4.
1866 - «The Black Crook», première création américaine

 5.5.
Victor Herbert

 5.6.A.
Les débuts: une vraie famille

 5.6.D.
1910-1919 - Empereur de Broadway

 5.7.
Irving Berlin (1)

 6.
1927 - «Show Boat»

B) 1900-1910 - «Give My Regards to Broadway»

B.1) «The Governor's Son» (1901)

La première année du nouveau siècle est la dernière année où les «Four Cohan» jouent du Vaudeville. A cette époque, ils se trouvaient sur le circuit de Hyde & Behman et touchaient 1.000$ de salaire par semaine (une somme incroyable en 1900). A ce point de leur carrière, George imposait les modalités des contrats - exigeant un important salaire, des engagements d'une certaine durée et des itinéraires de voyage qui convenaient le mieux à leurs besoins. Et puis, il a également exigé de Behman qu’il accepte de produire une version élargie de l’un de ses sketches, qui deviendrait un spectacle à part entière, dans un proche avenir. Behman a accepté.

Ces tournées ont été émaillées de très nombreuses disputes et crises entre George et Ethel (elle n’a jamais reculé face à George). Les choses sont devenues encore plus difficiles pour la famille quand Ethel est tombée enceinte. Le 26 août 1900, Ethel donna naissance à leur fille Georgette.

La famille a terminé son contrat sur le circuit de Hyde & Behman et George s’est maintenant fixé pour objectif premier de transformer son sketch de 1898 The Governor’s Son en un musical entier.

Alors que The Governor's Son () (1901) était sur le point de vivre sa première au Savoy Theatre de Broadway, The White Rats (un syndicat d’acteurs de Vaudeville), a lancé une grève pour dénoncer les conditions inhumaines que les directeurs de Vaudeville faisaient endurer aux artistes. Comme une grande majorité des acteurs du spectacle de George étaient des comédiens de Vaudeville, ses débuts au théâtre étaient sérieusement menacés. Dans cette situation, le producteur Behman a également exigé que George joue personnellement dans le spectacle sans quoi il pouvait tout simplement oublier l’idée de voir son spectacle voir le jour. George, furieux du chantage auquel il était soumis, a cherché un échappatoire et l’a trouvé. Les The White Rats avaient décidé de ne pas faire la grève au Weber & Fields Music Hall parce qu’ils considéraient que le spectacle qui y était joué était du théâtre et pas du Vaudeville. George a affirmé qu'il en était de même pour son spectacle musical qui n'était pas du Vaudeville et ne devait donc pas être touché par la grève. Les The White Rats ont débattu de cette question, et même si Lou Behman était l’un des principaux producteurs que le syndicat voulait affronter, le syndicat a validé la requête de George et son spectacle n'a pas été menacé par la grève. Ce n'était pas la dernière fois où George allait être confronté aux syndicats, et cela ne se terminera pas toujours aussi bien.

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Partitions de «The Governor's Son» publiée en 1901

George a «agrandi» l'un de ses sketchs de Vaudeville en The Governor's Son () (1901, 32 représentations), une comédie musicale complète pour laquelle il a écrit aussi bien les mots que composé la musique. Il a également mis en scène, chorégraphié et joué le rôle principal masculin, avec ses parents et sa sœur comme co-stars. Lorsque le producteur Behman est mort pendant la tournée, Cohan a repris aussi cette lourde tâche. À partir de ce moment et pour le reste de sa carrière, il produira la plupart de ses spectacles.

Il faut dire que dès le début des try-out le 11 février 1911 à Hatford, le spectacle a été très bien accueilli par le public. Mais a Broadway les critiques furent très sévères et le show ne put tenir l'affiche plus de 32 soirs. Mais indépendamment des critiques, George M. Cohan avait trouvé sa voie: le musical serait sa marque de fabrique pour les 38 prochaines années.

Parmi les chansons de The Governor's Son (), une seule peut encore facilement être entendue aujourd'hui, Push Me Along In My Pushcart qui a été ramenée à la vie dans le musical-hommage George M! (). Dans une interview de 1904, George fait part de ce changement dans sa vie et de ses sentiments envers le vaudeville.

« Comme je l'ai dit à mon père l'autre jour, la seule chose dont je suis fier dans le Vaudeville c'est que je m'en suis sorti. Les maisons ne sont pas toutes des Orpheums ou des Keith - et de très loin. et de très loin. Il n'y a que quelques bonnes maisons et les autres dont je ne veux même pas parler à voix haute. »

George M. Cohan


Et pourtant, ses premières expériences dans le Vaudeville seraient celles qu’il chérira jusqu’à ses derniers jours. Lorsque ses amis se rassemblaient pour l’entendre raconter ses aventures dans le monde du spectacle, Cohan parlait toujours de ses débuts dans le Vaudeville comme de ceux où il avait été le plus heureux.

La famille Cohan va poursuivre son expansion au cours de l'année suivante. Josie, la soeur de George, avait été courtisée par un jeune comédien du nom de Fred Niblo et, après leur mariage en juin 1901, Fred s’associa à George & Jerry (rappelons que George avait pris le contrôle de sa production après la mort de Lou Behman en 1901). Pendant les deux années qui suivirent, ils gagnèrent de l’argent en tournant dans le pays dans avec The Governor's Son ().

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Partitions de «Running For Office» en 1903 - Noter que c'est édité chez Cohan, Niblo, & Cohan

B.2) «Running For Office» (1903)

En 1903, ils reviennent à New York pour présenter leur deuxième spectacle, à nouveau un musical, Running for Office () (1903, 48 représentations). Il s’agit là aussi d’une version élargie d’un de leurs sketches de Vaudeville interprété par les Quatre Cohans. Une fois encore la série à Broadway fut courte, la presse a été assez critique avec la création, mais George et sa famille avaient compris que les trournées pouvaient financièrement sauver d'un échec à Broadway.

Certains critiques de Broadway ont refusé d'accepter l'idée qu'un premier rôle masculin puisse danser des claquettes. Les chorégraphies de Cohan étaient pourtant masculines, et sa tendance à sous-jouer le dialogue avec un sourire tordu et à chanter d'un seul côté de sa bouche est devenu une de ses marques personnelles. Cohan a donné à son écriture un style assez chauvin qui reflétait à merveille l'humeur de l'Amérique au début du vingtième siècle. A ce sujet, en 1959, Oscar Hammerstein II a écrit dans un article du New York Times:

« Jamais une plante n'a été aussi indigène à une partie particulière de la terre que George M. Cohan aux États-Unis de son temps. Toute la nation était confiante en sa supériorité, en sa vertu morale, en sa pris de distance totale des soucis des vieux pays d'où beaucoup de nos pères et grands-pères avaient émigré. »

Oscar Hammerstein II (1959)


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Une publicité pour «Running For Office»

Cependant, juste avant de partir en tournée, George a conclu un accord avec le chef du Theatrical Syndicate, Abraham Erlanger. Erlanger était considéré par une part importante de la profession comme l’homme le plus vil de tout le secteur. Personne n’était aussi détesté ou méprisé qu’Abe Erlanger, pas même les Shuberts (qui ont couru pendant une seconde). Mais Erlanger aimait Cohan et avait pleine confiance dans le jugement de George. Pour Mother Goose () (1903, 48 représentations), un spectacle produit par Erlanger, George a fourni quatre nouvelles chansons. Deux d’entre elles sont devenus des classiques de Cohan (I Want To Hear A Yankee Doodle Tune et Always Leave Them Laughing).

Mais la tension liée à l'arrivée d'Ethel au sein des «Four Cohan», s’est intensifiée et a culminé pendant la tournée de Running for Office (). C'est surtout Josie qui en a eu assez. Elle ne s’entendait pas avec Ethel, et Ethel se mettait en permanence en compétition avec Josie. La nature exacte de leur querelle n’est pas connue. Une chose est claire, à ce moment du déjà long parcours de la famille Cohan, Josie et son mari Fred avaient fait leurs propres plans et ont senti qu’il était temps de partir. En août 1904, Abraham Erlanger a offert au couple des rôles dans une nouvelle comédie The Rogers Brothers in Paris et, les larmes aux yeux, Josie (accompagnée de Fred) quitte les «Four Cohan». Sa prestation fut, plus tard cette année-là, bien accueillie dans la critique de The Rogers Brothers in Paris dans The Dramatic Mirror:

« Le point fort de la représentation réside dans le travail délicat et charmant de Josephine Cohan. Avec sa chanson, "Society", durant laquelle elle effectue des pas de danse qui font d'lle l'une des meilleures danseuses de l’époque, a été jouée avec grâce et charme irrésistible. Elle rayonne de raffinement... Fred Niblo, malgré sa réputation de monologuiste dans le Vaudeville, n’a pas eu l’occasion de montrer son talent. Il avait l’air d’un gentleman. »

The Dramatic Mirror


George s’est soudainement retrouvé sans travail et avec une famille séparée. Pour remédier à ce dernier point, il a remplacé Josie par Ethel mais le premier point n'allait se solutionner que quand il aura la chance de rencontrer un ancien vendeur de pastilles pour la toux nommé, Sam Harris.

Sam Harris est né sur Mulberry Street dans le Lower Manhattan d’une famille à faible revenu. En tant que garçon, il a fait tout ce qu’il pouvait pour aider sa famille à survivre en enchaînant les petits boulots (vendeur de journaux, messager, vendeur). Au moment où il a été présenté à George M. Cohan en 1904, il était manager du boxeur Terry McGovern et avait coproduit plusieurs spectacles sur le Bowery (une de ses découvertes était Mary Pickford). Harris correspondait parfaitement à Cohan. En plus d’un amour sans borne pour le théâtre, ils aimaient tous deux le baseball, partageaient le même sens de l’humour et étaient perspicaces dans leurs affaires. Harris avait aussi un don étrange de pouvoir identifier les problèmes qu'une production pouvait avoir pendant les répétitions.

L’équipe constituée de Cohan & Harris a été prospère. Et elle va durer jusqu’à ce qu'une dispute sépare les deux hommes, en 1920.

B.3) «Little Johnny Jones» (1904)

Pour son troisième musical à Broadway, Little Johnny Jones () (1904, 52 représentations), Cohan a conçu le rôle principal pour lui-même, avec un rôle pour sa femme Ethel Levy. George a joué le rôle-titre d'un jockey américain qui osait monter dans un Derby anglais. Le matin de la course, Jones apparaît devant son hôtel londonien, parlant avec une horde de femmes qui veulent lui manifester leur admiration. Le dialogue et les paroles des chansons sont remplis d'argot contemporain.

JONES: (Breaks away from girls.) Well, by Jove, this is a treat. You know, I didn’t think there were so many Americans in the whole city of London. I suppose you’re all going to the Darby.
1ST GIRL: You bet we are.
JONES: Want a little tip?
ALL: (Interested) You bet we do.
JONES: Pawn your jewelry, go in hock, and play Yankee Doodle straight to win. (American girl exits on run, right.)

 

(MUSIC CUE. SONG. YANKEE DOODLE BOY)
JONES: I’m the kid that’s all the candy,
I’m a Yankee Doodle Dandy,
I’m glad I am,
So’s Uncle Sam.
I’m a real live Yankee Doodle
Made my name and fame and boodle
Just like Mr. Doodle did,
By riding on a pony.
I love to listen to the Dixie strain
I long to see the girl I left behind me;
That ain’t a josh,
She’s a Yankee, by gosh,
Oh, say can you see
Anything about a Yankee that’s phony?

I’m a Yankee Doodle Dandy,
Yankee doodle do or die;
A real live nephew of my Uncle Sam’s,
Born on the fourth of July.
I’ve got a Yankee Doodle sweetheart,
She’s my Yankee Doodle joy.
Yankee Doodle came to London,
Just to ride the ponies,
I am a Yankee Doodle boy.

EXTRAIT DE LA CHANSON «YANKEE DOODLE DANDY» TIRÉE DE «LITTLE JOHNNY JONES» (1904)


Anthony Anstey (joué par Jerry Cohan), un Américain qui dirige un établissement de jeu chinois à San Francisco, offre de l'argent à Jones pour qu’il perde délibérément la course, mais il refuse. Après que Jones ait perdu, Anstey répand des rumeurs qu'il a perdu la course intentionnellement. Contraint de rester en Angleterre jusqu'à ce que son nom soit blanchi, Jones se rend à la jetée pour dire adieu à un navire rempli d'amis qui part pour New York. Ces paroles ont un schéma de rimes soigneusement construit:

Give my regards to Broadway,
Remember me to Herald square,
Tell all the gang at Forty-second Street
That I will soon be there.
Whisper of how I’m yearning
To mingle with the old-time throng.
Give my regards to old Broadway
And tell them I’ll be there ‘ere long.

EXTRAIT DE LA CHANSON «YANKEE DOODLE DANDY» TIRÉE DE «LITTLE JOHNNY JONES» (1904)


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Partitions de «The Yankee Doodle Boy» publiée en 1904

Anstey est lui-même sur ce bateau en partance et espère toujours trouver les preuves qui pourront faire tomber définitivement Jones. Le détective Wilson, qui est aussi à bord, doit lui contacter Jones si son innocence est prouvée. «Faites mes salutations à ce bon vieux Broadway», chantent Jones et le chœur sur le quai. Le navire part, une cloche sonne, la scène s'assombrit… et ensuite, une fusée éclairante est lancée depuis le navire à vapeur, signe que le nom de Jones a été blanchi. Jones chante un dernier refrain exalté avant que le rideau ne tombe. Il s’agit, pour l’époque, d’un énorme effet spécial…

Cohan a mis en scène Little Johnny Jones () en lui donnant un rythme effréné, offrant sa définition de la représentation de la comédie musicale: «Vitesse! Vitesse! Et encore et toujours! C'est l'idée de la chose. Un perpétuel mouvement.» Les critiques de New York ont réagi au Little Johnny Jones () par un nouvel haussement d'épaules, et la série à Broadway a pris fin après seulement six semaines. Cohan a alors joué le spectacle en tournée pendant trois années très rentables, repassant à Broadway à plusieurs reprises, avec des succès toujours croissants. Finalement, le spectacle a cumulé 205 représentations à New York. Pour la première fois, «la tournée» a expliqué à Broadway ce qui était bien.

B.4) 1906-1907 Cohan omniprésent à Broadway

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Partitions de «Forty-five minutes from Broadway» publiées en 1906

La montée en puissance de Cohan à Broadway a encore été renforcée avec son musical suivant Forty-five Minutes from Broadway () (1906, 90 représentations), créé le 1er janvier 1906. Même si cela peut paraître annecdotique, la série à Broadway dure 90 représentations, soit le double du musical précédent.

L'aventure avait commencé en 1905. Le producteur et propriétaire du théâtre Abe Erlanger, dont nous venons de parler, cherchait un spectacle pour la star Fay Templeton, et a commandé un musical à George M. Cohan. Mais il lui a demandé si, pour une fois, il pouvait «écrire un spectacle sans drapeau», faisant référence à son nationalisme récurrent. George a répondu: «Je ne peux écrire un spectacle avec rien d'autre qu'un crayon

Forty-five Minutes from Broadway () raconte l'histoire de Mary, une femme de ménage dans la banlieue de New Rochelle (ville de la banlieue nord de New York), qui renonce à l'héritage d'un millionnaire pour conserver l'amour de Kid Burns, un sage et simple New-Yorkais.

Comme nous l'avons signvalé, le musical n'a tenu l'affiche que 90 soirs, une fois de plus, les critiques ont rejeté le spectacle. En fait, c'est Cohan qui a convaincu Erlanger de fermer le show après trois mois de représentations. Ils ont fait une tournée qui a été Sold Out tous les soirs. Et puis le spectacle a triomphé à Broadway à son retour, pour 36 représentations supplémentaires.

La chanson-titre accrocheuse 45 Minutes from Broadway et Mary is a Grand Old Name sont toutes deux devenues des best-sellers de partitions. Fay Templeton a triomphé dans le rôle de Mary, et le débutant Victor Moore (1876-1962) est devenu célèbre dans celui de Kid Burns.

Alors que Forty-five Minutes from Broadway ()  était encore en cours de représentations, un mois plus tard, il a ouvert un autre musical, George Washington, Jr. () (1906, 81 représentations) dont il a écrit la musique, le livret et les paroles. Et comme cela ne suffisait pas, il l'a mis en scène et a joué un rôle. Sa famille faisait également partie de l'aventure (père, mère, soeur et épouse). Cohan a joué le rôle d’un Américain qui refuse d'épouser l'aristocrate britannique que son père a choisi pour lui. Pendant l'écriture de ce spectacle, Cohan avait assisté à des funérailles où un vétéran de la guerre civile a évoqué un drapeau en lambeaux en disant: «Oui, c'est un grand vieux chiffon.» Cela a inspiré à Cohan un tube patriotique, mais quand un critique s'est plaint de traiter le drapeau étoilé de «chiffon» et il a décidé de réviser la chanson:

You’re a grand old flag,
You’re a highflying flag,
And forever in peace may you wave.
You’re the emblem of
The land I love
The home of the free and the brave.
Every heart beats true
Under red white and blue
Where there’s never a boast or brag.
And should old acquaintance be forgot,
Keep your eye on the grand old flag.

Extrait de la chanson «You're a Grand Old Flag» tirée de «George Washington, Jr.» (1906)


Cohan a eu raison d’ignorer toutes ces cabales de la presse New York et de continuer à écrire pour le plus grand nombre, affichant un optimisme et une fierté patriotique qui étaient endémiques dans une nation qui commençait à peine à reconnaître ses propres possibilités. Fabriqués totalement par Cohan, ces musicals avaient une cohérence de style et de contenu, et ses dialogues étaient dotés d’une véritable aisance conversationnelle.

En excellant dans tout ce qu'il a fait, Cohan est devenu une figure unique dans le théâtre américain. Comme l'a dit William Collier, ami de longue date:

« George n'est pas le meilleur acteur, auteur, compositeur, danseur ou dramaturge. Mais il peut danser mieux que n'importe quel auteur, composer mieux que n'importe quel manager, et gérer mieux que n'importe quel dramaturge. Et cela fait de lui un homme très grand. »

William Collier


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George Cohan et Ethel Levy - juste avant leur chanson «I Was Born In Virginia» dans «George Washington Jr»

Les musicals de Cohan se conforment à ce qui l’avait porté au succès, et ce depuis les premiers spectacles auxquels il avait participé comme Adonis () (1884 – 603 représentations, record de l’époque): une intrigue comique à suspense, des vedettes sur scène et un livret rempli de blagues et de caricatures. Mais Cohan a amélioré la formule en incluant des chansons à succès qui ont d’ailleurs survécu à son époque.

Mais n'allons pas trop vite, car tout n'est pas encore ficelé... Cohan a donc au début de 1906 deux musicals à l'affiche à Broadway, sans oublier la pièce de David Gray, Gallops () (1906, 81 représentations) pour laquelle il écrit la musique. Et il enchaînera en juin par une reprise de The Governor's Son () qui tiendra l'affiche 75 représentations.

On pourrait dire que 1906 semblait être une année triomphale pour George M. Cohan. Mais en total contratse avec son succès professionnel, sa vie personnelle était dans un chaos total. À la fin de décembre 1906, Ethel a quitté la tournée de George Washington, Jr. () à Cleveland. George était tombé amoureux d'une choriste de Little Johnny Jones (), Agnes Nolan, et était prêt à l’épouser. Il offrit 100.000$ à Ethel mais elle refusa. Elle le poursuivit en divorce pour infidélité en février 1907.

Par la suite, Ethel poursuivra sa carrière dans le Vaudeville avec des chansons comme The Welcome Mat Ain’t Meant For Me (1907), An A Little Bit More (1907), The San Antonio Song (1908), et des spectacles de Broadway comme "Almost A Hero" (1908), "Gaby" (1911), avec les chansons populaires I Beg Your Pardon Dear Old Broadway et Go Easy Mabel. Elle quitte ensuite New-York et entreprend une brillante carrière à Londres avant de revenir à Broadway pour apparaître dans "Marinka" (1945). Elle est décédée en 1955.

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Partitions de «Popularity» en 1907

Pour aggraver encore les choses pour George, sa première tentative de spectacle non musical, Popularity () (1906, 24 représentations) a été un échec complet. L'acteur Thomas W. Ross choisi par George pour le rôle principal ne convenait pas du tout à son personnage. Par la suite, il a connu une carrière couronnée de succès à Broadway, notamment en tant que membre de la distribution originale de Our Town () (1938). Une seule chose n'a pas été décriée dans la pièce Popularity (), c'est la musique de scène, également composée par George. La musique thématique, Popularity met vraiement en valeur les capacités de Cohan en tant que compositeur. Il y a une merveilleuse version de celle-ci dans l’album du musical George M! ().

Avec Ethel faisant maintenant partie de son passé, George a été libre de demander à Agnes Nolan de l’épouser. Le 29 juin 1907, ils se sont mariés. Agnes a décidé de mettre fin à sa carrière sur les planches, estimant qu’il était important que son mari showman ait une maison chaude après une dure nuit au théâtre.

B.5) 1907-1909: devenir le roi des musicals

Après le terrible échec de Popularity (), George décida de ne plus tenter d’écrire des pièces de théâtre non musicales, mais de poursuivre ce qui avait fait de lui un nom familier: les musicals. Après avoir ressuscité The Governor's Son () l’été précédent, il a eu l’idée de retravailler Running for Office () et de lui donner un nouveau titre: The Honeymooners () (1907 - 72 représentations). Le spectacle comprenait des chansons de Running for Office () et de nouvelles chansons. Ce fut le gros succès de l’été 1907 au New Amsterdam Theatre, à New York, dans sa nouvelle installation sur le toit. On peut dire sans caricaturer que dans The Honeymooners (), George Cohan a cherché à voir combien de numéros de pur divertissements pouvaient être enchaînés en trois heures et le résultat est édifiant: il a réussi à présenter 20 chansons, une intrigue puissante et logique, un dialogue drôle et croustillant, une distribution de 20 artistes accompagnés de 40 chorus girls. Sans oublier les costumes les plus jolis jusqu'alors utilisé dans un musical. La soirée était bourrée des divertissements typiques de Cohan qui allaient faire sa réputation. Pour l'annecdote encore, Cohan a affectueusement dédié The Honeymooners () à sa nouvelle épouse, Agnes.

Ensuite, Cohan a écrit une suite à Forty-five Minutes from Broadway () (1907 - 173 représentations), intitulée The Talk of New York (). Sam Harris, le coproducteur, a réussi à obtenir que Victor Moore reprenne son rôle de Kid Burns. Créé le 3 septembre 1907, ce n'est que le premier des trois musicals créés par Cohan durant cette saison 1907-1908. Il en sera chaque fois compositeur, librettiste et parolier. Et le coproducteur!

Cohan a présenté son deuxième spectacle deux mois jour pour jour après The Talk of New York (): Fifty Miles from Boston () (1908 - 40 représentations) a été créée le 3 février 1908. C’était une œuvre plus émotionnelle d’habitude. Cohan avait personnellement longtemps idolâtré Ned Harrigan, qui jouait dans les vieux spectacles de Harrigan & Hart (). Harrigan s’était retiré de la scène, et Broadway l’avait plus ou moins oublié. Mais Cohan s’en était souvenu et l’avait invité à la première de Fifty Miles from Boston (). Là, Harrigan découvrit qu’un des rôles principaux du spectacle portait son nom, en son honneur. Dans ce spectacle, Cohan composera une chanson qui deviendra une norme dans le catalogue américain: Harrigan.

« Edward Harrigan était un grand artiste, un grand auteur de comédies humaines et l’un des plus grands hommes que j’ai eu le plaisir de rencontrer. Hoyt arrivait toujours à faire rire le spectateur américain, Harrigan aussi mais touchait lui en plus les cordes sensibles du coeur des spectateurs. Harrigan m’a inspiré quand je l’ai applaudi depuis une tribune. Harrigan m’a encouragé quand je l’ai rencontré pour la première fois après des années et lui ai parlé de mes ambitions. Je vis dans l’espoir qu’un jour mon nom puisse signifier moitié moins pour la prochaine génération de dramaturges américains que le nom de Harrigan a signifié pour moi. »

George M. Cohan


En avril, ce fut le troisième musical de la saison a être proposé par Cohan: The Yankee Prince () (1908 - 112 représentations). Ce fut aussi l'occasion de réunir pour la dernière fois les «Four Cohan»: le père Four, la mère Helen, la fille Josie et bien sûr George.

« C’est dans cette pièce qu’une réunion des Quatre Cohans a eu lieu. En plus de papa et maman, pour qui j’avais écrit des rôles, j’ai aussi engagé Joséphine pour l’héroïne dansante, et l'affiche mentionnait:"George M. Cohan & His Royal Family".Un critique a suggéré que cette phrase publicitaire devrait être modifiée en «George M. Cohan & Family Royalties». Je ne sais pas si parler de royalties était un coup de poing ou un coup de pouce.
C’est pendant la série de New York du "Prince Yankee" que les danseurs américains ont unanimement convenu que "ce gars Cohan est certainement un merveilleux danseur". J’avais attendu plus de quinze ans pour les entendre le dire, et j’étais le "danseur" le plus heureux du monde. »

George M. Cohan


The Yankee Prince () proposait 8 chansons interprétées par George, plus que dans toute autre production dans laquelle il a joué. En plus, dans trois de ces chansons, il exécutait un duo de danse avec sa sœur, Josie (Yankee Prince Waltz, The A-B-Cs of the USA et Rag Babe).

The Yankee Prince () représente un aboutissement de ses années de travail et un tournant dans sa carrière. Il est intéressant de noter que George s’est toujours présenté, dans les années qui suivirent, comme un chanteur et un danseur. Pourtant, il n’apparaîtra plus que dans quatre autres musicals pour le reste de sa carrière, c'est-à-dire pour les 32 ans à venir. Nous avons dit que ce spectacle serait le dernier des «Four Cohan» mais aussi la dernière apparition sur une scène de Broadway de Josie Cohan.

Au-delà des musicals, George M. Cohan ne jouera plus dans une production théâtrale avant trois ans, lorsqu’il apparaîtra dans The Little Millionaire () (1911 - 192 représentations). Par contre, il n'arrête pas de travailler loin de là. Il continue d’écrire des musicals: The American Idea () (1908 - 64 représentations) et The Man Who Owns Broadway () (1909 - 128 représentations). Il commence à produire - toujours avec Sam Harris - de pièces écrites par d’autres auteurs: The House Next Door () (1909 - 88 représentations) et The Fortune Hunter () (1909 - 345 représentations). Il présente aussi avec Harris une revue, Cohan and Harris Minstrels () (1908 - 32 représentations) et a commencé à adapter des romans pour la scène, le musical Get-Rich-Quick Wallingford () (1910 - 424 représentations). Ce triomphe va faire de Cohan, l'empereur de Broadway...

C) Cohan, l'homme qui «possédait» Broadway? Non...

En tant que producteur et propriétaire de plusieurs théâtres, Cohan a été ouvertement été appelé «l'homme qui possède Broadway», paraphrasant aisin le titre de l'un de ses musicals, The Man Who Owns Broadway () (1909 - 128 représentations). Ce n’est pas du tout exact. Ce titre appartenait vraiment à trois frères dont les carrières théâtrales ont commencé à environ 400km au nord de Manhattan.

Une nuit glaciale d'hiver en 1887, le directeur du Syracuse Grand Opera House (Syracuse est une ville américaine située dans l'État de New York) a eu pitié d’un jeune cireur de souliers des rues et a proposé au gamin de se réchauffer à la dernière rangée du théâtre. Sam Shubert, 9 ans, n'avait jamais vu de spectacle auparavant. Mais en regardant une représentation de The Black Crook (), qu’une troupe en tournée jouait ce soir-là, il a vite oublié le froid et a découvert la passion de sa vie: le théâtre.

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(de gauche à droite) Jacob, Sam et Lee Shubert (Shubert Archives)

Sam et ses frères Lee et Jacob ont tous pris des petits boulots à l'Opéra. Et en l'espace d'une décennie, ils possédaient une chaîne de théâtres, dont plusieurs salles de Broadway. Ils ont brisé le monopole de l’industrie théâtrale, représentée par le Theatrical Syndicate avec à leur tête le magnat Abe Erlanger, en exigeant de pouvoir produire leur propres pièces. Ils obtinrent un accord. L'avenir des frères Shubert semblait bien brillant.

Mais le 12 mai 1905, Sam meurt à 30 ans dans un accident de train. Un mois après ce drame, ses frères, le cœur brisé, ont appelé Abe Erlanger pour confirmer leur accord. Selon la légende de la famille Shubert, Erlanger aurait été à la hauteur de sa pathétique réputation, déclarant qu'il ne se sentait pas obligé de respecter un accord conclu avec un mort! Au-delà de l’indécence de ce propos, il est totalement imbécile car les deux frères n’étaient pas certains de vouloir continuer sans Sam. Mais après la réaction d’Erlanger, Lee et Jacob se promirent de, quoi qu'il en soit, détruire l’empire d’Erlanger et de rayer son nom du théâtre américain.

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Au cours des vingt années suivantes, Lee et Jacob ont pris le contrôle d'un théâtre après l'autre, absorbant finalement tous les théâtres de leur vieil ennemi. Il faut dire qu’Erlanger s'était fait beaucoup d'ennemis au fil des ans, de sorte qu'il y avait une sympathie généralisée lorsque les Shubert s’appropriaient ses théâtres. Mais bien vite, tout le monde dans l'industrie théâtrale comprit que c'était un jeu de dupes car les Shubert étaient tout aussi impitoyables qu'Erlanger, sinon bien pire.

En 1932, Lee et Jacob ont pris le contrôle de l’Erlanger Theatre de Broadway et le rebaptisent The St. James. Ils avaient déjà le Shubert Theatre, juste en haut de la rue. À ce moment-là, les Shubert possédaient presque tous les grands théâtres de New York (ils gèrent aujourd’hui encore 18 théâtre à Broadway). Et c'est ainsi que les «Boys from Syracuse» sont devenu les hommes qui possédaient vraiment Broadway... et pas Cohan.