanteurs noirs de ces trois productions. Michel Bell a chanté Joe en 1989 et sera le chanteur du futur revival de Show Boat () par Harold Prince à Broadway dans les années 1990.

Bruce Hubbard, formé à l’opéra, joue Joe à l’Uris Theatre de Broadway en 1983. Il avait débarqué à Broadway en 1976 pour jouer dans le flop 1600 Pennsylvania Avenue (), la comédie musicale interraciale de Bernstein.

Approché pour le Porgy and Bess () au Radio City, Hubbard préférera jouer Joe dans Show Boat () à l’Uris Theatre:

«J’ai dit non à Porgy parce qu’il y avait tant de doublures pour chacun des rôles, que les producteurs ne pouvaient me garantir que je serais sur scène lors de la présence de la presse. J’essayais à cette époque de faire faire un grand bond en avant à ma carrière.»

Bruce Hubbard


Hubbard décrit la chanson Ol’ Man River en termes familiers:

«Dans le film de 1936 de Show Boat (), Paul Robeson a chanté l’enfer avec Ol’ Man River. Son esprit est avec moi. Il s’asseyait sur un rondin et se bornait à chanter simplement. Moi aussi, j’essaie de rester immobile sur scène. C’est la chose la plus difficile à faire, mais très puissante, de s’asseoir là et de laisser les mots tout faire pour vous.»

Bruce Hubbard


Cette voix masculine noire, immobile et puissante, ancrée dans le domaine lyrique, n’avait rien perdu de son pouvoir. Hubbard a misé sur Joe pour lancer sa carrière, mais l’opéra de Gershwin a continué d’être important pour lui. Il apparaitra comme Jake dans Porgy and Bess () au MET en 1985 - la seule fois que la compagnie a mis en scène l’opéra - et à Glyndebourne.

L’opéra de Gershwin et le musical de Kern et Hammerstein ont suivi des chemins parallèles dans les années ‘70 et ‘80, et des chanteurs afro-américains comme Hubbard ont bénéficié de la popularité de ces spectacles américains à l’opéra et à Broadway. Hubbard, cependant, n’a pas eu de carrière en dehors de ces deux œuvres. Il meurt prématurément en 1991, peu après avoir joué Joe une dernière fois dans en Angleterre (). Dans cette production, un critique a fait l’éloge de l’Ol’ Man River de Hubbard qui donnait vie à «la vraie colère raciale», faisant de l’hymne «un cri passionné de protestation contre une vie d’esclavage économique.» Analyser Joe de cette façon faisait partie de la tradition des critiques à Londres, toujours prompt à souligner la critique dans Show Boat () du racisme américain. Il s’agissait cependant d’un signe avant-coureur de la façon dont Show Boat () serait lu par les spécialistes et les critiques dans les années 1990.

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«Show Boat» - Houston Grand Opera - Version 2013

Les critiques new-yorkais ont généralement fait l’éloge du Show Boat () d’HGO pour sa réussite musicale, jouant une partition que tous ont reconnue comme un retour historique sur la scène commerciale d’une œuvre fondatrice du théâtre musical américain. «Fondamentalement, il a été mis en scène avec le même genre de révérence — en utilisant ce mot dans le sens le plus lâche — que s’il s’agissait d’un opéra.» «Il compte de nombreuses voix bien formées (bien que l’amplification essentielle à cet auditorium ingrat [l’Uris Theatre] rend difficile l’évaluation de leur véritable valeur).» Les critiques de l’époque étaient encore réticents, pour beaucoup par principe, aux amplifications des artistes qui devenaient la norme, surtout dans des théâtres de la taille de l’Uris Theatre, le plus grand de Broadway avec 1.933 places. Par contre, les décors et costumes ont été beaucoup plus remis en cause, comme par Variety qui portait de lourdes critiques esthétiques, mais atténuait son propos en rappelant qu’il s’agissait d’un décor de tournée. D’autres étaient plus durs: «Les inévitables faiblesses de tout spectacle en tournée passant par Broadway, apparaissent dans leurs décors et costumes fragiles et criards et dans des interprétations généralement grossières d’artistes très indulgents par rapport à eux-mêmes.» Trouvant un juste milieu, Frank Rich a construit sa critique sur l’opposition entre les «ensembles grossièrement éclairés» et les «voix glorieuses».

Avec le recul, le critique Frank Rich aspirait à ce qu’un metteur en scène comme Harold Prince sauve Show Boat () d’une mise en scène de type opérette – où toute l’importance est mise sur les voix – mettant en évidence les manques de toute mise en scène ne mettant pas en valeur le flux cinématographique auquel l’écriture invite. Harold Prince fera ce pas en 1994 avec sa mise en scène à Broadway. C’était fondamental, car l’approche opératique – à l’époque – centrée sur la musique et le chanteur, rendait impossible un succès à Broadway.

Le spectacle reviendra une troisième fois à l’affiche du Houston Grand Opera en 2013, dans une nouvelle mise en scène de Francesca Zambello, co-produite par quatre maisons d’opéra majeures aux États-Unis: Chicago Lyric Opera (février 2012), Houston Grand Opera (janvier 2013), Washington National Opera (mai 2013), San Francisco Opera (juin 2014).