6.
1927 - Show Boat

 7.2.
Les Revues de
l'après Ziegfeld

 7.3.E.
Rodgers & Hart (1/7)
Des flops sur scène

 7.3.E.
Rodgers & Hart (3/7)
Retour à Broadway

 7.4.
Le Royaume-Uni
Années '20 et '30

 8.
1943 Oklahoma!

Comme nous l'avons vu, l'introduction du son dans les films en 1927 a porté un intérêt du monde cinématographique sur les musicals. Plusieurs spectacles de Rodgers et Hart ont été adaptés en films, même s’ils ont été souvent profondément modifiés à cette occasion. Spring is Here (), Leathernecking (basé sur Present Arms ()), et Heads Up () sont tous devenus des films en 1930. Comme on pouvait s'y attendre, les studios de cinéma ont alors voulu embaucher des auteurs-compositeurs pour écrire des comédies musicales directement pour l'écran. Dans le même temps, la crise de 1929 a rendu plus difficile de monter des spectacles à Broadway, comme d’autres créateurs de chansons populaires avant eux, Rodgers et Hart vont faire le voyage vers l’Ouest des États-Unis et Hollywood, où l’industrie du cinéma est en pleine activité, pour réaliser des spectacles destinés à remonter le moral du public.

Nous avions vu que durant l'été '21, Rodgers, Hart et Fields avaient fait un premier film à Hollywood, The Hot Heiress (, qui fut un terrible flop. Ils avaient signé un contrat pour trois films mais la Warner a rompu ce contrat. Un des arguments était que les studios avaient produits en nombre des films musicaux au cours de l’année écoulée et qu'ils étaient devenus surabondants sur le marché. Plus personne ne voulait voir de films de chansons et de danses. D'où la rupture de contrat... Avec Broadway en crise et Hollywood qui ne voulait plus de films musicaux, l'avenir de Rodgers et Hart ne semblait pas évident...

Après cet épisode hollywoodien raté, le triumvirat Rodgers/Hart/Fields s'était retrouvé à Broadway après une année complète d’absence pour créer America's Sweetheart () qui fut une déception. Il leur fallait commencer à planifier leur prochaine production le plus tôt possible espérant continuer le trio nouvellement réactivé Fields, Rodgers et Hart. Mais FIelds a reçu une offre pour écrire des scénarios hollywoodiens ... et est reparti à Hollywood. Rodgers et Hart ont continué à essayer d’imaginer des histoires, mais rien ne semblait fonctionner. Même s'ils trouvaient quelque chose de prometteur, il y avait toujours le problème de trouver un producteur qui les suivrait. Avec Hollywood fermé à eux, ils n'avaient pas d'autre solution que d’essayer de rester actif. Rappelons que nous sommes toujours en pleine dépression suite à la crise de '29.

Et puis est arrivée une chose totalement inattendue.

A) Love Me Tonight (1932)

A.1) Maurice Chevalier

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Maurice Chevalier

Maurice Chevalier est un artiste français, issu des milieux ouvriers du quartier de Ménilmontant, qu'il contribue à populariser. Il devient chanteur de «caf'conc'» à l'âge de 12 ans. De fil en aiguille, il devient dans les années folles un des artistes les plus populaires du music-hall français. En 1928, il est repéré par le directeur de la Paramount qui lui fait signer un contrat pour six semaines de tournage à Hollywood. Chevalier qui était une star en France et en Angleterre, va très vite le devenir aux Etats-Unis. Il a un petit quelque chose en plus, quelque chose de différent. A son arrivée à New York, la direction de Paramount a décidé d'organiser au Waldorf-Astoria une soirée où sont invités de grands noms de New York, artistes, journalistes, directeurs. Durant cette soirée, Chevalier est présenté à ces invités dans le but de déterminer s'il est capable de plaire à l'Amérique. À la fin du repas, Chevalier monte sur la scène de la salle et a l'idée de commencer par présenter en anglais ce dont il est question dans les chansons qu'il s'apprête à chanter en français. L'idée plaît beaucoup à l'assistance et Chevalier comprend qu'il vient d'importer quelque chose de nouveau en Amérique. Il le décrit très bien:

«J'apporte aux USA des chansons qu'ils ne connaissaient pas, et une manière de chanter qu'ils n'ont jamais soupçonnée. Nouveauté! Ils ont, avec Al Jolson, Harry Richman, Georgie Jessel, de très bons chanteurs populaires à superbes voix et à extraordinaire dynamisme. Mais ma petite manière à moi, toute simplette, toute naturelle, ils ne l'ont pas. Je le sens, ce soir-là. Je rentre dans du beurre!»

Maurice Chevalier


Il va enchaîner les films qui pour la plupart vont être des succès ou des triomphes, dont:

  • Innocents of Paris (1929)
  • The Love Parade (1929) réalisé par Ernst Lubitsch et qui sera un triomphe et pour lequel Lubitsch déclarera à Maurice Chevalier: «You are sitting on top of the world Maurice.»
  • The Big Pond (1930), franc succès en Europe mais moins bien accueilli en Amérique
  • The Smiling Lieutenant (1931), réalisé par Ernst Lubitsch, succès critique et commercial
  • One Hour with You (1931), réalisé par Ernst Lubitsch

Il est devenu un pilier du cinéma américain - ou mondial - et est excessivement bien payé. C'est alors que la chose totalement inattendue pour Rodgers et Hart est survenue...

A.2) Un film qui va sauver la carrière de Rodgers et Hart

Ce qui est arrivé était totalement inattendu. En plein marasmes des films de chanson et de danse, ce chanteur français irrésistiblement exubérant qu'état Maurice Chevalier, allait réussir à apparaître dans une succession de films musicaux à succès. Les films de Chevalier étaient des confections gaies et pétillantes, se déroulant généralement en Europe et réalisées par un maître du cinéma, Ernst Lubitsch. Lubitsch et Chevalier ont réussi où d’autres ont échoué, parce qu’ils offraient aux cinéphiles quelque chose d’un peu plus épicé que les films américains ordinaires — et parce qu’il y avait Chevalier. Et comment Rodgers et Hart s’intégraient-ils dans tout ça? Et bien, c'est relativement simple. En trois ans, Maurice Chevalier avait fait 12 films à Hollywood et les producteurs commençaient à tomber à court d'idées. Ils décidèrenet donc d'appeler deux spécialistes à la rescousse: Rodgers et Hart.

En novembre 1931, Rodgers et Hart sont partis à Hollywood avec un contrat pour un film et y sont restés deux ans et demi.

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«Love Me Tonight»

Le premier film du duo auquel ils vont participer est Love me tonight (). Le film est produit et réalisé par Rouben Mamoulian. Et les choses vont très bien se passer entre eux. Mamoulian avait un concept de tournage qui était presque exactement celui que Rodgers et Hart avaient en tête: ils étaient tous trois convaincus qu’un film musical devait être créé en termes musicaux — que le dialogue, la chanson et la musique devraient être intégrés le plus étroitement possible afin que le produit final ait une vraie unité.

L'histoire commence à Paris alors qu'un tailleur (Maurice Chevalier) ouvre sa boutique. Un de ses clients, le jeune Vicomte de Varese (Charles Ruggles) ne venant pas régler les nombreux costumes qu'il lui a confectionnés, Maurice se rend au château où habite l'oncle du Vicomte. Sur le chemin, il rencontre une jeune femme (Jeanette MacDonald) dont il tombe aussitôt amoureux. Celle-ci, le croyant fou, refuse de dire son nom et s'éloigne. À son arrivée au château, le Vicomte, n'ayant pas envie que sa famille sache qu'il a des dettes, fait passer Maurice pour un baron. Le tailleur ne proteste pas étant donné que la jeune femme rencontrée sur la route est princesse et qu'elle vit au château. On parlait de films ayant pour but premier de remonter le moral du public!

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Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald
dans «Love Me Tonight»

Il s'agit d'un film «pre-code» (les films qui ont été réalisés avant le «Hays code» appliqué dès 1934, qui instaurait une censure importante). Il durait originellement 104 minutes mais pour la réédition après 1934 - après l'apparition de la censure - huit minutes d'images ont été censurées. Les huit minutes d'images manquantes n'ont jamais été restaurées et sont présumées définitivement perdues. Les suppressions connues incluent une scène de la partie de Myrna LoyMyrna Loy qui chante Mimi dans une «chemise de nuit transparente», une tenue beaucoup trop déshabillée pour le «Hays code».

Dans son livre Hollywood dans les années '30, John Baxter déclare: «S'il y a une meilleure comédie musicale des années '30, on se demande ce que cela peut être.» En 1990, Love me tonight () a été sélectionné pour la préservation dans le Registre National du Film des États-Unis par la Bibliothèque du Congrès comme étant «culturellement, historiquement ou esthétiquement significatif».

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Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald dans «Love Me Tonight»

Le film comprend des chansons qui vont devenir des classiques de Rodgers et Hart: Love me tonight (), Isn't it Romantic?, Mimi et Lover. Il faut souligner que Lover n'est pas chanté de façon romantique, comme c'est souvent le cas dans les boîtes de nuit, mais de façon comique, alors que le personnage de Jeanette MacDonald tente de contrôler un cheval indiscipliné. La mise en scène de Isn't it Romantic? était révolutionnaire en son temps car grâce au montage, différents chanteur (ou groupe de chanteurs) se trouvant à des endroits différents se transmettent les différentes arties de la chanson.

Love me tonight () est le septième film le plus populaire au box-office américain en 1932 mais surtout Love me tonight () a servi à établir Rodgers et Hart comme une équipe de cinéma, tout comme The Garrick Gaieties () les avait établis comme une équipe à la scène. Il a prouvé qu’un film musical produit à un moment où tout le monde était certain qu’il n’y avait pas de marché pour lui, pouvait être à la fois artistiquement et commercialement réussi. Et comme nous l'avons vu, ce film leur a fourni une carte de visite à Hollywood avec Lover, Isn’t It Romantic? et Mimi, les premiers tubes de Rodgers et Hart à émaner d’Hollywood.

Malheureusement, les choses ont commencé à se «compliquer» presque immédiatement après.

B) The Phantom President (1932)

La Paramount a été assez impressionnée par le travail de Rodgers et Hart, non seulement pour leur offrir un contrat pour un deuxième film, mais aussi pour leur fournir un symbole extérieur d'importance: un luxueux bureau.

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«The Phantom President»

Leur second film original hollywoodien, The Phantom President () est une satire politique basée sur le roman de George F. Worts. Il raconte l’histoire fictive d'un candidat à la présidence américaine, T.K. Blair, que son parti juge incolore et rigide. Il est donc décidé de le remplacer dans ses apparitions publiques par une doublure charismatique, découvert dans un cabintet de médecine: Doc Varney. Il est très efficace comme sosie, car il arrive même à faire tomber dans le panneau la petite amie de Blair, ce qui fournit au film une belle intrigue romantique.

Le film, réalisé par Norman Taurog, avait pour vedette George M. Cohan (dont nous avons déjà beaucoup parlé ), Claudette Colbert et Jimmy Durante. On connait le «mauvais caractère» de Cohan, mais dans ce film cela va être très clair. Selon Rodgers, Cohan était profondément mécontent de devoir travailler avec Rodgers et Hart sur le film. Cohan était amer que son type de théâtre musical soit passé de mode, supplanté par les spectacles plus instruits et musicalement sophistiqués de Rodgers et Hart, entre autres. Pendant le tournage, Cohan se référait sarcastiquement à Rodgers et Hart comme "Gilbert et Sullivan". Cohan jouait les deux rôles: T.K. Blair et Doc Varney.

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George M. Cohan et Claudette Colbert dans «The Phantom President»

De leur côté, Rodgers et Hart estimaient Cohan plus en tant qu'acteur que compositeur. Cohan ne faisait pas partie, selon eux, des Kern, Berlin ou Gershwin. C'est sans doute injuste car Cohan est un des fondateurs de la comédie musicale américaine. Il fait juste partie de la génération précédente. Un peu comme Sondheim fera partie de la génération suivante de celle de Rodgers. A cette poque d'ailleurs, Cohan était en semi-retraite quand il a signé le contrat avec Paramount pour ce qui devait être son premier rôle à l’écran. On lui avait promis verbalement la possibilité de faire une partie de l’écriture sur le film, mais un changement dans la hiérarchie du studio a mis fin à cet accord verbal. Cela, associé au fait que Cohan semblait penser que le studio ne le traitait pas avec la déférence qui lui était due, a produit une tension dès le début. Il pensait pouvoir mieux diriger que le réalisateur, écrire un scénario mieux que les scénaristes, et écrire de la musique et des paroles mieux que Rodgers et Hart. Pendant le tournage, il n’est jamais resté sur le plateau quand il n’était pas obligé devant les caméras, mais est toujours retourné directement à l’isolement de sa loge.

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La rétroprojection et les écrans partagés utilisés pour faire apparaître deux Cohan sur le même écran
dans «The Phantom President»

The Phantom President () a été tourné au début de 1932 et est sorti au cinéma en plein campagne électorale Roosevelt (démocrate) - Hoover (républicain en place) mais ce fut l'un des plus gros flops de la Paramount en 1932 (plus d'infos sur l'une des pages conscrées à George M. Cohan: ).

Un mois environ après la fin du tournage de The Phantom President (), le couple Dorothy et Richard Rodgers vont être frapps par une tragédie. Dorothy était enciente d'un deuxième enfant. Presque à terme, Dorothy a été emmenée d’urgence à l’hôpital, où le bébé, une fille, est né mais n’a vécu que quelques minutes.

Avec deux films sortis à peu près en même temps et l’un d’entre eux un succès, Rodgers et Hart ont reçu un certain nombre d’offres de films. The Phantom President () leur avait donné l’occasion de traiter un thème contemporain. Pour Hallelujah, I'm A Bum (), la film qu’ils ont tourné ensuite, le thème était tout aussi contemporain mais beaucoup plus audacieux.

C) Hallelujah, I'm A Bum (1933)

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«Hallelujah, I'm A Bum»

Hallelujah, I'm A Bum () était le premier et probablement le dernier musical Hollywoodien qui se préoccupait presque entièrement des problèmes de la Grande Dépression qui a suivi la crise de '29. Pendant ces années, tant de gens ont perdu leur emploi, leur argent et leur maison qu’ils ont été forcés de vivre partout où ils pouvaient trouver quelques mètres de terrain vacant. Dans le film, Rodgers et Hart se sont concentrés sur les clochards qui vivaient à Central Park, avec l'icône du cinéma parlant, Al Jolson, jouant le rôle de Bumper, leur chef. On retrouvait aussi Harry Langdon dans le rôle de Egghead, un radical qui appelle la police «les cosaques de Hoover» et Frank Morgan dans le rôle du Maire Jimmy Walkerish qui a toujours au moins deux heures de retard à ses rendez-vous et qui passe la plupart de son temps au Park Casino.

Rodgers et Hart ont essayé de garder une partition relativement légère même si le thème s'y prêtait difficilement. Le sujet des sans-abri à une époque où c’était un problème national si urgent ne prêtait spontanément pas à rire ou à chanter.

Hallelujah, I'm A Bum () a été produit par Joseph Schenck chez United Artists, avec Lewis Milestone comme réalistaeur. Milestone était un réalisateur très imaginatif qui partageait avec Mamoulian une haine constante de faire le même genre de film deux fois.

Que racont ce film? Bumper (Al Jolson) est un vagabond, leader d’un étrange groupe d’excentriques qui traînent autour de Central Park à New York. Parmi ses adeptes figurent Egghead (Harry Langdon), Sunday (Chester Conklin), Acorn (Edgar Conner), The General (Victor Potel), Orlando (Tammany Young) et Apple Mary (Louise Carver). L’idole de Bumper est le maire Hastings (Frank Morgan), dont il a sauvé la vie et avec qui il déjeune fréquemment au Park Casino. Bumper est toujours à portée de main pour ouvrir la porte de la Rolls Royce du maire, et ce dernier se fait un point d'honneur de s’attarder un moment à l’entrée et écouter la philosophie et les idées fantasques de Bumper sur la vie. Grâce à son contact avec le maire, Bumper est capable d'«influer» sur les choses quand les autres vagabonds ont des problèmes. De son côté, le maire ne comprend pas pourquoi Bumper, un homme exceptionnellement brillant, se contente de passer sa vie dans le parc, ne faisant rien.

Le maire, malgré tout son pouvoir et sa popularité, est malheureux. Il est amoureux - et follement jaloux. Il croit que sa bien-aimée June Marcher (Madge Bellamy) a une «double vie». Lors d'un déjeuner, il glisse 1.000$ dans son sac à main. Mais elle égare son sac et le maire l’accuse de l'avoir donné à un autre homme. Bumper retrouve le sac à main et l’apporte à l’adresse contenue dans le sac à main. C'est le maire, très énnervé, qui l'accueille. Il ne voit pas June, qu'il ne connait pas par ailleurs.

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«Hallelujah I'm a Bum» (1933)
Chester Conklin (Sunday), Madge Evans (June) and Al Jolson (Bumper)

Plus tard, après cette crise, la malheureuse tente de se suicider en sautant d’un pont et est secourue par Bumper, mais elle a perdu la mémoire. Il l’emmène chez Sunday. Il se rend ensuite chez le maire, lui expliquant qu'il a un nouvel intérêt dans la vie, connu sous le nom d’Angel. Pour cette raison, il demande au maire de lui trouver un travail. Il dépense tout son argent pour rendre Angel heureuse et elle tombe amoureuse de lui. Pendant ce temps, le maire, découragé de ne pas être en mesure de localiser June disparue, participe à une beuverie et est retrouvé endormi dans le parc par les amis de Bumper, qui le ramènent chez lui et préviennent Bumper. Pendant que Bumper essaie de le dessoûler, Hastings commence à parler à une photo. Bumper découvre que la femme sur la photo est celle d’Angel, et que la fille de ses rêves est la chérie du maire. Bumper emmène son ami chez Sunday. La vue du maire et sa voix alors qu’il la serre dans ses bras restaure la mémoire de Sunday. Elle supplie d’être emmenée loin de «cet horrible endroit». Tout ce dont elle se souvient c’est de marcher dans le parc la nuit. Bumper est un étranger pour elle. Le maire la soustrait à la vie de Bumper qui retourne au parc et à son ancienne vie.

Al Jolson chantant «Hallelujah I'm a Bum» dans le film «Hallelujah I'm a Bum» (1933)

Hallelujah, I'm A Bum () a permis à Rodgers et Hart de poursuivre une de leurs tentatives d’innovation, déjà expérimentée dans Love me tonight () et The Phantom President (), qu’on appelait alors le dialogue rythmique, bien qu’un meilleur terme pourrait être «dialogue musical». Il s'agit de rythmer les conversations, via un accompagnement musical, pour faciliter les transitions vers les chansons et donner au film une structure musicale plus ferme. Il était similaire au récitatif à l’opéra, sauf qu’il était fait dans le rythme et était une partie authentique de l’action.

Juste pour la petite histoire, le rôle de June avait d’abord été proposé à la femme d’Al Jolson, Ruby Keeler, mais elle a décidé qu’elle ne voulait pas faire ses débuts au cinéma face à son mari. Cela s’est avéré être une bon choix, du moins pour elle, car son premier film, 42nd Street (), a été un succès majeur tandis que Hallelujah, I'm A Bum () a été un un flop majeur. A un tel point que la poids sur Jolson d'avoir une femme devenue plus populaire que lui, a conduit à la rupture de leur mariage.

Mais malgré cela et contrairement à leur expérience avec Cohan sur The Phantom President (), Rodgers et Hart ont trouvé que travailler sur Hallelujah, I'm A Bum () était presque aussi excitant que sur Love me tonight (). Jolson avait la réputation de pouvoir se révéler difficile mais ila été un homme doux durant tout le tournage. Quoi qu'il en soit, ce fut un nouveau flop...

D) Traversée du désert et une chanson «Blue Moon»

Et il y eut alors pour Rodgers et Hart une nouvelle traversée du désert. Un peu différente de la précédente car même si sur les trois films auxquels ils avaient participé, deux étaient des flops, ces flops ne leur étaient pas imputables. Il se bornaient à en écrire des chansons. Alors que les flops de Broadway étaient considérés comme les leurs. En désespoir de cause, il vont avoir un contrat à la MGM... pour écrire des chansons. En d'autre mots: ils sont à leur bureau, on les appelle et on leur demande d'écrire une chanson qui raconte quelques chose et qui a un style musical prédéfini!

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Les méthodes de travail d'Hollywood sont très différentes de celles de Broadway. Nombreuses sont les chansons qui ont été écrites pour une séquence bien déterminée d'un film et qui soit sont restées inutilisées ou sont parfois adaptées à plusieurs reprises pour satisfaire aux besoins d’une action toujours en pleine évolution au fur et à mesure du tournage des films. En 1934, Rodgers et Hart composent une chanson qu’ils intitulent Prayer pour Hollywood Party, un film avec Laurel et Hardy totalement oublié de nos jours. La chanson était écrite pour la vedette du film, Jean Harlow, mais elle s'est retirée du film et la chanson a été abandonnée.

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Peu après, on demande aux deux partenaires de réécrire la chanson pour les besoins d’un autre film, Manhattan Melodrama, mais là encore la chanson ne sera pas utilisée.

Dans un troisième essai pour lequel elle est réintitulée The Bad In Every Man, avec de nouvelles paroles, elle doit être utilisée dans une scène de film dont l’action se passe dans un club de Harlem. Les producteurs jugent que la chanson n’est pas suffisamment commerciale et Hart doit se remettre au travail pour écrire une quatrième version, toujours sur la même mélodie, qui ne sera pas, elle non plus, utilisée.

C’est cette nouvelle version qui sera finalement publiée sous le titre Blue Moon et qui deviendra l’un des fleurons du catalogue des chansons écrites par Rodgers et Hart, et la seule qui ne fut créée ni pour un spectacle de Broadway, ni pour un film musical.

Cela montre la quantité de travail qu'ils ont faite et qui n'a servi à rien. Mais ils étaient sous contrat à la MGM... Leur dernier film, Hallelujah, I'm A Bum () avait été tourné en 1932 et était sorti en février 1933. Depuis lors, ils écrivaient des chansons...

Et c’est à cela que Rodgers et Hart ont passé l’année 1933. C’était pour eux terrible de se dire qu'ils perdaient leur temps sans rien accomplir de concret. Et de se rendre compte que les gens en sont conscients. Le Los Angeles Examiner va publier un article déclencheur, intitulé «Qu’est-il arrivé à Rodgers et Hart?»

Rodgers a été bouleversé par ce titre. Il n'avait que 31 ans! Le journaliste McIntyre avait écrit son article comme s'ils n'existaient plus. Il a vu la vie qu'il vivait sous contrat à la MGM: toucher un salaire sans vraiment travailler pour, passer ses journées sur les courts de tennis ou dans les bars locaux. Et laisser son talent pourrir! Il s'est demandé comment il était tombé dans ce piège. Il a décidé de quitter Hollywood et de rejoindre le monde réel. Il a prévenu sa femme Dorothy. Il a ensuite appelé Hart, qui vait lu le même article et fut d'accord de repartir. Rodgers, sans même avoir de plans pour l’avenir, a appelé leur agent et lui ai dit qu'il se fichait de comment il faisait, mais que Rodgers et Hart voulaient rentrer à Broadway et se libérer de leur contrat. L’agent a fait ce qu’il pouvait, mais le studio a catégoriquement refusé et ils sont resté bloqué à Hollywood jusqu'en avril 1934! En un an et demi, ils avaient écrit une dizaine de chansons...

Le Broadway qu'ils ont retrouvé était très différent de celui qu’ils avaient quitté quatre ans plus tôt. D'immenses temples voués au cinéma de luxe comme le Radio City Music Hall et le Roxy – «The Most Magnificent Motion Picture House in Any City, or Any Country, Anywhere!» – proposait à ses spectateurs-clients non seulement un film, mais aussi un somptueux spectacle de scène pour moins que le prix d’un siège au balcon d'un théâtre.

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Vue du côté de la maison au Radio City Music Hall, en 1932

En plus, des clubs chics et des cabarets-restaurants comme le Billy Rose Casino de Paree – «Believe it or not! For $2 you get the Revue, the Dinner, the Dancing, the Girl in the Fish Bowl, and a hundred other novelties!» — ont également ajouté à cette folle concurrence. Sur la 48th Street on trouvait le Hollywood où pour 1,50$ ont avait un dîner et un spectacle de cabaret avec Rudy Vallee et ses Yankees du Connecticut, la chanteuse Alice Faye, et 50 magnifiques filles...

Mais au printemps 1934, en fait, Rodgers et Hart essayaient par tous les moyens de sauver leur carrière à Broadway. Rappelons que leur dernier succès à Broadway, A Connecticut Yankee (), date de 1927, 7 ans auparavant. Ils continuaient à faire des appels partout, à rencontrer des gens, mais les choses étaient terriblement sombres.

A Broadway, quelques rares spectacles musicaux étaient en cours:

  • la revue de Moss Hart-Irving Berlin As Thousands Cheer () avec Marilyn Miller et Clifton Webb chantant Easter Parade et Ethel Waters proposant un torride Heat Wave
  • Roberta () de Jerry Kern et Otto Harbach
  • une revue Ziegfeld Follies () commanditée par Shubert
  • la première revue New Faces () de Leonard Sillman

Mais entre mars et juin 1934, pas une seul nouveau musical n’a ouvert sur Broadway. On est très loin de la folie de l'année 1927 et de ses 268 productions à Broadway! Les perspective pour la nouvelle saisons étaient moroses:

  • Lew Fields ne produisait plus de spectacles
  • Terry Helburn et Lawrence Langner de la Theatre Guild avaient des plans à long terme pour un musical de Gershwin basé sur la pièce Porgy ()
  • Schwab et Mandel s’étaient séparés
  • Aarons et Freedley s’étaient séparés
  • Dillingham allait produire sa dernière revue avant de mourir
  • Ziegfeld était mort

Les frères Shubert étaient toujours actifs et de nouveaux producteurs s’étaient fait connaître pendant leur absence hollywoodienne. Rodgers et Hart ne pouvaient rien d’autre que de se battre et d'organiser de nombreuses rencontres — et d’espérer. Mais beaucoup de producteurs ne leur ont pas ouvert leurs portes.

Rodgers et Hart, après leur échec à Hollywood, ont été atterrés de découvrir qu’ils étaient considérés comme des «hommes du passé»: «Oh oui, Rodgers et Hart, ce truc collégial. Ça ne va plus aujourd'hui.»

 

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«Mississippi»

E) Mississippi (1935)

L’offre qui s’est concrétisée va venir d’une source totalement inattendue, et encore une fois d’Hollywood. Pour Broadway, il faudra attendre encore un peu.

Pendant que Rodgers travaillait à la Metro Goldwyn Mayer, il s'était lié d'amitié avec un chef de production, Arthur Hornblow, Jr. Ce dernier avait récemment quitté la Metro Goldwyn Mayer pour la Paramount et il a offert à Rodgers et Hart la chance d’écrire la partition du premier musical qu'il y ferait et qui s’appelait Mississippi ().

Ni Rodgers ni Hart n’étaient ravis à l’idée de retourner à Hollywood si tôt après l'avoir quitté, mais ils avaient désespérément besoin de retourner au travail. Mais, ce ne serait que pour cinq ou six semaines....

Leur film hollywoodien suivant - et qui serait leur dernier, mais cela ils ne le savaient pas - sera donc Mississippi (), un film réalisé par A. Edward Sutherland, avec en tête d'affiche Bing Crosby, W.C. Fields et Joan Bennett.

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Joan Bennett, Bing Crosby et Gail Patrick dans «Mississippi» (1935)

Le Commodore Jackson (W.C. Fields) est le capitaine d’un showboat sur le Mississippi à la fin du XIXème siècle. Tom Grayson (Bing Crosby) est fiancé et a été déshonoré pour avoir refusé de se battre en duel avec le Major Patterson (John Miljan).

Accusé d’être un lâche, Grayson rejoint le showboat de Jackson. Pendant toute la durée du film, le comportement du doux Tom Grayson évolue car il est présenté en permanence par le Commodore Jackson comme le «célèbre Colonel Steele», «the Singing Killer». pour tout amplifier, Jackson, à chaque cadavre croisé flottant le long du Mississippi, l'attibue à une victoire en duel de Grayson: «encore une autre victime du célèbre colonel Steele, le tueur chantant».

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W.C. Fields et Queenie Smith dans «Mississippi» (1935)

Le film fournit suffisamment d’occasions à Crosby de chanter les chansons de Rodgers et Hart, y compris le numéro de pièce maîtresse, Soon, tandis que W.C. Fields raconte ses histoires aberrantes. Crosby et Fields ont très bien collaboré et il y a une scène mémorable dans laquelle Fields essaie d'expliquer à Crosby comment sembler plus dur. Dans le film, Crosby fait un certain nombre de gags visuels brillamment conçus - le cinéma muet n'est pas si loin - impliquant une chaise et un couteau. Un autre moment notoire du film est l’histoire que raconte Fields à propos de ses exploits dans une célèbre tribu indienne!

Lorsque Bing Crosby a été sélectionné pour ce film, il a demandé qu’une chanson soit ajoutée. Mais, Rodgers et Hart avaient déjà quitté définitivement Hollywood pour revenir à New York. La chanson, It’s Easy To Remember a été composée par le duo à New York et ils ont envoyé une démo à Hollywood. Elle est devenue le plus gros succès du film.