Nous avions déjà abordé précédemment Irving Berlin dans ce chapitre: ()
B.4) 1924 – La quatrième et dernière Music Box Revue
En 1924, au beau milieu de cette année agitée pour Berlin, il y a avait aussi le problème de la quatrième Music Box Revue (). «Je suis vraiment ravi d'une bonne partie de mes chansons», écrit-il à Ellin pendant son exil en Europe, «mais j'ai vécu avec elles si longtemps, je les ai relues si souvent qu'elles ont perdu tout intérêt… Ici encore, comme je te l'ai dit tant de fois, le frisson créatif des Music Box Revue () a disparu et maintenant c’est devenu un travail que j'aime le plus quand il est terminé.» Dans l'intervalle, Clarence Mackay avait engagé des détectives privés pour déterrer tout ce qu'ils pouvaient sur Irving Berlin.
Après quelques semaines, les Mackay insistèrent pour qu’elle découvre le sud de la France, Rome, l’Égypte et la Terre Sainte!
Pendant tout ce temps, Ellin continua d'écrire à celui qu'elle appelait son «jeune homme»: trois ou quatre lettres en réponse à chacune de celle qu'il lui écrivait. Et Berlin continuait à écrire la quatrième Music Box Revue (). Elle a été créée au début de décembre, récoltant majoritairement de bonnes critiques.
Par contre, la vente de billets a vite baissé, comme dans la plupart des autres Revues, d’ailleurs. Les amateurs de théâtre commençaient à se lasser de la forme, vu l'intérêt croissant pour les comédies musicales à livret dont le nombre était sans cesse croissant. Le spectacle sera joué seulement 184 représentations, le moins des quatre Music Box Revue ().
Cette dernière édition ne contenait pratiquement pas de chansons qui aient résisté à l'épreuve du temps. Deux curiosités légères, mais ravissantes sortaient un peu du lot. L'exquise Grace Moore (qui peu de temps après la Revue allait faire ses débuts au Metropolitan Opera, comme Mimi dans La Bohème) chantait les deux : Rockabye Baby, une berceuse sans vergogne, et la valse Listening, un hymne tout aussi sentimental au désir de l’être aimé absent:
Listening,
Listening for you
All alone
Feeling kind o’ blue...
Cette chanson mineure (retirée d’ailleurs du show après la première semaine) a été la base d'une des plus importantes de Berlin. Le nouveau numéro était aussi une valse, aussi mélancolique, et aussi laconique au niveau des paroles que Listening, mais une alchimie a opéré, à peine analysable, qui rend certains airs mémorables et d'autres, oubliables, un classique au lieu d'une bagatelle.
Just like the melody that lingers on,
You seem to haunt me night and day.
I never realized till you had gone
How much I cared about you —
I can’t live without you.
La chanson était la célèbre All Alone, et elle fut intégrée en cours de série à la Music Box Revue of 1924 (). La simplicité du refrain est un exemple de cette alchimie:
All alone
By the telephone,
Waiting for a ring,
A ting-a-ling ...
Et la fin, avec sa répétition presque brutalement efficace, n'est rien de moins que majestueuse.
Wond’ring where you are
And how you are
And if you are
All alone too
Si les lettres d'Irving à Ellin avaient tendance à contenir plein de news factuelles, elles étaient retenues dans leur expression émotionnelle. Mais une chanson comme All Alone était une vraie compensation. Et si la fille aux yeux de gimlet qui était tombée si fort pour lui pouvait tomber plus fort, cette chanson aurait vu à elle.
Trois enregistrements de All Alone ont été faits rapidement, remarquables tous les trois – par Al Jolson, par Paul Whiteman et son orchestre, et par le grand ténor irlandais John McCormack – et sont tous trois devenus des best-sellers de disques. Mais depuis lors, la chanson a été enregistrée des dizaines de fois. Trente-huit ans plus tard, l'album All Alone de Frank Sinatra, contenant le numéro de titre ainsi que quatre autres valses d’Irving Berlin (When I Lost You, What'll I Do?, Remember et The Song Is Ended), a également été un énorme succès commercial.