5.
1866 1927 - Recherches

 6.8.
Paul Robeson
«LE» JOE

 6.9.F.
Show Boat
Broadway (II) (1932)

 6.8.D.
Show Boat
Film (II) (1936) (Suite)

 6.10.
Le crash de '29
La fin d'un monde

 7.
1927 1943 - Difficultés

H) Hollywood, mai 1936 - Deuxième film (Universal) (1/2)

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Sept ans après le premier film, Universal réalise un deuxième film Show Boat. Cette fois, il s’agit d’une comédie musicale coûteuse produite par Carl Laemmle Jr – qui avait remplacé son père Carl Laemmle à la tête d’Universal, suite à l’échec du film de 1929.

H.1) Une production difficile

L'«aventure» du deuxième film a commencé après le premier. Zoe Akins a écrit un premier scénario en 1934. Cette fois, l'inspiration directe est le musical Show Boat () et plus le roman de Ferber, comme cela avait été le cas avec le premier film. Zoe Akins a coupé Make Believe et You Are Love, incorporé Creole Love Song - un standard jazz créé en 1923 et rendu célèbre en 1928 par Duke Ellington and His Orchestra. Elle faisait aussi apparaitre le célèbre Florenz Ziegfeld à la fin du film, dans une scène où Kim faisait ses débuts à Broadway dans … le musical Show Boat () lui-même. On en est presque dans une démarche similaire à l’«option Robeson» de la création où Hammerstein rêvait de faire apparaître Paul Robeson dans le rôle de Joe puis en tant que lui-même.

Mais Carl Laemmle Jr va rejeter le projet d’Akins et engager Hammerstein lui-même pour imaginer un nouveau scénario. Le résultat, écrit très rapidement par Hammerstein en octobre et novembre 1935, conserve les éléments clés de l’original, mais avec une fin qui s’écarte de la version à la scène. Kern et Hammerstein ont également écrit trois nouvelles chansons.

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«Frankenstein» - Film de James Whale
(Universal - Novembre 1931)

Le réalisateur choisi pour le film fut James Whale. Il était surtout connu pour avoir tourné des films d’horreur et n’avait aucune expérience dans les musicals. Whale et Hammerstein ont beaucoup communiqué par voie postale. Leighton Brill – l’assistant de Hammerstein qui avait créé la version réduite à 90 minutes pour le deuxième US National Tour de 1932 () – se rendit lui à Hollywood pour travailler avec le réalisateur en direct. Il sera repris dans le générique du film comme «directeur technique».

Dans de longues lettres bavardes envoyées à Hammerstein juste avant le début du tournage, Brill parlait du studio comme «the about-to-be-bankrupt-at-any-minute Universal». Les finances allaient très mal et le tournage d’une nouvelle version de Show Boat (), qualifiée de somptueuse par Carl Laemmle Jr, inquiétait tous les actionnaires. Le fils Laemmle n’était pas un bon gestionnaire et son père lui avait transmis officiellement la direction du Studio Universal comme cadeau pour ses 21 ans. Les habitudes de dépenses de Carl Jr ont alarmé les actionnaires de l'entreprise. Ils refusèrent à la production de démarrer le tournage de Show Boat () à moins que les Laemmle n'obtiennent un prêt. Universal a été forcée de solliciter un prêt financier de 750.000$ pour cette production auprès de Standard Capital Corporation, en apportant en garantie la participation majoritaire de la famille Laemmle dans Universal. C'était la première fois qu'Universal empruntait de l'argent pour le tournage d’un film en 26 ans de son histoire.

La production a dépassé le budget prévu de 300.000$ et lorsque Standard a demandé le remboursement du prêt, Universal était à court d'argent et n'a pas pu payer. Standard Capital Corporation s’est donc emparée de la garantie, la participation majoritaire de la famille Laemmle dans . Ils ont donc pris le contrôle du studio le 2 avril 1936. Bien que le Show Boat 1936 d'Universal (sorti un peu plus d'un mois plus tard, en mai 1936) soit devenu un succès critique et financier, il était trop tard. Les Laemmle ont été chassés sans ménagement de l'entreprise qu'ils avaient fondée. Parce qu'ils avaient personnellement supervisé la production de Show Boat (), on retrouve encore aux génériques les deux noms: Carl Laemmle et Carl Laemmle Jr.

H.2) Helen Morgan, encore et toujours

Helen Morgan a été choisie pour incarner, une nouvelle fois, Julie La Verne. Mais sa consommation d’alcool n’avait pas diminué et Hammerstein avait de nombreuses inquiétudes. Il lui a rendu visite à New York pour s’assurer qu’elle allait bien. Dans son contrat, une clause prévoyait que Morgan devrait rembourser le studio pour le coût de son remplacement si elle s’avérait peu fiable. Quand Morgan est arrivée à Hollywood, Leighton Brill lui a écrit qu’il espérait la voir bientôt, ajoutant: «J’espère sobre.» (Les images officielles des coulisses de la production montreront toujours Morgan sirotant … du thé.)

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Helen Morgan (Show Boat - Universal (1936))

Le rôle de Julie La Verne dans le film est pratiquement identique à la version scénique; Hammerstein a donné à Morgan l’occasion d’incarner au cinéma, dans un contexte sympathique, son rôle-signature – elle l’avait joué à Broadway dans les versions de 1927 et 1932 et dans les deux tournées qui s’ensuivirent. Le réalisateur Whale voulait rendre plus complexe la chanson Bill. Kern et Hammerstein lui conseillèrent tous deux de laisser Morgan la chanter «avec cette simplicité mélancolique et mi-pathétique qui est sa vertu». Mais ils ont ajouté: «S’il vous plaît, quoique vous fassiez, s’il vous plaît, ne la laissez pas s’asseoir sur le piano!» Elle ne l’a pas fait. Whale a filmé Morgan en gros plan rapproché pendant la chanson et l’a entourée du public du Trocadéro – y compris des femmes en larmes – qui la regardait déballer son âme en chanson. Le soin tout particulier à la chanson Bill montre l’importance de cette chanson dans la dramaturgie, mais aussi le statut emblématique de son interprète, Helen Morgan.

H.3) Un trio de stars: « Dunne - Jones - Robeson »

D’autres éléments du spectacle ont été eux grandement modifiés par Hammerstein et Whale, des changements nombreux qui avaient pour motivation de mettre l’accent sur les stars du film. Les archives de productions d’Universal décrivent le film comme un véhicule pour le trio «Dunne-Jones-Robeson»: Irene Dunne dans le rôle de Magnolia, Allan Jones dans celui de Ravenal et Robeson dans celui de Joe.

  Paul Robeson (Joe)  Robeson était l’élément central du film tant au niveau esthétique que promotionnel. Le rôle de Joe fut élargi et une chanson a été rajoutée: le duo Ah Still Suits Me pour Joe et Queenie. Mais surtout, l’ensemble du calendrier de production a été conçu pour répondre aux exigences de Robeson. Une fois de plus, Robeson avait longuement hésité à accepter le rôle de Joe. Avec un gros titre plus que clair, «Robeson sera la star de Show Boat», le Defender a été ravi de rapporter que Robeson avait refusé le rôle jusqu’à ce que Laemmle lui-même l’ait appelé au téléphone, un appel transatlantique. Laemmle a rappelé à Hammerstein «nos promesses à Robeson»: «Il arrive ici le 14 novembre et le 2 janvier, il prend le train vers l’est pour retourner à Londres pour un contrat au Royal Albert Hall

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Paul Robeson (Show Boat - Universal (1936))

Hammerstein, qui a réécrit rapidement le scénario, a pris le temps de rencontrer Robeson pour tenter de le convaincre d’être plus flexible quant aux dates. Robeson a refusé et la première moitié du calendrier de tournage a été effectivement organisée autour de l’horaire de Robeson. Robeson a été payé 40.000$ pour dix semaines de tournage plus 3.000$ de frais de voyage pour nombreux l’aller-retour de Londres, pour lui-même et sa femme Eslanda.

Lorsque Robeson est arrivé et a fait un test de chant, Brill a été tellement ravi qu’il a demandé à Hammerstein d’ajouter d’autres chansons pour lui, «pas seulement les chansons de Kern, mais aussi des ‘Negro Spirituals’». Une fois de plus, on retombe sur l’«option Robeson» où Robeson chanterait des spirituals dans Show Boat (). Laemmle a lui aussi «donné des conseils» à Hammerstein sur la fin du film qui ne sont pas nouveaux: «Il me semble qu’avec une personnalité aussi géniale que Robeson et sa voix magnifique, une très bonne fin pour le film serait d’avoir Paul Robeson chantant sa nouvelle chanson, peut-être avec un chœur. Ne prenez pas cela trop littéralement, mais je pense que cela pourrait fonctionner à la fin comme vous l’aviez déjà imaginé au Ziegfeld Theatre

Dans la version finalement tournée, l’histoire d’amour blanche se termine dans un théâtre de Broadway, où Kim triomphe dans son nouveau spectacle, théâtre où, sans qu'elle le sache, travaille son père Ravenal comme portier. Magnolia, accompagnée de Cap'n Andy et de Parthy, viennent assister au succès de Kim, respectivement leur fille et petite-fille. Le couple Magnolia-Ravenal sera réuni en chantant You Are Love, laissant Kim en larmes en scène. On bascule sur un plan final du Mississippi au clair de lune accompagné par la voix de Robeson chantant les dernières paroles de Ol' Man River.

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«Cimarron» - Film de Wesley Ruggles (non crédité)
D'après le roman d'Edna Fermer, comme «Show Boat»
(RKO - Février 1931)

  Irene Dune (Magnolia)  La carrière holly­woo­dien­ne d’Irene Dunne a été rendue possible par son apparition réussie dans le rôle de Magnolia dans le National Tour de 1929, où elle avait remplacé Norma Terris. Elle passa directement de ses quarante semaines passées dans Show Boat () – dont quelques-unes seulement avec le rôle principal de Magnolia – aux prestigieux studios RKO Pictures, nouvellement créés par Joseph Patrick Kennedy (le père du futur président Kennedy). Ils cherchaient à dénicher de nouveaux talents capables de s’adapter au tout jeune cinéma parlant.

En 1930, Irene Dunne y tourne son premier film, LeatherneckingPrésentez armes»), un musical vite oublié, mais dès son film suivant elle va être propulsée au rang de star. CimarronLa Ruée vers l'Ouest») va bénéficier de la RKO d’un budget impressionnant de 1.700.000$. Reconnu comme l'un des premiers grands westerns du parlant, le film est avant tout une saga épique retraçant la vie d’une famille sur plusieurs décennies et sur fond de reconstitutions spectaculaires. Cimarron obtient la consécration avec trois Oscars dont celui du Meilleur Film et quatre nominations, dont une pour Irene Dunne.

Elle a été pressentie pour le rôle de Magnolia dans le projet de 2ème film de Show Boat () d’Universal dès 1933.

Juste après Show Boat (), sa carrière va prendre un nouveau tournant et elle se consacrera à la «comédie loufoque» («Screwball co­me­dy»), sous-genre proche du burlesque. Ce tournant a peut-être été inspiré par une scène du film de 1936Irene Dunne incarne une Magnolia se maquillant en blackface pour jouer un numéro de Minstrels sur le «The Cotton Blossom», pour chanter une nouvelle chanson de Kern et Hammerstein, Gallivantin’ Around. Cette scène peut être aujourd’hui source de controverses – elle le fut aussi à l’époque par ailleurs – quant à des connotations racistes, mais il ne faut sans doute pas tout interpréter au premier degré: nous apercevons plusieurs fois la salle où le public, même si l’esclavage a été depuis longtemps aboli, est ségrégué en deux groupes: les blancs en bas et les noirs au balcon. Cette chanson potentiellement incendiaire contient un travelling de l’arrière du théâtre où le public noir regarde le numéro de Magnolia – nous ne voyons pas leurs réactions, mais nous ne pouvons qu’imaginer ce qu’ils pensent. Il faut accorder au réalisateur le crédit vraisemblable de vouloir être honnête en montrant le type de divertissement offert au public à cette époque lointaine. En outre, il serait étonnant qu’Hammerstein ait validé toute démarche raciste.

Dunne a gagné 100.000$ pour jouer Magnolia – un salaire standard pour une star dans les années ’30, même si c’est plus du double de Robeson. Mais ce dernier a un rôle beaucoup plus court…

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Allan Jones & Irene Dunne (Show Boat - Universal (1936))

  Allan Jones (Ravenal)  Trouver le bon Ravenal s’est avéré difficile. Il fallait trouver quelqu’un au physique avantageux, qui savait jouer et chanter. Les premiers artistes suggérés comprenaient trois acteurs de premier plan satisfaisant aux critères physiques, mais qui auraient besoin d’un doublage vu leur niveau insuffisant en chant – Robert Taylor (une suggestion de Kern), Frédéric March (une idée de Dunne) et Walter Pidgeon – mais aussi Nelson Eddy, un baryton de la MGM.

Ce sera finalement le ténor Allan Jones qui sera engagé à quelques jours du début du tournage, ses tests avec Dunne montrant qu’il pouvait, selon les dires mêmes de Brill, sembler «très viril» en costume. Et en plus, il était bon marché: 20.000$ pour dix semaines de tournage. Dunne et Jones se sont avérés une combinaison gagnante.

Kern et Hammerstein ont écrit I Have the Room Above Her pour le couple, un charmant nouveau duo situé entre Make Believe et You Are Love. Un projet similaire de duo avait été imaginé en 1927, mais n’avait pas abouti. I Have the Room Above Her figure sur quelques disques de Show Boat () dans les années ‘50 et, enfin, a été chantée sur scène dans le revival de 1994 à Broadway.

H.4) Charles Winninger & Helen Westley

Charles Winninger a repris son rôle de Cap'n Andy et c’est Helen Westley qui a été choisie pour jouer celui de sa femme Parthy, lorsqu’Edna May Oliver, qui avait joué le rôle à la création et dans le revival de 1932, a refusé de le reprendre, lui préférant le rôle de la nourrice dans le film Romeo and Juliet de George Cukor, produit par la MGM. Étonnement, Edna May Oliver et Helen Westley étaient toutes deux déjà apparues comme des aînées d'Irene Dunne dans des films antérieurs: Oliver dans Cimarron (1931) et Ann Vickers (1933); Westley dans The Age of Innocence (1934) et Roberta (1935).

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Irene Dunne (Magnolia), Allan Jones (Ravenal), Charles Winninger (Cap'n Andy) et Helen Westley (Parthy)
(Show Boat - Universal (1936))

Tout en étant une «vieille à la peau dure» qui n’hésite jamais à jouer les gros bras, Helen Westley avait une bonne humeur et une capacité à s’amuser qui étaient totalement étrangères à Edna May Oliver, plutôt prétentieuse, hautaine et sans humour. Hammerstein réécrit le rôle de Parthy pour le faire correspondre à l’esprit plus généreux de Westley, et le résultat était très impressionnant.

Quand Harold Prince a voulu développer émotionnellement le rôle de Parthy pour Elaine Stritch en 1994, il a incorporé plusieurs séquences de dialogue écrites avec Helen Westley à l’esprit.