A) Retour à Broadway
Le tournage de Mississippi () ne fut pour Rodgers et Hart qu'un aller-retour à Hollywood. Mais à leur retour à Broadway, comme nous l'avons vu, tout restait à faire pour relancer leur carrière d'auteurs-compositeurs de musicals. Et comme souvent, le hasard va relancer les choses...
Peu de temps après leur retour à New York, Rodgers est tombé dans la rue sur Harry Kaufman. C’était un homme de théâtre aimable qui était devenu responsable des productions de musicals chez les Frères Shubert. Les frères l’avaient engagé justement pour son habilité, car ils étaient bien conscients de leur terrible réputation, et ils pensaient que Harry Kaufman pourrait attirer des gens qui autrement n’auraient pas voulu travailler avec eux. Kaufman venait de produire les Ziegfeld Follies () and Life Begins à 8:40 (), deux revues à succès, et a demandé à Rodgers s'il avait quelque chose en tête qui pourrait intéresser les Shuberts. Et Rodgers a répondu: «Oui...». Et ce n'était pas un mensonge.
De quoi s’agit-il? Je l’ai fait. Pendant que Rodgers et Hart étaient à Hollywood pour le tournage de Mississippi (, ils ont lu dans le journal que RKO, qui venait de finaliser The Gay Divorcee, le deuxième film (sur dix) de Fred Astaire et Ginger Rogers, nominé pour l’Oscar du meilleur film en 1934, cherchait quelque chose de nouveau pour ses stars dansantes.
Rodgers et Hart voulaient depuis longtemps écrire une partition pour Fred Astaire, déjà à l’époque où il dansait avec sa sœur Adèle. L’envie s’était renforcée une fois le duo Astaire/Rogers formé. Rodgers et Hart ont beaucoup discuté du genre d’histoire qui pourrait convenir. Astaire avait fait sa renommée en tant que danseur de salon et de claquettes, et il nous semblait qu’il pourrait être réceptif à une histoire qui lui permettrait de démontrer son talent dans un domaine différent. Après avoir exploité de nombreuses pistes, ils ont finalement inventé la saga d’un ancien chanteur et danseur de vaudeville qui crée et exécute un ballet moderne avec une compagnie de ballet classique. Il y aurait quelques plaisanteries sur le ballet, et bien sûr Fred aurait une liaison avec la ballerine glamour avant de revenir à la petite mignonne qu’il aime vraiment. Il ont donné pour titre au projet On Your Toes () («Sur tes pointes»). Ils ont été jusqu’à présenter ce projet à Astaire lors d’une rencontre à l’hôtel Beverly Hills de Los Angeles. Il était réceptif, mais a finalement refusé; il avait peur que son public ne l’accepte pas sans sa tenue de marque: chapeau haut de forme, cravate blanche et queue-de-pie.
Et c’est évidemment ce projet que Rodgers et Hart ont présenté à Harry Kaufman. Il a trouvé que cette histoire pouvait devenir un grand musical, mais il a pensé à un autre danseur: Ray Bolger. Ce prodigieux danseur jouait à l’époque dans Life Begins at 8:40 () – et avait joué dans leur Heads Up! () – et il ne faisait aucun doute qu’il était un choix parfait pour le premier rôle. Sur la base des grandes lignes de l’histoire et de l’enthousiasme de Harry Kaufman, le producteur Lee Shubert a signé un contrat de production de ce spectacle et a donné à Rodgers et Hart une avance sur les droits d’auteur.
Immédiatement, Rodgers et Hart se sont mis au travail. Une fois les dialogues et environ la moitié des chansons terminés, ils ont présenté leur travail à Lee Shubert. Ce dernier avait la réputation de ne pas être tendre dans le cadre de ce type d’audition. Au cours de la troisième chanson, Rodgers et Hart ont entendu un son étrange: Lee Shubert était endormi, ronflant paisiblement. Après cette présentation, Shubert était devenu un peu moins enthousiaste pour le projet et il n’a rien fait pour le faire démarrer. Chaque fois que les deux auteurs posaient des questions à ce sujet, il insistait sur le fait qu’il avait l’intention de commencer très bientôt…
Rodgers et Hart n’avaient plus créé de musicals à Broadway depuis quatre ans et ils ne pouvaient pas laisser passer cette chance. En plus, ce n’était pas n’importe quel spectacle! C’était un spectacle 100% Rodgers et Hart: paroles, musique et livret.
Pendant que Rodgers et Hart poireautaient, espérant un feu vert de Lee Shubert, ils ont reçu un appel de leur vieil ami Billy Rose, maintenant producteur à Broadway….
B) 16 nov. 1935: «Jumbo» - Succès d'estime
Billy Rose avait un projet de production grandiose qui serait au croisement du cirque et du musical. Il avait déjà loué la salle: le vénérable Hippodrome Theatre (5.300 places) qui avait été jadis le foyer des spectacles de scène les plus éblouissants jamais présentés. Il était devenu un cinéma… Ce sera le dernier spectacle à y être présenté avant sa démolition en 1939. Rose n’ambitionnait pas seulement de louer cette salle, il voulait la vider totalement et la réaménager comme une tente de cirque, avec le public regardant vers la «piste». Toute l’action — les histoires, les numéros de chant et de danse et les numéros de cirque — se déroulerait sur cette piste ou, pour les numéros aériens, au-dessus.
A tous les postes, Billy Rose voulait les meilleurs: metteur en scène, décorateurs, auteurs … Ses agents parcouraient l’Europe pour les trouver plus grands jongleurs, clowns, trapézistes … et les meilleurs numéros avec des animaux. Comme il l’a promis à Rodgers et Hart, ce serait l’attraction la plus gigantesque de son genre, et c’est pour cela qu’il l’appellerait Jumbo ().
Cette proposition, faite à Rodgers et Hart d’écrire la partition, est arrivée à un moment particulièrement opportun, car Lew Shubert n’avait pas l’intention de produire On Your Toes ()… Ils l’avaient d’ailleurs confié à un autre producteur, mais ce dernier, pour commencer, devait attendre que l’option de Shubert soit épuisée. Ils ont accepté de faire Jumbo () sans même voir le scénario. Ce spectacle retrace la guerre entre deux cirques rivaux et est, à ce jour, l'unique tentative à Broadway de combiner une comédie musicale avec un cirque en direct. Il s'agissait plus d'un spectacle de cirque que d'un musical. Mais ce grand spectacle est l’un des événements théâtraux les plus coûteux de la première moitié du XXe siècle.
Jumbo () présente une partition de Rodgers et Hart au sommet de leur forme, dans une mise en scène de John Murray Anderson et George Abbott, et une distribution qui inclut Jimmy Durante, Donald Novis et Gloria Grafton (qui a remplacé Ella Logan en répétition), sans oublier un assortiment d’interprètes spécialisés. La production était en grande partie une excuse de Billy Rose pour présenter un spectacle circassien. Le maigre scénario concernait deux amoureux maudits dont les pères possédaient des cirques rivaux.
Bien que la partition comprenne trois chansons qui sont devenues des succès (My Romance, The Most Beautiful Girl In The World, Little Girl Blue) et que la distribution ait reçu une publicité incroyable en appaissant durant 19 semaines dans une émission de radio («The Jumbo Fire-Chief Program») chantant les chansons du spectacle, il s'est avéré impossible d'équilibrer l’énorme budget de production et Jumbo () a du fermer après 5 mois: 233 représentations du 16 novembre 1935 au 18 avril 1936.
Cependant, après près de trente ans d’attente pour obtenir les droits, la MGM a produit une adaptation cinématographique avec Jimmy Durante, Doris Day, Martha Raye, et Stephen Boyd, et a inclus plusieurs des numéros originaux de la série. Intitulé Billy Rose’s Jumbo () (1962), le film était à peu près aussi fidèle qu’il pouvait l’être au livret original. Le film a été nominé pour un Oscar pour «Best Scoring of Music-Adaptation or Treatment».
Cette idée de musical se déroulant dans un cirque était excellente, à la condition qu'il y ait un livret solide, une vraie histoire. Ce qui n'est pas du tout le cas ici. Un revival ne serait possiblle qu'en modifiant profondément cette faiblesse. Il faudrait réinventer le show. Pour cela il faudrait un producteur un peu fou - car quoi qu'il en soit cela va coûter très cher - et qui ose reconstruire tout le spectacle, un peu comme certains ont osé recréer de nouvelles oeuvres au départ des chansons des frères Gershwins.
Voici un petit bonus avec un reportage sur les répétitions du musical en 1935:
C) 11 avr. 1936: «On Your Toes» - Succès
Après le succès de Jumbo (), Rodgers et Hart pouvaient se consacrer totalement à On Your Toes (). Comme nous l’avons vu, Lee Shubert avait signé un contrat pour produire le spectacle, mais avait été déçu lors d’une présentation des chansons et le projet était bloqué. Il fallait attendre la fin de l’option contractuelle de Shubert pour pouvoir passer à un autre producteur. Dwight Deere Wiman, avait déjà exprimé son intérêt pour le musical.
Mais Rodgers et Hart se voulaient prudents. Ils savaient qu’ils avaient eu beaucoup de succès dans l’écriture des chansons, ils ne voulaient prendre aucun risque dans l’écriture du livret et ils ont présenté le scénario de On Your Toes () à George Abbott pour avoir des conseils. En plus d’être metteur en scène, George avait une expérience considérable en tant que dramaturge, y compris au moins deux pièces de théâtre à succès, Broadway (1926) et Three Men on a Horse (1935). Il a été très honnête, leur disant ce qu’il aimait et ce qu’il n’aimait pas dans le scénario. Rodgers et Hart ont été impressionnés par la qualité de ses remarques, et ils lui ont demandé non seulement de réécrire le livret, mais aussi de mettre en scène le spectacle. Il a accepté, a réécrit le livret, et juste avant que le spectacle entre en répétition, il a brusquement décidé de passer l’hiver à jouer au golf à Palm Beach. Il n’y avait pas d’autre explication; George Abbott voulait simplement du temps libre, et c’est tout. Il leur a fallu, dans l’urgence, trouver un autre metteur en scène…
La création lors des Try-Out à Boston fin mars 1936 s’est avérée très mauvaise. Des mesures drastiques devaient être prises. Rodgers et Hart ont appelé George Abbott à l’aide et il a accepté. Il est venu à Boston et a vu le spectacle. Mais George Abbott était George Abbott… Il n’a fait aucun commentaire ni dit le moindre mot sur la représentation. Rodgers et Hart lui ont suggéré de rentrer à l’hôtel et d’en parler. Abbott a secoué la tête et leur a déclaré tout simplement: «Les garçons, nous aurons beaucoup de temps après les répétitions demain. Maintenant, allons chercher des filles et allons danser.»
Et c’est exactement ce qu’ils ont fait.
Ce qu’Abbott a fait le lendemain matin était simple et radical. Pendant les répétitions, le nouveau metteur en scène avait fait des changements dans le scénario original d’Abbott. Abbott a tout simplement coupé l'entièreté du nouveau matériel et est revenu à son livret original. Et cela a fonctionné. En très peu de temps, ils sont revenus au point de départ qu’ils n’auraient jamais dû quitter.
Salué comme étant l’un des premiers musicals - si pas le premier - à intégrer avec succès de la danse classique, mais aussi du jazz dans la partition, On Your Toes () raconte l’histoire de Phil "Junior" Dolan III (Ray Bolger), professeur de musique à l’Université Knickerbocker, qui tente de persuader Sergei Alexandrovich (Monty Woolley), le directeur du Ballet russe, de mettre en scène le ballet de jazz Slaughter On Tenth Avenue. Après s’être impliqué avec la danseuse étoile de la compagnie, Vera Barnova (Tamara Geva), Junior est forcé d’assumer le rôle principal de Slaughter On Tenth Avenue. Des ennuis s’ensuivent quand il devient la cible de deux voyous embauchés par l’amant et partenaire de danse de Vera pour le tuer.
Le point culminant du spectacle est assurément cette énorme séquence de ballet, Slaughter On Tenth Avenue. Ce ballet fait partie intégrante de l’action: pendant la danse, deux gangsters paraissent dans une loge du théâtre, avec l’intention de tirer sur Junior à la fin du ballet. Voyant leurs armes pointées sur lui, il invite le chef d’orchestre à continuer la musique afin qu’il puisse continuer à danser et éviter d’être une cible. Enfin, la police arrive, et Junior tombe au sol épuisé.
C’est dire si le rôle de ce danseur est crucial. Comme nous l’avons vu, alors qu’ils se trouvaient à Hollywood pour tourner Mississippi (), Rodgers et Hart avaient proposé à Fred Astaire d’être la vedette du futur On Your Toes (), mais ce dernier avait rejeté l’idée parce que l'histoire ne lui aurait pas permis de porter son chapeau haut de forme, son smoking et ses guêtres, caractéristiques de l’image qu’il s’était créée à l’écran. De retour à New York, les deux partenaires ont choisi pour danseur Ray Bolger (célèbre pour sa prestation de l’épouvantail dans le film The Wizard Of Oz en 1939). Pour la chorégraphie, Rodgers et Hart ont choisi George Balanchine, un chorégraphe européen de premier plan qui avait travaillé avec Diaghilev. Il s’était installé à New York en octobre 1933, où il a fondé la School of American Ballet puis une compagnie de danse professionnelle qu'il nomme l'American Ballet, qui commence à se produire au Metropolitan Opera. Rodgers et Hart, après avoir vu un de ses ballets, ont su que Balanchine devait être le chorégraphe de On Your Toes ().
Rodgers et Hart ont rencontré Balanchine un après-midi dans son studio pour jouer la musique de On Your Toes (). Ils ne connaissaient rien à la chorégraphie et ont avoué à Balanchine qu’ils ne savaient pas comment ils devaient s’y prendre. Devait-il concevoir ses pas en premier et s’attendre à ce que Rodgers modifie les tempos chaque fois que cela était nécessaire, ou adapterait-il ses pas à la musique telle qu’elle était écrite? Balanchine a souri et, avec son merveilleux accent russe, a simplement répondu: «Vous écrivez. Je m’adapte.» Et c’est ainsi qu’ils ont travaillé. Il a utilisé la musique juste comme Rodgers l’avait composée et ses chorégraphies pour s’y conformer. On Your Toes (), et en particulier sa danse dans Slaughter on Tenth Avenue, a fait de Ray Bolger une star.
Alors que la danse semblait être l’attraction majeure du spectacle, Rodgers et Hart nous ont donné une partition intelligente et totalement maîtrisée, qui a laissé plusieurs standards. Outre There’s A Small Hotel, simple et d’une sentimentalité séduisante (elle a été suggérée à Hart par une auberge du New Jersey où il avait résidé), il faut souligner des airs comme The Heart Is Quicker Than The Eye, humoristique et jouant sur la valeur des mots pour en faire ressortir toute la saveur; et Glad To Be Unhappy, une chanson nostalgique qui évoque une romance brisée.
La saison 1935-1936 à Broadway a offert beaucoup de bons musicals:
- At Home Abroad ((198 représentations), une revue colorée avec de la musique d’Arthur Schwartz et des paroles de Howard Dietz, avec en tête d’affiche Beatrice Lillie et Ethel Waters; la revue suit un couple qui s’ennuie et qui fuit l’Amérique et part en tournée musicale mondiale.
- Porgy and Bess () (124 représentations), l’opéra monumental de Gershwin
- l’élégant Jubilee () (169 représentations), de Moss Hart et Cole Porter
- le romantique May Wine () (213 représentations) d’Oscar Hammerstein et Sigmund Romberg
- une nouvelle Ziegfeld Follies () (115) avec Fanny Brice et Josephine Baker
- une nouvelle New Faces (193 représentations), avec Imogene Coca
Mais à la fin de la saison, les deux musicals ayant le plus de représentations étaient On Your Toes () (315 représentations) et Jumbo () (233 représentations).
Après une série de flops à la fin des années '20, une carrière hollywoodienne tout sauf remarquable, On Your Toes () va marquer un renouveau dans la carrière de Rodgers et Hart, car il s'agit d'un vrai succès avec ses 315 représentations. Leur talent est reconnu et le public attend leur prochain projet. Rodgers et Hart n’auraient plus jamais à travailler – comme à Hollywood – juste pour l’argent ou simplement pour avoir leurs noms en haut d’une affiche de Broadway. Plus que toute autre chose, la renaissance de leur carrière leur ont donné la sécurité, financière et professionnelle, de faire le genre de travail créatif qui avait longtemps été leur objectif.
La période s’étendant de l’automne de 1935 à 1942 a été pour le duo Rodgers et Hart une phase de productivité presque incroyable: 10 spectacles en 7 ans, tous des succès sauf un.
La première à Londres a eu lieu le 5 février 1937 au Palace Theatre avec Jack Whiting (Junior) et Vera Zorina (Vera Barnova), et comprenait toute la partition de Broadway (mais Two a Day for Keith s’intitulait ici Twice a Night). La production londonienne a reçu de bonnes critiques, mais le public n’était pas intéressé et le spectacle ne s’est joué que 50 représentations. Il a été remplacé à la mi-mars par The Vagabond King () de Rudolf Friml et On Your Toes () est parti en UK-Tour. Mais The Vagabond King () a été un flop rapide, alors On Your Toes () est revenu à Londres pour un deuxième essai, mais encore une fois n’a réussi à tenir que 54 représentations. Le producteur, Lee Ephraim, a perdu l’énorme somme de 10.000£ dans cette aventure.
Une décevante adaptation cinématographique d’On Your Toes () est sortie en 1939 (Warner Bros.) avec Eddie Albert (Junior) et Vera Zorina. Le film a éliminé toutes les chansons (There is a Small Hotel, Quiet Night, et la chanson-titre ont été reléguées à de la musique de fond) et seuls les ballets La Princesse Zenobia et Slaughter on Tenth Avenue ont été concervés. Jack L. Warner a engagé le chorégraphe du spectacle, George Balanchine, qui travaillait à l’époque pour Samuel Goldwyn, pour rejouer La Princesse Zenobia et Slaughter on Tenth Avenue. À l’exception de quelques pas de danse maladroits, la plupart des danses d’Eddie Albert dans le numéro Slaughter on Tenth Avenue ont été exécutées par une doublure. En outre, l’orchestre du studio Warner Bros. n’avait jamais dû jouer auparavant des pièces aussi grandioses, issues de Broadway, et, plusieurs décennies plus tard, il est toujours choquant d’entendre le «son Warner Bros.» instantanément reconnaissable sur une si belle partition!
In Words and Music, la biographie musicale de 1948 de Rodgers et Hart de MGM, Slaughter on Tenth Avenue a été dansée de façon mémorable par Gene Kelly et Vera-Ellen…
Le musical a connu deux revivals à Broadway depuis sa création.
Le premier a ouvert le 11 octobre 1954, au 46th Street Theatre (aujourd’hui Richard Rodgers Theatre). Le metteur en scène était George Abbott et le chorégraphe Balanchine. Bobby Van et Zorina ont joué les premiers rôles. Le revival a reçu des critiques moyennes, et le célèbre critique du New York Times, Brooks Atkinson, qui avait adoré le spectacle a la création de 1936, a cette fois trouvé le spectacle «laborieux, mécanique et verbeux», et a suggéré que toute la partition n’aurait pas dû être conservée.
Peu après l’ouverture de la reprise, les deux premières scènes (qui dépeignent les débuts de Junior dans le Vaudeville) ont été éliminées – et par là les rôles des membres de sa famille et aussi la chanson Two a Day for Keith. Mais ce traitement de dernière minute n’a pas suffi, et le spectacle a disparu après seulement deux mois. L’album publié par Decca Records comprend le revival finalement supprimé Two a Day for Keith.
Le deuxième revival a surpris tout le monde avec des critiques généralement bonnes, une série de 505 représentations et des Tony Awards pour le meilleur revival et la meilleure actrice dans un musical (Natalia Makarova). Le spectacle a ouvert le 6 mars 1983, au Virginia Theatre (maintenant August Wilson Theatre) et la distribution comprenait Lara Teeter (Junior), Christine Andreas (Frankie), Dina Merrill (Peggy) et George S. Irving (Sergei). Abbott a une fois encore mis en scène le spectacle, Hans Spialek a supervisé ses orchestrations originales, Peter Martins a reconstitué la chorégraphie originale de Balanchine pour les ballets, et Donald Saddler a créé de nouvelles danses, y compris pour la chanson-titre. La production a été enregistrée par Polydor/JAY Records et comprend le ballet complet La Princesse Zenobia.
Enfin, le 8 mai 2013, le musical a été relancé par Encores! au City Center où il a été joué pour un engagement limité de cinq représentations. Reprenons la chronologie des carrières de Rodgers et Hart.
D) 14 avr. 1937: «Babes in Arms» - Succès
Après Jumbo (, le succès de On Your Toes () a relancé la carrière de Rodgers et Hart. Il n’auraient sans doute aucun problème pour trouver un producteur pour leur prochain spectacle. Mais il fallait qu’il y ait un prochain spectacle. Au cours de l’été ‘36, alors que Rodgers et Hart se promènent dans Central Park, ils remarquent un groupe d’enfants dans une aire de jeux qui inventaient leurs propres jeux et règles. Ils ont commencé à parler des enfants et de ce qui pourrait arriver si on leur donnait soudainement des responsabilités d’adultes, comme trouver des moyens de gagner leur vie… Une façon de gagner cet argent pourrait être de créer un gala de bienfaisance qui se révélerait être un succès. Et c’est ainsi que Babes in Arms () est né.
Le livret est écrit par Rodgers et Hart et a été le premier spectacle de Broadway dans lequel ils ont créé un livret entier sans Herb Fields, George Abbott, ou quiconque d’autre. L’histoire concerne un groupe d’adolescents de Long Island dont les parents sont des acteurs de vaudeville partis en tournée. Pour éviter d’être envoyés dans une ferme de travail, comme c'est l'habitude pour les gens de moins de 21 ans, ils décident de monter un spectacle. Malheureusement, bien que le spectacle soit une réussite artistique, il s'agit d'un bide populaire. Ils sont envoyés à la campagne. C'est alors que survient l’arrivée inopinée d’un aviateur français qui a traversé l’Atlantique, mais qui doit faire un atterrissage forcé. Cela va leur permettre de se remettre de leur déception et de se rendre compte que le champ dans lequel l’aviateur a atterri peut servir à la création d’un aérodrome… L'histoire est à peine plausible... mais il y a plein d'histoires d'amours! Lors de la création, cela a suffi.
A l’époque, le succès des productions musicales à Broadway semblait dépendre de la présence d’au moins une grande star. Rodgers et Hart ont décidé de rendre le contrepied de cette habitude et de présenter une troupe jeune, totalement inconnue, mais pleine de talents. Cela a rendu le spectacle unique, contenant des adolescents et de tout jeunes artistes émergents. Mitzi Green avait seize ans; Ray Heatherton, au milieu de la vingtaine, était le plus âgé; et pour ceux qui cherchaient de futures stars, il y avait Alfred Drake, qui chantait la chanson-titre, et Dan Dailey.
Comme pour On Your Toes (), cette production a également permis à George Balanchine de se distinguer pour sa chorégraphie, qui comprenait un ballet mémorable.
Le 14 avril 1937, deux semaines seulement après son dernier Try-Out, Babes in Arms () est créé à Broadway au Shubert Theatre. La production a connu un succès immédiat. Il a en octobre déménagé au Majestic Theatre, où il a fermé ses portes le 18 décembre 1937, après un total de 289 représentations.
Comme Girl Crazy () de George et Ira Gershwin et Anything Goes () de Cole Porter, Babes in Arms () de Richard Rodgers et Lorenz Hart était l’une de ces partitions uniques des années ‘30 qui enchainait hit sur hit. En fait, la partition de Babes in Arms () est mieux connue que le spectacle lui-même: il fait partie de cette poignée de musicals des années '30 pour lesquels plus de la moitié des chansons sont devenues des standards appartenant aujourd'hui au Great American Songbook (la musique populaire américaine des années 1920 aux années 1960, avant l'arrivée et le succès du rock 'n' roll). Les principales sont:
- Babes in Arms: un exubérant appel aux adolescents de déclarer leur indépendance et de prouver leur valeur. Plein d’enthousiasme…
- Where or When: c’était probablement la chanson la plus populaire dans cette partition, du moins dans le spectacle, et elle avait un thème intéressant qui était totalement atypique d’une chanson de musical. Elle se base sur le phénomène psychique de la «déja vécu»: quelque chose que nous faisons pour la première fois et dont nous sommes pourtant certains de l’avoir déjà fait. Lorsque Valentine et Billie se rencontrent pour la première fois, elles éprouvent une étrange sensation de déjà-vu. Rodgers et Hart recevront même des lettres de professeurs de psychologie d’université disant qu’ils utilisaient la chanson pour illustrer leurs cours.
- My Funny Valentine: une remarquable expression d’amour destinée à quelqu’un loin d’être parfait. Créée par Mitzi Green dans Babes in Arms (), cette chanson est sans aucun doute l’une des chansons les plus célèbres du Great American Songbook. Dans le contexte du musical, les paroles concernent Valentine «Val» LaMar, la protagoniste charmante, mais «légèrement idiote» du spectacle. Mais les paroles non genrées de la chanson, faisant référence aux charmes et aux défauts attachants du personnage, l’ont rendue universelle, attirant une grande variété de chanteurs populaires. Les paroles romantiques et enjouées, sur la mélodie douce-amère envoûtante de Rodgers, ont rendu My Funny Valentine immortel en tant que standard de jazz; la chanson est apparue sur plus de 1.300 albums interprétés par plus de 600 artistes, dont Chet Baker, pour qui elle est devenue une chanson signature.
- The Lady Is a Tramp: cette chanson célèbre une femme du grand monde dont les actions suggèrent qu’elle est issue d’une origine bien plus modeste qu’elle ne le prétend. Avec ses paroles pleines d’esprit et d’ironie signées Lorenz Hart et sa mélodie inoubliable de Richard Rodgers, The Lady Is a Tramp a gagné une place d’honneur dans le Great American Songbook. Satire ludique de la haute société new-yorkaise, la chanson embrasse la simplicité et la prétention. Parmi les artistes notables qui ont enregistré la chanson, citons Shirley Bassey, Tony Bennett, Lady Gaga, Bing Crosby, Ella Fitzgerald, Buddy Greco, Frank Sinatra et Pat Suzuki. Le titre a même inspiré le film d’animation de Disney de 1955, La Belle et le Clochard.
- Johnny One Note: un air célèbre sur les mérites (réels ou imaginaires) d’un chanteur d’opéra phénoménal qui ne connaît qu’une seule note. Cette chanson créée par Wynn Murray dans la version scénique de Babes in Arms (), n’a pas été incluse dans l’adaptation cinématographique de 1939, bien que Judy Garland l’ait chantée plus tard dans le biopic de Rodgers & Hart de 1948 Words and Music. La chanson a été enregistrée par Mary Martin, Blossom Dearie, Ella Fitzgerald, Eydie Gorme, Anita O’Day, Carol Burnett, Shirley Bassey et Barbra Streisand, entre autres.
- I Wish I Were in Love Again: une confession dont la conclusion est qu’il vaut mieux aimer plutôt que de n’avoir pas connu l’amour. Dans le musical, Dolores et Gus se remémorent avec humour les inconvénients de leur ancienne relation, énumérant les nombreuses humiliations qu’ils ont endurées en tant que couple. Créée par Grace McDonald et Rolly Pickert lors de la première de Babes in Arms () à Broadway en 1937, cette chanson n’a pas été incluse dans l’adaptation cinématographique de 1939. Pourtant, il est devenu un standard, enregistré par Judy Garland, Mickey Rooney, Ella Fitzgerald, Mel Torme, Frank Sinatra, Johnny Mathis, Tony Bennett, Rosemary Clooney, Julie Andrews, Joni Mitchell et Audra McDonald, entre autres.
Notons encore que la version originale de 1937 sur scène avait de fortes connotations politiques avec des discussions sur Nietzsche, un personnage communiste et deux jeunes Afro-Américains victimes de racisme.
Une adaptation cinématographique de la MGM est sortie en 1939, réalisée par Busby Berkeley avec un casting comprenant Mickey Rooney, Judy Garland, Charles Winninger, Guy Kibbee et June Preisser. Mickey Rooney avait 18 ans pendant le tournage et 19 ans lorsqu’il a été nominé pour l’Oscar, ce qui fait de lui la deuxième plus jeune personne à être nominée pour l’Oscar du meilleur acteur dans un rôle principal. L’intrigue du film a été radicalement révisée et n’a retenu que deux chansons de la version originale de la scène: Where or When et Babes in Arms. Des chansons reprises de diverses sources ont été rajoutées, dont God’s Country de Hooray for What! (). Une nouvelle chanson écrite spécialement pour le film était Good Morning (paroles d’Arthur Freed et musique de Nacio Herb Brown). Ce fut l'un des 10 plus gros succès au cinéma en 1939 et le plus gros chiffre d’affaires du studio MGM en 1939, dépassant Le Magicien d’Oz pour cette année de production.
En 1959, sous la direction de Richard Rodgers, George Oppenheimer révise le scénario d’une production montée au Royal Poinciana Playhouse de Palm Beach, pour 16 représentations, avec Julie Wilson, Brian Davies, Joan Hovis, Barbara Sharma, .. . Cette révision est devenue le scénario officiellement autorisé. Mais elle est aseptisée et dépolitisée. Dans la nouvelle version, les jeunes essaient de sauver de la démolition un théâtre d’été local plutôt que d’éviter d’être envoyés dans une ferme de travail. L’ordre des chansons et l’orchestration sont radicalement modifiés, et les numéros de danse sont éliminés.
Il n’y a jamais eu de revival à Broadway, mais le musical a été présenté dans de très belles versions dont au Goodspeed Opera House en 1979 et 2002 ou en ouverture de l’édition 1999 d’Encores! au New York City Center où Babes in Arms () s’est joué du 11 au 14 février, dans une mise en scène de de Kathleen Marshall avec une direction musicale de Rob Fisher.