Leur première aventure productionnelle - c'est-à-dire produire un spectacle dont ils ne sont pas les auteurs - fut un spectacle de théâtre aussi ouvert et nostalgique qu’Oklahoma! (). En 1943, l’écrivaine Kathryn Forbes avait publié avec succès un roman, Mama’s Bank Account, inspiré par les simples joies familiales tranquilles et les luttes de sa grand-mère norvégienne, immigrée à San Francisco au début du siècle. Ici encore, comme dans Oklahoma! (, on parlait de l’Amérique profonde et populaire. Kathryn Forbes y abordait des fragments délicats de la vie domestique: comment gérer la maladie d’un enfant; comment payer les études secondaires d’un fils; comment faire face aux préjugés mesquins de la «bonne société»; comment aider un oncle alcoolique grincheux à mourir avec sa dignité intacte. La force du livre de Forbes résidait dans son étude du caractère de Mama, dont l’ingéniosité résolue et le calme face à chaque adversité résonnaient au milieu des sacrifices de la Seconde Guerre mondiale.
L’adolescente Mary Rodgers, la fille de Richard Rodgers, avait lu le livre, puis l’avait transmis à sa mère, qui l’a adoré. Cette dernière a suggéré à son mari d’en faire une pièce de théâtre. Rodgers et Hammerstein ont lu le roman et ont abouti à la même conclusion: bonne idée. Pour adapter le roman à la scène, ils ont engagé John Van Druten, un auteur et metteur en scène d’origine britannique dont la pièce The Voice of the Turtle (crée le 8 décembre 1943) était à ce moment, à côté d’Oklahoma! () le plus gros succès de Broadway. Il s’agissait d’une comédie de mœurs sur les défis de la vie de célibataire dans le Manhattan en temps de guerre. Sa pièce se jouera cinq ans. Il «était donc «l’auteur du moment» et il est normal que notre duo ait pensé à lui pour adapter Mama’s Bank Account.
Pour jouer Mama, les producteurs ont engagé Mady Christians, une actrice d’origine autrichienne qui avait émigré à New York pour échapper au nazisme et s’était fait remarque dans Watch on the Rhine de Lillian Hellman en 1941. Oscar Homolka a joué son oncle Chris, tandis qu’un nouveau venu de vingt ans nommé Marlon Brando a fait ses débuts à Broadway dans le rôle de son fils, Nels.
John Van Druten a également mis en scène la pièce d’une manière discrètement innovante en plaçant la narratrice – Katrin, la fille aînée de la famille, maintenant adulte – assise sous les projecteurs au bord de la scène, brisant le quatrième mur invisible du théâtre et lisant à haute voix au public un manuscrit de ses souvenirs d’enfance. «Aussi loin que je me souvienne, la maison de la rue Steiner était à la maison», commence-t-elle, avant de poursuivre en introduisant comme un catalogue ses souvenirs, concluant: «Mais d’abord et avant tout, je me souviens de Mama», juste au moment où les lumières s’allument sur le reste de la scène et que l’action commence.
I Remember Mama a ouvert au Music Box Theatre le 19 octobre 1944, alors que Richard Rodgers et Oscar Hammerstein étaient en train de travailler sur Carousel () et attendaient le tournage de leur State Fair (.
Pour le New York Times, il s’agit d’«une délicieuse soirée pour le théâtre». Cela a été un vrai succès et le spectacle s’est joué 713 représentations avant d’être adapté au cinéma en un film à succès de 1948 réalisé par George Stevens, avec Irene Dunne dans le rôle de Mama. C’était une première réussite, de bonne augure, pour la nouvelle équipe de production.