L'aventure d’Oklahoma! () ne peut être dissocié de la Theatre Guild. Mais inversément, le succès d'Oklahoma! () a profondément perturbé la Theatre Guild. Suivons le succès et ce qui s'en est suivi, mais avec le regard de la Theatre Guild.
A) Le succès d'Oklahoma! perturbe la Theatre Guild
A.1) Gérer le succès
Le lendemain de la première d’Oklahoma! les télégrammes de félicitations se sont échangés en masse. fLe début du mois d’avril fut un vrai moment de fête. La Theatre Guild fit livrer du champagne à Rodgers et à Hammerstein, pour lequel Hammerstein envoya des remerciements le 3 avril: «N’est-ce pas merveilleux pour nous tous d’y être parvenus?» Theresa Helburn et Lawrence Langner ont également envoyé leurs lettres de remerciement aux acteurs et à l’équipe. Langner a écrit à Margot Hopkins, la pianiste en répétitions: «Maintenant que tous les nuages se sont dissipés et que le soleil brille, permettez-moi de vous dire combien j’apprécie votre travail acharné et le boulot splendide que vous avez fait.» Helburn était encore plus éloquente dans sa lettre à Robert Russell Bennett, l’orchestrateur du spectacle, du 7 avril:
Puis-je vous dire à quel point j’ai énormément apprécié votre orchestration symphonique de Porgy and Bess quand j’ai entendu Reiner le jouer. Ce fut une expérience passionnante! J’ai maintenant l’impression que vous êtes lié aux deux grandes réalisations musicales de la Guild. Puis-je profiter de cette occasion pour vous répéter à quel point j’apprécie votre contribution extraordinairement fine au succès de l’Oklahoma!? Cela semble être l’une de ces rares occasions miraculeuses au théâtre où tous les rêves se réalisent à cent pour cent et plus. Je m’assois souvent dans les escaliers du St. James, les yeux fermés, et j’apprécie votre orchestration plus que je ne peux vous le dire. (Et n’est-ce pas agréable que je ne puisse pas avoir de siège!) J’espère que vous travaillerez à nouveau avec nous sous peu.
Elle écrivit également, le 9 avril 1943, à Cecil Smith à Chicago :
«Nous avons beaucoup travaillé en peu de temps sur Oklahoma! et Broadway lui a réservé un accueil enthousiaste. Il semble être le plus grand succès en ville en ce moment et nous espérons qu’il continuera ainsi pendant longtemps. Nous en sommes tous très heureux. Il est si rare que l’on puisse combiner ses rêves les plus chers avec un grand succès populaire, comme nous avons pu le faire ici.»
Langner, de son côté, a déclaré plus tard qu’il a fallu un certain temps pour que la réussite de la Guild se concrétise:
«Ce n’est qu’au fur et à mesure que l’enthousiasme grandissait de mois en mois avec l’impact de la pièce sur le public américain... que nous avons commencé à réaliser que nous avions produit un classique du théâtre.»
Il a également mentionné avec fierté les «dignitaires» qui ont insisté plus tard pour voir le spectacle, dont le maire de New York, Fiorello La Guardia ou Mme Roosevelt. Le Duc et la Duchesse de Windsor ont vu le spectacle «une demi-douzaine de fois» et ont visité les coulisses (le duc a été particulièrement séduit par Joan McCracken, semble-t-il).
Pendant ce temps, Agnes de Mille, sur le point de se marier (14 juin 1943), était occupée à recevoir et à refuser des offres de la MGM et de la Paramount.
Mais maintenant, il était temps de se remettre au travail. La Guilde devait planifier sa prochaine saison – Mamoulian a rapidement reçu de nouveaux scripts à lire – et certains arrangements pour Oklahoma! devaient être mis en place.
Le 9 avril, Langner informa Rodgers et Hammerstein de l’intention de la Theatre Guild d’exercer son option de racheter les droits cinématographiques de Green Grow the Lilacs à la MGM pour 50.000$. Ils ont procédé rapidement (le spectacle se joue depuis moins de deux semaines !!!) probablement pour contrôler une guerre d’enchères. Les sommes en jeu pouvaient devenir très vite importantes: par exemple, le 11 février 1943, le New York Times a rapporté que Twentieth Century-Fox avait augmenté son offre pour Something for the Boys de Cole Porter à 300.000$ (les propriétaires tenaient pour 350 000 $); et le 4 mai, le même journal parla d’une rumeur selon laquelle la Guild avait fixé un prix de 500.000 $ pour Oklahoma!. Il semble que ces rumeurs ont été lancées plus pour décourager les offres que pour les solliciter. Pendant ce temps, la Guild, Rodgers et Hammerstein firent des plans pour capitaliser leur succès en créant une société, la Theatre Guild Musical Productions». Sous le couvert de cette société, pour une durée de cinq ans dans un premier temps, Rodgers et Hammerstein s’engageaient à écrire une pièce musicale par saison pour la Guild et produiraient des pièces musicales d’autres auteurs avec un accord mutuel:
«On espère en outre développer des partenariats avec des studios de musique pour la formation vocale et dramatique d’artistes pour ce type de pièces, mais aussi avec Agnès de Mille et/ou d’autres chorégraphes pour la formation de danseurs.»
Dans une négociation séparée, Hammerstein a également invité Agnes de Mille, le 7 juin, à chorégraphier Carmen Jones, bien qu’elle ait refusé en raison de son engagement envers One Touch of Venus de Kurt Weill.
Cependant, l’idée d’une compagnie n’aboutit à rien de formel et l’implication ultérieure de la Guild dans le monde des musicals resta assez limitée:
• la revue Sing Out, Sweet Land (ouverte le 27 décembre 1944), présentée comme « A Salute to American Folk and Popular Music » • et deux spectacles avec Rodgers et Hammerstein : o Carousel (19 avril 1945) o Allegro (10 octobre 1947)
Rodgers et Hammerstein ont également été sollicités pour d’autres projets. Les offres avaient commencé à affluer alors même qu’Oklahoma! a commencé à faire ses preuves vers la fin des Try-Out de Boston. Hammerstein écrivit à son fils Bill le 25 mars que Ludwig Bemelmans lui avait demandé, ainsi qu’à Rodgers, d’adapter son roman Hotel Splendide. Il mentionna aussi un déferlement de proposition attrayantes émanant de Broadway et d’Hollywood. Hammerstein fut très clair avec son fils : «Je vais être très prudent pour mon prochain sepctacle.»
Le 2 mai 1943, il nota que Rodgers et lui avaient eu le choix entre trois propositions d’adaptation au cinéma d’Oklahoma!, dont une pour Judy Garland via la MGM. Le 1er juin, Hammerstein dit à son fils que les plans se raffermissent pour qu’ils travaillent sur State Fair pour Darryl F. Zanuck à la Twentieth Century-Fox. Ce qu’ils firent, comme nous l’avons vu.
Mais comme nous l’avons vu, Hammerstein avait aussi d’autres projets sur le feu :
• un revival de Show Boat (qui n’aboutira qu’en janvier 1946) • une adaptation cinématographique de Show Boat (qui n’aboutira qu’en 1951) • la création de Carmen Jones, projet débuté avant Oklahoma !
A.2) Londres?
La Guilde avait encore des décisions à prendre concernant Oklahoma!. En tout premier ordre, il y avait la proposition de Louis Dreyfus du bureau londonien de Chappell and Co. d’amener le spectacle à Londres, pour une ouverture en mai. Il a fait cette proposition le jour de l’ouverture à Broadway. ) Cette proposition est traitée par Warren Munsell, directeur commercial de la Guild, à cette époque enrôlé dans l’armée – nous sommes en 1943 – et basé à Londres. Les anglais désiraient dispsoer des partitions et du script du musical, mais avant l’époque des photocopieuses et des mails, rien n’était simple. Le 7 avril 1943, Helburn répondit: «Oscar a mis le script à jour donc nous n’avons pas encore été en mesure de vous l’envoyer. Je l’enverrai dès qu’il sera prêt (peut-être lundi) avec des copies de la musique qui aura été imprimée.» Elle ajoute que Rodgers refusait que le spectacle soit joué en Angleterre par une distribution qui ne soit pas américaine. Cette opinion a amené à refuser à Louis Dreyfus la création à Londres du spectacle, dans ces conditions.
Quelques semaines plus tard, le 14 juin 1943, Langner écrivit à Munsell:
«Une idée à laquelle Hammerstein et Rodgers semblaient favorables serait de louer le Drury Lane Theatre pour trois mois, après la fin de la guerre. Que penses-tu de cette proposition? Le théâtre sera-il être réparé à temps? [Une bombe allemande avait traversé le toit du théâtre et était tombée dans la salle, sans exploser, mais en faisant de solides dégâts] Y a-t-il un autre meilleur théâtre disponible? Nous avons eu de la malchance là-bas avec Porgy and Bess. C’est un plutôt grand théâtre et pas trop bien situé. [Le Drury Lane se trouve à 50m de Covent Garden qui jusque dans les années ’70 était un marché de fruits et légumes, entouré , vu l’abondance de visiteurs, d’établissements pourvoyeurs de plaisirs tels que des "bordels", tavernes et cafés. On est très loin du Drury Lane touristique d’aujourd’hui.] »
La Guild reçut également une autre offre pour Londres de la part des frères Hyams. Mais Oklahoma! ne traversera pas l’Atlantique avant 1947, et ce sera au Theatre Royal Drury Lane.
A.3) US Tour
Le 3 mai 1943, Langner rapporta une bonne nouvelle: Mark Heiman et Lee Shubert – qui avaient soutenu financièrement la Guild durant la saison 1942-1943 (>YYMusicalHistoire08-10-00-Financement) – continueront à la soutenir, maintenant qu’Oklahoma! s’avérait très rentable. Ils ont très vite décidé de ne pas vendre les droits pour une tournée. En ce qui concerne ces droits, Langner a très vite compris qu’Oklahoma! serait une sorte de vache à lait pour la Guild pour les dix prochaines années. Ils envisagent même de créer un «département Oklahoma!» au sein de la Guild qui gèrerait l’avenir du spectacle. C’est sans doute pour ces raisons, que la Guild n’a jamais répondu à l’offre de Sandor Ince d’agir comme agent en Europe pour Oklahoma! et d’organiser des traductions et des adaptations.
L’organisation d’un US Tour a été un questionnement. Helburn avait déjà lancé l’idée dès le 29 avril, imaginant organiser une tournée débutant à Chicago. Vu le succès sans cesse grandissant à Broadway (le spectacle se joue depuis un mois et tout le monde veut le voir), il lui semble qu’il faut tenter sa chance avec un US Tour. Mais son avis n’est pas partagé par tous et Langner a affirmé le 3 mai, qu’il n’y aurait pas de discussion sur un US Tour avant l’été. très vite des rumeurs ont circulé à propos d’un US Tour démarrant à l’automne. Comme nous le savons aujourd’hui, l’US Tour démarrera finalement le 15 octobre 1943… pour dix ans, jusqu’au 1er mai 1954!.
Mais nous sommes en pleine guerre et on ne lance pas l’US Tour d’un spectacle de cette importance aussi facilement que cela. Par exemple, à la lecture des rumeurs dans les journaux, Vail Scenic Construction Co. écrivit spontanément à la Guild le 19 mai pour lui suggérer que la construction des décors commence immédiatement étant donné la pénurie croissante de matériaux due à la guerre. La Guil pensa à un décor de tournée réduit. Vail Scenic Construction Co. fit un devis de 5.850,42$. Mais la Guild a dû céder et annoncer officiellement qu’un US Tour s’organiserait à l’automne. Il était impossible de ne pas proposer ce spectacles à tous leurs abonnés qu’ils avaient dans les différentes villes habituellement visitées.
Langner n’était pas désireux de vendre les droits cinématographiques de la série, et que la Guilde envisageait même de faire sa propre version cinématographique.
A.4) Langner, l'homme aux mille projets
Mais Langner semble également avoir eu d’autres ambitions. En juillet 1943, il a cherché à conclure un accord avec Joshua Logan pour mettre en scène trois œuvres par saison. Sa lettre de remerciement à Agnès de Mille du 2 avril 1943 offrait également quelques indices de discussions en cours concernant son intérêt de longue date pour le ballet:
«Je ne peux pas dire avec des mots combien j’apprécie et admire le travail que vous avez fait sur Oklahoma! Je suis vraiment très sérieux au sujet du ballet et je me demande si vous aimeriez essayer de me donner un budget à votre convenance.»
Ses intentions deviennent encore plus claires dans une lettre à de Mille écrite le 20 avril :
Après avoir vu un programme du Ballet Theatre composé de Roméo and Juliette, Dark Elegy, votre propre pièce et une pièce absurde intitulée Hélène de Troie, je suis plus convaincu que jamais qu’il y a de la place pour une forme de ballet théâtral. C’est ce que propose votre ballet à la différence des autres. Et pourtant, l’Opera House était bondée de gens (la plupart des hommes étant efféminés) qui s’extasiaient sur ces deux ballets parmi les plus ennuyeux que j’aie jamais eu la malchance d’assister.»
Cette volonté de Langner de proposer des «pièces dansées» va rester constante. Le 12 avril 1944, Helburn annonce à Elia Kazan que pour la saison 1944-45, la Theatre Guild prévoyait «deux ou trois pièces dansées» en plus du musical Carousel. Elle fait aussi référence au «ballet théâtral» – comme «Le rêve éternel de Langner!» – dans son récit du 25ème anniversaire de la Theatre Guild dans le New York Times du 16 avril 1944, où elle mentionne également des plans pour l’adaptation en musical de Liliom – le futur Carousel – avec «ces artisans incomparables que sont Rodgers et Hammerstein». Helburn a également approché le compositeur Aaron Copland en mai 1944 avec un scénario pour un ballet. Mais il a refusé le projet...
Le 16 juillet 1944, le Chicago Daily Tribune rapporte que les futurs projets de la Theatre Guild incluent la fondation d’une société semblable à la D’Oyly Carte, proposant une série d’œuvres de théâtre musical signées Rodgers et Hammerstein, à commencer par Liliom (Carousel). Langner, que rien n’arrête, donne le 6 août 1944 une interview à Chicago – où il se trouve avec l’US-Tour d’Oklahoma! – dans laquelle il confirme la création pour l’automne d’une adaptation de Liliom, disant que ce dernier avait été «complètement américanisé». Il annonce aussi qu’il est en négociation pour une émission de radio régulière de la Theatre Guild, qu’ils vont développer du «Ballet Théâtral» et qu’ils visent à faire un film par an à Hollywood. Le premier film serait tiré d’«Anna and the King of Siam», un roman de Margaret Landon qui était sur le point de devenir un best-seller au moment de l’interview. Cela donnera en fait plutôt un musical à la scène, The King and I, et ce ne sera qu’en 1951.
Cela montre surtout que Langner avait des ambitions cinématographiques pour la Theatre Guild et ses artistes. En fait, la Guilde a cherché à s’associer à une société de production cinématographique depuis la seconde moitié de 1943 – donc dès le succès d’Oklahoma! connu – d’abord avec United Artists (novembre 1943), puis avec David O. Selznick (décembre 1943), puis avec Columbia Pictures (août-novembre 1944). Dans cette même démarche, des journaux annoncèrent que Rodgers et Hammerstein allaient fournir la musique et les paroles d’un fil musical (encore sans titre) produit et réalisé par Elia Kazan.
A.5) Inquiétudes
Mais toute cette agitation ne plait pas à tout le monde au sein de la Guild. Certains membres s’inquiétaient des dangers de s’identifier trop étroitement à Rodgers et Hammerstein. Le 29 juin 1943, par exemple, John Gassner, membre du comité de lecture de la Guild, écrivit à Helburn et Langner :
«Je pense que nous devrions activement trouver un ou deux autres compositeurs et librettistes, afin de ne pas avoir à compter uniquement sur Rogers et Hammerstein. Que diriez-vous de Jerome Kern, Irving Berlin, Aaron Copland, Earl Robinson, Harold Rome, Marc Blitzstein, Kurt Weill, Elie Siegmeister et – pour quelque chose de sophistiqué – Cole Porter. Avec le succès d’Oklahoma!, je pense que nous avons une entrée dans tout cela – et je pense que c’est le moment le plus opportun pour établir les meilleurs contacts avec toutes ces personnes. »
Il a répété l’avertissement le 31 juillet 1943:
«Et encore une fois, permettez-moi de dire que nous ne devrions pas dépendre entièrement de Rodgers. Après Oklahoma!, il devrait être possible d’obtenir Irving Berlin, Jerome Kern et d’autres. Et pour quelque chose de vraiment brillant, nous pourrions nous tourner vers Cole Porter et faire ressortir le meilleur de ses talents, tout comme la Guild a fait ressortir le meilleur de Rodgers. »
John Gassner propose alors The Good Woman of Setzuan de Brecht (avec une musique fournie par Kurt Weill) et … une liste de 65 recommandations pour de futurs musicals (dont Street Scene d’Elmer Rice et Liliom de Molnar). En tête de liste se trouvait The Time of Your Life de William Saroyan, qui serai confié à Jerome Kern!
Mais, pour le moment en tous cas, les dés étaient jetés. Comme Langner l’a déclaré clairement :
«Nous n’avons jamais eu un succès comme Oklahoma! Il y a la file aux réservations depuis avril. Show Boat n’est rien en comparaison. À mon avis, le spectacle peut être joué 10 semaines dans une ville qui joue normalement une semaine. Le cast est peu coûteux, et il coûte en moyenne 7.500$ à New York et environ 6.000$ en tournée. C’est l’une de ces choses qui ne surviennent qu’une fois dans une vie!»
Helburn, Langner, Rodgers et Hammerstein ont organisé des déjeuners hebdomadaires de ce qu’ils appelaient le «Gloat Club» pour discuter des problèmes de production et de casting, et ce, pendant une grande partie de la longue série d’Oklahoma! Bien sûr, ils pouvaient «se réjouir» de leur réussite, mais au fur et à mesure que cette réussite a transformé le spectacle en un véritable business (gestion des tournées, représentations à l’étranger, …), il a fallu gérer les choses totalement différemment, avec beaucoup plus de professionnalisme afin que les rouages complexes de tels spectacles continuent à tourner en douceur … et que les profits continuent à s’amasser.
A.6) Reconnaissance
Alors que la production d’Oklahoma! à Broadway était rentrée dans une sorte de routine, la presse – et principalement les suppléments culturels du dimanche – ont continué à parler d’Oklahoma!. Si on ne s’attarde qu’au New York Times :
• 9 mai 1943: article élogieux de la chorégraphie de de Mille et du réalisme psychologique du Dream Ballet • 23 mai 1943 : Hammerstein donne son récit de la création du spectacle • 6 juin 1943 : Olin Downes parle dans une longue discussion du «don de Broadway à l’opéra» • 1er août 1943 : Rodgers écrit un article démontrant que «ce n’est pas de la chance» qu’Oklahoma! rencontre un tel succès Majoritairement, dans tous ces articles, les journalistes ont continué à diffuser l’affirmation choc contenue dans les communiqués de presse de la Guild – qui datent d’avant l’ouverture – à savoir qu’Oklahoma! était une révolution dans le monde des musicals de Broadway, un peu comme l‘avait été Show Boat seize années auparavant. Cette affirmation était renforcée par le succès artistique et commercial du spectacle. Et, progressivement, cette affirmation – qui est vraisemblabelemnt vraie – s’est gravée dans le marbre.
A.7) Les petits problèmes du quotidien
Sur scène, les problèmes habituels, et d’autres, plus inhabituels, sont apparus.
• Lee Dixon (Will Parker) était régulièrement en proie à son alcoolisme, forçant sa doublure, Paul Shiers, à être constamment dans les coulisses • Howard da Silva (Jud Fry) a failli se battre avec le stage manager au début de novembre 1943 comme le rapporte Elaine Anderson, l’assistante du stage manager: «C’est l’un des nombreux incidents désagréables qui ont commencé lorsque nous étions en répétition en février». Da Silva était également connu pour faire le clown lors des représentations et pour ses improvisations et nombreux sont ceux qui l’ont critiqué pour cela
A.8) Probèmes plus profonds de reconnaissance
Les créateurs En dehors de la scène aussi, les esprits pourraient s’échauffer. Langner (producteur) et Mamoulian (metteur en scène) ont eu une tonitruante engueulade téléphonique le 16 juin 1943. Quelle en est la cause? Un article paru dans le Daily Miror le 13 juin, intitulé «Mamoulian Broke Rules in Stage Hit».. Dans cet article, Mamoulian s’est attribué le mérite de l’ouverture calme du spectacle, de l’emplacement des deux premières chansons et du casting d’Alfred Drake (Curly) et Joan Roberts (Laurey), alors que ces deux artistes ont été choisis et contractualisés bien avant que Mamoulian soit lui-même choisi! Cette engueulade a poussé Langner, Helburn, Rodgers et Hammerstein à écrire chacun au metteur en scène le 19 juin. En outre, ce n’était pas la première fois que Mamoulian donnaient des informations fausses dans la presse le mettant en valeur. Il affirmait assez ouvertement qu’Oklahoma! devait beaucoup à sa philosophie du théâtre musical (New York Times (29 mai), Christian Science Monitor (4 juin) et le New York Post (7 juin)). Les quatre courriers reçus par Mamoulian Mamoulian semblent avoir porté leurs fruits: l’article qui parait sur lui dans le New York Times le 25 juillet était beaucoup plus sobre, et ne lui attribuait plus que la nature fortement rythmée de la production et la décision d’avoir des costumes aux couleurs vives.
Ce devait être la première de nombreuses prises de bec au sein de l’équipe de production et de création. Rouben Mamoulian (metteur en scène), Lynn Riggs (auteur de Green Grow the Lilacs) et bientôt, Agnes de Mille (chorégraphe) vont se battre pour obtenir la reconnaissance qu’ils estimaient mériter. Lynn Riggs estimait que la manière dont il était mentionné sur la couverture de l’édition publiée du livret n'était pas «suffisante», et il écrivit à son avocat Howard Reinheimer (qui représentait également Hammerstein), le 10 juin 1944:
Mais l’une des choses remarquables à propos de cette série est à quel point quelqu’un – appelons-le un diable oisif, flottant et malveillant – a travaillé pour empêcher le petit crédit qui m’est dû.
M. Leverton vous dira les violations absurdes et continues du contrat – ne pas mentionner mon nom lors des communiqués dans les journaux sur la renonciation aux redevances pour les productions à l’étranger, mentionner le nom de tout le monde sauf le mien dans les annonces mensuelles des magazines, laisser mon nom être absent des deux panneaux les plus visibles sur le fronton du théâtre, etc. etc.
Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres... Les disputes avec de Agnes de Mille ont été particulièrement amères et ont atteint leur apogée en 1947-48, ce qui a valu à la chorégraphe de toucher des royalties en pourcentage (0,5%).
Les producteurs Mais même Theresa Helburn était sensible à ces questions de reconnaissance: le 23 avril 1946, elle écrivit à Joseph Heidt, l’attaché de presse de la Guilde, lui demandant de s’assurer qu’elle obtienne une reconnaissance suffisante pour «mon bébé particulier» lors de l'ouverture du spectacle à Los Angeles, car à Chicago seuls Langner et Marshall avaient été crédités...
Le cast Le casting d’Oklahoma! était lui aussi en forte demande pour des apparitions individuelles dans les media, ce que la Theatre Guild a limité à une par semaine dès le 21 mai 1943.
Le succès du spectacle a également été utilisé comme levier pour obtenir des augmentations de salaire. Joan Roberts (Laaurey) passa des 250$ par semaine prévus dans son contrat initial à 265$ le 5 avril 1943, 315$ le 5 juillet et 365$ le 30 août. Celeste Holm (Ado Annie) passa de 275$ (déjà une augmentation par rapport à son contrat minimum standard initial à 225$) à 350$ le 27 mai; Bambi Linn passa de 70$ à 90$ le 12 juillet (et à 140$ le 4 juillet 1944); et Katharine Sergava passa de 100$ à 125$ le 3 septembre (et 175$ le 27 juin 1944). Même les humbles choristes et danseurs ont demandé une augmentation de leur moyenne de 50$ par semaine parce qu’Oklahoma! était «un énorme succès»; leurs salaires ont été portés en moyenne à 52,50$ le 1er juillet 1943. Il faut cependant mentionner que c’était une période où le pays connaissait une inflation assez élevée. Pour comparer, en juin 1943, le salaire hebdomadaire moyen était de 19,63$, et les offres d’emploi dans les annonces de recherche à cette époque suggèrent qu’un assistant commercial pouvait espérer gagner environ 30 $ par semaine, et un comptable de niveau intermédiaire, environ 50$.
A.9) Un succès financier
Il est clair qu’Oklahoma! avait le vent en poupe… La création du spectacle avait coûté 83.378,15$ et selon les comptes de la Guilde, le 5 juin 1943, le spectacle avait réalisé un bénéfice de 64.430$, basé sur des
recettes brutes d’environ 30.000$ par semaine. C’était à peu près la moyenne pour un musical à succès: le New York Times du 16 mars 1943 rapportait des recettes brutes pour la semaine précédente :
• Ziegfeld Follies: 38.500$ • Sons o' Fun: 30.200$ • Lady in the Dark: 27.400$ • la pièce The Patriots à 13.094$.
Sur ces recettes brutes, la part de profit de la Guild est importante. En septembre 1943, Oklahoma! rapportait entre 8.000 $ et 9.000 $ en profits hebdomadaires à la Guilde (c’est-à-dire après le paiement des royalties et des coûts); et pour la semaine se terminant le 25 décembre, la Guild a réalisé un bénéfice d’exploitation de 6.793,31 $ sur la production new-yorkaise (le chiffre aurait été proche de 8.000 $ sans l’argent dépensé en cadeaux de Noël aux acteurs et à l’équipe), plus 8.038,70 $ de l’US Tour (alors à Chicago), auxquels s’ajoutent les revenus des Souvenir Brochures (programmes chic avec photos) à New York (1.003,25 $) et les royalties liées à la vente des partitions. Il ne faut pas sous-estimer ce dernier point car, à l’automne 1943, la partition de «People Will Say We’re in Love» se vendait à 9.000 exemplaires par jour, et «Oh, What a Beautiful Mornin'», à 4.000. La Guild percevait deux cents par partition vendue.
Toujours dans cette semaine de Noël 1943, les royalties versés aux auteurs (Rodgers, Hammerstein et Riggs) ont totalisé 2.445,17$ pour Broadway et 2.382,56$ pour Chicago, soit 4.827,73€ au total. Rodgers et Hammerstein ont touché 2.112$ chacun et Lynn Riggs un peu plus de 600$.
Enfin, pour les investisseurs, une part de 1% dans le spectacle (achetée 1.500 $) leur aurait fourni un rendement de 148$ cette semaine-là, soit une moyenne d’environ 7.500 $ pour l’année.
Au-delà du succès du spectacle, le prix relativement élevé des billets a aidé a dégager ces bénéfices: en avril 1943, les places d’Oklahoma! variaient de 1,10$ à 4,40$; alors qu’on pouvait voir Gertrude Lawrence dans Lady in the Dark pour 1,10$ à 2,75$.
Les conséquences financières furent énormes pour de nombreuses personnes…
On estimait que Hammerstein avant Oklahoma! gagnait environ 35.000$ par an de droits d’auteurs sur ses œuvres précédentes. Son avocat et ami, Howard Reinheimer évalua en juillet 1943, que le revenu fiscal d’Hammerstein cette année-là serait d’environ 80.000 $ et lui recommanda de placer la moitié des royalties de Broadway sur un compte spécial pour couvrir l’impôt à payer (Hammerstein y déposa religieusement 500$ par semaine). En août 1943, les royalties d’Hammerstein s’élevaient en moyenne à 1.000 $ par semaine, et une fois que l’US Tour a débuté, ses revenus provenant uniquement des représentations d’Oklahoma! s’élevèrent environ à 100.000 $ par année, auxquels s’ajouteraient les royalties provenant des partitions et des enregistrements.
De son côté, Lynn Riggs percevait 1% des recettes brutes. En 1944, cela donnait environ 500$ par semaine (Broadway + US Tour). Rappelons le salaire hebdomadaire moyen américain de l’époque: 19,63$.
Cet énorme succès pouvait devenir aveuglant. C’est pour ces raisons que le 30 août 1944, l’avocat de la Guild, William Fitelson, commentant le financement proposé de Carousel – le musical suivant que Rodgers, Hammerstein et la Guild voulaient produire – avertit Theresa Helburn qu’Oklahoma! avait «la nature d’un monstre» et prudemment rappelait:
«Je n’ai pas besoin d’attirer votre attention sur les risques financiers substantiels liés à la production et à la présentation de musicals, ainsi que sur la grande quantité de temps et d’attention nécessaires.»
Mais de toute évidence, la situation financière semblait brillante. La billetterie cumulée à Broadway dépassa le million de dollars lors de la 33ème semaine d’exploitation, le 13 novembre 1943. À la fin de la première année, près de 700.000 spectateurs avaient vu le spectacle et les recettes totales s’élevaient à 1.600.000$. Le spectacle aura engrangé plus de 7.000.000$ au moment de sa fermeture à Broadway en mai 1948. EN septembre 1948, l’US Tour avait atteint un chiffre d’affaires brut de 9.000.000$. Et la tournée était loin de s’achever.
Agnes de Mille, qui avait des compte à régler, a affirmé qu’Oklahoma! avait rapporté 45.000.000$ au cours de ses dix premières années, et que ses gains mondiaux sur quinze ans étaient de 60.000.000$.
Ce qui a produit ces chiffres aussi importants, ce ne sont pas tant les recettes hebdomadaires de billetterie – qui, comme nous l’avons vu, étaient comparables à d’autres musicals (et étaient limitées par la taille du théâtre) – mais plutôt la durée de vie inhabituelle du spectacle. Les 2.000$ par semaine de Rodgers et Hammerstein en 1944 auraient augmenté et diminué au cours des années suivantes en fonction des recettes au box-office et du nombre de productions actives, mais ils ont chacun gagné plus d’un million de dollars au total des dix premières années de la série. Quant à Riggs, le 8 novembre 1947, on estimait qu’il avait reçu des droits d’auteurs totaux de 144.501,86$ sur les compagnies américaines et de 3.900$ sur la production anglaise.
Lorsque la série à Broadway a fermé ses portes le 29 mai 1948, Oklahoma! avait payé ses investisseurs environ 2.500% selon une estimation, et les royalties ont continué à tomber jusqu’à la revente des droits du spectacle à Rodgers et Hammerstein en 1953. Helburn a déclaré que ceux qui avaient investi 1.500$ dans la production du spectacle ont gagné 50.000$ tandis que Variety, le 9 janvier 1980, a rapporté que le retour sur investissement approchait plutôt les 75.000$ sur une mise de 1.500$.
A.10) Un film?
La Guild – très souvent en accord avec Rodgers et Hammerstein – a conservé le désir de limiter les autorisations de droits d’Oklahoma! afin de protéger les bénéfices de la production de Broadway. Langner a par exemple régulièrement refusé les offres d’adaptation au cinéma durant la série de Broadway en septembre ‘43, janvier ‘44 (avec James Cagney), février ‘44 et mai ‘45 (avec Ginger Rogers). Les journaux se sont délecté de ces rumeurs de films, mais comme Langner l’a clairement déclaré à William Cagney le 19 janvier 1944:
«Les profits du théâtre sont si bons qu’il serait stupide pour nous de parler d’autre chose aujourd’hui.»
De même, il écrit à Harry Sherman le 22 juin 1944:
«Nous n’avons aucun intérêt à ce qu’Oklahoma! soit adapté au cinéma et ce pour de nombreuses années à venir. Nous réalisons un bénéfice net de 750.000$ à 1.000.000$ par an grâce aux représentations sur scène et nous prévoyons de faire de même pendant un certain nombre d’années à venir. Alors pourquoi s’embêter avec un film jusque, disons, en 1950!»
A.11) Problématique de la radio et des versions diffusées
Par contre, il y a eu plus de disputes concernant les chansons d’Oklahoma! radio-diffusées. Rappelons, s’il le fallait, que nous sommes à l’ère pré-télévision de masse et que la radio est à l’époque le moyen de diffusion populaire par excellence. Le 17 mai 1943, Hammerstein écrivit à son fils Bill :
Tu m’as dit que tu écoutais le hit-parade pour entendre la musique d’Oklahoma!. Tu ne l’entendras pas. Nous ne poussons suffisamment à la radio-diffusion aucune chanson en particulier pour cela. Nous laissons plutôt la partition croître progressivement dans son ensemble, dans l’espoir qu’elle aura une qualité plus durable de cette façon, comme les partitions non radio-diffusées de jadis. Nous ne nous concentrons pas sur une chanson particulière. Nous avançons patiemment sur un large front avec quatre chansons: «Beautiful Mornin’», « People Will Say We’re in Love », « Oklahoma » et « The Surrey with the Fringe on Top ». Parmi celles-ci, le leader est, pour le moment, « People Will Say We’re in Love ». Mon pari à long terme est plutôt sur « Beautiful Mornin’». En fait, si les diffusions des quatre chansons étaient concentrées en une seule, elle serait bien en haut de la liste du hit-parade. Mais, comme toutes les chansons branchées, cela serait limité à deux ou trois mois. Nous avons des ambitions plus élevées. J’espère que l’expérience sera couronnée de succès. C’est une chance idéale de le faire parce que le spectacle n’a pas financièrement besoin de la diffusion de ses chansons. La file d’attente des psectatuers pour acheter des billets reste ininterrompue. Ils vendent des places jusqu’à l’été. L’avance est d’environ 100.000$. C’est comme un rêve.»
Il lui écrivit à peu près la même chose le 1er juin (Hammerstein avait tendance à se répéter dans ses lettres à Bill, en partie parce que le courrier ne parvenait pas toujours aux soldats), ajoutant:
«Sur le long terme, cela deviendra, je pense, une partition importante – tout comme Porgy and Bess et Show Boat, qui ont été traités de la même manière.»
Si on regarde les chansons d’Oklahoma! diffusées à la radio du 2 au 19 juillet 1943 (une cinquantaine), cela confirme que les quatre chansons citées ci-dessus étaient bien celles qui étaient les plus diffusées. Cela montre à contrario que le plan de restriction de leur diffusion n’a pas eu beaucoup de succès. Hammerstein a admis sa défaite dans une lettre à Bill du 15 août 1943:
«J’ai promis une fois qu’Oklahoma! ne rentrerait jamais au hit-parade de la radio parce que nous ne pousserions pas les chansons. Mais c’est devenu incontrôlable et 'People Will Say We’re in Love' en est à sa sixième semaine dans le hit-parade et y est maintenant numéro trois. Je crois que c’est la chanson la plus joué à l’antenne en ce moment. 'Surrey' et 'Oklahoma' sont dans les 30 premiers. 'Morning' est toujours mon pari pour la chanson la plus importante à long terme – wait and see. La partition s’est déjà vendue à plus de 200.000 exemplaires et en est au rythme de plus de 20.000 par semaine.»
Le 13 octobre, il a noté :
«Les ventes de musique ici ont dépassé la barre du demi-million et deviennent, au contraire, plus fortes. Les disques de Crosby et Sinatra (réalisés avec accompagnement vocal, suite à la grève des musiciens concernant les enregistrements) se vendent de façon phénoménale. Le chef du syndicat, James Caesar Petrillo, a conclu un accord avec Decca [en septembre 1943] et ils procèdent immédiatement à l’enregistrement d’un album de 12 faces [6 disques 78-tours donc]!»
En fait, Bing Crosby et Frank Sinatra ont tous deux enregistré des versions de "People Will Say We're In Love" et "Oh, What a Beautiful Mornin'" en 1943. Cependant, en raison de la grève des musiciens de 1942-1944, ces enregistrements ne comportaient aucun accompagnement instrumental, remplacés par des chœurs a cappella!!!. Frank Sinatra a enregistré «People Will Say We’re in Love» (arrangements d’Alec Wilder) avec les Bobby Tucker Singers le 7 juin (jamais publié), le 22 juin et le 5 août 1943 (quand il enregistre également «Oh, What a Beautiful Mornin'»). Sam Weller, responsable de la publicité de l’US Tour, s’est plaint de la façon dont les chansons d’Oklahoma! étaient «assassinées à la radio ou dans les juke-box par Bing Crosby, Frank Sinatra et d’autres».
Les producteurs d'Oklahoma! ont déploré le manque d’enregistrement de qualité et Theresa Helburn a écrit en août 1943 à Warren Munsell, toujours mobilisé à Londres:
«Il n'y a pas d'enregistrements d'Oklahoma! que nous puissions vous envoyer. Comme vous le savez, l’interdiction par James Caesar Petrillo d’utiliser [pour des enregistrements ou de la radio-diffusion] des musiciens syndiqués tient toujours. Ils ne peuvent pas jouer pour la diffusion, donc le seul disque qui a été fait est un chant de "People Will Say We're in Love" avec Frank Sinatra, qui, si cela ressemble à son chant à la radio, doit être terrible. E.N.S.A. a fait un enregistrement pour les forces armées britanniques – une demi-heure pour toutes les chansons! Il devrait y en avoir une copie au bureau de Londres. Il doit être joué avec une aiguille spéciale, etc. Mais si vous pouvez avoir accès à leurs dossiers, ils pourraient vous le laisser l’entendre. Il est également choral. Les acteurs ici se sont portés volontaires pour le faire, mais les musiciens ont refusé, et ils ne pouvaient pas se permettre de payer les 500$ nécessaires pour l’accompagnement orchestral.»
Dans la seconde moitié de 1943, Langner s’engagea dans un débat houleux avec Rodgers et Hammerstein sur la diffusion de chansons d’Oklahoma! – Langner considérait cela comme une infraction, alors que Rodgers et Hammerstein estimaient maintenant que cela faisait de la publicité – et Langner fit de fréquentes tentatives pour arrêter leur utilisation dans les boîtes de nuit de New York. Comme il l’écrivit à Rodgers le 2 novembre 1943:
«Je pense certainement que si nous sommes aussi consciencieux que vous pouvez le voir à propos du spectacle, vous devriez vraiment coopérer avec nous. Cela n’a aucun sens à ce que votre main gauche coupe votre main droite. Je n’ai entendu qu’une seule bonne interprétation de la musique d’Oklahoma! à la radio, et tout le reste pue.»
Selon Munsell, Louis Dreyfus à Londres avait également des problèmes pour contrôler les orchestrations et les enregistrements de contrebande.
Et c’est finalement bien le président de Decca Records, Jack Kapp, qui a débloqué la situation suite à de longues discussions avec le syndicat en septembre 1943. Langner, et la Guid furent favorables à ce projet ambitieux. Trois semaines plus tard (du 20 au 25 octobre 1943), il a engagé à la hâte la distribution et l'orchestre originaux d'Oklahoma! pour faire l’enregistrement des chansons du spectacle dans un studio d'enregistrement. À une époque où les chansons des spectacles de Broadway étaient généralement enregistrées par des chanteurs populaires – plutôt que les chanteurs du spectacles – et en plus avec des orchestres réduits, c'était unique pour Oklahoma! d’enregistrer un disque avec sa distribution originale et une orchestration complète. Bien que certains airs n'aient pas été inclus en raison de contraintes de temps et de coût, la plupart des chansons d'Oklahoma! sont sorties sur un album chez Decca Records le 2 décembre 1943 contenant six disques double face 78 tours. Il s'en est vendu à plus d'un million d'exemplaires.
Signalons qu’un «volume 2» comprenant les chansons manquantes (“It’s a Scandal! It’s a Outrage!” “Lonely Room” [chantée par Alfred Drake car da Silva avait quitté le spectacle à cette date], and “The Farmer and the Cowman”) a été enregistré le 24 mai 1944 et mis en vente le 3 janvier 1945.
Le 8 décembre 1943, Langner a écrit à Jack Kapp, président de Decca:
«Puis-je vous dire combien j’apprécie le goût et le soin avec lesquels vous avez reproduit la musique d’Oklahoma!. Je peux seulement vous dire que nous, qui avons été très critiques par rapport à toutes les interprétations à la radio, vous nous avez rendus fiers.»
A.12) Certains tentent de profiter du succès d'Oklahoma!
En décembre 1943, Langner entame un procès avec Republic Pictures Corp. à propos du film In Old Oklahoma (avec John Wayne et sorti le 6 décembre ‘43). La raison? Son titre est trop proche de celui du musical. Les deux parties se sont mises d’accord le 20 décembre, et le film a été rebaptisé en 1945: War of the Wildcats.
Langner refusait régulièrement les demandes de compagnies professionnelles et amateurs pour mettre en scène le spectacle. Il s’attendaient que certains le jouent en le camouflant sous un autre titre. En janvier 1944, la Guild s’inquiète par exemple d’un spectacle appelé A Wedding in Oklahoma, qui se jouait alors au Douglas Park Theatre de Chicago. Sam Weller l’a vu et a certifié que la musique n’avait aucun rapport avec Oklahoma! et que le sujet était la diaspora juive fuyant les nazis vers l’Oklahoma.
Et en 1945, Langner a de nouveau pris Republic Pictures à partie pour un film ayant pour titre The Oklahomans.
A.13) Une récompense prestigieuse: Prix Pulitzer
Même si Oklahoma! était vu par le grand public comme un énorme succès, l’attribution d’un Prix Pulitzer «spécial», le 2 mai 1944, a fortement aidé à être reconnu comme le fondateur d’un vrai mouvement artistique américain. Rodgers affirma plus tard qu’il devait recevoir le Prix Pulitzer pour sa musique, mais qu’il avait signalé qu’il ne pouvait pas accepter ce prix sans qu’Hammerstein y soit associé. Selon lui, c’est ce qui explique qu’ils ont reçu un Prix Pulitzer qualifié de «spécial».
Comme Lewis Nichols l’écrivait dans le New York Times le 7 mai 1944 :
Oklahoma! est plus qu’un spectacle, c’est probablement même plus qu’une institution. Même si cela ne sera totalement démontré que s’il réussit à traverser le chaud été 1944. Son succès a redonné du baume au cœur des producteurs, des compositeurs de spectacles musicaux, des librettistes qui n’ont pas appris le vocabulaire de la double entente, des chorégraphes. Après nous avoir offert Oklahoma!, les directeurs de la Theatre Guild ont découvert qu’ils pouvaient à nouveau marcher sur les trottoirs sans être repoussés au beau milieu de la rue. Ils ont montré que l’existence de la Guild était une bonne chose, même si les trajets sont parfois chaotiques car la perfection n’a pas sa place permanente à Broadway. Et enfin, ce qui est sans doute le plus important, Oklahoma!, au cours de ses treize mois à Broadway et moins de temps en tournée, a redonné au grand public la foi dans le théâtre et le sentiment qu’il pourrait être plaisant d’y retourner à nouveau.
C’est à ce jour le seul musical à avoir reçu un Prix Pulitzer.
A.14) Une autre récompense prestigieuse: un hymne!
Une autre belle reconnaissance d'Oklahoma! va venir de manière indirecte. Nous sommes en 1944 et les États-Unis sont dans une année électorale. Du côté démocrate, Roosevelt se présente pour la quatrième fois (il est président depuis 1933). Lors de la Convention du Parti démocrate à Chicago en 1944, le gouverneur de l’Oklahoma, Robert S. Kerr, prononça le discours d’ouverture: il fut présenté par un orchestre (vraisemblablement celui qui se produit actuellement à Chicago) jouant «Oklahoma». Quand Franklin Roosevelt et Harry Truman furent choisi pour candidat à la présidence et la vice-présidene, «Oh, What a Beautiful Mornin'» célébra leur nomination, et l’aube d’une nouvelle aube politique. Belle reconnaissance…
Mais une autre allait suivre: «Oklahoma» allait devenir l'hymne officiel de l' État d'Oklahoma (46ème État Américain depuis novembre 1907). Ce n’est pas au moment de la Convention du Parti démocrate de 1944 que «Oklahoma» est devenu l’hymne officiel, mais plus tard. Il semble y avoir eu une première tentative en 1943-44, qui a été sabordée par une représentante qui a prétendu que la ligne «Every night my honey lamb and I» était indécente! La loi officielle a finalement été adoptée par la Chambre des représentants de l’État de l’Oklahoma le 28 avril 1953 et ratifiée par le Sénat de l’Oklahoma le 6 mai. Il est clair que cette fois, Oklahoma! était devenu ce que de Mille écrivait à Lawrence Langner le 14 avril 1947: «Non seulement notre fierté et notre joie: c’est une sorte d’institution nationale».
B) La Guild et la diffusion du spectacle
B.1) US Tour (1943-1954) et First Company (1948-1949)
Comme nous l'avons vu, la Guild avait d’abord été réticente à organiser un US Tour d'Oklahoma! même si des choses ont été planifiées dès mai 1943. La Theatre Guild était en effet habituée à faire tourner ses spectacles – elle avait de nombreux abonnés dans tous les Etats-Unis. Et il lui était impossible de ne pas faire tourner son plus gros succès. Après un Try-Out à New Haven, le 14 octobre 1943, l'US Tour a ouvert à Washington, le 18 octobre, la veille du premier Try-Out de Carmen Jones d'Hammerstein à Philadelphie. La troupe de cet US Tour passe ensuite deux semaine à Baltimore avant de s’installer pour une longue série de soixante semaines (plus d'un an) à Chicago (ouverture le 15 novembre 1943 pour 532 représentations, jusqu'au 6 janvier 1945!!!!).
Langner voulait que la presse souligne que la troupe de l'US Tour n’était pas inférieure à celle de Broadway; que la distribution et les danseurs avaient été soigneusement sélectionnés par Rodgers, Hammerstein, de Mille et la Guild (et que beaucoup d’entre eux avaient travaillé dans la version originale de Boradway); et que la mise en scène de Mamoulian était fidèlement reproduite par Jerome Whyte.
L'US Tour étant bloqué, pour raison de succès à Chicago, en 1944, la Guild a imaginé créer une «Oklahoma Pacific Coast Corp.» pour produire Oklahoma! sur la côte ouest pendant trois ans, mais le projet a échoué suite à des problèmes liés aux impôts locaux.
A la fin de ses 532 représentations à Chicago, l'US Tour a refait ses valises et le 8 janvier 1945, il s'est lancé dans un exténuant voyage itinérant: principalement des séries d'une ou deux semaines de représentations dans les principaux théâtres de la côte Est et du Midwest (en commençant par les villes d’abonnement de la Guild) qui a continué jusqu’au 1er mai 1954, ponctué de voyages occasionnels sur la côte ouest (13 semaines à San Francisco à partir du 8 février 1946, et 12 semaines à Los Angeles à partir du 6 mai 1946) et dans le sud-ouest.
Un des points culminants de l'US Tour a été quand Oklahoma! a ouvert à Oklahoma City le 25 novembre 1946. Une parade avec fanfares dans les rues et de nombreuses festivités ont été organisées. A cette occasion, Helburn, Langner, Rodgers, Hammerstein et Mamoulian ont été proclamés membres honoraires de la tribu Kiowa. Lorsque la série a Broadway s'est arrêtée, le 29 mai 1948, la Guild constitua la First Company, qui tourna dans les petits théâtres jusqu’au 21 mai 1949, évitant soigneusement toute concurrence géographique avec l'US Tour. La coordination de ces deux tournées impliquait une très lourde logistique. Mais l'US Tour a fait d’énormes profits: le 29 mars 1953, pour les dix ans du musical, le New York Times a rapporté qu’elle avait rapporté 15.000.000$!
B.2) Pendant la guerre, on se limite aux États-Unis
Peu de temps après la première à Broadway, le succès ayant été immédiat, des producteurs ont exprimé le souhait d'organiser des tournées internationales d’Oklahoma!, en particulier en Angleterre et en Australie, probablement parce que des troupes américaines y étaient stationnées. La Theatre Guild était réticente, non seulement parce qu'il voulaient être les seuls producteurs du spectacle, mais aussi, à cause des difficultés de transport international en temps de guerre.
Pour l’instant, rien n’a été fait à l’international, sauf la version d’Oklahoma! qui a visité des bases militaires sous les auspices de l’United Service Organizations (U.S.O.) à partir du 26 février 1945 pendant neuf mois. Pourquoi cette exception? La Guild avait pour stratégie d'affirmer haut et fort que ce spectacle était profondément américain. En période de guerre, il est toujours bon de proclamer son patriotisme. Mais la troupe de Broadway avait déjà diverti les troupes à la Stage Door Canteen au début de mai 1943. Elle présenta aussi une représentation spéciale à la célèbre académie militaire de West Point le dimanche 31 octobre 1943. Au niveau du patriotisme ce lieu n'est pas neutre puisque West Point fut la première base militaire créée après la Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis.
Enfin, du 6 juin 1944 jusqu’au début de mars 1945, il y avait des matinées du mardi d’Oklahoma! à prix réduits (de 0,60$ à 2,10$) pour les membres des forces armées.
B.3) La fin de la guerre rabat les cartes: ouverture à Londres
Peu après la fin de la guerre, des discussions ont commencé avec l’impresario londonien Prince Littler pour jouer Oklahoma! au Théâtre Royal, Drury Lane. Une fois l'accord conclu, les décors, les accessoires et une partie de la distribution ont été expédiés en Angleterre sur le cargo S.S. Malancha au printemps 1947. Le reste de la distribution, accompagnés de Langner et Helburn et des malles de costumes, ont pris le somptueux paquebot géant Queen Elizabeth en direction du port de Southampton afin d'assurer la représentation du 18 avril à l'Opera House de Manchester. Mais le prestigieux bateau de 85.000 tonnes, s'est échoué le 15 avril 1947 à 17h30, par suite de la brume épaisse, sur un banc à 12 kilomètres de Southampton, avec 2.496 passagers à bord, menaçant de retarder l’ouverture du spectacle à Manchester trois jours plus tard. Dans un brouillard impénétrable, douze remorqueurs ont tenté au début de la matinée du 16 avril d'ébranler l'énorme masse du Queen-Elizabeth, mais quand la brume s'est dissipée, on a pu constater que le navire se trouvait exactement dans la même position que la veille. En fin de journée du 16, les passagers de première classe ont commencé à être transportés à terre. Finalement, le spectacle a pu être créé en Angleterre à Manchester le 18 avril 1947, comme prévu. L'accueil fut très enthousiaste. L’ouverture à Londres eut lieu le mercredi 30 avril 1947 au Theatre Royal Drury Lane.
Langner a été confronté à de nombreuses difficultés à Londres: l’installation difficile du décor dans le théâtre, un système d’éclairage obsolète, la scène inclinée (causant des problèmes aux danseurs) et les machinistes britanniques «apathiques». La Grande-Bretagne d’après-guerre était encore dans un état de dépression, soumise à un rationnement et à des coupures de courant régulières. La Guild a dû envoyer régulièrement des colis de nourriture et d’autres produits de luxe.
Mais la Guild avait un problème beaucoup plus complexe à régler… Rodgers et Hammerstein étaient les auteurs à succès d'Oklahoma!. Mais, comme nous l'avons vu, dès le succès d'Oklahoma!, ils sont aussi devenus producteurs et, à Broadway ils avaient produit avec un grand succès Annie Get Your Gun d'Irving Berlin. Et le duo Rodgers et Hammerstein a programmé une ouverture d'Annie Get Your Gun au spectacle au Coliseum Theatre de Londres le 7 juin 1947. Cette décision ne plait pas du tout à la Guild, craignant qu'Annie Get Your Gun fasse de l'ombre à Oklahoma! Le 29 janvier, Langner leur avait sévèrement rappelé:
«Je sais que votre cœur est avec Oklahoma! et que vous ressentez sans doute un devoir envers Irving Berlin. Cependant, je pense que dans ce cas, Berlin devrait reconnaître que, sans le triomphe d’Oklahoma!, son spectacle n’aurait jamais vu la vie.»
L’ouverture à Londres d’Oklahoma! fut cependant le triomphe prévisible, précipitant ce que de nombreux critiques anglais ont décrit comme «l’invasion américaine» du West End qui a secoué, et réveillé, le théâtre britannique de la torpeur de la préciosité de Noël Coward et du dépaysement d’Ivor Novello. Oklahoma! a connu 1.548 représentations à Londres:
- au Theatre Royal Drury Lane du 30 avril '47 au 27 mai '50
- au Stoll Theatre du 29 mai '50 au 21 octobre '50
L'Oklahoma! de Londres a débuté avec une distribution entièrement américaine – y compris un bon nombre de vétérans de Broadway ou de l'US Tour – et les remplaçants britanniques ont été formés pour prendre la relève lorsque les membres de la distribution originale sont partis. L'équipe londonienne a pris le spectacle à cœur et très au sérieux. Ils ont revisité le spectacle, l'ont retravaillé pour satisfaire aux exigences énoncées lors de la création du spectacle à Broadway. La version de Londres donnait vie et âme à une Amérique – aux yeux blasés des Britanniques – qui est une jeune terre emplie d’énergie et d’opportunités. Selon Lionel Hale dans le Daily Mail (1er mai 1947), Oklahoma! est d'une simplicité si habilement mise en scène qu’elle passe du début à la fin comme un ample mouvement de balançoire. Toute la soirée ressemble beaucoup à un enfant heureux sur une balançoire. Le spectacle montre l'État d’Oklahoma comme d’un jeune État américain. Sa population est jeune. Certains des ballets ne sont pas aussi bien dansés qu’ils sont conçus, mais l'entrain des danseurs les porte. ... Mais cette nuit réussie n’est pas une nuit de stars – c’est la couleur plus la musique, plus l’humour, plus la danse, le tout mis ensemble avec une sorte de détermination inspirée à donner vie sur scène à la jeunesse d’une jeune partie de la terre.
Alors que «l’invasion américaine» n’a pas été aussi réelle que sa réception pourrait nous le faire croire, Oklahoma! et Annie Get Your Gun n'ont pas été simplement deux succès. Aussi différents soient-ils, ils ont laissé une trace. Ce n’est pas pour rien que la BBC a présenté à la radio une version abrégée d’Oklahoma! (dialogues et chansons) utilisant la distribution du Drury Lane, le 28 mai 1949. Les créateurs britanniques de spectacles dans le West End ont rapidement jugé essentiel de cultiver cette nouvelle vitalité et de proposer des intrigues «réalistes». Il était devenu tout aussi fondamental d’intégrer la musique, le théâtre et la danse, ce qui devenait un véritable standard à Broadway. Les musicals anglais ont suivi la tendance, que ce soit avec un intérêt mercantile – présenter ce qui plait, ce qui est à la mode – ou se voulant parfois simplement un hommage ou même parfois une parodie de ce nouveau standard américain. C'est le Dream Ballet comique dans Bet Your Life (1952) du comédien britannique Arthur Askey. Le chœur ruritanien dans Gay’s the Word (1951) d’Ivor Novello se plaint avec un entrain capricieux:
Since Oklahoma! |
Depuis Oklahoma! |
Mais, dans les faits, il a été très difficile de résister à l’influence de la révolution apportée par Oklahoma!.
B.4) Oklahoma!, un triomphe mondial
En 1951, Lawrence Langner a écrit dans son autobiographie (il a 61 ans), qu'Oklahoma! il s’était joué:
- en Angleterre (ouverture le 18 avril 1947 à Manchester, puis le 30 avril 1947 à Londres jusqu'au 21 octobre 1950)
- en Suède (ouverture le 26 novembre 1948)
- en Afrique du Sud (du 23 décembre 1948 au 12 novembre 1949)
- en Australie (19 février 1949, pendant huit mois)
- en Norvège (du 7 juin au 30 septembre 1949)
Il aurait pu rajouter dans sa biographie:
- en Australie pour une tournée:
- à Melbourne à partir du 19 février 1949
- à Adelaide à partir du 17 septembre 1949
- à Sydney à partir du 29 novembre 1949
- à Auckland (Nlle Zélande) à partir du 13 octobre 1950
- à Brisbane à partir du 30 novembre 1950
- return engagement à Sydney à partir du 5 janvier 1951
- return engagement à Melbourne à partie du 3 février 1951
- au Danemark (du 30 mars 1949 au 19 mars 1950)
A un certain moment, la Guild a envisagé des représentations dans d’autres pays et d'autres langues: il existe dans leurs archives une liste non datées d’écrivains vivant aux Etats-Unis qui pourraient préparer Oklahoma! à être joués dans des pays étrangers. Dans cette liste, on retrouve Bertold Brecht et Kurt Weill pour l'allemand, Ferenc Molnar pour le hongrois et d’autres noms pour la Tchécoslovaquie, la France, l’Italie, la Pologne, la Russie, la Scandinavie, l’Espagne, le Portugal et l’Amérique latine. Mais la réalité fut toute autre. Une demande de représentation à Buenos Aires en mai 1944 a été rejetée, tout comme des demandes similaires en 1947-48 pour l’Autriche, l’Allemagne, la Hollande, la Hongrie et la Suisse. En octobre 1951, Hammerstein était désireux de faire une production en Israël mais cela ne se soit jamais concrétisé; pas plus que les représentations proposées au Mexique (pour octobre 1950), à Bombay (juin 1951) et en France (novembre 1951) ou une demande plutôt étrange (26 octobre 1950) de mettre en scène une représentation en yiddish à New York. Signalons que les versions amateurs, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs, étaient toujours rigoureusement interdites.
Recherche Google: oklahoma! titania palast 1951
Langner aurait pu rajouter dans son autobiographie, si elle n'avait déjà été publiée, le triomphe majeur d’Oklahoma! en 1951 au Berliner Festspiele, grand Festival international, où il représente les Etats-Unis. Le spectacle a été joué 4 soirs au Titania-Palast, une grande salle de plus de 1.900 places en pleine zone américaine de Berlin (après la guerre, la ville est divisée en quatre secteurs: US, GB, F, URSS) puis 4 soirs au Corso-Theater (plus de 2.000 places en zone française). Le spectacle a été joué en anglais. Celeste Holm a repris une fois de plus le rôle d’Ado Annie. Le reste de la distribution provenait de l'US Tour. Selon le New York Times (13 septembre 1951):
«Tout ce que cet Oklahoma! au niveau de la mélodie, de l'énergie et de la couleur a captivé Berlin ce soir [12 septembre] aussi complètement qu’il a marqué les spectateurs aux États-Unis et en Angleterre... Pour cette production populaire américaine, cela fut un vrai triomphe sur les barrières de la langue et la méconnaissance du folklore sur lequel il est basé.»
Non seulement Oklahoma! est vraiment devenu un étendard de l'Americana brandi avec une rare élégance artistique.
C) Ce que l'on peut appeler la «Famille Oklahoma!»
La prédiction de Lawrence Langner selon laquelle la Theatre Guild aurait besoin d'un département entier consacré en permanence à Oklahoma! n'était pas loin de la vérité. Le 1er septembre 1943, la gestion des représentations à Broadway et des compagnies en tournée est passée sous la direction de Jerry Whyte, le metteur en scène original, qui a assuré la liaison avec Helburn et Langner sur les questions de casting et de production. Après son retour de l'armée, il est devenu directeur de production de toutes les comédies musicales de la Guild?
Helburn et Langner assistaient périodiquement au spectacle pour voir comment cela se passait, si rien ne dérivait. Rodgers, Hammerstein, Mamoulian et de Mille faisaient de même. Ils prenaient des notes sur la représentation et les transmettaient à Whyte pour attirer son attention. Par exemple, le 25 avril 1945, Hammerstein rapporta qu'Evelyn Wyckoff (Laurey) et Harry Stockwell (Curly) étaient trop lourds, et qu'il n'aimait pas Edna Skinner dans le rôle d'Ado Annie: « Les écarts par rapport à la mise en scène originale, qui se produisent à plusieurs moments, sont irritants. Mais je suis enclin à penser que ce n'est pas très important. Ce qui est important, c'est que ces attitudes soient étouffées dans l'œuf avant que d'autres de la même rampe ne surviennent. »
Whyte supervisa également la production londonienne, restant finalement en Angleterre pour gérer une société de production distincte pour Rodgers et Hammerstein (principalement pour le spectacle South Pacific à Londres).
Bien entendu, ceux qui ont participé à la production originale d'Oklahoma! sont passés à autre chose. Alfred Drake (Curly original) est allé à Hollywood, bien qu'il soit retourné à Broadway pour jouer dans Sing Out, Sweet Land de la Guild (ouverture le 27 décembre 1944), et plus tard, il a été le premier Petruchio dans Kiss Me, Kate (1948) de Cole Porter. Le 12 février 1944, Jay Blackton a donné un préavis de six semaines pour passer à une émission hebdomadaire sur RCA Radio. Celeste Holm (Ado Annie originale) a ouvert dans Bloomer Girl de Harold Arlen le 5 octobre 1944. Mais dans Bloomer Girl jouaient aussi d'autres anciens d’Oklahoma!, comme Joan McCracken, maintenant première danseuse, ou des chorégraphie d'Agnes de Mille, des décors de Lemuel Ayers et des costumes de Miles White. Un bon nombre de choristes et de danseuses sont «retournées à la maison» lorsque leurs maris sont revenus de la guerre; c'est la raison pour laquelle Kate Friedlich a donné son préavis le 13 août 1944. Le chef d’orchestre Jay Blackton fut brièvement remplacé par William Reddick, qui fut ensuite congédié à la fin du mois de mars 1944, parce qu'il ne s'entendait pas avec la distribution, et déclara amèrement le 29 mars: « Je voudrais souligner que si vous engagez M. Toscanini ou M. Bruno Walter ou un autre chef d'orchestre de Broadway, pendant un temps considérable, les représentations ne pourront pas être une reproduction photographique des plus de quatre cents représentations précédentes. Votre casting passera inévitablement par une période de réajustement avec quiconque prendra la relève. »
Certains des membres du chœur et des danseurs de la création ont gravi les échelons, mais ils ne sont que rarement devenus des premiers rôles à Broadway. Dorothea McFarland est peut-être la principale exception : à l'origine dans le chœur, elle a pris le rôle de Gertie en juillet 1944, puis a eu la chance de jouer Ado Annie en tournée (à partir de mars 1945) et à Broadway (à partir de décembre 1946) et dans la première distribution londonienne. Plusieurs Gerties, en fait, sont devenues des Ado Annies, y compris Patricia Englund (Gertie à Broadway, puis Ado Annie en tournée et en remplacement à Londres) et Vivienne Allen (les deux rôles à Broadway).
D'autres acteurs ont poursuivi des carrières différentes. C’est le cas de Barry Kelley (le premier Ike Skidmore) qui a connu un succès important au cinéma de la fin des années 1940 aux années 1960. Nombreux sont ceux aussi qui ont participé à différents spectacles de Rodgers et Hammerstein. La distribution originale de Carousel (1945) comprenait un certain nombre d’anciens d'Oklahoma!. De même, Me and Juliet (1953) inclut Joan McCracken dans le rôle principal alors qu’elle était qui dans dans l’ensemble sur Oklahoma!. Et parfois, le trajet allait dans l'autre sens: Patricia Northrop avait fait ses débuts à Broadway dans le chœur de South Pacific (avril ’49 à janvier ‘54) et avait été momentanément la Laurey du retour d’Oklahoma! à Broadway (mai à juillet ’51).
Il faut aussi souligner que les transferts entre le cast de Broadway et les troupes en tournées américaines (mais aussi les troupes internationales) étaient assez typiques. Et, dans la majorité des cas, les petits rôles ou les understudies de Broadway obtenaient des rôles plus importants en tournée. A contrario, les rôles principaux en tournée, pouvaient espérer passer un jour au même rôle à Broadway. Harry Stockwell, Evelyn Wyckoff et Pamela Britton (les premiers Curly, Laurey et Ado Annie de l’US Tour) avaient été au préalable les understudies d‘Alfred Drake, Joan Roberts et Celeste Holm à Broadway. Stockwell et Wyckoff reviendront ensuite à Broadway quand respectivement Alfred Drake quittera le spectacle en juin 1944 puis Joan Roberts en juillet.
Rodgers et Hammerstein ont insisté pour toujours auditionner les acteurs principaux des US Tours. Mamoulian voulait également être impliqué dans les décisions importantes de casting. Le 16 juillet 1947, la Guild envoya un télégramme à Queenie Smith (un agent théâtral de Los Angeles) lui demandant d'engager Sherry O'Neill débutant dans l’ensemble à 75$ à Broadway afin d’être préparée à jouer Ado Annie dans l’US Tour, au cachet de 125$, spécifiant qu’elle serait prévenue au bout de quatre semaines si on la jugeait capable de jouer ce rôle.
Pamela Britton est un autre exemple du même type passant de l’ensemble à Broadway (à partir d'août 1943) à Ado Annie dans l’US Tour. Mais elle avait alors d'autres projets et le 26 février 1944, elle reçut un sévère rappel à l’ordre de Jerry Whyte pour lui avoir annoncé – ou menacer – qu’elle allait signer un contrat à Hollywood avec la MGM: «J'espère sincèrement que vous savez ce que vous faites parce que, comme je vous l'ai dit, vous n'êtes pas encore prête pour quitter le spectacle et tenter de créer un nouveau rôle. Vous n'avez pas l'expérience suffisante pour faire face aux problèmes auxquels vous serez confrontée à Hollywood.» Pamela Britton a quand même quitté Oklahoma! et déménagé, à Hollywood où elle a joué la «Girl from Brooklyn » qui tombe amoureuse de Frank Sinatra dans Anchors Aweigh (1945), et Barney Lee dans A Letter for Evie (1946). Mais, dès 1947, elle était de retour à Broadway, pour jouer dans Brigadoon.
Le traitement de Britton par Whyte est assez typique de l'approche paternaliste apportée aux membres des casts d'Oklahoma!, surtout les femmes. Ceux qui s'engageaient dans le spectacle étaient pleinement soutenus mais les récalcitrants pouvaient être chassés de la « famille » et même subir une sorte d’exil professionnel. Selon Agnes de Mille, la Theatre Guild n'avait libéré Diana Adams, l'une des danseuses originales, pour jouer dans One Touch of Venus de Kurt Weill (également chorégraphié par de Mille) qu'après des semaines de négociation. Et ils ont vécu avec énormément de difficulté un tel «inceste». Autre exemple… Betty Jane Watson rejoint la distribution de Broadway dans le rôle de Gertie en novembre 1943, puis joue Laurey dans l’US Tour en juillet 1944, revenant à Broadway dans le rôle de Laurey en octobre 1945. Enfin, elle a ensuite joué ce rôle à Londres (ouverture 1er mai 1947), accompagnée par le rôle principal masculin, Howard Keel. Mais, elle n'a pas révélé qu'elle était enceinte, ce qui a entraîné son renvoi du cast. En réponse, elle a menacé d'intenter une action en justice, mais ne l'a finalement jamais fait. Elle est remontée sur la scène de Broadway en juin 1948 (dans Sleepy Hollow), et en novembre de la même année, elle avait décroché un rôle dans As the Girls Go, qui a connu un succès modéré. Elle n'a plus jamais travaillé ni pour la Guilde ni pour Rodgers et Hammerstein.
Mais la «famille Oklahoma!» a aussi généré une importante fidélité. Owen Martin a joué Cord Elam à Broadway tout au long de la série (remplaçant également Ali Hakim en septembre-novembre 1947); il rejoint ensuite l’US Tour, et participe à la reprise de New York en 1951, passant finalement au rôle d’Andrew Carnes dans la production du New York City Center en 1953. Certains danseurs semblent aussi avoir été particulièrement fidèles, que ce soit par engagement ou par nécessité. Deux des danseurs originaux de la création de 1943 ont participé à de nombreuses tournées ultérieures: après Broadway, Vivian Smith a dansé dans l’US Tour en 1945; Erik Kristen a finalement joué dream-Curly à New York (1946) et à Londres (1947), puis dans la production sud-africaine d'Oklahoma! en 1949 (qui comprenait également Bonita Primrose, reprenant son rôle d’Ado Annie de Broadway), supervisant les danses pour cette production. Gemze de Lappe est un cas similaire: elle a commencé comme danseuse (Aggie, le rôle de Bambi Linn) dans la première compagnie nationale et a fini comme dream-Laurey à Broadway (juillet 1946) avant de reprendre le même rôle à Londres, puis de superviser la chorégraphie pour la production australienne en 1949. Dans le cas des danseurs, la raison de ces continuités était simple : la chorégraphie d'Agnès de Mille n'a jamais été figée dans des notes écrites– bien qu'une partie ait été filmée – et n'a donc pu être transmise que de danseuse à danseuse, jusqu'à ce que la tradition orale s'effondre.
Le transfert des acteurs d’une troupe à l’autre a clairement soutenu le désir de maintenir un style cohérent pour les différentes productions d’Oklahoma!. Les décors et costumes originaux ont également été soigneusement reproduits et la chorégraphie de de Mille fidèlement préservée. La pratique s'étendait même aux photos publicitaires: le 14 novembre 1944, le Chicago Daily Tribune comprenait une photo publicitaire de l’US Tour (Curly et Laurey dans le Surrey, entourées des autres personnages) qui reproduisait presque exactement une photo publicitaire originale pour la première de Broadway. Les poses des personnages sur les photos sont devenues la norme. Ce n'était pas inhabituel pour les spectacles en tournée: cela permettait de réaliser des économies d'échelle et donnait également au public régional l'impression de voir une production de qualité Broadway. Cependant, cela devient plus frappant encore suite à la durée des séries d'Oklahoma!.
Ces longues séries se sont en fait figées et sont devenues fortement résistantes à tout changement - les modifications apportées à l'original ont été sévèrement désapprouvées par la Guild et par Rodgers et Hammerstein - soit à cause de son statut d'icône ou parce qu'il n'était pas nécessaire de modifier quelque chose qui avait fait ses preuves. La question a eu un certain impact sur la version cinématographique de 1955: Bosley Crowthers dans le New York Times (16 octobre 1955) a noté qu'il était (quelque peu inévitablement) lié à la production scénique. À son tour, le film a atteint son propre statut d'icône et a eu une influence sur les productions théâtrales ultérieures, notamment celle de Trevor Nunn au Royal National Theatre de Londres (1998), qui en a introduit de nombreux éléments, tels que la mise en scène de « Kansas City » dans une gare.
D) Fortunes diverses
Dans son autobiographie (1951), Langner termine fièrement ses commentaires sur Oklahoma! en affirmant que «à moins que les signes présents ne soient trompeurs», le spectacle se jouerait sur scène encore « pendant de nombreuses années à venir ». Il avait à la fois raison et tort…
La relation de la Guild avec Rodgers et Hammerstein était déjà rompue. Langner ne consacre pas autant d'espace dans son autobiographie à Carousel qu'à l'Oklahoma! même s'il considérait Carousel comme «la meilleure pièce musicale américaine de notre temps». Certes, Carousel a été un moins grand succès qu'Oklahoma! - il a eu 890 représentations à Broadway (au grand Majestic Theatre) du 19 avril 1945 jusqu'à sa fermeture le 24 mai 1947. Mais il n'y avait aucun doute sur la troisième collaboration de la Guild avec Rodgers et Hammerstein, Allegro, qui a ouvert le 10 octobre 1947, également au Majestic. Bien que Helburn et Langner aient régulièrement affiché leur enthousiasme pour le spectacle, du moins en public, ce fut un désastre dans les coulisses, notamment parce qu'Agnes de Mille a totalement manqué sa mise en scène.
Comme Helburn l'écrivit à Langner (à Londres) le 5 juin 1947 : «Nous sommes censés avoir une réunion Allegro en ce moment. Je m'inquiète à mort au sujet d’Agnès en tant que général en chef! Elle ne semble pas avoir pris conscience de ses responsabilités.» Cela a rendu la Guild doublement agacée par les plaintes répétées de de Mille au sujet de son traitement pour Oklahoma!. Allegro a fermé ses portes le 10 juillet 1948 après 315 représentations, un nombre respectable pour la plupart des productions de Broadway mais un nombre misérable pour un spectacle doté de la touche magique de Rodgers et Hammerstein (il a mieux marché en tournée). La Guilde affirma plus tard avoir perdu 54.000$.
Le duo se sépara ensuite de la Guilde, formant leur propre société de production pour South Pacific (qui ouvrit ses portes au Majestic le 7 avril 1949); les problèmes avec de Mille peuvent également être l'une des raisons pour lesquelles South Pacific n'avait pas de vraies chorégraphies. La Guild n'a pas pour autant complètement abandonné les musicals: elle a produit Arms and the Girl de Morton Gould (1953, basé sur la pièce de Lawrence Langner et Armina Marshall The Pursuit of Happiness). Elle a été impliquée – de manière quelque peu désastreuse – dans les premiers plans de My Fair Lady de Lerner et Loewe en 1951-53. Et il ont eu un beau succès (924 représentations) avec Bells Are Ringing de Jule Styne (ouvert le 29 novembre 1956).
Mais l'enthousiasme était perdu. Le 10 mai 1956, Helburn suggéra la pièce Ethan Frome (1936) d'Owen et Donald Davis à Rodgers et Hammerstein pour leur prochain musical, mais elle semble l'avoir fait à titre privé. Hammerstein refusa. A ce moment, les droits d’Oklahoma!, de Carousel, et d’Allegro avaient été vendus, et toute relation formelle entre la Guild et Rodgers et Hammerstein avait été dissoute. Au moment où Oklahoma! a ouvert à Londres en avril 1947, des signes très clairs montraient que la popularité du spectacle à Broadway étaient en plein déclin naturel: le 29 mars 1946, Langner avait dit à Jerry Whyte: « Maintenant qu'Oklahoma! a dépassé son pic et que les affaires sont en baisse, il est essentiel que nous n'augmentions pas la liste des salaires.»
Aucun autre musical n'avait tenu l’affiche aussi longtemps, mais les modes changeaient et la saturation du marché s'était installée. Le 30 mars 1947, Rodgers écrit un article dans le New York Times à l'occasion du quatrième anniversaire du spectacle, louant en particulier la Theatre Guild pour avoir eu le courage de monter Oklahoma! et la capacité de le maintenir en production, mais en avril, la Guilde a mené une enquête auprès de son public de Broadway pour déterminer l'avenir probable du spectacle.
Les recettes au box-office diminuaient également, et la Guilde faisait maintenant face aux conséquences des obligations contractuelles qu'elle avait contractées avec un peu de désinvolture. En particulier, l'accord de payer des redevances sur les recettes brutes à Rodgers, Hammerstein, Riggs, Mamoulian et, après avril 1947, de Mille était désavantageux étant donné que si le spectacle faisait un profit ou une perte, ces redevances seraient toujours dues. En conséquence, la Guilde demandait périodiquement aux bénéficiaires d'y renoncer dans l'intérêt de maintenir le spectacle sur scène. (La même chose se produira plus tard pour la production londonienne.) Un autre contrat problématique était celui avec Lee Shubert, le propriétaire du théâtre, qui lui permettait de mettre fin à la location du St. James Theatre pour Oklahoma! si les recettes brutes hebdomadaires descendaient en dessous de 18.000 $, clause qu'il invoqua à la mi-décembre 1947 (il offrit de déplacer le spectacle au Broadway Theatre), bien que la Guild argumenta contre ce niveau de recette et parvint à éviter la fermeture pendant un certain temps, au moins.
Mais clairement, les choses n'allaient pas bien depuis un certain temps déjà. En octobre et novembre 1947, Langner réussit à persuader les principales parties de renoncer à leurs redevances une fois de plus, notant à Garrett Leverton (de Samuel French, agissant pour Riggs) le 20 novembre: « En tant que producteurs, nous n'avons épargné aucun effort pour garder le spectacle en pleine forme. Il aurait été mort il y a deux ans si nous ne l’avions pas fait.»
La Guilde a également essayé d'arrêter cette baisse des ventes en cherchant à ramener Alfred Drake et Celeste Holm dans la distribution pour la 2.000ème représentation, le 4 décembre, avec Rodgers comme chef d’orchestre et Gene Kelly dans le rôle de Will Parker. D'autres idées ont germé pour les représentations d'avant Noël : faire danser de Mille dans les ballets, avoir Danny Kaye ou Jimmy Durante dans le rôle du colporteur, bien que ce sera finalement Holm à la fin. Toutes ces démarches voulaient optimiser cette période vendeuse qu’est Noël. Mais, comme Langner l'a expliqué à Riggs le 28 novembre, Noël ne suffisait pas, il y avait d'autres préoccupations: «Nous devons faire un grand effort pour ne pas tomber en dessous de la clause d'arrêt pendant les trois premières semaines de décembre afin que nous ne soyons pas expulsés du théâtre. C'est pourquoi il y aura tout ce qu'il y aura avec Celeste. »
Le 15 mars 1948, la Guild tenta de faire jouer Judy Garland – même brièvement – le rôle de Laurey (ils approchèrent ensuite Kathryn Grayson le 22 et Deanna Durbin le 24). La représentation du 5ème anniversaire du 31 mars 1948 était prévue comme un grand gala. Mais dans les journaux, l’avenir du spectacle ne faisait plus aucun doute: dans le New York Times le 7 mars 1948, on pouvait lire à propos de cette soirée anniversaire: «Ceci, pour sûr, sera la dernière fête pour Oklahoma! à Broadway. Le champion, dans son incarnation actuelle, est sur le point de partir. »
Au début mai, le bureau de presse de la Guilde planifiait de battre le record mondial de durée d’un musical: 2.239 représentation le 30 juin 1948 - battant Chu-Chin-Chow à Londres avec 2.238 représentations. Le musical ayant eu la plus longue série à Broadway avant Oklahoma! était à l’époque la revue Hellzapoppin, avec 1.404 représentations (dépassée par Oklahoma! le 1er juillet 1946). A cette occasion exceptionnelle, Heidt a suggéré Bing Crosby, Mickey Rooney, Perry Como, Frank Sinatra ou Gene Kelly comme invité Curly, et pour Laurey, Judy Garland, Betty Grable, Shirley Temple, Ginger Rogers ou Dorothy Lamour, entre autres. Mais ils n’attinrent jamais cette représentation. La messe était dite: Oklahoma! a fermé le 29 mai 1948 après 2.212 représentations, et ne fut jamais le plus long musical du monde. Il fut pendant de longues années, le plus long musical de Broadway, avant d’être détrôné au début des années ’60 par My Fair Lady et ses 2.717 représentations.
La série à Londres a eu une trajectoire similaire, bénéficiant d'un énorme succès, puis d'une diminution des bénéfices au début de 1950 compensée par des recettes importantes en tournée et, encore une fois, d'un déclin.
Mais la situation en Amérique a eu d'autres conséquences. Si la Guild n’organisait pas 75 représentations d'Oklahoma! chaque année dans des théâtres de première classe, les droits reviendraient à Rodgers et Hammerstein. Et tous les théâtres visités par l’US Tour n'étaient pas de première classe. Par ailleurs, tout n'allait pas bien ici non plus: l’US Tour a connu sa première pause estivale en 1950.
C'est probablement la raison pour laquelle la Guilde a organisé un return new-yorkais pour l’US Tour du 29 mai au 28 juillet 1951 (au Broadway Theatre) avant le Festival de Berlin en septembre. Cette série a été bien accueillie, mais les ventes ont très vite fortement chuté en été et la Guild a du arrêter la série plus tôt que prévu, déménageant Oklahoma! dans le « subway circuit » (c'est-à-dire les théâtres de banlieue de New York), pour lesquels le producteur George Brandt louait les décors et les costumes et engageait seulement une partie de la troupe.
Alors que l’US Tour reprend ses tournées à son retour de Berlin, ses bénéfices diminuent sévèrement et les coûts montent en flèche, provoquant un échange de mémorandums de plus en plus inquiets entre Helburn et Langner. Puis, à la mi-mars 1952, les costumes et les décors sont détruits par le feu! Lemuel Ayers est immédiatement engagé (le 28 mars) pour superviser la recréation des originaux: les nouveaux décors coûtent 22.400 $ (soit trois fois le montant de 1943) et la troupe est licenciée jusqu'en août. La malchance continua: l'une des nouvelles toiles de fond fut bientôt endommagée par un effondrement causé par des cordes pourries au Grand Theatre de Calgary à la fin de novembre 1952, ce qui provoqua une longue démarche auprès des assurances. L’US Tour s’arrêta en 1953, donnant ses dernières représentations à Washington, D.C., en mars et avril – y compris une célébration du 10ème anniversaire du spectacle – et à Boston à la fin d'avril et au début de mai.
L’arrêt temporaire du spectacle en mars 1952, suite à l’incendie, a déclenché des questions contractuelles de la part des avocats. Howard Reinheimer (agissant pour Rodgers et Hammerstein) s'est empressé de s'adresser aux avocats de la Guild pour réclamer une réversion des droits de ses clients. Cependant, il semble que cela ait été conçu moins comme une menace directe qu'un prélude à une discussion sur la vente de ces droits par la Guild à R&H (et, séparément, ceux pour Carousel et Allegro). Le marchandage a commencé et des réunions entre les parties intéressées et leurs avocats ont eu lieu les 20 mars, 23 mai et 12 juin 1952. Langner était méfiant vis-à-vis de Rodgers et Hammerstein. Il écrivit une note à Helburn, Armina Marshall et William Fitelson le 16 avril où ils exprimait ses soupçons (qui se sont avérés justes plus tard) quant à des manœuvres sur une adaptation cinématographique d’Oklahoma!. Marshall a répondu le 17: « Je pense que nous ne devrions pas vendre nos droits sur ces spectacles à moins d’être très bien payés et je suis sûr qu’ils s’attendent à ce que tout type d’accord signé avec nous, leur soit largement avantageux.»
La Guild a fixé le prix d'Oklahoma! à 1.690.000 $ (mais était prête à céder à 1.000.000 $). Rodgers et Hammerstein ont commencé à 350.000 $, augmentant leur offre à 650.000 $, puis à 700.000 $. Au milieu de l'année 1952, la Guild pensait avoir de solides arguments en raison de problèmes fiscaux auxquels Rodgers et Hammerstein étaient confrontés. Dans le même temps, la Guild avait subi de lourdes pertes lors de la saison 1951-52 (104.792,31 $) et avait clairement besoin d'une rapide injection de capital.
Le 19 novembre 1952, Langner a demandé à ses avocats de proposer 800.000 $. Fitelson et Meyers ont finalement fait mieux, en partie, on soupçonne, parce que les rumeurs de la production prévue du film étaient maintenant encore plus fortes. La Guild a également commencé à soutenir d'autres chevaux, y compris (au moins jusqu'en mai 1953) en faisant des plans pour travailler avec une autre équipe musicale, Alan Lerner et Frederick Loewe, sur une adaptation musicale de Pygmalion de George Bernard Shaw (que la Guilde avait mise en scène en 1926-27, et que Weill avait envisagée en 1937, tout comme Rodgers et Hammerstein au milieu des années 1940. bien que Hammerstein ait abandonné l'idée en raison de difficultés d'adaptation). Nous parlons ici du futur My Fair Lady.
Le 8 juin 1953, la Guild a cédé ses droits d’Oklahoma! à la nouvelle L&H Company (Langner et Helburn), vraisemblablement créée pour protéger à la fois la Guild et les investisseurs d’Oklahoma! de toute action désavantageuse découlant de la vente à venir. L&H a ensuite vendu les droits à d’Oklahoma! à Rodgers et Hammerstein, signant l'accord le 6 août 1953, pour 851.000 $, à payer en divers versements se terminant le 1er mars 1957.
La Guild avait des sentiments mitigés au sujet de cette transaction: selon le New York Times (31 juillet 1953), Helburn était d'avis que l'accord «était équitable pour tout le monde», bien que Langner fût plus réticent. Rodgers, cependant, pouvait se permettre d'être généreux, écrivant (le 1er septembre 1953) en réponse au télégramme de félicitations de Helburn, Langner et Armina Marshall à propos de l'ouverture du spectacle par la nouvelle équipe de production: « Je pense que cela ne peut pas faire de mal d'exprimer par écrit l'énorme dette que cette opération actuelle d'Oklahoma! doit à vos trois personnes. Sans vos efforts minutieux pendant toutes ces années, le matériel lui-même se serait sûrement détérioré et vous nous avez confié non seulement une production physique de premier ordre, mais une pièce de théâtre dans une forme émotionnelle de première classe. » Hammerstein exprima des sentiments similaires le 3 septembre, écrivant à Helburn : « Merci pour votre gentil télégramme. Vous nous avez remis une enfant très bien élevée, et nous allons essayer de veiller à ce qu'elle continue à être digne de sa formation précoce. »
La Guilde a payé ses investisseurs pour la dernière fois. Pendant ce temps, Rodgers et Hammerstein ont scellé leur nouvelle acquisition en produisant un série limitée de trois semaines (prolongée à cinq) d'Oklahoma! – en engageant bon nombre de premiers rôles de l'ancien US Tour et du toujours fidèle directeur de production, Jerry Whyte – au New York City Center, à partir du 31 août 1953 pour marquer ce que le maire Vincent Impellitteri avait désigné « Rodgers & Hammerstein Week ». Cette production a ensuite tourné près d’un an, jusqu'au 1er mai 1954.
À ce moment-là, comme les journaux l’ont tous souligné, quatre spectacles de Rodgers et Hammerstein se jouaient simultanément à New York : Oklahoma!, The King and I, Me and Juliet et South Pacific.
Oklahoma! sera présenté plus tard au New York City Center Light Opera, du 15 décembre au 2 janvier 1966, et une représentation anniversaire des 25 ans (dirigée par Rodgers) au Lincoln Center de New York le 26 mars 1968 (avec Howard da Silva dans le rôle de Jud). Pour ces dernières productions, les orchestrations ont été révisées.
Mais Oklahoma! n’est revenu sur la scène de Broadway que le 13 décembre 1979 (jusqu'au 24 août 1980, soit moins de 300 représebntations), mise en scène par William Hammerstein avec la chorégraphie de de Mille recréée par Gemze de Lappe).
Le spectacle, après un triomphe à Londres au London Royal National Theatre en 1998 (mise en scène par Trevor Nunn, avec une nouvelle chorégraphie de Susan Stroman), a été transféré à New York le 21 mars 2002 et s'est jouée jusqu’au 23 février 2003.
La mise en scène la plus récente de New York est signée Daniel Fish (avec des chorégraphies de John Heginbotham). Le spectacle a ouvert ses portes au St. Ann's Warehouse à l'automne 2018 et a été transférée au Circle in the Square Theatre pour des avant-premières le 19 mars 2019. Il a reçu des critiques élogieuses le 7 avril et a remporté un Tony Award pour la meilleure reprise d'un musical. Le spectacle a été interrompu par la crise COVID et a été transféré à Londres au Young Vic puis dans le West End.
E) Le grand écran
Bien que la vente forcée des droits d'Oklahoma! par la Guild à Rodgers et Hammerstein avait été déclenchée par l'effondrement du nombre de représentations dans des théâtres de première classe en 1952, il y avait clairement un autre aspect à considérer. La principale raison pour laquelle la Guild avait tenter de conserver Oklahoma! à l’affiche beaucoup plus longtemps que ce qui semblait commercialement viable – et qui a finalement permis d’exercer une pression significative sur Rodgers et Hammerstein – était l'anticipation d'un accord hollywoodien. Comme nous l'avons vu, il y avait eu diverses offres pour faire une adaptation cinématographique d'Oklahoma! dès 1943 et 1944. Et la Guild les avait toutes refusées en raison de la rentabilité du spectacle à Broadway.
Mais des rumeurs de tournage ont refait surface sporadiquement dans les années ‘40. Le 23 février 1949, Variety affirma que Rodgers et Hammerstein avaient décidé de ne jamais faire d’adaptation cinématographique du musical étant donné leurs énormes revenus provenant des droits d’auteurs des représentations scéniques. De même, ils ont régulièrement refusé les demandes d'autorisation d'utiliser les chansons dans d'autres films. Les choses ont rapidement changé. Joshua Logan a affirmé qu'en 1950, Rodgers et Hammerstein avaient déjà décidé de fonder une société pour produire des versions cinématographiques de leurs musicals, basées sur les productions scéniques. Ils commenceraient par Fred Zinnemann réalisant Oklahoma!.
Le 11 juin 1952, Cinerama exprima son intérêt pour la captation de la version scénique d'Oklahoma!. Mais encore une fois, l'offre a été refusée.
En mars 1953, Rodgers et Hammerstein devinrent membres du conseil d'administration de la nouvelle Magna Theatre Corporation, créée par Joseph M. Schenk de la Twentieth Century-Fox et Michael Todd. Schenk et Todd promettaient de commencer la production de films dans le nouveau procédé «Todd-AO Wide Screen», avec Arthur Hornblow Jr. comme producteur - il avait produit « High, Wide, and Handsome » de Kern & Hammerstein en 1937).
Des rumeurs selon lesquelles leur premier projet serait une adaptation d'Oklahoma! ont été démenties, mais jamais de manière totalement convaincante. Dans le New York Times du 29 mars 1953, on rapporte une parole de Schenk: « Nous n'avons aucun engagement à ce stade avec Rodgers et Hammerstein pour aucun film, y compris Oklahoma!. Mais ils n'ont pas rejoint notre société en tant qu'administrateurs sans penser à contribuer à son succès. »
Le projet avec Zinnemann de 1950, dont nous avons parlé ci-dessus, allait maintenant pouvoir être mis en œuvre. Maos tout allait se faire de manière camouflée. Les scénaristes Sonya Levien (qui avaient travaillé sur State Fair) et William Ludwig ont commencé un projet appelé « Operation Wow! » au début de 1953, produisant un projet de script complet daté du 27 avril 1953. Et bien sûr ce script n'était autre qu’Oklahoma!. Agnès de Mille, de son côté, avait également terminé au début du mois d'avril son scénario pour une version cinématographique du dream ballet.
Mais tout restait flou et les rumeurs couraient dans tous les sens. Le 29 mars 1953, le New York Times avait déclaré que « la Guild ne pensait pas encore que le temps soit venu pour un film » et le 26 avril, le même journal a annoncé que les auditions pour les acteurs étaient en cours.
Un des facteurs qui ont poussé Rodgers et Hammerstein à se lancer dans l'industrie cinématographique est la possibilité technique de projections sur grands écrans – dont le Todd-AO. C’était particulièrement important pour combattre la concurrence croissante de la télévision. A côté du Todd-AO, on retrouve le Cinerama (1952), le Twentieth Century-Fox’s CinemaScope (1953), la VistaVision de Paramount (1954) et le Superscope (adopté par certains petits studios, également en 1954) dans ce que les journaux ont appelé la « bataille des scopes ».
L'objectif de tous ces procédés était de créer une expérience visuelle plus impressionnante pour le public cinéphile (écran panoramique, couleurs plus vives, définition plus nette) et sonore (par le biais d'un son multicanal). Les musicals étaient le genre parfait pour exploiter au mieux cette technologie. Ainsi le MGM l’a utilisée pour son film de Cole Porter's Kiss Me, Kate (sorti le 26 novembre 1953) et a sorti en CinemaScope Seven Brides for Seven Brothers (15 juillet 1954). De même, Paramount a présenté son système VistaVision au public par le biais de White Christmas d'Irving Berlin (14 octobre 1954) et la Twentieth Century-Fox a utilisé CinemaScope (et DeLuxe Color) pour son There's No Business Like Show Business (16 décembre 1954). La Twentieth Century-Fox a également utilisé sa version cinématographique du Carrousel de Rodgers et Hammerstein (16 février 1956) comme une rampe de lancement pour son nouveau CinemaScope 55.
Parmi les inconvénients de ces nouvelles technologies, mentionnons la nécessité d'avoir des caméras spéciales et du matériel complexe du côté de la production, mais aussi des installations de projection et de sonorisation du côté de la distribution. Voulant pousser l’expérience au maximum, les grands studios ont créé des versions «roadshow» de certains de leurs films majeurs, les diffusant dans des cinémas sélectionnés dans quelques grandes métropoles disposant de l'équipement nécessaire, et les présentant généralement comme s'il s'agissait de représentations théâtrales « live » (offrant des places réservées, montrant le film en deux « actes » avec entracte, vendant des programmes souvenirs, etc.). Ces films resortaient « en général », reformatés dans des versions plus légères, pour convenir à la majorité des cinémas du pays, seulement plus tard, et parfois de manière significative.
L'autre exigence de Rodgers et Hammerstein envers leurs producteurs a été la garantie d’obtenir un tournage important pour Oklahoma!. Le film Seven Brides for Seven Brothers avait souffert à cet égard: il a été principalement tourné dans les studios de la MGM, à l'exception de quelques brèves séquences (certaines à Sun Valley, Idaho) - ce qui a rendu le tournage plus facile et moins cher, mais n’a pas permis d’exploiter à fond le potentiel visuel des nouvelles technologies. Cette exigence pour Oklahoma! a probablement été influencée par le choix de Fred Zinnemann comme réalisateur, étant donné sa réputation pour ses images impressionantes en plein air: ses films récents incluaient High Noon (1952) et From Here to Eternity (1953).
Cependant, le déménagement à l'extérieur du studio a causé quelques problèmes. Le début du tournage d'Oklahoma! était prévu au printemps 1954 et la sortie le film plus tard cette année-là. Mais il a fallu du temps pour trouver un site pour le tournage – finalement, la vallée de San Rafael près de Nogales, en Arizona – et pour planter un champ de maïs (en janvier), maïs qu’il a fallu alors laisser pousser «aussi haut qu'un œil d'éléphant». La gare d'Elgin, en Arizona, avait également besoin de construction supplémentaire pour créer une plate-forme de danse pour « Kansas City » le long des voies sur lesquelles apparaîtrait un véritable train à vapeur. Si un tournage aussi étendu était inhabituel, la décision de mettre en scène un certain nombre de chansons « à la lumière du jour » de l'acte 1 l'était encore plus. Le film a dépassé largement le budget d’un montant extraordinaire de 6.800.000$. Mais les résultats ont souvent été spectaculaires.
Le scénario final d'Oklahoma! ne fut prêt que le 1er juin 1954 et a subi encore des modifications ultérieures jusqu'au 14 septembre. Il suit de très près le livret original (ce qui ne sera pas le cas pour Carousel), bien qu'il y ait eu un certain nombre de modifications proposées, dont la réintroduction du feu de la botte de foin de Green Grow the Lilacs.
La distribution a été annoncée dans le New York Times le 19 juin. Les acteurs qui ont été testés à l'écran pour les rôles principaux incluaient:
- Curly: Keith Andes, Russell Arms, Ridge Bond, Vic Damone, James Dean, Paul Newman, Danny Scholl, Robert Stack
- Laurey: Joan Evans, Mona Freeman, Florence Henderson, Piper Laurie, Betty Lynn, Joanne Woodward
- Will Parker: Bob Fosse, Jack Russell
- Ado Annie: Barbara Cook, Debbie Reynolds
- Ali Hakim: Jack Carter, Lee Cobb, Kurt Kaznar, Jerry Mann, Eli Wallach
- Jud: Gene Evans, Rufus Jones, Jason Robards Jr., Rod Steiger, Murvyn Vye
Pour Curly, Laurey et Jud, les acteurs qui avaient joué les rôles sur scène ont été testés (Ridge Bond, Florence Henderson et Murvyn Vye, respectivement), bien que cela ait pu être juste par gentillesse. Les seuls transferts de la scène à l'écran furent Marc Platt (maintenant juste l'un des danseurs, avec un petit rôle) et Bambi Linn (dream-Laurey) dansant sur la nouvelle chorégraphie d'Agnès de Mille. Cependant, d'autres liens avec le spectacle original ont été maintenus: Jay Blackton a dirigé l’orchestre et Robert Russell Bennett a fait certaines des orchestrations avant de se retirer du projet en raison de préoccupations concernant la musique de fond.
Parmi ceux qui figurent sur la liste des tests d'écran, seul Rod Steiger – fraîchement sorti de son triomphe dans On the Waterfront – a atteint le montage final. Rodgers avait lui-même suggéré Phil Silvers pour le rôle du colporteur, et il pensait que Frank Sinatra serait un Curly idéal (mais il était un meilleur Nathan Detroit dans la version cinématographique de Guys and Dolls – sorti le 3 novembre 1955, trois semaines après Oklahoma! – et aurait probablement été un bon Billy Bigelow dans Carousel s'il n'avait pas abandonné au début du tournage).
Mais la distribution finale fut plutôt composée d'acteurs bien connus dans des rôles musicaux au cinéma, dont Gordon McCrae (Curly), Gene Nelson (Will Parker) et le favori Eddie Albert Sr. (Ali Hakim), ainsi que Charlotte Greenwood (tante Eller), Jay C. Flippen (Ike Skidmore) et Roy Barcroft (Cord Elam).
Gordon McCrae avait déjà interprété des extraits d'Oklahoma! avec Florence Henderson (de l’US Tour) à la télévision dans le General Foods 25th Anniversary Show: A Salute to Rodgers and Hammerstein (1954). Il a également joué dans les musicals On Moonlight Bay (1951); About Face (1952); et By the Light of the Silvery Moon, The Desert Song et Three Sailors and a Girl (tous 1953).
Gene Nelson, lui aussi, avait joué dans Three Sailors and a Girl, et a joué dans Lullaby of Broadway (1950), She's Back on Broadway (1953) et So This Is Paris (1955).
Shirley Jones, qui avait débuté dans l’ensemble de South Pacific, a fait ses débuts au cinéma dans ce film dans le rôle de Laurey. Elle a également joué le rôle dans la production mise en scène à Paris en juin 1955 dans le cadre du « Salute to France » américain. Jones a ensuite partagé le rôle principal avec McCrae dans le film Carousel et a eu une carrière distinguée à Hollywood (remportant un Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle dans Elmer Gantry [1960] et jouant Marian Paroo dans The Music Man [1962]) avant de devenir une icône de la télévision dans The Partridge Family.
Le casting le plus étrange fut Gloria Grahame dans le rôle d'Ado Annie, car elle était principalement connue pour ses récents rôles sensuels dans des films noirs (bien qu'elle ait également joué Angel dans The Greatest Show on Earth de Cecil B. DeMille de 1952).
Les autres rôles sont allés à James Whitmore (Andrew Carnes), Barbara Lawrence (Gertie Cummings) et James Mitchell (dream-Curly).
Mitchell a travaillé avec l'American Ballet Theatre et a également joué des rôles de danse spécialisés dans divers musicals, telles que Deep in My Heart (1954).
Oklahoma! fut le premier musical du réalisateur Fred Zinnemann, et son inexpérience dans le genre le montre peut-être. Le tournage a été ralenti car chaque scène a dû être tournée deux fois, une fois en 35 mm (pour être diffusée en CinemaScope) et une fois en 65 mm (pour Todd-AO). C'est l'une des raisons du dépassement budgétaire. La plupart des scènes extérieures de jour ont été filmées sur place pendant sept semaines, à partir du 14 juillet 1954, dans la vallée de San Rafael et ailleurs en Arizona (Rodgers et Hammerstein étaient présents). Le reste a été tourné plus tard dans les studios de la MGM, et le tournage s'est terminé le 6 décembre 1954.
Certaines décisions de production étaient intelligentes, dont l'ouverture visuelle saisissante de Curly chantant « Oh, What a Beautiful Mornin' » à cheval à travers un champ de maïs. Laurey s'en sort moins bien, cependant: la maigre Shirley Jones plongeant dans une piscine extérieure était quelque peu gratuit. Le film a également transformé « Many a New Day » en un numéro de boudoir intérieur, et habiller le chœur de corsets et de jupons a généralement ramené une femme de guerre (le musical a été créé en 1943) à sa place de femmes rangée des années 1950.
Peut-être que les plus grandes injustices, cependant, ont été faites à Jud et à Ali Hakim. Dans le cas de la scène du fumoir, « Lonely Room » apparaît avant « Pore Jud Is Daid » dans les scripts d'avril 1953 et juin 1954, avec une reprise ultérieure à son emplacement d'origine. Vraisemblablement, on pensait que cela donnait au personnage de Jud Fry une meilleure introduction. Cependant, « Lonely Room » et la reprise ont été coupés le 14 septembre 1954, tout comme « It's a Scandal! It's a Outrage! » signifiant que ni Jud (Steiger) ni Ali Hakim (Eddie Albert Sr.) n'ont pu chanter (sauf Steiger, brièvement, dans « Pore Jud Is Daid »). Tous deux étaient des chanteurs compétents, et Steiger avait même suivi une formation à l'opéra. Cela rend doublement regrettable que les deux « outsiders » d’Oklahoma! ont chacun été privés d'une voix dans le film. En effet, remettre « Lonely Room » dans le spectacle, et faire face aux conséquences pour Jud, est devenu une caractéristique des productions plus récentes d'Oklahoma!
La version « roadshow » Todd-AO d'Oklahoma! est sortie le 11 octobre 1955 et a été projetée au Rivoli Theatre de New York pendant plus d'un an avant la sortie générale du film en CinemaScope le 1er novembre 1956.
Les deux versions ont un aspect et un son significativement différents, et ils ont des ouvertures différentes: le générique d'ouverture de la version Todd-AO se joue comme dans un théâtre, alors que les rideaux de scène se retirent pour révéler la scène, tandis que la version CinemaScope commence avec Curly chevauchant à travers les épis de maïs. Robert Russell Bennett estimait que la version Todd-AO était inappropriée pour une histoire s’attachant à de «petites gens ».
Et Rodgers était encore moins enthousiaste :
Visuellement, certaines parties du film sont impressionnantes, avec quelques plans époustouflants de ce fameux maïs «aussi haut qu'un œil d'éléphant», du manège du Surrey et du ciel nuageux de l'Arizona. Mais le processus grand écran n'était pas toujours idéal pour les scènes plus intimes, et je ne pense pas que le casting ait été totalement satisfaisant. Quoi qu'il en soit, à partir de ce moment-là, à l'exception du South Pacific, Oscar et moi avons laissé ce travail aux gens dont c’était le métier et sommes restés à l'écart de toute implication dans les versions cinématographiques ultérieures de nos musicals.
Agnès de Mille n'a pas non plus passé un moment heureux sur ce film, et à son grand regret, elle n'a pas été choisie pour travailler sur la version cinématographique de Carousel (Rod Alexander a fait la chorégraphie).
Néanmoins, la version grand écran d'Oklahoma! a été un succès au box-office et a reçu les Oscars de la meilleure musique et du meilleur enregistrement sonore.
Bien que la Theatre Guild n'avait plus à l’époque aucun droits sur Oklahoma!, elle a insisté assez longuement et agressivement pour être correctement citée dans le générique du film. Un compromis fut trouvé. Le 12 octobre 1955, Helburn écrit à Rodgers : « C'était vraiment une expérience très émouvante pour moi de voir Oklahoma! encore une fois … dans son dernier et plus somptueux habit! Cela a fait resurgir les souvenirs infinis de nos luttes il y a onze ans et une prise de conscience de tout ce qui s'est passé depuis lors pour vous deux. Quelle chance de réunir des talents pour le théâtre américain – vous deux, Agnes, Reuben, Russell, Lem et Miles – certainement l'équipe américaine de la décennie! »
Rodgers a répondu le lendemain:
Oscar et moi sommes très reconnaissants pour ton aimable et généreuse lettre à propos du film Oklahoma!. Nous ne cesserons jamais d'être reconnaissants envers toi et Lawrence d'avoir commencé tout cela. C'était bon de vous voir l'autre soir et dès que nous aurons Pipe Dream hors de nos préoccupations, réunissons-nous et amusons-nous.
Beaucoup d'amour de notre part à tous.
Affectueusement!