5.
1866 1927 - Recherches

 6.8.
Paul Robeson
«LE» JOE

 6.8.A.
Show Boat
Broadway (I) (1927)

 6.9.C.
Show Boat
Paris (I) (1929)

 6.10.
Le crash de '29
La fin d'un monde

 7.
1927 1943 - Difficultés

B) Londres, 3 mai 1928 - Theatre Royal Drury Lane

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B.1) Un cast anglais: Edith Day joue Magnolia

Show Boat () allait être le troisième spectacle d’Hammerstein à se jouer d’affilée au Theatre Royal Drury Lane, sans doute l’un des plus fameux théâtres de Londres, de par son histoire et sa taille. Comme leurs homologues de New York, les spectateurs londoniens des années ‘20 se délectaient de musicals modernes jazzy et d’opérettes sentimentales. Le Theatre Royal Drury Lane était à l’époque étroitement identifié avec ce dernier genre.

Les deux spectacles d’Hammerstein qui y ont précédé Show Boat () sont Rose-Marie () (du 20/3/1925 au 26/3/1927 - 851 représentations) et The Desert Song () (du 7/4/1927 au 14/4/1928 - 432 représentations). Et il sera suivi de The New Moon () (du 4/4/1929 au 10/8/1929 - 148 représentations). Le producteur à Londres de tous ces musicals est Sir Alfred Butt. Il l’a à chaque fois fait d’une manière somptueuse qui égalait le niveau des productions de Ziegfeld ou des Shuberts. Autre point commun à ces quatre spectacles: Edith Day y a joué le rôle principal féminin. Elle créera donc le rôle de Magnolia à Londres. Elle est considérée à l’époque comme la «First Lady» des musicals à Londres. Les amateurs de théâtre londoniens, en particulier les femmes, faisaient la queue pendant la nuit pour obtenir des billets pour la première de ses spectacles.

Malgré sa position en troisième place dans cette série d’importation de show de Broadway au Theatre Royal Drury Lane, la plupart des critiques ont souligné à quel point Show Boat () était différent. Un critique a trouvé que le cadre de l’histoire et son contenu étaient «totalement étrangers». Il a poursuivi:

«Un bateau habité sur le Mississippi dans lequel se déroulent des spectacles n’a aucune contrepartie sur la Tamise. Chez nous, il n’y a aucune question de couleur. Tout cela est plutôt déconcertant.»


Aucun musical du West End n’avait abordé le thème du métissage. Bien sûr, on pouvait être dire la même chose pour Broadway, mais le public de New York était sensibilisé aux us et coutumes des États du Sud et avaient facile à appréhender ce qu’ils voyaient sur scène. En fait, la Grande-Bretagne avait une longue histoire d’artistes non blancs sur la scène londonienne. Et ces interprètes étaient de plus en plus de populaires. Mais souvent, il restait une sorte de séparation: les Noirs et les Blancs apparaissaient souvent dans différentes scènes. En 1928, la comédie musicale anglaise Virginia () a été jouée au Palace Theatre de Londres et comprend un deuxième acte se déroulant dans les Caraïbes, interprété entièrement par des acteurs noirs.

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La salle du Showboat «The Cotton Blossom» du Captain Andy. Sur scène Howett Worster (Ravenal) and Edith Day (Magnolia). Dans la salle: les blancs au parterre et les noirs au balcon. (Theatre Royal Drury Lane - 1928)

La «First Lady» Edith Day était une telle vedette que le personnage de Magnolia a inévitablement été influencé par son image comme le décrit un critique en termes expansifs: «Il n’est rien qu’on puisse demander à une star des musicals de faire, que ce soit en tant qu’actrice, chanteuse ou danseuse, qu’elle ne soit capable de faire parfaitement.»

L’interprétation par Edith Day de After the Ball s’est avérée comme un des points culminants du musical selon les critiques. Certaines chansons ont dû cependant être modifiées pour qu’elle soit capable de les chanter, en modifiant la tonalité, comme pour You Are Love par exemple. Edith Day avait quelques soucis avec les notes élevées. La seule ligne chantée de Magnolia dans la scène du mariage a été supprimée, exemple parmi d’autres illustrant la fragilisation dans cette version de l’équilibre délicat entre musical et opérette. A Londres Ravenal a été joué par le baryton Howett Worster.

 
 

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Paul Robeson (Joe), Alberta Hunter (Queenie),
Edith Day (Magnolia) et Marie Burke (Julie La Verne)

B.2) Marie Burke, une pâle Helen Morgan

Pour incarner le rôle de Julie La Verne – défi de taille après l'impression qu'avait laissée Helen Morgan à Broadway – la production a choisi Marie Burke, une «artiste d’opéra légère d’une rare distinction» et figure londonienne à la mode créditée de la relance du boa de plumes.

Comme Morgan, Burke n’a fait aucune allusion à l’identité raciale de Julie en termes vocaux. Mais, à la différence de Morgan à Broadway dont la personnalité populaire lui a permis d’«être Julie», il s’agissait pour Marie Burke bien plus d’une interprétation du rôle que d’une incarnation. La Julie de Marie Burke a été en fait un véritable test du rôle: sans la personnalité de Morgan pour le porter, allait-il continuer à être aussi fort? Un critique a fait remarquer que Burke «chantait parfaitement sa première chanson», mais ajoutait que «la deuxième, qu’elle chantait assise sur un piano, ne valait pas la peine d’être écoutée.» Sans Morgan pour la chanter, Bill n’a pas impressionné le public londonien !!!

B.3) Un choeur grand et mixte

Sir Alfred Butt s’est offert un chœur à peu près égal à celui de Ziegfeld à Broadway: 37 femmes et 20 hommes dans le chœur blanc; 15 femmes et 15 hommes dans le chœur de chant noir, et «un chœur importé de 13 filles américaines» pour compléter l’ensemble noir. Soit un total de 100 artistes dans le choeur!!! C’est le baryton noir américain John C. Payne, installé à Londres, qui a servi comme coach vocal pour les Mississippi Singers. Une fois de plus, les producteurs blancs ont fait appel à des professionnels noirs reconnus. Mais attention, ne nous fermons pas les yeux, certains dans la communauté théâtrale londonienne étaient scandalisés par l’apparition des Noirs, et en particulier des Américains noirs, sur la scène du Theatre Royal Drury Lane. Ce prestigieux théâtre, qui pendant des décennies a été considéré comme le – et appelé officiellement – «National Theatre» ne pouvait aux yeux de certains confier des rôles de choristes à des Noirs, privant ainsi des choristes blancs de travail.

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(Theatre Royal Drury Lane - 1928)

B.4) Fossé entre la scène britannique et celle de Broadway

La fossé entre la scène britannique et celle de Broadway peut être mis en lumière par Cedric Hardwicke qui avait été distribué dans le rôle du Capitaine Andy. Hammerstein l’avait choisi suite à son interprétation d’un vieux bonhomme dans la pièce à succès Yellow Sands (). Lorsque Hardwicke, en fait âgé de trente-cinq ans, est arrivé pour la répétition sans aucun maquillage vieillissant, Hammerstein a été surpris. Dans ses mémoires de 1932 Let’s Pretend, Hardwicke a exprimé à quel point Show Boat () lui était étranger: «La plupart des choses que j’avais à dire semblaient inutiles, étant de l’humour américain

Hardwicke, qui est devenu ami avec Paul Robeson, a également raconté des anecdotes des coulisses du Drury Lane, qui parlent de la fracture culturelle séparant les scènes de New York et de Londres:

«Une troupe de filles colorées représentant les villageois du Mississippi avait été amenée au Drury Lane depuis New York à grands frais. Elles ont par exemple fait impression à la répétition générale en apparaissant avec des maquillages d’actrices blanches! On peut imaginer la consternation d’Oscar Hammerstein. Plus tard, quand les représentations avaient réellement commencé, j’ai remarqué plusieurs d’entre elles debout dans les coulisses et tenant leurs bras hauts en l’air. Elles avaient vu les filles anglaises du chœur faire cela avant de rentrer en scène, mais ne se rendaient pas compte que l’objectif était de drainer le sang des bras et ainsi de les faire paraître plus blanches.»

 

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Paul Robeson
(Theatre Royal Drury Lane - 1928)

Certains critiques londoniens ont expliqué comment l’histoire des États-Unis limitait l’expression de certains artistes noirs déjà connus du public. Un journaliste du The Bystander a souligné que malgré cela, le talent pouvait triompher: «Les Noirs, comme nous le savons, chantent les chœurs avec quelque chose qui tient de la ferveur religieuse, et l’ouverture du spectacle avec ce chœur du Mississippi est une performance envoûtante

En effet, lorsque les charmantes jeunes filles du chœur classique prennent le relais, elles semblent bien ternes en comparaison. À la fin des années 1880, la division sociale entre les blancs et les noirs sur le Mississippi était naturelle... En conséquence, une distinction se retrouve aussi dans la distribution des rôles, puisque les artistes noirs, aussi distingués soient-ils, doivent nécessairement représenter des personnes de statut subalterne dans la pièce. Par exemple, cette admirable actrice, Miss Alberta Hunter, n’est rien de plus que la cuisinière Queenie du show boat; alors que même un acteur de la rare qualité de Paul Robeson ne doit pas être considéré comme l’égal des blancs, mais semble devoir se limiter à n’être rien de plus qu’un homme avec un manteau. C’est une belle ironie que Paul Robeson captive la salle dès sa première apparition et devient, à partir de ce moment, la personnalité dominante du spectacle.

B.5) Queenie ... sans chanson

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Paul Robeson (Joe) et Alberta Hunter (Queenie)
(Theatre Royal Drury Lane - 1928)

Alberta Hunter, la Queenie de cette version londonienne, reste à bien des points de vue un mystère, car il nous reste peu de traces concrètes de son travail. Elle décrit son audition pour Hammerstein où elle a prétendu savoir danser, se disant qu’elle apprendrait si on le lui demandait. Elle fait l’éloge du producteur Sir Alfred Butt pour l’avoir aidée à rester à Londres lorsque son visa a expiré (elle avait quitté les USA en 1927). Hunter s’est auto-instituée «comité d’accueil» pour les artistes noirs de Show Boat (), invitant par exemple les Américaines noires du chœur dans sa maison, dès leur arrivée à Londres.

Mais la manière dont Hunter a joué le rôle de Queenie reste un mystère. Elle ne faisait pas partie des enregistrements de la distribution du Drury Lane, de sorte que son approche de Can’t Help Lovin' Dat Man ne peut pas être comparée à d’autres enregistrements. Mais les archives suggèrent que Hunter n’a pas beaucoup chanté dans la production du Drury Lane. Son couplet dans Can’t Help Lovin' Dat Man a été donné à Paul Robeson. Dans des souvenirs fragmentaires conservés dans ses journaux privés, Hunter a écrit: «Moi et mes filles de chœur, nous [sic] avons un numéro dans Show Boat, appelé «C’mon Folks» ('Queenie’s Ballyhoo') et parce que c’était un tel succès dans le spectacle, on a retiré le numéro à la star!»

Hey, Feller lui a également été retiré, ce qui a laissé Hunter sans vraie intervention musicale. C’est sans doute la raison pour laquelle les critiques l’ont à peine mentionné. Hunter envoyait régulièrement des lettres ouvertes relatant sa carrière européenne aux journaux noirs des États-Unis. Dans l’une de ces lettres, diffusée dans le Pittsburgh Courier, Hunter vantait sa participation au show comme «la seule femme de couleur qui ait jamais été engagée pour jouer un rôle principal dans un spectacle de Ziegfeld». Rappelons en effet qu’à Broadway, le rôle de Queenie, la cuisinière noire, était jouée par l’actrice blanche Tess Gardella, apparaissant donc en ‘blackface’ (c’était la seule, mais quand même). L’exploit de Hunter, la première femme noire à jouer Queenie, semble avoir été une victoire symbolique, vu ses peu nombreuses interventions chantées.

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Concert Robeson-Brown

B.6) Paul Robeson ... enfin

La vraie vedette noire, c’est évidemment Paul Robeson, dans le rôle de Joe. Mais ici encore, rien n’a été totalement clair. Revenons un peu en arrière et souvenons-nous de ce que nous avons relevé quant à ses ambitions artistiques. Elles sont loin d’avoir pour but premier d’obtenir un succès «commercial». Il veut avant tout s'exprimer grâce à des «expérience en concerts».

Après avoir dit ‘non’ à Ziegfeld qui lui proposait d’incarner le Joe de la création à Broadway, Robeson a saisi l’opportunité de jouer son Récital Brown-Robson à Paris, avec l’ambition que cela permette d’organiser une tournée européenne. Pour financer son voyage, il avait signé un contrat avec la productrice Caroline Dudley pour sa participation à une revue noire à l’automne 1928 à New York, demandant une avance de 500$. Le 29 octobre 1927, il joue son concert à la Salle Gaveau à Paris. Beau succès, mais, le 2 novembre, sa femme Eslanda accouche et il y a des complications médicales qui s’ensuivent. Après six semaines où il écrit tous les jours à sa femme, Paul Robeson décide de rentrer aux Etats-Unis. Désabusé, le couple est dans une période financièrement complexe. Il n’a pas de demande de concerts aux États-Unis. De même, il n’est pas dans Show Boat () qui triomphe.

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Et là, va se dérouler quelque chose de totalement incroyable. Le succès de Show Boat () est tel que Ziegfeld imagine ouvrir à terme, toujours à Broadway, un second cast de Show Boat (), avec en tête d’affiche Paul dans le rôle de Joe. Incroyable: il y aurait eu deux versions de Show Boat () en même temps dans la même ville. Mais Paul Robeson va refuser cette offre et … accepter de faire une reprise de rôle dans la pièce Porgy () par la Theatre Guild. Les Robeson avaient rapidement besoin d’argent. Il accepte le rôle pour 500$ par semaine et comme l’avoue sa femme: «Cela fait deux semaines que Paul est dans Porgy et nous recommençons à manger

Si la situation était si grave, cela n’explique pas pourquoi il dit toujours ‘non’ à Show Boat (), avec en tête d’affiche Paul dans le rôle de Joe. Incroyable: il y aurait eu deux versions de Show Boat (), où en plus l’«option Robeson» dont nous avons parlé n’est plus d’application. Sans doute parce qu’il juge cela trop commercial et que participer à un spectacle de la prestigieuse Theatre Guild est plus en accord avec ses ambitions. Mais ce spectacle ne lui convient pas du tout. Il devait chanter au-dessus d’un chœur et a peur de briser sa voix qui, comme pour tout chanteur, est son instrument. Il faut donc le préserver.

Et c’est encore Ziegfeld qui va lui faire une nouvelle proposition! Il lui propose de jouer Joe … mais à Londres dans la création qui devait se faire en mai. Et cette fois, Paul dit … ‘oui’. Pourquoi? Personne ne sait vraiment, mais plusieurs facteurs ont sans doute influencé. Le premier est que le rôle de Joe est très ‘léger’: une seule chanson Ol’ Man River et ses trois reprises. Sa voix ne risque rien. Avec les représentations de Broadway, il sait aussi que Show Boat () est un grand spectacle et que tenir le rôle de Joe à Londres peut être une énorme vitrine pour lui, lui permettant peut-être de lancer en Europe sa tournée de concert de spirituals avec Brown. Surtout que ce dernier, après le concert parisien d’octobre ‘27, est resté en Europe. Dans un courrier à Brown, Eslanda est très claire: «Show Boat est terriblement facile… Cela ne va pas plus fatiguer la voix de Paul qu’une répétition. Si le show est un succès, et ce le sera certainement, et si Paul en est une star, toi et lui pourrez facilement et rapidement être en vogue à Londres. Vous pourrez en profiter pour faire des concerts le dimanche soir…»

Peu après l’ouverture, Eslanda rejoignit son mari à Londres. Ils s’installèrent dans un flat en face de Regents Park et elle écrivit à une amie: «Nous sommes très heureux». Cela faisait longtemps. En plus Paul et Brown, suite au succès de Show Boat () reçurent une demande impressionnante de propositions. Six semaines après l’ouverture de Show Boat (), tous ces petits concerts avaient permis au couple de rembourser toutes ses dettes. Sir Alfred Butt, le producteur anglais de Show Boat (), leur proposa de faire un concert au Drury Lane, qui eut lieu le 3 juillet 1928. Un triomphe avec salle pleine. Et le Drury Lane est l’un des plus grands théâtres de Londres. Le 9 juillet le Prince de Galles, commanda un concert pour le 9 juillet lors d’un dîner en l’honneur du Roi d’Espagne… Eslanda écrivit à une de ses relations:

«Il semble qu’enfin nous sommes à la fin d’un long voyage. Paul est si heureux qu’il sourit. Il est toujours le même garçon doux et modeste, mais il est grandement soulagé. Il est vraiment gentil, et je l’aime de plus en plus.»

 

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Paul Robeson et sa femme Eslanda
(Juin 1933)

Le couple adore la vie londonienne. Et la vie culturelle londonienne qui est très riche: il assiste à Turandot ou Faust au Royal Opera House de Covent Garden, aux Ballets Diaghilev dirigés par Stravinsky lui-même, le Théâtre d’art de Moscou. Mais il va aussi voir des matchs de tennis à Wimbledon, invité par Sir Alfred Butt. Mais comme souvent, les choses se sont gâchées…

Fin juillet, Caroline Dudley – la productrice avec qui Robeson avait signé un contrat pour une revue à New York à l’automne, contrat sur lequel il avait touché la fameuse avance de 500$ - lit dans un journal de New York que Robeson devrait apparaître à l’automne dans une deuxième troupe de Show Boat () à Broadway. Caroline Dudley n’est pas n’importe qui… C’est elle qui, par exemple, avait fait participer Josephine Baker à La Revue Nègre () à Paris. Elle envoie un télégramme immédiatement à Robeson à Londres lui rappelant ses engagements contractuels. Il répond laconiquement: «Tous les plans sont postposés de manière indéfinie

Cette réponse ne convient pas à Dudley qui proteste auprès de l’Actors’ Equity (le syndicat des artistes). Ces derniers menacent de suspendre Robeson. Eslanda rentre aux États-Unis pour tenter de discuter. Une réunion est organisée avec Eslanda, Frank Gilmore (responsable de l’Actors’ Equity) et Caroline Dudley. Caroline argumenta que Paul avait peur pour sa voix et qu’il ne se voyait pas chanter du blues dans une revue. La réponse de Dudley est claire: «Il fallait y penser avant de signer. J’ai tout basé sur lui.» Caroline lui a alors proposé de racheter le contrat, mais Dudley a refusé catégoriquement… L’Actors’ Equity décida de suspendre Robeson et fit une déclaration que nombreux estimèrent raciste:

«C’est vraiment dommage que cet éminent membre de sa race néglige à ce point ses obligations contractuelles.»


Ils essayèrent d’empêcher Robeson de continuer à se produire dans Show Boat () au Drury Lane. Mais le Royaume-Uni ne faisait pas partie de la juridiction de l’Actors’ Equity américain. Dudley ne se laissa pas démonter et porta plainte au Royaume-Uni. Les avocats de Sir Alfred Butt plaidèrent que si Robeson «était condamné à quitter le spectacle, le producteur devrait fermer le show, car Robeson y était indispensable, ce qui provoquerait la perte de leur emploi pour plus de 100 personnes.» Depuis les États-Unis, Ziegfeld va défendre celui qui lui a si souvent dit non. Il reparle d’une seconde troupe de Show Boat () à Broadway que la suspension de Robeson interdit définitivement. Ziegfeld sait qu’il n’est pas n’importe qui :

«Ma seule motivation de mettre en place une deuxième troupe de Show Boat était le fait que je comptais sur Paul Robeson, le seul à être suffisamment attractif pour assurer à cette nouvelle distribution de jouer un an au moins. Il a été le premier à être approché pour la version originale de Show Boat au Ziegfeld Theatre et je l’ai laissé aller à Londres pour chanter pour Sir Alfred Butt au Drury Lane. Il devait revenir aux États-Unis pour la seconde distribution de Show Boat, mais maintenant que la suspension de l’Actors’ Equity l’a éliminé de mon casting et l’empêche de revenir dans ce pays pour travailler, je dois abandonner mon projet de produire un second Show Boat qui aurait donné de l’emploi à 160 artistes. J’avais déjà signé de nombreux acteurs principaux qui estiment tous que la suspension de Paul Robeson par l’Equity leur a fait perdre leur travail.»


Finalement un arrangement fut décidé: Robeson versa 8.000$ de dédommagement à Dudley. Le spectacle s’est joué pour 350 représentations et s’est arrêté après 10 mois, le 2 mars 1929. Robeson était devenu extrêmement populaire à Londres. Un peu plus d’un an plus tard, il allait franchir une autre étape en étant le premier acteur noir à jouer le rôle d’Othello au Royaume-Uni. Ce sera au magnifique Savoy Theatre aux côtés de Peggy Ashcroft dans le rôle de Desdémone.

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Peggy Ashcroft (Desdemona) et Paul Robeson (Othello) - Savoy Theatre - Londres, 1930.
Robeson: « C’est une tragédie de conflit racial. Othello dans la Venise de l’époque
était pratiquement dans la même position qu’un homme de couleur en Amérique aujourd’hui.»