C) La France des «Années Folles»
Et pour une fois, parlons un peu de la France… Pendant la première guerre mondiale – qui rappelons fut terrible, une guerre qui devait durer un mois et qui a duré quatre ans, une guerre de tranchées avec ses «gueules cassées» et ses gazages massifs – la population parisienne n'a pas arrêté de s'amuser.
Les français firent la fête au début pour se moquer de l'ennemi et se donner du courage – ils espéraient donner une leçon militaire aux allemands pour laver l'affront de leur terrible défaite de 1870 et aussi faire oublier la honte de l'affaire Dreyfus pour l'armée française.
Quand ils ont compris que la revanche militaire ne serait pas évidente, ils ont fait la fête pour distraire les permissionnaires. Puis, quand trop d'horreurs avaient enlevé aux «poilus» l'envie de rire, les français firent la fête pour se consoler. Alors, vous pouvez imaginer ce que fut la situation à l’armistice. Une nécessité vitale, enfin, de faire une vraie fête, libératrice, totale.
Sans limite.
Ce furent les années folles.
L’entièreté de la population hurle «Plus jamais ça!» et rebaptise la guerre mondiale (qui n’est pas encore qualifiée de «première» car on n’ose imaginer qu’il y en aura sous peu une deuxième): la «Der des Ders» (la «dernière des dernières guerres»). On s'empresse de proposer de nouvelles griseries sur fond de musiques nouvelles venues d'Amérique grâce à leurs soldats, dont le Jazz. Nous y reviendrons. Mais plein de choses apparaissent: la radio, le sport, des nouvelles industries comme l’électroménager, … Tout cela sur un fond de très forte croissance économique...
Mais des idées nouvelles ont aussi surgi. Le XIXème siècle avait développé une utopie positiviste collective, liée en partie à l’industrialisation mais aussi à la colonisation. Après la guerre, elle va faire place à un individualisme déchaîné et extravagant. André Gide et Marcel Proust donnent le ton littéraire de cette tendance qui s'exacerbe et croît avec le mouvement dada dont Tristan Tzara publie le manifeste. Le surréalisme d'André Breton n'est pas loin. L'Art nouveau foisonnant cède la place aux épures précieuses de l'Art déco. C’est aussi l’explosion du mouvement surréaliste.
Mais en ce qui concerne le théâtre musical ?
C.1) Influence des États-Unis
La première influence des États-Unis provient du type de musique elle-même: le Charleston et le Jazz remplissent les cabarets et les dancings peuplés au lendemain de la guerre par des soldats américains et anglais en attente de retour dans leurs patries respectives mais très vite aussi par un public mondain à la recherche de toutes les nouveautés possibles. Et ces mondains sont les premiers à «propager une mode»…
De nouveaux cabarets ouvrent, le plus connu étant Le Bœuf sur le Toit, inauguré le 10 janvier 1922 dans le 8e arrondissement, lieu de rendez-vous de Jean Cocteau et de l’intelligentsia parisienne de l’entre-deux-guerres. Mais la nouvelle musique se propage aussi grâce aux nouveaux phonographes et aux nombreux disques de Jazz.
Mais l’autre influence provient directement des spectacles américains. Une soudaine passion et un goût certain pour les États-Unis, leurs valeurs et leur culture, caractérise le Paris des années '20. Revues et vedettes de Broadway sont achetées au prix fort et imitées par la suite. Mais la France ne se contente pas de récupérer les spectacles d'outre-Atlantique; elle les adapte et crée ses prestations et représentations.
C.2) Les revues françaises – La «Revue Nègre»
C'est ainsi le cas pour la fameuse La Revue Nègre () qui présente pour la première fois à Paris en 1925 au Théâtre des Champs-Élysées, Joséphine Baker, une danseuse se présentant dénudée et plumée, dansant le Charleston et multipliant les gestes provocants, sur une musique de Sidney Bechet. Inspirée et influencée par l'Empire colonial français, elle monte La Folie du Jour () en 1926. Elle reprend aussi des chansons à succès de cafés-concerts telles que La Petite Tonkinoise de Vincent Scotto. La chanson J'ai deux amours en 1930 la consacre comme une star de la vie parisienne, vedette complète qui, à l'instar des chansonniers, ne se contente pas de danser mais commente les airs de musique et donne dans le comique. Paris est ainsi devenu au cours des années 1920 un pôle privilégié de la culture artistique.
C.3) Le Music-Hall
C'est aussi la période où le music-hall remplace définitivement le café-concert. On va par exemple au Casino de Paris, une salle qui rouvre ses portes avec Mistinguett et Maurice Chevalier et enchaîne avec vingt-quatre revues à succès... . La salle est dévastée par un incendie en 1922, puis entièrement reconstruite et modernisée avec une piscine vitrée contenant cent mille litres d'eau, équipée d'un mécanisme pour la faire apparaître sur scène. Totalement révolutionnaire pour l'époque!
En 1925, Mistinguett rejoint le Moulin Rouge et Maurice Chevalier revient en vedette unique du spectacle. Dans tous ces spectacles de Music-Hall, les attractions et les chansons se succèdent à un rythme rapide. Les décors et les costumes fantaisistes des girls sont dessinés par des peintres en vogue comme Zinoviev autant que par des costumiers qui deviennent des célébrités admirées et adulées comme Erté ou Charles Gesmar. Les productions artistiques connaissent une ascension fulgurante. On peut donner comme exemples les plus connus Cach' ton piano, Paris qui jazz, Mon homme et Dans un fauteuil qui donnent à Maurice Chevalier et à Mistinguett une célébrité internationale. Les Petits petons de Valentine font le tour du monde.
L'influence américaine, le grand spectacle, les comédies musicales font le succès des Folies Bergère, les fameuses «Fol Berge». Elles inaugurent en effet leur cycle avec Les Folies en furie en 1922. Dès 1918, Paul Derval avait impulsé une nouvelle ère pour les Folies Bergère et va marquer de son empreinte l'histoire de la revue. Durant 48 ans, il y règne sans partage sur le célèbre music-hall.
Rappelons que les Folies Bergère (ancienne version) avaient elles-mêmes inspiré les Ziegfeld Follies, dont la première date de 1907 à Broadway. Mais Derval impose une profonde mutation du spectacle parisien. A l’instar des américains, désormais, il veut une débauche de costumes, de décors, d'effets de mise en scène et il va mettre en valeur sa troupe composée de girls anglaises à la discipline de fer et de «petites femmes nues» qui pour Derval doivent être la marque de fabrique des Folies. Profondément superstitieux, il décide que tous les titres des revues présentées aux Folies devront comporter 13 lettres, ainsi que le mot «folie» au singulier ou au pluriel. Tiens, la même superstition que Ziegfeld !!!
C.4) L’opérette française
Le 12 novembre 1918 (le lendemain de l’armistice !!!), l’opérette française va également prendre un nouveau départ avec la première de Phi-Phi () d'Henri Christiné et d'Albert Willemetz, au Théâtre des Bouffes-Parisiens. L’histoire du sculpteur Phidias qui reçoit commande d'une grande statue représentant la Vertu et l'Amour, à Athènes, en l'an 600 avant Jésus-Christ, sera un énorme succès: plus de mille représentations furent jouées en seulement deux années au Théâtre des Bouffes-Parisiens mais aussi «en tournée» à Paris dans d’autres théâtres (Edouard VII, Nouveautés, Bouffes du Nord, Ba-ta-clan, Empire).
Lui succède, au Théâtre des Bouffes-Parisiens, l’opérette Dédé () avec Dans la vie faut pas s'en faire, une chanson qui devient un tube interprétée à nouveau Maurice Chevalier. Ici aussi, un vrai succès puisque l'opérette est créée le 10 novembre 1921 et tient l'affiche jusqu'au 15 juin 1922, avant de se relancer pour une seconde saison du 6 octobre 1922 jusqu'en mars 1923!
Des compositeurs se révèlent talentueux comme le marseillais Vincent Scotto mais aussi Maurice Yvain (le compositeur de Mon homme) ainsi que des auteurs comme Sacha Guitry qui écrit le livret de L'Amour masqué ().
À l'Olympia, à Bobino ou au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse, on retrouve Marie Dubas et Georgius qui inaugurent le Théâtre Chantant en mettant en scène diverses chansons populaires. Il y a aussi Damia surnommée la «tragédienne de la chanson» ou encore Yvonne George et sa voix de vibrato qui reprend des chants traditionnels.
À partir de 1926 cependant, l'opérette américaine vient concurrencer la française avec des titres comme No, No, Nanette (), Rose-Marie () et Show Boat (). Les Années Folles sont donc une époque de vedettes et de répertoires variés opérant dans divers lieux festifs.
C.5) Renouveau théâtral
Juste à titre indicatif, signalons que le monde théâtral dans son entièreté subit une profonde transformation. Le Paris des années 1920, c'est aussi le théâtre qui est essentiellement représenté par quatre metteurs en scène et acteurs principaux, à savoir Louis Jouvet, Georges Pitoëff, Charles Dullin et Gaston Baty. Ces derniers décident en 1927 de joindre leurs efforts en créant le «Cartel des Quatre». Ils ont néanmoins beaucoup moins de succès que Sacha Guitry qui, lui, triomphe au Théâtre des Variétés. Il y a aussi les pièces d'Alfred Savoir, les comédies d'Édouard Bourdet et celles de Marcel Pagnol qui rencontrent toutes un succès certain.
La représentation théâtrale connaît un vif succès d'audience et un incontestable renouveau au cours des années 1920, tout d'abord au niveau de la représentation scénique. Autour du Cartel des Quatre se développe un effort de création visant à traduire dans la mise en scène les inquiétudes et aspirations de l'époque. Le changement se manifeste aussi dans le choix des thèmes traités et l'atmosphère qui se dégage des œuvres présentées. Parallèlement à cela, le public cultivé des élites s'intéresse de plus en plus à des auteurs et des œuvres qui associent classicisme dans la forme et l'opposition réalité/rêve au niveau de l'atmosphère théâtrale. Aussi, le théâtre de Cocteau, les premières pièces de Giraudoux (tel Siegfried en 1928) et les œuvres de l'italien Pirandello en sont les plus illustres représentants et connaissent le succès. Cependant, tout cela reste classique dans les modes d'expression choisis et conforme au goût des élites.
C.6) Glas des Années folles
Après l'envol de la Bourse au cours des années folles, le krach de 1929 à Wall Street annonce la fin de cette période d'insouciance. Dès 1928, la salle de spectacle parisienne La Cigale ferme; en 1929, l'Olympia et le Moulin Rouge connaissent le même sort puis c'est au tour du Théâtre l'Eldorado qui est détruit en 1932.