5.
1866 1927 - Recherches

 6.8.
Paul Robeson
«LE» JOE

 6.9.N.
Show Boat
Film (1951)

 6.9.O.
Show Boat
New-York 1954/1961/1966

 6.10.
Le crash de '29
La fin d'un monde

 7.
1927 1943 - Difficultés

N) Hollywood, septembre 1951 - Troisième film (MGM) (2/2) (suite)

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  Julie LaVerne: Judy Garland puis Ava Gardner!  La MGM achète les droits d’adaptation du spectacle Show Boat () dès 1938, mais le projet va mettre 13 ans à voir le jour. Il est d’abord question d’en faire le prochain film du couple vedette Jeanette McDonald et Nelson Eddy, mais le producteur Arthur Freed doit changer son fusil d’épaule. Il envisage au début des années ‘40 de confier le rôle de Magnolia et de Julie à ses deux étoiles montantes, Kathryn Grayson et Judy Garland, mais de nouveaux problèmes vont retarder le projet tout au long de la décennie. Quand Freed peut enfin mettre le film en chantier en 1950, Judy Garland vient d’être «remerciée» par le studio MGM: l'accoutumance de Judy Garland, alors âgée de 28 ans, à l'alcool et aux médicaments la rend ingérable, la MGM met un terme à son contrat. Il faut donc lui trouver une remplaçante.

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Lena Horne (Julie LaVerne)
«Till the Clouds Roll By» (1946)

Comme le rôle de Julie est celui d’une métisse, la chanteuse noire Lena Horne semble la favorite – elle avait joué le rôle en 1946 dans le film de la MGM Till the Clouds Roll By (). Mais dans l’Amérique de l’époque, certains États du Sud censurent encore les films de la chanteuse, car elle est noire. Lena Horne est écartée du casting et la prudence commerciale l’emporte, et c’est Ava Gardner qui obtient le rôle. En tant qu'ex-femme de Mickey Rooney, fiancée actuelle de Frank Sinatra, et l'un des principaux «objets d'affection» d'Howard Hughes, son nom ainsi que le titre de Show Boat () suffiraient certainement, selon les mots d'Ava, à «mettre des clochards sur les sièges

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Ava Gardner (Julie LaVerne)
«Show Boat» (1951)

Le Show Boat () de la MGM a été construit autour du personnage de Julie LaVerne, ou, plus exactement, autour d’Ava Gardner, qui a joué Julie comme une nouvelle variation de ses rôles précédents de femme fatale devant affronter de nombreuses désillusions. Le producteur Freed aurait dit d’une manière pour le moins grinçante à la chanteuse Dinah Shore, qui avait été testée pour le rôle, qu’elle ne pouvait pas jouer Julie «parce que tu n’es pas une pute ... Ava l’est.» Faire de Julie une «pute» n’était pas nouveau – la film d’Universal en 1929 avait déjà choisi cette option. Mais la différence ici était Gardner, qui a profondément redéfini le rôle imaginé par Kern et Hammerstein, lui donnant une évidente connotation sexuelle. De cette façon, Show Boat () a permis à MGM de continuer à installer Gardner comme une actrice blanche de premier plan, sexuellement accomplie, dont la participation à un film (comme son comportement dans la vie réelle) avait la capacité de titiller le public blanc, le public cible de la MGM.

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Ava Gardner (Julie LaVerne) & Robert Sterling (Steven Baker)
«Show Boat» (1951)

À cette époque, la carrière d’Ava Gardner commençait enfin à décoller. Show Boat () a marqué sa première apparition en couleur et sa première apparition dans le film, en satin rose chaud avec sa garniture jaune, a célébré l’arrivée d'Ava Gardner au sommet d’Hollywood. Mais il y avait d’autres raisons pour lesquelles le public voulait aller voir Gardner en 1951.

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Frank Sinatra & Ava Gardner
Première de «Show Boat» (1951)

Elle est arrivée à la première hollywoodienne de Show Boat () au bras de Frank Sinatra, un homme marié, et un catholique, cherchant à divorcer de sa femme.

Quiconque s’intéressait un peu aux potins – et en fait ils sont très nombreux – savait que Frank et Ava avaient une liaison, mais la première de Show Boat () a marqué leur première apparition publique en tant que couple, un acte qui, quelques années plus tôt aurait été considéré comme déplacé et très mauvais pour Hollywood. La célébrissime chroniqueuse et échotière américaine Hedda Hopper a repris le commentaire d’un lecteur sur l’ironie d’entendre Ava Gardner chanter Can’t Help Lovin' Dat Man, la chanson de dévotion de Julie à son mari, Steve, et l’a commentée: «Pour Ava, c’est totalement atypique.» Le succès du film au box-office à l’époque ne peut être séparé de la frénésie qui s’est portée sur le dernier couple adultère d’Hollywood, Ava Gardner & Frank Sinatra. Heureusement pour la MGM, la vie personnelle très publique de Gardner a comporté de nombreux épisodes très innovants. Elle a fait la une du Time quelques semaines après la première.

«La liaison ouverte d’Ava avec un homme marié – après l’escapade d’Ingrid Bergman avec Roberto Rossellini et l’aventure de Rita Hayworth avec Aly Khan – a inévitablement réveillé dans certains milieux l’ancienne question de la morale hollywoodienne. Cela aurait pu l’amener à une certaine autocensure: elle a reçu des lettres s’adressant à elle comme «Bitch-Jezebel-Gardner». Pourtant, il semble que cela a aidé, plutôt que handicapé, son ascension. Le chroniqueur Sidney Skolsky a déclaré avec gravité: «Ava s’est inquiétée. Elle a perdu du poids. Mais aujourd’hui, elle sait que le scandale ne peut pas lui faire du mal.»

Time « La fille du fermier » 8 septembre 1951


Comme avec Helen Morgan et la prohibition, Ava Gardner et l’affaire Sinatra montrent qu’une fois de plus, le scandale public dans la vie personnelle d’une star a aidé la réussite de Show Boat ().

Alors que la Julie de la MGM semble avoir été créée sur mesure pour Ava Gardner, le rôle écrit par le scénariste John Lee Mahin était à l’origine destiné à Judy Garland. Le premier scénario de Mahin a été finalisé juste au moment où Judy Garland a dû être virée de la MGM suite à ses retards et absences répétées lors du tournage de ses derniers films. La MGM a annoncé qu’Ava Gardner allait jouer le rôle seulement quelques semaines avant le début du tournage. Mais dans les derniers temps de Judy Garland à la MGM, le fait qu’on lui propose le rôle de Julie semblait être une vraie chance pour la star. Deux nouvelles chansons ont été ajoutées au rôle de Julie, spécialement pour Judy Garland. Le Queenie’s Ballyhoo a été retravaillé pour donner à la star un numéro up-tempo. Et dans ce projet, Julie chante une chanson d’adieu, juste après la scène du métissage, mais avant qu’elle et Steve ne quittent le bateau. Cela fournissait une autre occasion pour que Judy Garland puisse s’exprimer vocalement avec une chanson pleine d’émotion devant le public du «The Cottom Blossom». Cette volonté d’élargir la partie chantée de Julie pour Judy Garland explique pourquoi John Lee Mahin a placé la scène de révélation de l’identité métisse de Julie dans les coulisses pendant une représentation sur le «Cotton Blossom» plutôt que dans le calme d’une répétition (où tant Ferber qu’Hammerstein avaient imaginé la confrontation avec le shérif).

La Julie de Judy Garland aurait été une créature très différente de celle qu’a jouée Ava Gardner, même avec les mêmes textes. Le changement des descriptions du personnage marque ce changement: John Lee Mahin décrit Julie comme «douce et chaleureuse» en 1949 alors que la Julie d’Ava Gardner est qualifiée en 1951 de «belle et menaçante». Mais la différence essentielle est bien ailleurs: le niveau de chant des deux actrices. Judy Garland aurait incarné une Julie comme une femme avec une voix. Elle aurait ému et touché le public d’abord et avant tout en déversant son cœur dans ses chansons. Ava Gardner, elle, n’était pas une star de la musique, et chaque fois qu’elle avait chanté dans ses films précédents, sa voix avait toujours été doublée. Elle n’avait aucune identité vocale. Mais elle avait un magnifique visage et une sublime silhouette, ce qui suscitait une réaction irrationnelle du public d’une manière presque alchimique. Les critiques sensibles à ses charmes la trouvaient d’une «beauté saisissante» et «visuellement très excitante». Ava Gardner n’était pas une star de cinéma qui faisait des choses, comme chanter ou danser, ce que Judy Garland, elle, a fait avec un engagement presque désespéré. Non, Ava Gardner était avant tout une image à l’écran et le public était satisfait de pouvoir la regarder, de passer un peu de temps en sa présence.

Cet aspect magique du personnage de Ava Gardner, partagé par toutes les beautés d’Hollywood, peut être symbolisé par sa «performance» en tant que danseuse de night-club au début de The Barefoot Contessa (1954), le très beau film de Joseph L. Mankiewicz. Ava Gardner n’apparaît jamais à l’écran pendant son numéro de danse. Au lieu de cela, Mankiewicz filme les visages du public — hommes, femmes, jeunes, vieux — offrant une variété de réponses extrêmes à cette danseuse qui reste obstinément en dehors du cadre et qui deviendra une star de Hollywood grâce au magnétisme qu’elle possède déjà dans ce night-club à Madrid. Ava Gardner a enrobé de ce magnétisme magique le rôle de Julie qui avait été écrit pour Judy Garland. Les deux chansons ajoutées pour Judy Garland n’étaient plus nécessaires et ont été supprimées. Il était devenu suffisant d’admirer Ava Gardner en costumes d’époque, de se délecter de sa présence en Technicolor, et de la voir chanter (même avec la voix d’une autre) les deux chansons mémorables qu’Helen Morgan avait rendues célèbres. Bien sûr, Ava Gardner aurait aimé les chanter, ces deux magnifiques chansons. Elle les a d’ailleurs enregistrées, mais, malgré un résultat très honorable, la production préfère la faire doubler par Annette Warren (pour des raisons légales, c’est néanmoins l’actrice qui chante sur le disque de la bande originale). Ava Gardner a lourdement insisté pour chanter elle-même, mais la MGM lui a répondu sans ambages: «Écoutez, Ava, vous ne savez pas chanter et vous êtes au milieu de chanteurs professionnels

L’accent mis par le scénariste John Lee Mahin sur Julie a impliqué une modification radicale de l’utilisation de Ol' Man River, liant la chanson à Julie plutôt que d’être, comme jusqu’alors, l’expression de Joe de la situation historique des Afro-Américains. Les musiques qui vont précéder la première interprétation de Ol' Man River rendent ce lien à Julie explicite. Le thème de Mis’ry est entendu pour la première fois dans le film lorsque Steve et Julie quittent le bateau. Cette mélodie obsédante est chantée par des voix «blanches» hollywoodiennes totalement stéréotypées – alors que l’on vient d’apprendre que Julie n’est pas … blanche. On passe alors par quelques mesures de Can’t Help Lovin' Dat Man qui introduisent Ol' Man River chantée par William Warfield, qui joue Joe. C’est la seule version de Show Boat () à faire un lien entre ces trois mélodies. Avant le début de la chanson, Julie et Steve croisent Joe en bas de la plateforme du bateau, où Julie, selon les mots de John Lee Mahin: «Elle fait face à Joe comme une négresse pour la première fois

Julie (avec une gaité forcée): Eh bien, prends soin de la rivière, Joe!
Joe se penche sur sa main, la prenant avec beaucoup de respect dans ses deux mains.
Joe (brisé): Miss Julie... oh, Miss Julie...
Julie: Continue à prendre soin de la rivière, Joe, garçon ...
Elle caresse les cheveux de Joe et s’en va. Joe regarde sa charrette s’éloigner.


Julie
s’adresse à Joe avec le diminutif «garçon» («boy» en anglais), une expression typique du langage des Sudistes blancs envers les hommes noirs. Il est fort peu probable qu’une femme dont on vient de découvrir qu’elle n’est pas blanche s’adresse ainsi à un noir, fût-ce par habitude! Surtout si elle estime cette personne. On enchaîne avec Ol' Man River, ponctuée visuellement par des images de Joe, du «Cotton Blossom» flottant le long de la rivière dans le brouillard, et de Julie et Steve s’éloignant dans leur charrette à cheval le long de la rive. Tout cela était tourné en extérieur, avec une réelle beauté visuelle liée au brouillard, mais faisant de la séquence une véritable prouesse technique pour l'époque. Le tournage de la séquence a pris plusieurs jours supplémentaires en raison de problèmes météorologiques et de difficultés à contrôler le brouillard.

Le contrepoint entre le monde du bateau – un royaume respectable où règne une sérénité interraciale, dans la mesure où la plupart des Noirs restent silencieux – et le monde sur la rive, où ceux comme Julie sont voués à vivre, se répète à la fin du film. Ici aussi on est à des lieues de la fin écrite en 1927 par Kern et Hammerstein. Dans le Show Boat () de la MGM, Joe reprend Ol' Man River tandis que Julie regarde depuis la digue, avec envie, mais avec joie, le «Cotton Blossom» appareiller avec Magnolia et Ravenal, enfin réunis, qui s’embrassent au soleil couchant. Les choix de John Lee Mahin quant à l’utilisation de Ol' Man River, liant clairement la chanson au «Cotton Blossom», un royaume idéalisé, et à Julie, un personnage sympathique destiné à la vie à terre. Mais surtout, cela efface toute connotation dénonciatrice de la ségrégation raciale, présente jusqu’alors dans l’utilisation de la chanson de Hammerstein dans toutes les versions scéniques et à l’écran: Ol' Man River existait d’elle-même – ce qui lui donnait une force incomparable en ne la reliant à rien d’autre. La réaction historique du public face à ce personnage noir charismatique, menant un groupe d’autres noirs élevant la voix, en est une preuve éclatante. Les reprises subséquentes marquaient le passage du temps ou des moments particuliers, comme Magnolia et le premier baiser de Ravenal, et n’étaient pas liées à Julie. Rappelons que déjà dans la partie consacrée à Show Boat dans le Till the Clouds Roll By () de la MGM (1946), on terminait par une version de Ol' Man River centrée sur une star: Frank Sinatra, l’amant actuel d’Ava Gardner. Le monde est petit.

Tous ces changements ont permis de garder la star Ava Gardner à l’écran jusqu’à la dernière seconde, alors que dans toutes les productions scéniques ainsi que dans la version cinématographique de 1936, Julie disparaît complètement de l'histoire après avoir entendu l'audition de Magnolia à la discothèque Trocadero de Chicago. La fin où Ava Gardner envoie un baiser au bateau s’éloignant fait aujourd’hui sourire, si pas rire. À l’époque cela a surtout fait pleurnicher.

  Revenal  Dans la plus étrange des campagnes de publicité, le Show Boat () de la MGM a diffusé des photos en costume d’Ava Gardner dans les bras de Howard Keel, le baryton romantique résident de la MGM. Sur cette photo, on avait donc Julie dans les bras de Ravenal! Cela ne retranscrit en rien la nature de l’histoire, une preuve supplémentaire que la MGM a conçu Show Boat () comme un véhicule pour ses stars. Ces photos ont induit à tort l’existence d’une «aventure romantique» entre Julie et Ravenal, mais ce n’est pas ce que Mahin a imaginé en changeant totalement le rapport entre Julie et Ravenal. Il a assigné une nouvelle mission à Julie, à nouveau sans précédent dans les autres versions: ce sera qui ramènera Ravenal à Magnolia. Ayant abandonné sa femme enceinte – il n’est pas au courant qu’elle porte leur enfant – Ravenal sombre dans le jeu. Cinq ans après leur séparation – Kim est donc encore toute jeune et grandit dans le bonheur familial du «Cotton Blossom» – Ravenal passe une soirée sur un bateau-casino où, par hasard, travaille Julie. Elle est devenue une femme à louer qui a sombré dans l’alcool. En pleine ébriété, Julie chante Can’t Help Lovin' Dat Man, attirant l’attention de Ravenal. En fait, dans le film, Gardner joue quelques notes sur le piano, c’est tout ce qui reste de ce qui aurait pu être une reprise émotionnelle de Can’t Help Lovin' Dat Man si Gardner en avait été capable. Quoi qu’il en soit, lorsqu’elle est agressée par un de ses clients, Ravenal la défend en assommant l’homme impatient. Après avoir découvert qui est cet homme qui l’a sauvée, Julie s’approche de lui et lui confie son émotion: elle lui explique combien son amie Magnolia, l’épouse de Ravenal, lui manque. Elle lui révèle aussi par inadvertance qu’il a une fille de cinq ans. Ravenal apprenant qu’il a un enfant, décide de rejoindre Magnolia et d’assumer d’être «père de famille», renonçant au jeu. Ici encore, le rôle de Julie est essentiel pour réunir la famille Ravenal.

John Lee Mahin a beaucoup investi dans le rôle de Ravenal, scénarisant une longue séquence, s’inspirant ici du roman de Ferber, pour illustrer son mariage avec Magnolia à Chicago. Leur ascension grâce au jeu suivie de leur chute à cause du jeu, est à son paroxysme quand Magnolia finit par perdre patience avec la dépendance de Ravenal et lui crie: «Tu es un homme faible! Tu es faible! Tu es faible! Tu es faible!», ajoutant, pour faire bonne mesure: «Tiens tes mains loin de moi! Enlève-les, Gay Ravenal, avant que je ne te haïsse!» La dernière phrase a été coupée au montage. Howard Keel (Ravenal) se souvient être sorti de la première projection dégoûté que la production et Kathryn Grayson (Magnolia) – qui ne voulait pas dire cette réplique qui sera finalement coupée – avaient fait de «Ravenal un être plutôt faible». Après cette scène de réprimande de Ravenal, la scène suivante est celle où Ellie et Frank, à la recherche d’une chambre à louer, visitent, sans le savoir, celle de Magnolia. Il s’agit d’une scène de retrouvailles où Ellie et Frank parlent à Magnolia de travail au Trocadero, mais aussi où elle trouve la lettre d’adieu de Ravenal. Ensuite, les scènes du Trocadéro se déroulent comme d’habitude, elle retrouve bien son père lors du réveillon, mais contrairement aux versions précédentes, le succès de Magnolia chantant After the Ball ne débouche pas sur une carrière réussie – qui entrainait d’habitude celle de Kim à Broadway. Non, au lieu de cela, elle décide de retourner avec son père sur le «Cotton Blossom», lui avouant qu’elle est enceinte. Comme une bonne épouse d’après-guerre, la Magnolia de la MGM retourne à la maison pour élever son enfant. Il est difficile d’imaginer une héroïne plus en désaccord avec les intentions de Ferber dans son roman original.

  Des personnages … lissés  Presque toutes les scènes comiques du spectacle, conservées dans la version cinéma de 1936, ont été retirées du film de 1951, car elles ne faisaient pas progresser l’intrigue. Selon «The Great Movies» de William Bayer, le producteur Arthur Freed a voulu que l’on supprime tout ce qui ne faisait pas avancer le scénario. Cette taille a laissé Joe E. Brown (Cap’n Andy) et Agnes Moorehead (Parthy) avec beaucoup moins de scènes à jouer et a transformé les personnages de Frank et Ellie (Gower et Marge Champion) en un simple duo de chanteurs-danseurs relativement sérieux plutôt que d’un duo comique qui fait tout pour danser. Frank et Ellie ne sont plus des danseurs au «talent limité», comme dans le spectacle, mais Freed les a transformé en un couple plutôt débonnaire, sophistiqué et extrêmement talentueux dans le style de Fred Astaire et Ginger Rogers.

Le rôle du pilote du bateau, Windy McClain, a été réduit à seulement trois lignes parlées dans le film. En effet dans le Show Boat de la MGM, c’est Magnolia, pas Windy, qui défend Julie et son mari Steve quand le shérif arrive pour les arrêter.

Le rôle du shérif Ike Vallon (joué par Regis Toomey), déjà petit, est encore plus réduit. Dans le film de 1951, il n’apparaît que dans la séquence de métissage, tandis que dans la production scénique originale, et surtout dans le film de 1936, il apparaît plusieurs fois: il est dans la foule au début quand Cap’n Andy présente sa troupe d’acteurs, il escorte Ravenal chez le juge de la ville, on le voit se détendre à l’intérieur d’un saloon où on l’informe que Julie est métisse, il apparaît bien sûr lors de la scène de métissage quand il tente d’arrêter Julie et Steve, et il apparaît à nouveau quand Parthy tente d’empêcher le mariage de sa fille Magnolia à Ravenal.

  Hollywood  Une des caractéristiques du film de 1951 est d’être extrêmement brillant, effaçant virtuellement toute pauvreté trop visible. L’opposé du film de 1936. À part quelques très rares plans filmés dans les lieux réels – principalement les plans filmant les citadins réagissant à l’arrivée du bateau spectacle – le film oublie toute recherche d’authenticité. L’arrivée du bateau a été réalisée en mélangeant des images de la foule filmée sur les vraies rives du Mississippi et des plans du bateau en backlot (un backlot est une zone adjacente d’un studio de cinéma, qui présente des décors extérieurs permanents, pour le tournage de film). Comme nous l’avons déjà mentionné, les Show Boats n’étaient pas des bateaux à aube (comme dans le film), mais des barges qui étaient poussées par des remorqueurs ().

  Réception  Les critiques contemporaines ont été positives. Bosley Crowther du New York Times a écrit une critique élogieuse, qualifiant le film de «si magnifique à bien des égards» qu’il mettait la version de 1936 «à l’ombre», car aucune version à l’écran de la comédie musicale n’avait jamais été présentée «avec une telle splendeur visuelle et une telle richesse musicale que dans cette brillante recréation du spectacle».

Variety écrit que le film «passe au Technicolor avec une telle réussite qu’il fait croire qu’aucun autre traitement n’aurait été possible

Le Harrison’s Reports l’a qualifié d’«excellent... Il a déjà été filmé deux fois, mais la photographie couleur rend cette version de loin supérieure

Richard L. Coe du Washington Post a écrit: «Les anciens fans de 'Show Boat' vont terriblement admirer cette version et de nouveaux spectateurs seront conquis, gagnés par ce qui est l’un des plus satisfaisants de nos musicals

John McCarten du New Yorker écrit que «cela fera une bonne soirée d’été», mais pensait que seul William Warfield (Joe) était du niveau des acteurs des versions précédentes alors que ceux du film de 1951 étaient «acceptables, mais à peine louables

Le Monthly Film Bulletin écrit: «Bien que les numéros musicaux conservent leur attrait original, ils sont, dans la plupart des cas, exécutés sans beaucoup d’imagination ni de charme. Kathryn Grayson fait d’une Magnolia indifférente, Ava Gardner une Julie perplexe et, parfois, ridiculement exagérément empathique. Seul Howard Keel (Ravenal) parmi les principaux acteurs suggère le charme insouciant nécessaire pour le rôle

Les historiens du cinéma et les critiques actuels sont nettement moins enthousiastes…

Le film a été un succès commercial. Lors de sa sortie, il a gagné 5.293.000 $ aux États-Unis et au Canada et 2.328.000 $ dans le reste du monde, ce qui a entraîné un bénéfice de 2.337.000$.