D) Les revues musicales développent une conscience sociale
Malgré le besoin croissant d’évasion et de divertissement pur au fur et à mesure que la Dépression s’aggravait, les revues, qui avaient toujours intégré dans leur écriture des sujets d’actualité, commençaient à devenir de plus en plus politiques.
D.1) Americana (1926-1928-1932)
La revue Americana (), créée en 1926 (224 représentations) puis reprise en 1928 (12 représentations), comportait dans la reprise de 1932 la création d’une nouvelle chanson, Brother Can You Spare a Dime?, qui est devenue l’hymne de la Grande Dépression.
They used to tell me I was building a dream
And so I followed the mob
When there was earth to plow or guns to bear
I was always there right on the job
They used to tell me I was building a dream
With peace and glory ahead
Why should I be standing in line
Just waiting for bread?
Once I built a railroad, I made it run
Made it race against time
Once I built a railroad, now it's done
Brother, can you spare a dime?
Once I built a tower up to the sun
Brick and rivet and lime
Once I built a tower, now it's done
Brother, can you spare a dime?
Once in khaki suits, gee we looked swell
Full of that yankee doodly dum
Half a million boots went sloggin' through hell
And I was the kid with the drum
Say, don't you remember, they called me Al
It was Al all the time
Why don't you remember, I'm your pal
Say buddy, can you spare a dime?
Once in khaki suits, ah gee we looked swell
Full of that yankee doodly dum
Half a million boots went sloggin' through hell
And I was the kid with the drum
Oh, say, don't you remember, they called me Al
It was Al all the time
Say, don't you remember, I'm your pal
Buddy, can you spare a dime?
«Brother Can You Spare a Dime?»
La chanson était écrite par le parolier Yip Harburg et le compositeur Jay Gorney. La mélodie est basée sur une berceuse russo-juive. La chanson raconte l'histoire de l'homme universel, dont le travail honnête pour réaliser le rêve américain a été déjoué par l'effondrement économique. Fait inhabituel pour une chanson de Broadway, il a été composé en grande partie dans une tonalité mineure, comme il convient au sujet. La chanson est devenue plus connue grâce aux enregistrements de Bing Crosby et Rudy Vallée, publiée toutes deux à la fin de 1932. La chanson a reçu des critiques positives et a été l'une des chansons les plus populaires de 1932. Elle était l'une des rares chansons populaires de l'époque à discuter des aspects les plus sombres de l'effondrement économique, elle a été considérée comme un hymne de la Grande Dépression.
À l’époque, les critiques de comédies musicales consacraient rarement beaucoup d’espace à des commentaires sur les paroles ou la mélodie des chansons. Ce ne fut pas le cas des critiques d’ Americana (). Dans The New York Times, Brooks Atkinson écrivit que «"Brother, Can You Spare a Dime?" was plaintive and thundering and the first song of the year that can be sung... Mr. Gorney has expressed the spirit of these times with more heartbreaking anguish than any of the prose bards of the day.» Gilbert Gabriel dans le New York American a écrit: «Gorney and Harburg have written something so stirring that it will run away with the whole show.» Variety a déclaré que Brother Can You Spare a Dime? était la seule partie du spectacle qui méritait d’être louée.
Yip Harburg écrira plus tard que cette chanson lui a rapporté plusieurs milliers de dollars et l’a aidé à se lancer dans l’industrie de la musique. Nombreux chefs d’entreprise ont essayé d’interdire son passage à la radio, en voyant la chanson comme «une dangereuse attaque contre le système économique américain». Ils ont échoué en raison de la popularité de la chanson.
D.2) As Thousands Cheer (1933)
Comme nous l’avons vu ci-dessus, As Thousands Cheer (), d’Irving Berlin en 1933, a connu un succès retentissant avec 400 représentations. L’une des vedettes en était Ethel Waters, l’une des grandes chanteuses afro-américaines des années ‘30, qui chantait Supper Time. Quand Ethel Waters chantait les paroles:
Supper time,
I should set the table,
Cause it’s supper time,
Somehow I’m not able,
Cause that man o’ mine,
Ain’t comin’ home no more
«Supper Time»
apparaissait à l’arrière de la scène la silhouette de son mari pendu à l’arbre où il avait été lynché. L’Amérique avait profondément besoin d’évasion, mais, en même temps, le temps était venu de faire des déclarations sociales et politiques sur la scène des revues musicales.
D.3) Pins and Needles (1937)
Pins and Needles () (novembre ’37 – juin ’40), le spectacle ayant eu la deuxième plus longue série de représentations des années '30 (après Hellzapoppin ()), a été créé par le syndicat International Ladies Garment Workers’ Union (ILGWU). Ce devait être un spectacle syndical interne, monté pour ses membres. Harold Rome a écrit les chansons, et les sketches l’ont été par de nombreux auteurs. Comme nous l’avons vu, les acteurs étaient tous des membres de l’ILGWU – coupeurs, malaxeurs et opérateurs de machines à coudre – qui ne pouvaient que répéter le soir et le week-end. Le spectacle portait un regard favorable aux syndicats à propos des événements actuels. Programmé seulement pour quelques représentations, il a attiré l’attention des spectateurs, se déplaçant au Labor Theatre puis au Windsor Theatre, jouant finalement pour 1.108 représentations. Tout au long de cette longue série de représentations, la troupe était composée de membres de l’ILGWU, dont la plupart ont continué à travailler en journée. Pour la très grande majorité, c’était et ce sera leur seule participation à du «théâtre professionnel». En 1938, en dépit de la Dépression qui s’éternisait, le temps était venu pour aborder de vraies questions politiques, même si cela restait de manière douce. Les chansons et les sketches des revues étaient changés au cours des séries pour coller aux événements actuels. Ces chansons comprenaient It’s Better With a Union Man et One Big Union For Two.