A) Les musicals américains à Londres
La vigueur et l’originalité de la scène musicale américaine au milieu des années '20 ont été très admirées, et même enviées, par les producteurs britanniques, qui ont commencé à importer des musicals de Broadway à Londres en nombre croissant. Pour ne citer que quelques exemples remarquables:
- No, No, Nanette () de Vincent Youmans a eu une production à Londres avant même sa production à New York: 665 représentations au Palace Theatre du 11 mars 1925 au
- Lady, Be Good! () des Gershwins est venu à Londres avec ses stars, Fred et Adele Astaire: 325 représentations à l’Empire Theatre du 14 avril 1926 au 22 janv. 1927
- Tip-Toes () des Gershwins: 181 représentations au Winter Garden Theatre du 31 août 1926 au 12 fév. 1927
- Sunny ( de Kern, Harbach et Hammerstein: 364 représentations au London Hippodrome Theatre du 7 oct 1926 au 16 juil. 1927
En plus, Kern et Gershwin avaient déjà produit des partitions originales spécialement créées pour les musicals britanniques.
Rodgers et Hart, dont la carrière venait de débuter de manière exceptionnelle – en mai 1926 ils avaient trois spectacles à l’affiche de Broadway (Dearest Enemy (), The Girl Friend () et The Garrick Gaieties (Deuxième édition) ()) – n’avaient pas envie d’être «à la traîne».
B) 1er déc. 1926: «Lido Lady» - Londres - Succès
Au cours de l’hiver 1925-26, Cicely Courtneidge et Jack Hulbert, un couple populaire jouant dans des musicals anglais, ont joué ensemble au Gaiety Theatre de Broadway leur revue londonienne à succès, By the Way () (28 déc 1925 > mai 1926). C’était la première fois que Hulbert était producteur et interprète d'un même spectacle, et pendant son séjour à New York, lui et son partenaire, Paul Murray, ont passé autant de temps que possible à rechercher des musicals de Broadway pour éventuellement les produire à Londres. Ils ont apprécié les efforts de Rodgers et Hart pour entrer en contact avec eux. Mais les musicals que ces deux jeunes artistes pouvaient leur proposer ne convenaient pas: un musical sur la Révolution américaine (Dearest Enemy ()) et un musical sur les courses de vélo de six jours à New York (The Girl Friend ()). Ces thèmes ne pourraient donner des musicals à succès dans le West End.
Hulbert et Murray proposèrent alors à Rodgers et Hart d’écrire les chansons pour un livret existant d’un musical dans lequel Hulbert et sa femme prévoyaient de jouer. C’était à la fois tentant, car ils avaient vu et apprécié By the Way () et avaient été séduits par l’humour très féminin de Cicely Courtneidge. Mais d’un autre côté, Rodgers et Hart avaient écrit leurs musicals avec Herb Fields, et ils n’étaient pas sûrs de se sentir à l’aise d’écrire les chansons d’un livret déjà écrit par Ronald Jeans.
L’histoire de Lido Lady () - qui a également eu pour titre The Love Champion un certain temps - n’était une fois de plus pas très fouillée… Il s’agissait des tribulations d’un empoté sportif, joué par Hulbert, qui voulait épouser la Lady du titre, une championne de tennis. Le problème, c’est que son père était voulait qu’elle épouse un athlète aussi sportif qu’elle. L’amour, bien sûr, vaincra tout.
Rodgers et Hart décidèrent d’accepter et de partir pour Londres dès qu’ils auraient lancé la seconde édition de The Garrick Gaieties ()), dont la première était prévue début mai. Ils espéraient ainsi, comme les Gershwin, Youmans et autres, partir à la conquête de Londres. Le spectacle Lido Lady () devait commencer ses répétitions à l’automne. Le timing était donc possible.
Début mai, ils venaient de lancer la seconde édition de The Garrick Gaieties () et étaient libres de tout engagement. Ils décidèrent de prendre un bateau pour Naples afin de passer par Venise pour s’imprégner de l’atmosphère, puisque le musical Lido Lady () se déroulait à Venise. Le Lido de Venise est une fine île qui s’étire sur une douzaine de kilomètres entre la lagune de Venise et la mer Adriatique dans la région de Vénétie en Italie du nord. Ce furent surtout des vacances. Le hasard fit qu’ils passèrent une soirée avec le célèbre Noël Coward et Cole Porter, alors totalement inconnu. Rodgers et Hart découvrirent ce soir-là, ébahis, le talent de Cole Porter. Ils remontèrent vers Londres en passant par Paris.
À Londres, Rodgers et Hart étaient très fiers d’être logés dans le prestigieux Savoy Hotel. Prestigieux parce que les chambres en bord de Tamise, mais aussi – et surtout – parce que ce fut l’hôtel qui abritait le Savoy Theatre, celui des célèbres Gilbert et Sullivan. Mais ils furent logés dans une toute petite chambre sans aucune vue. Rappelons qu’un peu plus d’un an auparavant, ils étaient totalement inconnus. Et d’ailleurs, à Londres, ils étaient encore des inconnus.
Incorporer des chansons dans un livret déjà écrit (surtout parlant d’un championne de tennis sur le Lido poursuivie par un prétendant peu doué) était certainement moins stimulant que les longues séances de discussions qu’ils avaient habituellement avec Herb Fields. Pour rendre les choses encore moins attrayantes, le rôle de la jeune héroïne serait joué par une actrice populaire et talentueuse, mais dans la quarantaine avancée. Rodgers et Hart, sans grand effort, ont créé le nombre requis de chansons qui, «inspirées» par leur séjour sur l’Adriatique, comprenaient un air appelé Lido Lady et un autre appelé You’re on the Lido Now. En outre, ils ont rajouté Here in My Arms (de Dearest Enemy ()) inconnue en Angleterre.
Ils ont bien sûr assisté à de nombreux spectacles du West End, mais le projet Lido Lady () les ennuyait tellement qu’une fois les chansons terminées, ils ont dit à Hulbert, une fois les chansons terminées, que s’il n’avait plus besoin de leurs services, ils seraient heureux de repartir à New York. Hulbert ne s’y est opposé. Et ils sont donc repartis aux États-Unis avant la création de Lido Lady ().
Il faut dire que juste avant le départ de Rodgers et Hart pour l’Europe, Herb Fields leur avait parlé d’un concept très original. Après cet intermède londonien, ils avaient hâte de se remettre au travail sur un musical Herb/Rodgers/Hart. Ce serait « Peggy-Ann ().
À Londres, Lido Lady () fut créé le 1er décembre 1926 et fut un succès de 261 représentations. Les premiers surpris furent Rodgers et Hart, et comme nous le verrons ci-après, ils viendront voir le spectacle à Londres en février 1927. Le spectacle ne sera jamais créé à Broadway…
C) 27 déc '26: «Peggy-Ann» - Succès 28 déc. '26: «Betsy» - Flop
Comme nous l’avons vu, avant le départ de Rodgers et Hart pour Londres pour travailler sur Lido Lady (), Herb Fields leur avait parlé d’un concept très original. En fait, plusieurs années auparavant, son père, Lew Fields avait produit en 1910 le musical Tillie’s Nightmare (). Herb pensait que le spectacle pourrait être réécrit et modernisé avec une nouvelle partition et une actrice plus jeune et plus attirante. Rodgers et Hart étaient enthousiastes et ont commencé à y travailler dès leur retour de Londres, au début de l’automne. Ce fut évidemment facile de vendre ce «remake» à Lew Fields qui a accepté de le produire avec Lyle Andrews, le propriétaire du Vanderbilt Theatre.
En 1926, les théories de Freud, bien que largement discutées, n’avaient pas encore trouvé d’expression théâtrale, et le temps semblait mûr pour qu’un musical parle des peurs et des fantasmes subconscients. C’est exactement ce que sera Peggy-Ann ()!
Tout le spectacle, à l’exception du prologue et de l’épilogue, était un rêve. Le musical va briser beaucoup de barrières. Dans une scène, Peggy-Ann se retrouve à bord d’un yacht pour épouser le personnage principal. Sa mère, agissant comme pasteur, exécute la cérémonie en utilisant un annuaire téléphonique comme bible. Peggy-Ann se présente pour l’occasion en sous-vêtements. Tout cela était absurde, mais avant-gardiste. La presse appréciera et parlera d’un musical «loin du moule familier», «vif et imaginatif», «futuriste», «un morceau de non-sens vraiment brillant» et «très différent du modèle habituel».
Après l’expérience dont ils sont sortis aigris, Rodgers et Hart étaient très heureux de retravailler «en famille», c’est-à-dire avec le librettiste Herb Fields, dans une production de Lew Fields et avec comme comédienne principale, même si elle intégrera le spectacle sur le tard … Helen Ford. Ils ont aussi engagé Lulu McConnell, qu’ils avaient connu sur Poor Little Ritz Girl (), et Edith Meiser et Betty Starbuck, qui avaient toutes deux été dans The Garrick Gaieties (). Même le directeur musical, Roy Webb, était l’homme qui avait enseigné à Rodgers les rudiments de la notation musicale et de la direction d’orchestre à l’époque des spectacles amateurs.
Au beau milieu de ce travail, Richard Rodgers a reçu un appel de Florenz Ziegfeld. Même pour deux jeunes artistes reconnus à Broadway, recevoir un appel de Ziegfeld était un choc. Pour beaucoup, c’était plus que le Roi de Broadway. C’était tout simplement Dieu. Rodgers s’est retrouvé dans son bureau et Ziegfeld n’a pas perdu de temps pour esquisser son idée. Il revenait d’un voyage en Europe, avec son financier Replogle, sur le même navire que Belle Baker, une petite femme à la voix énorme pour le moment confinée dans des maisons de vaudeville. Lui et Replogle, avaient été «renversés» lors d’un concert sur le bateau. Ils étaient persuadés qu’elle était une future star de musicals à Broadway. Si Rodgers et Hart étaient d’accord pour écrire les chansons, le spectacle, qui devait s’appeler Betsy (), pourrait entrer en répétition dans quelques semaines!
On ne rend pas compte, mais nous avons un Rodgers de 24 ans à qui Dieu propose un projet. Impossible de refuser… Rodgers en a parlé immédiatement à Hart qui a accepté aussi. Rodgers, dans ses mémoires, se souvient de la fierté de ses parents – il habite toujours chez ses parents. Mais aussi de leur inquiétude quant au défi. Ils n’avaient pas tort, car Betsy () sera une des pires expériences de Rodgers.
En plus de leur travail sur Peggy-Ann (), Rodgers et Hart composaient des chansons pour Ziegfeld. Mais la méthode de travail sur Betsy () était à l’opposé de l’ambiance familiale de Peggy-Ann (). Pendant la très courte période qu’ils avaient pour écrire les chansons, Rodgers et Hart ont rarement vu les librettistes David Freedman et Irving Caesar. Ils n’ont eu qu’une réunion avec Belle Baker. Aucun travail collectif n’était mis en place. Ziegfeld n’a virtuellement rien coordonné. Alors, Rodgers et Hart ont écrit au mieux des chansons en espérant qu’elles conviendraient à une histoire qu’ils ne connaissaient qu’approximativement.
Rodgers a compris la difficulté de mener de front ces deux créations: ils devaient créer au total près de 30 chansons en quelques semaines, et cela deviendrait encore plus lourd quand les deux spectacles répéteraient en même temps. Comme il le confie dans une lettre à sa future femme, pendant ces répétitions: «Je m’attends à arrêter complètement de manger et de dormir complètement».
Les choses vont se corser à la mi-novembre 1926, alors que les deux musicals devaient ouvrir à Broadway respectivement les 27 et 28 décembre 1926 à Broadway – sans oublier la première de Lido Lady () le 1er décembre à Londres! Ils n’avaient toujours pas de comédienne principale pour Peggy-Ann (). Ils désiraient Helen Ford, mais elle jouait dans l’US-Tour de leur Dearest Enemy (). Après avoir proposé le rôle à différentes actrices, ils ont dû se résoudre à organiser des auditions. Et cela ne donna rien. Ils contactèrent Helen Ford. Miracle, son US-Tour de Dearest Enemy () s’arrêtait la semaine suivante. Immédiatement Herb partit pour Cincinnati, où elle jouait, pour lui proposer un contrat et le manuscrit de Peggy-Ann ().
Pendant ces dures semaines, Ziegfeld s’est plaint que Rodgers et Hart n’étaient pas assez présents aux répétitions de Betsy (). Il faut dire que Betsy () était un spectacle énorme avec des dizaines de scènes élaborées, un grand casting et des centaines de choristes. Il aurait dû être joué en Try-Out pendant des mois, dans différents lieux avant de déboucher à Broadway, afin de prendre le temps pour épurer la création. Au lieu de cela, le seul Try-Out se limita à une semaine au National Theatre à Washington. Pendant cette semaine, la panique a pris le dessus: les librettistes Freedman et Caesar se sont disputés, Rodgers et Hart se sont disputés avec Freedman et Caesar, et Ziegfeld a débarqué en hurlant sur tout le monde. Après l’ouverture de Washington, Rodgers écrira à Dorothy:
«Je n’aime pas du tout le spectacle. Le livret, si on peut l’appeler ainsi, est terrible, et la musique a été une telle source de désagrément extrême que je suis impatient d’en avoir fini.»
Lettre de Richard Rodgers à Dorothy, sa future femme
L’ambiance était terrible et la soirée d’ouverture à Broadway a été le point culminant de ce long dérapage. À la dernière minute, sans consulter aucun des créateurs, Ziegfeld a acheté une chanson à Irving Berlin et l’a fait chanter par Belle Baker. Cette chanson a été la mieux accueillie de ce soir de première. Mais Ziegfeld avait réglé un projecteur sur Irving Berlin, assis au premier rang, qui s’est levé et a pris une ovation. Ce fut bien sûr une terrible claque pour le jeune Richard Rodgers. Bien sûr, la chanson Blue Skies de Berlin était magnifique et bien supérieure à tout ce que Rodgers et Hart avaient écrit pour Betsy (), mais à ce moment-là, le duo est ulcéré que l’on ait ajouté une chanson sans leur en parler et qu'ils le découvrent en live le soir de la première. Mais à 24 ans, Rodgers ne peut remettre en cause publiquement Dieu Ziegfeld.
Ce 28 décembre 1926 restera une tache noire dans la vie de Richard Rodgers. Heureusement que la veille, le 27, la première de Peggy-Ann () s’était très bien passée, avec un public et des critiques enthousiastes.
- Peggy-Ann () se jouera 333 soirs et sera un des grands succès de Rodgers et Hart.
- Betsy () se jouera 39 soirs! Il figurera parmi les plus gros flops des carrières respectives de Richard Rodgers, Lorenz Hart mais aussi de Ziegfeld.
Betsy () a donc fermé le 29 janvier 1927. Rodgers et Hart n’étaient pas présents. Ils avaient appareillé trois jours auparavant pour l’Angleterre pour aller voir à Londres leur troisième grande création du mois de décembre ’26, Lido Lady (). Ils ne croyaient pas en ce spectacle, mais c’était un gros succès à Londres. N’ayant pas assisté à cette première, ils devaient se rendre à Londres pour enfin voir leur spectacle.
D) Retour à Londres: 20 mai '27 - «One Dam Thing after another»
Lido Lady () a donc été un énorme succès à Londres. Le public riait à gorge déployée des bouffonneries de Cicely Courtneidgev et de Jack Hulbert, et il y a eu des applaudissements enthousiastes après chaque numéro. C’était gratifiant pour Rodgers et v mais aussi terriblement inquiétant. Ils détestaient ce spectacle. Le livret était enfantin, les blagues périmées, la jeune ingénue vieillissante n’était pas devenue plus jeune, … Le contact de Rodgers et Hart avec les producteurs du spectacle, Hulbert et Murray, ne fut pas plus chaud que lors des répétitions.
Le reste du temps qu’ils passèrent à Londres fut consacré à des fêtes – dont des cocktails avec le Prince de Galles – et à essayer de persuader Dorothy Dickson qu’elle serait idéale pour jouer Peggy-Ann () à Londres. Dorothy Dickson, dont l’énorme succès dans Sally (), le musical de Kern de 1921, avait marqué le début de son règne de 30 ans sur la scène musicale londonienne, n’a pas du tout été très impressionnée par cette proposition de Rodgers et Hart.
Mi-février, après ces quelques semaines à Londres, complètement reposés, Rodgers et Hart étaient prêts à retourner à New York et à se remettre au travail, confrontés à l’éternel questionnement: que-faire-après-cela? C’est à ce moment qu’ils ont reçu un appel de Charles B. Cochran. Recevoir un appel de Cochran à Londres était comme recevoir un appel de Ziegfeld à New York. Il était le principal producteur de la scène londonienne, et ses productions musicales étaient réputées pour leur opulence, leur goût et leur superbe sens du spectacle. Une reconnaissance de plus pour les jeunes Rodgers et RodgersRodgers.
Comme le souligne Rodgers, le bureau de Cochran était merveilleusement démodé et le producteur n’était pas particulièrement distingué. Mais il avait une grande expérience évidente et un jugement vif. Il savait également comment traiter avec les gens et les mettre à leur aise. Après dix minutes de discussion avec Cochran, Rodgers avait la sensation d’être un de ses vieux amis.
La proposition de C.B. Cochran n’était pas révolutionnaire: il voulait simplement que Rodgers et Hart écrivent les chansons d’une nouvelle revue qu’il préparait pour son théâtre, le London Pavilion. Ils n’avaient rien de prévu à New York. Rodgers et Hart se sont regardés, ont dit oui sur place.
Le London Pavilion - Théâtre sur Piccadilly Circus
Les façades existent encore aujourd'hui mais est une galerie marchande
Comme ils étaient un peu échaudés par leur expérience précédente avec une revue, Betsy () de Ziegfeld à Broadway, Rodgers et Hart sont partis à Paris pour convaincre Russell Bennett, l’un des plus brillants – déjà à l’époque – orchestrateurs de musicals. Le rôle d’un orchestrateur est fondamental dans la création d’un musical (voir ci-contre). Russell Bennett a commencé sa carrière en 1922 et collabore notamment avec les compositeurs Jerome Kern, George Gershwin, Cole Porter, Richard Rodgers (tant pour la période Hart que celle d’Hammerstein), Irving Berlin, Frederick Loewe pour ne citer qu'eux… Il est à ce moment à Paris, désirant parfaire son éducation musicale «classique», en 1926, où il étudie la composition avec Nadia Boulanger, jusqu'en 1929, avant de revenir aux États-Unis.
De retour à Londres, Rodgers et Hart sont allés voir un musical, Lady Luck (), qui comprenait deux de leurs chansons, tirées de Betsy (), Sing et If I Were You. Avec une faute d’orthographe sur le nom de Rodgers, leur contribution était bien reprise dans le programme: «Additional numbers by Rogers and Hart». Cette revue présentée au Carlton Theatre, dont il fut le spectacle inaugural, sera un gros succès se jouant du 27 avril 1927 au 4 février 1928 pour 323 représentations.
La nouvelle revue de C.B. Cochran devait s’appeler One Dam Thing After Another (). En fait, leur travail sur cette revue allait être très agréable :
- Le producteur C.B. Cochran était très ouvert, à l’opposé du Ziegfeld de Betsy (): il a été encourageant et reconnaissant de tout ce que Rodgers et Hart proposaient. Pendant toutes les répétitions, C.B. Cochran a présenté Rodgers et Hart à de nombreuses personnes importantes de la vie culturelle.
- Ils étaient logés dans un agréable flat à St. James Street à l’opposé total de leur chambre sans fenêtre du prestigieux Savoy Theatre choisie par Hulbert et Murray, les producteurs de Lido Lady ().
Le casting aligné par Rodgers et Hart était impressionnant.
Rodgers et Hart furent très fiers de la présence du Prince de Galles de l’époque – le futur Roi Edouard VIII – à un Gala Royal, organisé le 19 mai 1927, la veille de la Première. Ils étaient sûrs aussi que cela ferait de la publicité au spectacle. Cochran avait un avis très différent. Connaissant les mœurs du public londonien, il avertit les auteurs que cela pouvait signifier un désastre: les Britanniques préféraient passer une soirée à regarder la royauté que ce qui se passait sur scène. Et Rodgers et Hart constatèrent que Cochran avait totalement raison: peu importe ce qui se déroulait dans la revue sur scène, tout le monde regardait la loge royale, comme pour attendre un signal indiquant quand rire et quand applaudir. Et même si le Prince s’amusait, au moment où les gens percevaient ce message, ils réagissaient à contretemps.
Les applaudissements furent «polis». Nouvel échec? Rodgers et Hart sont allés voir Cochran en coulisses. Il eut une réponse honnête :
«Eh bien, les garçons, en fait, je ne sais pas s’il faut essayer de faire jouer cette revue ou la fermer immédiatement et la remplacer par un film dans le théâtre.»
C.B. Cochran
Ce commentaire montre qu’à l’époque, si un show s’arrêtait, avant de créer un nouveau spectacle vivant, on pouvait projeter un film et faire que le théâtre ne ferma pas…
Après le spectacle, ce soir de Gala Royal, ils sont partis tous les trois dans le bureau de Cochran pour boire un verre et discuter du destin du spectacle. Bien sûr, Rodgers (24 ans) et Hart (31 ans) n’ont osé donner le moindre conseil concret à Cochran mais ce dernier a accepté de maintenir le spectacle à l’affiche pendant un certain temps. Et les critiques se sont avérées extrêmement encourageantes et ont aidé le spectacle à vivoter quelque temps…
Quelques jours après la première de One Dam Thing After Another (), Rodgers et Hart ont appareillé pour New York.
Un mois plus tard, l’histoire de cette revue moribonde allait connaître un vrai coup de chance inattendu. Le Prince de Galles, toujours le même, en visite au Royal Western Yacht Club de Plymouth, a demandé au chef d’orchestre Teddy Brown de jouer My Heart Stood Still. Ni Brown ni aucun de ses musiciens ne connaissait la chanson… Alors le prince fredonna la mélodie jusqu’à ce qu’ils puissent la jouer. Cette anecdote a été reprise dans les journaux de Londres, dont le London Evening News, qui a titré en première page: «THE PRINCE ‘DICTATES’ A FOX-TROT». En dessous, il y avait un sous-titre, «THE SONG THE PRINCE LIKED», et en dessous se trouvaient les paroles imprimées et la musique des seize premières mesures de My Heart Stood Still. Ce sceau d'approbation royal a suffi à provoquer une queue à la billetterie du Pavilion et à précipiter les amateurs dans les magasins de musique pour acheter les partitions et les enregistrements de la chanson. Grâce au Prince de Galles, cette revue a finalement duré 237 représentations et a fait de Jessie Matthews une star, simplement parce qu'elle chantait cette chanson dans le spectacle.