4.
1866 - «The Black Crook», première création américaine

 5.5.
Victor Herbert

 5.6.D.
1910-1919 - L'Empereur de Broadway

 5.6.F.
1920-1930: le déclin et la chute

 5.7.
Irving Berlin (1)

 6.
1927 - «Show Boat»

E) 1919: «The Royal Vagabond» et la grève de l'Actors' Equity

E.1) «The Royal Vagabond» - Phase 1

The Royal Vagabond () (1919 - 348 représentations) a donné à Cohan une grande satisfaction personnelle parce qu’il lui a finalement permis une «petite vengeance» envers Isidore Witmark qui avait publié en 1893 la première chanson de Cohan, Why Did Nellie Leave Her Home?. Lorsque Witmark avait publié la chanson, il avait oublié de dire au jeune Cohan qu’il avait fait réécrire complètement les paroles de la chanson. Mais en 1919, le rapport de force s'était inversé: quand Witmark est venu voir Cohan pour lui demander son avis sur le nouveau spectacle qu’il allait produire, il s'est retrouvé face à l'Empereur de Broadway. Cohan a réécrit l’ensemble de la pièce: son titre original était Cherry Blossoms et Cohan le considérait comme l’une des pires opérettes qu’il ait jamais lu. Cohan a rapidement transformé la pièce en une satire sur l’engouement pour l’opérette qui avait été populaire depuis Victor Herbert et La veuve Merry. N'oublions pas que Witmark fut l'un des plus puissants gestionnaires de droits musicaux avant de s'associer avec Arthur Tams pour fonder la Tams-Witmark.

« J’ai remanié la partition, inséré une demi-douzaine de nouveaux numéros, réécrit le livret, tordu l’histoire à l’envers. Je me suis moqué du projet original, j'ai transformé l’opérette en un spectacle musical jazzy et l'ai rebaptisé «The Royal Vagabond». Et puis je l’ai produit au Cohan & Harris Theatre. Ce fut un succès retentissant et tout le monde était satisfait. Il m’a fallu 25 ans pour me venger des Witmarks, et c’est ainsi que j’ai procédé. »

George M. Cohan


Mais en fait, les choses se sont encore déroulées de manière plus subtile. Après que The Royal Vagabond () soit entré en répétitions depuis quelques jours, le librettiste initital, William Cary Duncan a encore rappelé Cohan car il était totalement perdu. Puisqu'àn l'appelait à l'aide, Cohan est venu pour travailler mais en rélaité il avait déjà le script depuis quelques semaines et avait déjà préparé ses propres notes pour révision, mais la troupe ne le savait pas. Il a demandé de voir le premier acte, puis a envoyé la troupe se reposer une heure. Sans le dire, Cohan aussi se détendait puisqu'il avait tout préparé de longue date. Puis la troupe est revenue. Et là il a fait croire qu'il venait de trouver toutes les solutions pour le premier acte. Aves ses propositions et nouvelles chansons, il a émerveillé la troupe. Il a fait la même chose pour chacun des deux autres actes. La troupe en a conclu qu'ils étaient face au plus grand génie depuis Shakespeare. Alors que...

Il n’était pas inhabituel pour George M. Cohan de jouer un rôle dans l’un de ses spectacles, mais les circonstances dans lesquelles il a été amené à reprendre un rôle dansThe Royal Vagabond () furent très difficiles pour lui... Peu après la fin de la guerre, les acteurs professionnels américains se sont mis en grève, exigeant que les producteurs reconnaissent leur nouveau syndicat, l'Actors' Equity. Cohan avait une double (au moins) casquette: actuer et producteur. À la surprise de beaucoup, l’acteur-producteur Cohan s'est positionné du côté des producteurs. Il considérait le fait d’être acteur comme une vraie profession, et donc au-dessus de la syndicalisation. En tant que producteur, il avait toujours traité les acteurs équitablement mais avait oublié que la vie de nombreux acteurs était très difficile.

Cohan a proclamé publiquement que si le syndicat gagnait, il quitterait le monde du théâtre et deviendrait un revendeur d'ascenseur. Eddie Cantor, un ami de longue date, l'un des dirigeants de l’Actors' Equity, a souligné que pour devenir un revendeur d'ascenseur, Cohan devrait adhérer à un syndicat. Beaucoup d'acteurs ont considéré le comportement de Cohan comme une vraie trahison. Le fils de Ned Harrigan, William, un acteur de longue date, lui a envoyé un télégramme:

« Nos deux pères morts étaient de grands hommes. Le mien dort paisiblement dans sa tombe. Je parie que votre père s'est retourné dans la sienne à cause de votre jugement des acteurs. »

William Harrigan


Cohan a formé un groupe alternatif, l'Actor's Fidelity League. Les membres de l'Actors’ Equity l'appelaient «Fido», comme un chien prêt obéir à son maître. Une guerre pour obtenir la sympathie du public a été menée dans la presse. La situation s'est aggravée lorsque la direction de l'Actors’ Equity a été menacée d'être mise sur une liste noire permanente et que la maison de Cohan à Great Neck a été la cible de coups de feu. On ne rigolait pas. Mais c'est grève était bien plus qu'une simple grève, elle était le résultat d'un profond et ancien malaise.

E.2) Conditions sociales des acteurs

Dans les années qui ont précédé la grève, les interprètes étaient devenus des «objets» du monde théâtral, obligés de participer à des semaines de répétition sans salaire (jusqu’à 10 semaines pour une pièce, 18 semaines pour un musical). Et rappelons qu'à l'époque, il n'y a pas d'allocations de chômage. Au cours de certaines semaines de l’année, y compris les vacances de Noël et du Nouvel An, la semaine Sainte et la semaine électorale, les acteurs n'étaient payés que la moitié de leur salaire. Presque tous les acteurs devaient acheter leurs propres costumes, et à l’époque où les drames costumés étaient rois, cela pouvait être une dépense écrasante. Les factures d’hôtel étaient aussi à la charge de l’artiste lors des tournées...

Les dures conditions de travail d’un acteur se trouvent écrites noir sur blanc dans son contrat. On trouve par exemple dans un contrat de 1903 la clause suivante: «Le contrat peut être résilié par l'employeur immédiatement ou autrement en cas de mauvaises affaires ou pour toute autre cause nécessitant, de l’avis de cet employeur, l’abandon de la pièce ou de la tournée ou la dissolution de l’entreprise. »

Un autre contrat notoire offrait une page dense, avec de lourdes clauses avec une ligne en bas pour la signature de l’acteur. À moins que les signataires ne retournent la page, ils ne remarquaient pas les 25 autres clauses figurant dans le contrat. Parmi celles-ci, il y avait des amendes de 5$ pour des choses comme: mauvais comportement, parler fort, être en retard à la répétition, boire de l’alcool - ou même rire - dans la loge, manquer de respect envers le metteur en scène et «traîner» dans le foyer; la confiscation d’une semaine de salaire pour avoir été vu ivre dans un bar ou avoir manqué une représentation; une amende de 2$ pour avoir parlé dans les coulisses; et une amende de 1$ pour avoir proféré des injures. L’accusation vague de «conduite indigne de Ladies ou de Gentlemen» pouvait entraîner la confiscation du salaire pour l’ensemble de l’engagement.

Les directeurs n’étaient pas des puritains qui cherchaient à faire respecter un code de conduite strict. Non, leurs motifs étaient bien souvent entièrement financiers. Après tout, en 1913, le théâtre était la quatrième plus grande industrie du pays. Les acteurs étaient le seul élément variable du bilan d’un producteur, et certains producteurs peu scrupuleux ont profité pleinement de leur vulnérabilité.

Ça n’a pas toujours été comme ça. Jusqu’à la fin des années 1800, le théâtre était dominé par des comédiens/managers, des interprètes qui assemblaient des troupes autour de leurs propres talents et faisaient des tournées nationales. Le Cohan des débuts n'est pas très loin de cette image-là, avec les «Four Cohan» de l'époque Vaudeville. La fortune des gérants de troupe s’élevait et diminuait alors avec celle de leurs camarades de troupe, mais dans les années qui suivirent la guerre de Sécession, le «Show Business» apparu, portant très bien son nom. Les tournées furent plus «organisées». Des bureaux spécialisés dans la réservation de places ont été créés.

E.3) Le Theatrical Syndicate puis les Shubert

De cette ère fertile de changement est sorti en 1896 une organisation féroce appelée le Theatrical Syndicate, composée de six managers de théâtre ou d'agences de réservation: Charles Frohman, Alf Hayman, A. L. Erlanger, Marc Klaw, Samuel F. Nirdlinger. Ils possédaient à eux six, 37 théâtres de première classe, et bientôt presque toutes les grands théâtres en Amérique. L’alliance constitua un puissant monopole, avec six hommes qui décidèrent quelles pièces allaient être jouées où et quel pourcentage du box-office serait le leur; ils dictèrent même des changements dans les scripts.

Comme nous en avons déjà parlé (), il a fallu un trio de frères de Syracuse nommé Shubert pour tordre le cou au Theatrical Syndicate. À partir de 1900, les nouveaux concurrents commencent à prendre le contrôle de certains théâtres et à construire une chaîne de théâtres à l’échelle nationale. Mais pour les acteurs, les Shuberts peuvent avoir été pire que leurs prédécesseurs, car ils n’ont rien fait pour réformer les conditions de travail et ont souvent allongé les périodes de répétition non rémunérées à pas moins de 12 semaines. Pointant du doigt le bureau de Lee Shubert, en haut du Shubert Theatre, le producteur Morris Gest a dit un jour: «Tous les syndicats du théâtre ont été créés à cause de cet homme.»

E.4) 1913 - Naissance de l'Actors' Equity

Le 13 janvier 1913, quelques acteurs décidèrent d'essayer de faire bouger les choses, voulant «corriger ou atténuer les abus qui se sont glissés sur la profession» et imaginer «une forme standard de contrat qui serait aussi acceptable pour le gestionnaire impartial que pour l’acteur impartial.» William Courtleigh, un acteur né au Canada et qui n’a joué aucun autre rôle important dans la création de l'Actors' Equity, mérite une place dans l'histoire pour avoir proposé le nom «Equity». Le 19 juin, l'Actors' Equity a rencontré le Twelfth Night Club pour inviter des femmes à s’y joindre. Mme Thomas Whiffen, 68 ans, a été élue première femme membre.

Le syndicat a été officiellement fondé le 26 mai par 112 acteurs réunis au Pabst Grand Circle Hotel et l’acteur Francis Wilson a été choisi comme premier président. C’était un choix audacieux, peut-être le dernier homme sur terre que les Shuberts et le Theatrical Syndicate auraient souhaité voir élu comme porte-parole des acteurs américains, car il était déjà entré en conflit avec les producteurs et était sorti gagnant, remportant une somme de $50,000. Un symbole.

Dans un premier temps, les producteurs n’ont fait qu’accorder une attention polie à l'Actors' Equity. Rien ne les y obligeait. Même si Equity comptait près d’un millier de membres, c’était encore un groupe très petit, et donc fort peu musclé - pas le genre de muscle que pouvait faire voir la gigantesque American Federation of Labor avec ses 4 millions de membres dirigés par Samuel Gompers, le plus puissant chef ouvrier américain de son temps.

Il y avait toutefois un obstacle pour que l'Actors' Equity adhère à l’American Federation of Labor (AFL) car l’AFL n’admettait en ses rangs qu'une association par profession, et le White Rats Actors’ Union y fugarait pour les artistes-interprètes. L’AFL a sympathisé avec Equity, séduit par la qualité et le sérieux de leurs revendications. Ils auraient aimé que l'Actors' Equity adhère à l’American Federation of Labormais le White Rats Actors’ Union (très vaudevillien) ne voulut pas bouger.

Cette appréciation d’Equity à l’AFL, vu la puissance de l'APL, a alarmé la United Managers’ Protective Association (UMPA), une organisation alors bien en vue composée de propriétaires de théâtre, de gestionnaires et de bookers. Mais l'inquiétude est aussi venue du nombre sans cesse croissant de membres de l'Actors' Equity: 2.500. En 1917, l’UMPA s'est dite prête à engager un dialogue. Tout à coup, les choses sont allé très vite. Un contrat standard a été approuvé par les producteurs le 10 août 1917 et, deux mois plus tard, il a été adopté.

Pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, l’acteur américain siganit un contrat de travail standard. Les progrès étaient très importants. Après quatre semaines de répétition dans une pièce de théâtre ou six semaines dans un musical, un acteur syndiqué s’est vu garantir deux semaines de travail payé. Ce n'est que deux semaines payées sur quatre ou sur six, mais c'est déjà pas si mal. En outre, les directeurs paieraient pour les costumes des actrices gagnant moins de $150 par semaine et pour le transport. La semaine de travail se limitant à huit spectacles a été établie dans la plupart des cas. Mais le plus important de tous est que l'UMPA a promis de régler les différends par l’arbitrage.

Mais quelque chose n’allait pas. Avant Noël, Equity remarqua que les Shuberts et certains autres producteurs n’utilisaient pas le contrat qu’ils avaient accepté des semaines auparavant. Equity s’est donc tourné vers ses membres, leur demandant de signer un engagement leur disant qu’ils refuseraient de travailler en dehors du contrat UMPA-AEA; ceux qui ne le feraient pas risqueraient l’expulsion d'Equity.

E.5) Jusqu'au-boutisme et règlements de compte

En mars 1919, les membres d’Equity représentaient près de 50% des acteurs de théâtre légitimes, et en tous cas presque tous les meilleurs et les plus connus. Des discussions étaient en cours au sein d'Equity afin de créer une sorte de circuit fermé, obligeant les employeurs à n'engager que des membres d'Equity.

Comme on pouvait s’y attendre, les producteurs ont convoqué une réunion avec les dirigeants d'Equity à l’hôtel Claridge le 2 mai 1919. La réunion s’est mal terminée. Lorsque le producteur Winthrop Ames s’est levé pour proposer des révisions au contrat, Francis Wilson, le président d'Equity s’est levé et a déclaré: « Il y a cinq ans, nous sommes venus vous voir avec nos chapeaux entre les mains. Eh bien, c’est différent maintenant ! »

De l’autre côté de la salle est venu le bruit de cristal éclaté. David Belasco avait écrasé de son poing un verre à vin. Sa main saignait. Tremblant de colère, il a juré de prendre sa retraite pour de bon avant d’accepter Equity. Beaucoup de producteurs n’appréciaient pas le récalcitrant et obstiné Francis Wilson, se souvenant des problèmes que l’acteur comique leur avait causés, mais David Belasco le détestait. « Lorsque Belasco a prononcé le nom de Wilson, a déclaré un autre producteur, il est sorti comme deux longs sifflements de sa bouche: " Franssssssssisssssss Wilssssssssson." ».

Ce sifflement flottait maintenant dans la salle à manger. « Ce que Belasco a dit après cela, personne ne le sait », a écrit le producteur Arthur Hopkins. « Nous avions plongé en enfer. Deux vieux messieurs en colère, entretenant une vieille rancune, avaient ruiné nos plans. » Le 23 mai, la Producing Managers’ Association s’est réunie et a décidé de rompre les relations avec Equity et d’embaucher un avocat.

E.6) Affrontement

Après quelques manœuvres, le White Rats Actors’ Union a finalement cédé, et le puissant American Federation of Labor a publié une nouvelle charte internationale pour couvrir l’ensemble des métiers du divertissement, englobant un certain nombre de syndicats existants, dont Equity. Le 18 juillet 1919, les Four A’s (Associated Actors and Artistes of America) ont vu le jour. Les actions que les artistes allaient mener avaient maintenant du muscle.

Equity a présenté à la Producing Managers’ Association une proposition de contrat standard comportant sept obligations :

  1. Transport à destination et en provenance de New York pendant la tournée
  2. Une limite au temps de répétition libre
  3. Protection contre le licenciement sans rémunération pour les acteurs qui ont répété plus d’une semaine
  4. Préavis de deux semaines
  5. Rémunération des prestations supplémentaires
  6. Rémunération complète pour toutes les semaines de rendement
  7. Certains remboursements pour les costumes de femmes.

Les producteurs se sont réunis le 6 août et ont rejeté les offres d’Equity. Le 7 août, plusieurs centaines de comédiens se sont rassemblés à l’hôtel Astor, situé sur Broadway, entre la 44e et la 45e rue, à quelques pas du The Lambs Club (une association d'acteurs - la plus ancienne aux Etats-Unis - dont faisait partie Cohan). Frank Gillmore, un Shakespearien modéré et leader de Londres, fut nommé commandant en chef d’Equity pour la guerre à venir. Ce soir-là, les acteurs déclarèrent la guerre à la Producing Managers’ Association, à l'unanimité. La résolution était très claire:

« Jusqu’à ce qu’un accord satisfaisant soit conclu concernant les conditions de travail de l’acteur, nous n’offrirons aucun service à un gestionnaire qui est membre de la Producing Managers’ Association, ou qui a refusé de reconnaître notre Association, ou d’utiliser ses contrats. »

Equity


Le débrayage a été amorcé par Ed Wynn, membre du The Lambs Club, un comédien-vedette de Shubert Gaieties of 1919 () (1919 - 87 représentations) au 44th Street Theatre. Le casting de 83 artistes a refusé de jouer et a entraîné 12 autres spectacles avec eux. C’était le début de la plus grande grève de l’histoire du show-business. De longues files de gens demandant des remboursements se sont formées aux guichets des théâtres qui ont vite été à court d’argent. Les cinémas à proximité ont bien fonctionné cette nuit-là. Les jours suivan-ts, la grève a progressé et 37 autres spectacles ont fermé et 16 ont été empêchés d’ouvrir cette saison. La grève a paralysé Broadway et a eu des répercussions partout aux États-Unis.

Mentionnons aussi l’acteur vétéran Edward Hugh Sothern, qui était aussi metteur en scène, producteur et auteur, qui était au cœur de l’événement. Il avait rejoint The Lambs Club en 1891 et fut un des premiers membres de Equity. Il a essayé, mais n’a pas réussi, à négocier la paix entre les acteurs et les producteurs. Sothern organisa une réunion de avant-grève avec les producteurs et les acteurs à l’ancien théâtre de la 40th rue, mais les pourparlers ont totalement échoué. Lorsque la grève a été déclenchée, il a quitté Equity en signe de protestation. Le premier acteur arrêté était un Lamb, Richard Gordon. La police l’a interpelé devant le Winter Garden lorsqu’il aurait tenté d’empêcher les spectateurs d’entrer. Pendant ce temps, sur la 45e rue Ouest, des centaines d’acteurs ont bloqué la circulation à l’extérieur des bureaux de l’Equity. Ce fut de même pendant tous les jours de cette longue grêve.

La grève a été un vrai dilemme pour bon nombre de stars de la scène. En effet, de par le statut de star, ils avaient des contrats qui comprenaient tous les avantages que les autres artistes, plus modestes, revendiquaient: ils pouvaient basculer dans un camps ou dans l’autre, selon leur conscience, leurs opinions politiques ou leur sens de la justice. La plupart des acteurs qui avaient une double casquette, c'est-à-dire qui étaient aussi producteurs, ont quitté le syndicat, et d’autres - comme Alfred Lunt, qui était alors au bord de la célébrité - ont hésité, mais sont finalement restés du côté du syndicat.

Le soutien des Barrymore, la plus célèbre famille théâtrale de l’Amérique, fut crucial pour les deux camps. Ethel est partie rendre visite à son cousin Georgie Drew Mendum sur la 44th rue quand sa voiture a été arrêtée par une foule de gens. Elle a dû sortir et marcher, mais elle n’avait aucune idée de ce qui provoquait ce tollé. « C’est la grève », a déclaré Georgie. Ethel n’avait pas lu les journaux. « La grève? » a-t-elle demandé, « Pourquoi? ». Georgie a exposé les faits de la situation. Ethel Barrymore n’avait rien contre ses producteurs, Frohman et Hayman, des hommes du syndicat qui avaient causé tant de misère à tant de gens mais qui avaient fait d’elle la reine de l’Empire Theatre. Pourtant, elle était actrice. « Je devrais devenir membre d'Equity », a conclu Ethel, oubliant qu’elle en était déjà membre à vie.

Georgie a exhorté sa cousine à se rendre immédiatement au siège social d’Equity, sachant l’effet d’une telle visite. Un cri s’éleva de la foule lorsque Ethel Barrymore fut repérée à l’extérieur du bâtiment d’Equity. Elle a été portée en haut des escaliers et hissée sur une table. Les choristeq embrassaient ses mains et l’ourlet de sa robe. Plus tard, Ethel Barrymore a écrit que la scène lui rappelait la Révolution française. « Je suis avec vous, quoi qu'il arrive », a dit l’actrice déconcertée.

Le producteur Alf Hayman (l'un des fondateurs du Theatrical Syndicate en 1896) était furieux contre Ethel. Il l’a avertie qu’il faisait venir Mme Patrick Campbell de Londres pour jouer Lady Helen Haddon dans la prochaine production de Déclassée, un rôle prévu pour Barrymore. « Je suis sûr qu’elle sera très bien », a simplement répondu Ethel.

Les frères d’Ethel, Lionel et John, suivirent son exemple et offrirent leur solidarité. Leur oncle débonnaire, magnifiquement moustachu, John Drew, fit de même. James O’Neill a lui aussi donné son soutien à l’Equity.

Un acteur s’est solidement opposé à Equity: George M. Cohan. Peu d’hommes étaient aussi célèbres que lui à l'époque car il était un véritable phénomène: star, écrivain, réalisateur et producteur de la plupart de ses spectacles. Rappelons que sa chanson Over There était devenu l’hymne de la Première Guerre mondiale. C’était un géant. Pourtant, la grève avait mis fin à son succès du moment: The Royal Vagabond (). Son refus de se joindre à la lutte est devenu instantanément tristement célèbre: « Avant de faire des affaires avec l’Actors’ Equity Association, je perdrai chaque dollar que j’ai, même si je dois être liftier (personne affectée à la gestion d'un ascenseur) pour gagner ma vie. » Peu de temps après, un panneau est apparu dans Times Square: « Gestionnaire d'ascenceur demandé: George M. Cohan cherche un emploi ». Cohan, en total porte-à-faux de par sa double casquette acteur-producteur, va claquer la porte de The Lambs Club et The Friars. Après quelques jours de fermeture de The Royal Vagabond (), il ira jusqu'à reprendre un des rôles abandonné par un gréviste etl placera des choristes dans les autres rôles principaux. Le show repartit mais cela ne va lui permettra de tenir que quelques jours car lorsque, comme nous allons le voir, les musiciens et techniciens vont aussi partir en grève, il devra fermer The Royal Vagabond ().

La réaction de nombreux producteurs est complexe. George Broadhurst, producteur et écrivain, produisait à l'époque The Crimson Alibi dans le théâtre qui portait son nom, le Broadhurst Theatre, et a déclaré que l'arrêt du spectacle lui semblait injuste puisque 10 des 16 acteurs avaient des contrats d’Equity qui n’incluaient pas la clause habituelle de licenciement de deux semaines. Il était furieux que les acteurs déchirent leurs contrats. E.F. Albee et le Keith Booking Exchange ont essayé de remplacer les comédiens en grève dans les musicals de Broadway par des interprètes de Vaudeville issus de tout le pays. Et bien évidemment, les producteurs ont reçu des centaienes de télégrammes et de lettres d’acteurs de partout désireux d’entrer «par effraction». Certains gestionnaires ont proposé aux grévistes de faire passer la rémunération hebdomadaire de 75 $ à 250 $, mais en vain.

Très vite, cela s'est encore compliqué pour les managers. A partir du 20 août, tous les théâtres de Chicago sont partis en grève. La grève s’étendit rapidement à d’autres grandes villes, dont Boston, Philadelphie, Washington D.C., Providence, St. Louis et Atlantic City; il y eut un succès particulier à Pittsburgh, où la majorité des théâtres restèrent fermés jusqu'à la fin de la grève.

Enfin, les musiciens et les techniciens ont rejoint la grève. Aucun manager ne pouvait plus rien faire. La grève était cette fois totale. On semblait être dans l'impasse. Un seul espoir reste aux producteurs. Ils se disent que les grèvistes, privés de ressources, ne vont pouvoir tenir bien longtemps. Mais ici aussi, les grèvistes vont gagner la partie. Comment? En organisant des galas de charité au profit des grèvistes. Par exemple, une semaine de représentations au Lexington Avenue Opera House est lancée par un grand défilé de Columbus Avenue à Madison Square. W.C. Fields en est le maître cérémonie. Eddie Cantor, Marie Dressler, Ethel et Lionel Barrymore sont parmi les interprètes. À un moment donné, Ed Wynn se lève dans le public. Un juge lui a interdit de monter sur scène, explique-t-il, mais «si j’avais pu monter sur scène, c’est ce que je vous aurais dit...» Il décrit ensuite le conflit en paraphrasant le discours de Marc Antoine de Jules César. Il est accueilli par des applaudissements démesurés.

Fin août, George M. Cohan fonde son groupement alternatif, l'Actor's Fidelity League, mais cela ne débloque en rien la situation.

Le 26 août, Equity se réunit au Lexington Avenue Opera House, où les divertissements syndicaux continuent à être sold-out. Une rumeur circulait disant que le grand chef de la toute puissante American Federation of Labor, Samuel Gompers, venait de débarquer de l’USS George Washington. Pendant la grève, Gompers s'était rendu en Europe pour assister à la Conférence de Paix à Versailles, organisant la fin de la Première Guerre Mondiale. Une délégation des producteurs s'est rendue à l'arrivée du navire pour le rencontrer, espérant influencer le chef syndical, tandis que Francis Wilson et Frank Gillmore (plus hauts repsonsables d'Equity) essayèrent de prolonger leur réunion dans l’espoir qu’il viendrait. Wilson était sur le point de lever la séance lorsqu’un « personnage court, carré et trapu » est entré dans l’auditorium. Gompers a reçu une ovation de trois minutes.

« Quelle que soit l’influence ou le pouvoir que peut avoir la grande American Federation of Labor pour vous aider, soyez assurés que son pouvoir et son influence sont derrière vous jusqu’à la fin de la lutte. (...) L’avenir ne dépend pas des producteurs, mais de vous. Beaucoup de bonnes causes n'ont pas abouti parce que les hommes et les femmes n’ont pas réussi à maintenir l’esprit de la cause… Vous avez incité les producteurs à comprendre votre pouvoir. Ils sont en alerte. Mais ils ont non seulement leur propre cerveau, mais peuvent en acheter à la pelle. Aussi sûr que la vie et la mort, si vous affaiblissez, le traitement que vous avez reçu dans le passé ne sera rien comparé à ce que vous recevrez dans le futur. »

Samuel Gompers, président de l'American Federation of Labor


La participation de Samuel Gompers - qui, de la plupart des points de vue, était devenue inévitable - a jeté le discrédit sur les producteurs. Gompers a pris un train pour Washington D.C., pour rencontrer le conseil exécutif de l’AFL. Peu après, un appel est venu de Washington, ordonnant aux 412 machinistes employés au gigantesque (plus de 5.000 places) Hippodrome Theatre de cesser le travail. Ce théâtre avait pu rester ouvert parce qu'il présentait du Vaudeville, appartenant à la United States Realty Company. Le cast de Happy Days () qui s'y jouait a suivi. Les près de 6.000 spectateurs qui s’attendaient à voir le spectacle ont été refoulés. Ce fut un coup de foudre. L’arrêt a pris tout le monde par surprise.

Le 2 septembre, les producteurs annoncent qu'ils sont prêts à céder à toutes les demandes d'Equity sauf la clause "Equity Shop". Cette clause prévoyait que seul des artistes membres de l'Actors' Equity pourrraient désormais être engagés. Selon le syndicat, le principe n'était pas de restreindre les producteurs dans le choix des artistes, car les acteurs n'avaient qu'à devenir des membres Equity, mais bien de garantir le respect des nouvelles décisions. Cette restriction sera refusée le lendemain par l'Actors' Equity, la clause "Equity Shop" est une condition sine qua non.

Une séance marathon se déroule toute la nuit du 5 au 6 septembre à l’hôtel St. Regis. C’était la première fois que la Producing Managers’ Association s’asseyait en personne avec des membres de l’Actors' Equity pendant toute la grève. À 3h du matin, la grève a été déclarée réglée. Les acteurs ont obtenu un contrat standard et le droit d’avoir les règles de l’Equity comme agent négociateur. C’est Augustus Thomas qui, dans le hall de l’hôtel ce matin-là, entouré d’acteurs, de gestionnaires, de journalistes et du public, à annoncé officiellement la fin de la grève. Francis Wilson, président d’Equity confirme que la grève est terminée. Le producteur Arthur Hopkins confirme que la Producing Managers’ Association accepte les conditions.

La grève avait duré un mois entier, et à la fin, Equity était passé d'un millier de membres à 14.000, et sa trésorerie avait augmenté de 13.500$ à 120.000$. Les pertes pour l’industrie théâtrale ont été estimées à 2 millions de dollars.

Aujourd’hui, Equity compte plus de 51.000 membres, dont des acteurs, des danseurs, des chanteurs et des stage managers. Le contrat standard qu’il a établi il y a un siècle est toujours en place et renforcé par l’assurance maladie et l’aide fiscale.

Cohan ne deviendra jamais membre de l'Equity. Cela aurait du l'empêcher de monter sur les scènes américaines. Mais celui qui fut l'«Empereur de Broadway» a été autorisé à travailler dans des productions professionnelles avec une dispense spéciale de l'Equity, que certains qualifieront de très généreuse. Il sera le seul non-membre à se produire à Broadway. En 1959, lors de la collecte de fonds pour l'érection de la statue de Cohan qui se trouve aujourd'hui sur Duffy Square à Broadway, Equity a fait un modeste don de 100$, le même montant fixe pour toutes ces demandes.

Cette crise a profondément changé l'image de George M. Cohan. Il a été totalement méprisé par ses collègues acteurs. Mais plus important encore, depuis près de quinze ans ils produisait bon nombre de spectacles avec Sam Harris. Ce dernier a signé l'accord avec Equity. The Royal Vagabond () qui avait été interrompu par la grève, repris après elle. Ce ne fut pas leur dernière coproduction. En janvier 1920, il coproduirent encore The Acquittal (), un projet qui vait été mis en chantier avant la grève. Mais ce fut leur dernière collaboration. Ils se réconcilieront en 1937 où ils coproduiront la pièce de George Fulton of Oak Falls () (1937 - 37 représentations). Un flop de 37 représentations. Après le flop en février 1937 de Fulton of Oak Falls (), qui avait marqué après près de 20 ans, la réconciliation de Cohan et Harris, Cohan a décidé de partir tenter sa chance à Londres… C'est à ce moment que Cohan a reçu un appel de Sam Harris pour rester à New York. Sam avait un rôle pour lui dans sa nouvelle production qu’aucun autre acteur ne pouvait faire. Le rôle était celui de Franklin Delano Roosevelt, et la pièce était I'd rather be right () (1937 - 290 représentations). Avec le succès de I'd rather be right () Cohan s’est retrouvé propulsé à nouveau comme roi de Broadway, le faisant participer à de nombreuses réunions sociales et dîners mondains.

Mais revenons à la chronologie biographique de George M. Cohan.