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Irene SANKOFF et David HEIN, les auteurs de Come from Away

Dix ans pour créer un succès instantané ...


 

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Irene Sankoff
© Photo: Mike Ford

Musicalement, Come From Away sonne comme le mariage parfait entre un optimiste musical de Broadway et un groupe de folk acoustique…
Et il y a une bonne raison à cela: il a été écrit à quatre mains, par une femme et un homme, Irene Sankoff et David Hein.
Mais même s'ils viennent d'univers musicaux très différents, ils se connaissent depuis l'école et sont mariés depuis 2001.
Cette non-biographie tente de montrer comment ces deux jeunes artistes ont donné naissance à l'un des musicals les plus innovants de ces dix dernières années.

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David Hein
© Photo: Mike Ford

Avant de se rencontrer à l’Université York de Toronto, Irene Sankoff et David Hein ont grandi dans deux univers musicaux différents, vaguement complémentaires.

Irene Sankoff a vécu toute sa jeunesse dans la banlieue de Toronto. Elle se souvient avec émotion de ces moments passés, assise en fond de salle, à regarder avec sa mère les productions de Damn Yankees ou Guys and Dolls ou, bien sûr, Les Misérables. Ce qui ne l’empêchait pas de regarder avec plaisir Top Hat et The Sound of Music sur leur petite télévision en noir et blanc.

À la même époque, David Hein a grandi dans la Saskatchewan – une province dans l’ouest du Canada. Il y assistait avec sa mère au Winnipeg Folk Festival, se déroulant l’été dans le parc provincial Birds Hill, une célébration musicale de niveau international. Ce festival présente des groupes de folk rock canadiens tels que Blue Rodeo, Spirit of the West et un groupe particulièrement convaincant de Terre-Neuve, Great Big Sea.

Sankoff et Hein se sont rencontrés en 1994 à la York University de Toronto – la troisième plus grande université du Canada – le premier jour de leur semaine d’orientation. Ils entraient tous deux dans le programme de théâtre et emménageaient au Winters College. David, un chanteur-compositeur en herbe, voulait se spécialiser dans l’éclairage et la scénographie. Irene, passionnée de théâtre musical, voulait se spécialiser dans le théâtre, même si elle s’est tournée ensuite vers la psychologie et l’écriture créative. Les deux se sont rapidement rapprochés par leur amour des arts… qui s’est transformé en amour tout court : ils sont ensemble depuis.

Au cours de leur première année à York, ils ont eu l’occasion d’essayer presque tous les aspects de la production théâtrale, s’étendant du jeu à l’écriture et à la composition, en passant par la fabrication de costumes, la conception de la scénographie ou l’accrochage des projecteurs en haut d’une échelle. Ces compétences diverses s’avéreront plus tard inestimables.

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David Hein et Irene Sankoff à New York en 2001
© Irene Sankoff et David Hein

Après avoir obtenu son diplôme à York en 1999, Irene a déménagé à New York pour étudier l’art dramatique. David l’a suivie. Pendant qu’Irene étudiait le jeu d’acteur, il exerçait des petits boulots, s’occupant par exemple d’une multitude de petites tâches dans un studio d’enregistrement. Pour joindre les deux bouts, pendant ses études, Irene faisait visiter la ville à des groupes de touristes! Ils vivaient ensemble à International House, sur Riverside Drive, un centre résidentiel pour les universitaires et les étudiants diplômés du monde entier.

La musique a continué à souder le couple… Ils partageaient leurs goûts musicaux différents: Irene adorait la pop produite à outrance dans les années 80 alors que David aimait écouter "des gars avec une guitare folk". Lors de leurs fréquents aller-retour en voiture de Toronto à New York, ils « partageaient » le lecteur CD de la voiture où alternaient donc les goûts de chacun: les partitions de théâtre musical succédaient aux compilations de groupes de rock, et ainsi de suite. David Hein se souvient:

« Grâce à Irene, j’ai commencé à connaître des chansons de musicals mais quand nous sommes arrivés à la partition de Rent, j’ai été totalement séduit par cet heureux compromis. Nous pensons parfois que la musique peut être séparée en différentes catégories, en différents genres, mais en fin de compte la musique, quelle qu'elle soit, revient toujours à raconter une histoire. »

David Hein


Le matin du mardi 11 septembre 2001, ils avaient tous deux de bonnes raisons de dormir à l’heure du petit-déjeuner: David travaillait suivant des horaires décalés et Irene n’avait pas besoin d’être à son studio de théâtre avant la fin de la matinée. Mais vers 9h, le père d’Irene a appelé de Toronto. Son frère avait vu les nouvelles sur le World Trade Center et, empli d’angoisses pour Irene, avait averti leur père. Ce dernier n’était pas inquiet: «Pourquoi Irene serait-elle en ville à cette heure?» Son frère lui a rappelé qu’Irene dirigeait souvent des groupes de touristes dans la ville. Donc qui sait où elle était? Le père leur a cependant conseillé : «Ne va pas à l’école aujourd’hui et ne prend pas le métro. Et allume la télévision.» Au moment où Irene et David ont allumé leur poste, le deuxième avion a frappé la tour sud. Quand elle a essayé de le rappeler quelques minutes plus tard, après avoir vu toutes ces images en direct, les lignes téléphoniques étaient embouteillées. Le couple a passé le reste de la journée entouré de leurs voisins de l’International House, des étudiants originaires de plus de 100 pays. Ils tentaient de se consoler les uns les autres en attendant anxieusement le retour ce ceux qui se trouvaient dans le centre-ville. Au-delà des images terrifiantes défilant en boucle à la télévision, la fumée dans l’air leur servait de rappel constant qu’ils vivaient un moment historique.

Les musiciens du groupe sont spontanément passés derrière les pianos pour tenter de remonter le moral de tous. David se souviendra à jamais de ce moment :

« Il y avait quelque chose de très réconfortant dans la musique qui nous a aidés à nous rassembler en tant que communauté. Tout le monde avait besoin de cette communion. Nous voulions tous être dans une pièce avec d’autres personnes. »

David Hein


Le soir, ils se sont rassemblés sur le toit et ont regardé la fumée s’élever du centre-ville.

Dans les jours qui suivirent, cet esprit communautaire se retrouvait à chaque coin de rue de Manhattan: «Il y avait un vrai sentiment commun à New York de vivre juste pour le moment présent. Alors on s’est dit: «Pourquoi attendons-nous?» » Ils se sont mariés le 12 octobre, juste un mois après les attaques. Ils se sont rendus à l’hôtel de ville de New York, situé à 200 mètres des ruines des tours. Tanya, la cousine de David, qui avait travaillé dans la Tour Sud, mais s’en était échappée le matin du 11/9, les a rejoints comme témoin; après la cérémonie, ils se sont rendus autour de Ground Zero.

« Ce fut une journée d’amour très intense, mais plongée au beau milieu d’une terrible tragédie. C’est est en quelque sorte ce qu’est aujourd’hui notre spectacle. »

David Hein


Le couple n’a réalisé qu’ils travaillaient si bien ensemble que plusieurs années plus tard… Pour qu’ils commencent à conscientiser cela, il aura fallu d’abord qu’Irene se blesse en dansant en 2007 et que son assurance-maladie américaine s’avère inadéquate à couvrir ce type d’incident. Mais aussi, qu’au même moment, la compagnie où travaillait David ferme ses portes. Le message leur a semblé clair: ils devaient retourner à Toronto. Ce qu'ils ont fait.

Ils ont tous deux exercé différentes activités en journée: David dans une compagnie d’assurance et Irene comme professeur. Ils poursuivaient chacun leurs passions artistiques le soir, ne leur laissant pas beaucoup de temps pour leur couple. Ils étaient épuisés et désespérés de toute possibilité de changement.

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Alors, en 2009, ils ont pris une décision fondamentale: écrire un spectacle ensemble.

Leur première collaboration serait aussi originale qu’improbable: My Mother’s Lesbian Jewish Wiccan Wedding. Il s’agit d’une comédie musicale basée sur le vrai trajet de découverte de soi vécu par la mère de David. Une histoire peu banale...

Sa mère, Claire, a divorcé de son père, a fait son coming out en tant que lesbienne, a redécouvert son judaïsme et a épousé une sorcière nommée Jane lors d'une cérémonie interconfessionnelle qui consistait à se tenir debout sous une houppa, puis à sauter par-dessus un chaudron et un balai!!!

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«My Mother’s Lesbian Jewish Wiccan Wedding»
Toronto Fringe Festival - 2009
A l'extrême gauche, Irene Sankoff et au centre, David Hein

Le spectacle, joué entre autres par David et Irene, a été créé au Toronto Fringe Festival en 2009. Il est très vite devenu le «spectacle à voir» dans le Festival.

L’histoire est celle d’une mère perdue dans la vie, aux prises avec son identité. Un nouvel emploi lui apporte de nouvelles opportunités et une chance de trouver vraiment qui elle est ... en découvrant sa sexualité, en redécouvrant sa foi, et finalement en faisant son coming-out à son fils adolescent, à son ex-mari et à sa mère juive homophobe.

Parmi les titres des chansons : « If You Love Me », « You Don’t Need a Penis », « Don’t Take Your Lesbian Moms to Hooters » et « A Short History of Gay Marriage in Canada ».

Le spectacle a été repéré par le célèbre producteur canadien David Mirvish:

« Une rare réussite théâtrale, un spectacle qui semble sorti de nulle part et qui a créé un buzz intense dès la fin de sa première représentation, ce qui a entraîné des foules faisant la queue pendant des heures pour obtenir des billets pour les représentations restantes.
Lorsque les membres de mes équipes ont vu les toutes premières représentations de ce musical hilarant et touchant, ils m’en ont parlé avec un tel enthousiasme que j’y ai même emmené des gens qui n’habitaient pas Toronto. Lors de la représentation à laquelle j’ai assisté, le public s’est déchaîné, et il avait de bonnes raisons de le faire. Il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’une œuvre majeure écrite par de nouvelles voix passionnantes du théâtre musical. Nous avons vécu comme un privilège qu’ils acceptent que nous participions à la promotion d’une telle œuvre auprès d’un public plus large. »

David Mirvish en 2009, bien avant «Come from Away»


Comme dans le futur Come from Away, ce premier spectacle parlait déjà de « vrais gens » et de tolérance. Après ces débuts prometteurs, il a été joué partout en Amérique du Nord, permettant à ses deux auteurs de réaliser le rêve de chaque jeune artiste en difficulté: quitter son boulot alimentaire pour se consacrer totalement à ses activités artistiques.

Quelques mois plus tard, au début de 2011, Irene et David ont rencontré Michael Rubinoff, que le New York Times qualifiera plus tard de « champion du monde solo du théâtre musical canadien». Rubinoff venait tout juste de lancer le Canadian Music Theatre Project à l’universitaire Sheridan College, proche de Toronto, dans l’Ontario canadien. Ce projet était dédié au développement de nouvelles œuvres de théâtre musical au Canada. Rubinoff a naturellement invité le couple à dîner et a lancé une autre idée, totalement non conventionnelle, que d’autres auteurs «jugeaient d’ailleurs inappropriée»… Il leur posa une question simple et directe:

« Avez-vous entendu parler de la petite ville de Gander à Terre-Neuve, qui a accueilli 38 avions de ligne dans les jours qui ont suivi le 11 septembre? »

Michael Rubinoff à Irene Sankoff et David Hein

 

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Aéroport de Gander - 11 septembre 2001

Irene et David avaient vécu le 11 septembre à New York et ils ne connaissaient que fort peu ce qui s’était passé à Gander. Mais, après que Rubinoff leur ait décrit les grandes lignes de ce qui s’était passé à Gander, Irene et David ont vite compris quelles en étaient les possibilités dramaturgiques.

Cette rencontre n’aurait pu se dérouler à un meilleur moment. Irene et David ont découvert après quelques recherches préliminaires que la ville de Gander organisait une cérémonie de commémoration le 10ème anniversaire du 11 septembre, et que tous les passagers, les hôtesses , stewards et pilotes reviendraient à Gander pour cette commémoration.

Irene et David ont sollicité une subvention au Conseil des Arts du Canada leur permettant de séjourner à Terre-Neuve pendant près d’un mois pour recueillir les histoires fascinantes de ces personnes venues du monde entier, et des habitants de Terre-Neuve qui les avaient accueillis. L’intention était d’avoir un projet fini qui pourrait faire l’objet d’un atelier au Sheridan College, suivi d’une présentation à Toronto, puis, si possible, d’une autre à Gander. «Gander», en fait, était le titre provisoire du projet. Ils étaient loin d’imaginer que leur projet serait «Tony Award du meilleur musical original » à Broadway en 2017 et «Laurence Olivier Award du meilleur musical original» à Londres en 2019. Mais n’allons pas trop vite…

Dans leur dossier de demande de subvention, une partie du texte était incroyablement prémonitoire:

« "Gander" sera ancré dans une narration de groupe simple à travers l’humour, le mouvement et la musique folklorique. Nous voulons donner un sentiment décontracté, mais énergique de "fête de village", comme si la distribution s’était réunie avec le public dans les maisons et les pubs de Terre-Neuve pour partager ces histoires et chanter ces chansons. Avec une mise en scène simple, nous pouvons explorer toute la portée de l’histoire... les tabourets de bar deviennent un pub bruyant... et plus tard, ils deviendront les sièges d’un jumbo jet… À "Gander", nous sommes tous ensemble. »

Dossier de demande de subventions


L’un des modèles qu’ils avaient en tête pour l’écriture de leur spectacle était The Laramie Project, une pièce de Moisés Kaufman de 2000. C’était un mélange unique de théâtre et de narration documentaire, centrés sur le meurtre homophobe d’un jeune étudiant gay du Wyoming, Matthew Shepard. Mais c’était une pièce de théâtre, pas un musical, et la forme exacte que prendrait le projet "Gander" naissant n’était pas figée: Irene l’imaginait comme une pièce et David comme un musical. La subvention leur fut octroyée.

C’était la première fois qu’Irene et David se rendirent à «The Rock» - le surnom de Terre-Neuve. Un endroit qu’ils considèrent aujourd’hui comme une deuxième maison.

« Nous sommes tombés amoureux de l’endroit, nous sommes tombés amoureux des gens et nous avons découvert par nous-même la générosité qu’ils avaient offerte à ces gens «come from away», venus d’ailleurs, dix ans auparavant, dès le 11 septembre. »

David Hein


Quand on demande à Irene et David ce qui les avait décidés à créer un musical à propos des Terre-Neuviens, ils répondent:

« Ce sont des gens charmants. Ce sont de merveilleux conteurs. Ils prennent soin de vous pendant qu’ils racontent une histoire. S’ils vous voient bouleversés par une chose déchirante, immédiatement ils vous raconteront une blague pour vous faire rire. Nous avons essayé de transmettre cela dans notre spectacle. »

David Hein


Ils ont réalisé des centaines d’heures d’interview durant ce voyage. Sur la perte, l’amour, la générosité et l’acceptation. Ces thèmes se retrouvent dans chaque ligne, blague ou chanson de cette œuvre réconfortante qu’est Come From Away.

Parmi de nombreux événements, ils assistèrent à un concert festif, le Beyond Words Benefit Concert, au centre communautaire de Gander, la patinoire locale, le soir du 10 septembre 2011. En dépit de la solennité de l’occasion, c’était une commémoration vibrante et bruyante, avec de la musique live jouée, entre autres, par le groupe Shanneyganock, un groupe folk de Terre-Neuve qui avait toujours été l’un des favoris de David. Vers la fin du concert, Shanneyganock a entamé un morceau appelé « The Islander » et bientôt tout le monde —dirigeants d’entreprise, fonctionnaires, travailleurs, pêcheurs, agents de police, peu importe qui — est descendu sur la « glace », dansant et chantant en même temps. Une unanimité et une joie qui ont uni tout le monde; la chanson était comme tressée dans leur ADN collectif.

Dans cette soirée, Irene et David remarquèrent Brian Mosher, l’infatigable présentateur de la télévision locale Rogers TV, qui couvrait l’événement, interviewant une foule de visiteurs revenus à Gander pour le week-end, les interrogeant sur leurs expériences et leurs bons souvenirs. En fin de soirée, Mosher vers un jeune couple et les a interrogé sur leurs expériences à Gander, une décennie plus tôt. Le grand monsieur aux cheveux sablonneux a répondu: «En fait, nous n’étions pas là. Ma femme et moi sommes ici pour l’anniversaire, pour recueillir des histoires sur ce qui s’est passé cette semaine-là pour une pièce de théâtre sur laquelle nous travaillons. Il y a tellement de matériel, le défi est de le réduire.» Il s’agissait bien sûr d’Irene et de David. Mosher, quelque peu abasourdi, a éclaté de rire. Irene a sauvé l’interview en ajoutant à l’antenne: «Vous pouvez voir comment cette semaine a changé tout le monde. Je suis fière d’être Canadienne.» À ce moment-là, ils savaient de quoi parlerait leur prochain spectacle. Et qu’il y aurait comme personnage un présentateur de la télévision locale.

Malgré ce que beaucoup peuvent croire, il faudra encore un long trajet de près de six ans avant la première triomphale de Come from Away au Gerald Schoenfeld Theatre de Broadway, le 12 mars 2017.

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Workshop du futur «Come from Away»
«Canadian Music Theatre Project» - Sheridan College - 2012

© Sheridan College - Toronto - Canada

Tout a commencé par un workshop de 45 minutes présenté dans le cadre du Canadian Music Theatre Project du Sheridan College en 2012. Il fut suffisamment réussi pour que Rubinoff invite Irene et David à terminer l’écriture du spectacle pour proposer une production complète à Sheridan l’année suivante, dans le cadre de la saison théâtrale régulière du collège. Cette version complète, mise en scène par Brian Hill, a été un succès artistique, mais Rubinoff n’a pas été en mesure d’attirer un producteur canadien pour un développement ultérieur.

Mais heureusement, l’aventure ne s’est pas arrêtée là. Est passée par là Goodspeed Musicals, située à East Haddam dans le Connecticut, une importante organisation sans but lucratif dédiée à la préservation et à la promotion du théâtre musical, mais aussi à la création de nouvelles œuvres. Cette association a programmé Come from Away pour une représentation de concert dans son Festival of New Artists, le 19 janvier 2013. Rien de concret ne s’en suit.

Et puis vint le National Alliance for Musical Theatre de New York qui l’a programmé pour sa 25ème édition des 17 et 18 octobre 2013, se déroulant dans 2 des 5 salles du New World Stages de New York. 9 spectacles sont présentés chaque jour dans ce festival majoritairement à destination des professionnels. Grâce aux deux représentations (jeudi à 15h et vendredi à 9h30 du matin) Junkyard Dog Productions a décidé de produire le spectacle.

Ce producteur a alors organisé les classiques «Try-Out», ces représentations où un spectacle est joué devant des spectateurs pour une série de 5 à 40 représentations. Cela permet de le tester et de le faire évoluer avant qu’il débouche éventuellement à Broadway. Les spectacles qui ne se jouent pas à Broadway après les Try-Out sont déclarés « closed on the road ». Le premier Try-Out a eu lieu au La Jolla Playhouse de San Diego en mai et juin 2015. Puis ce fut une seconde série au Seatle Reportory Theatre en novembre et décembre 2015. Et enfin, un troisième Try-Out fut organisé au Ford’s Theatre de Washington en septembre et octobre 2016, où certaines représentations furent jouées devant des survivants de l’attaque du Pentagone à Washington le 11 septembre 2001. Mais Come from Away allait-il être un spectacle «closed on the road»? Non. Broadway pointait à l’horizon.

Les producteurs ont alors décidé de faire un retour aux sources, à Gander.

« Ramener Come from Away à Gander a été le summum de tout ce dont nous aurions pu rêver: partager ce spectacle avec les gens qui avaient partagé leurs histoires avec nous, et le faire dans le cadre d’un concert de bienfaisance, le 29 octobre 2016, où tous les bénéfices iraient à des organismes de bienfaisance locaux. Le stade de hockey sur glace de Gander a été transformé pour l’occasion en théâtre. Les 5.000 spectateurs présents ont commencé à applaudir dès le milieu de la première chanson, Welcome to the Rock. Puis, 10 minutes avant la fin du spectacle, ils ont de nouveau éclaté en applaudissements qui n’ont cessé qu’après la fermeture des rideaux. C’était tellement bouleversant et merveilleux de ressentir que les gens de Gander appréciaient ce que nous racontions. »

Irene Sankoff


Et pour son quatrième Try-Out, Come from Away allait revenir là où il était né: Toronto. Mais cette fois, au Royal Alexandra Theatre, un illustre théâtre de 1.244 places. Le spectacle s’y est joué du 15 novembre 2016 au 8 janvier 2017 avant d’être prolongé jusqu’en février.

Cette série a été un succès retentissant, le spectacle recevant des critiques élogieuses de la presse et battant le record de fréquentation de ce prestigieux théâtre vieux de 109 ans. La demande de billets était si forte que des places debout ont été vendues à l’arrière du parterre et des représentations supplémentaires ont été ajoutées. Il était évident que le public torontois souhaitait encore plus de représentations, mais la troupe devait partir pour assurer la création à Broadway. Des discussions ont commencé pour que le spectacle soit repris à Toronto.

Avant le grand saut vers Broadway, Irene et David, qui il n’y a pas si longtemps vivaient de petits boulots, pouvaient être fiers de leur création. Et bien avant Broadway, ce fut un véritable aboutissement que ces représentations à Toronto. C’était la ville où ils avaient été à l’école, où ils s’étaient rencontrés et où ils avaient commencé à écrire Come from Away. Mais le Royal Alexandra Theatre revêt une importance particulière pour Irene. C’est dans ce théâtre qu’enfant, elle allait de temps en temps le bonheur de voir des musicals avec sa maman… à l’arrière du second balcon, là où les places étaient les moins chères.

Come From Away a commencé ses représentations au Gerald Schoenfeld Theatre de Broadway le 18 février 2017, avec une première officielle le 12 mars. C’était le cinquième musical écrit au Canada à atterrir sur une scène de Broadway. Il a été accueilli par des ovations de spectateurs debout tous les soirs, des critiques élogieuses et sept nominations aux Tony Awards.

Come from Away fait peut-être référence à un moment précis dans le temps, mais c’est une histoire qui résonne d’un océan à l’autre en raison de son universalité et de sa représentation brute de la condition humaine. Il se peut aussi qu’en cette période de troubles politiques et de troubles mondiaux, les gens trouvent du réconfort dans le message sous-jacent d’espoir - que la bonté existe toujours et que, face au mal, les gens finiront par prendre soin les uns des autres.

Merci à Irene Sankoff et David Hein pour ce message essentiel.