Après le triomphe de Show Boat (), et grâce à ce triomphe, Jerome Kern a mieux résisté à la crise économique à New York que la plupart des autres artistes. Comme nous l’avons vu, quelques mois après la fermeture en février 1929 à Broadway de Show Boat (), le duo Kern et Hammerstein ont proposé un nouveau musical: Sweet Adeline (). Le musical, après des débuts prometteurs, sera entraîné par la crise de ’29 et fermera après 7 mois.

En 1929, Kern a fait son premier voyage à Hollywood pour superviser la version cinématographique de Sally (), qui sera l’un des premiers films "parlants" Technicolor. L’année suivante, il y retourne une deuxième fois pour travailler sur Men of the Sky (), sorti en 1931 sans ses chansons, mais aussi une version cinématographique de 1930 de Sunny ().

A) The Cat and the Fiddle (1931)

image
Evolution du nombre de nouveaux musicals et de films musicaux dans les années '30

Comme nous l’avons vu, l’avènement du cinéma parlant a fait exploser le nombre de comédies musicales cinématogra-phiques (4 en 1928, 60 en 1929 et 50 en 1930). Les musicals sur scène ont eux fortement diminué. Mais pendant le dur de la crise de ’29 (1931-1933), le nombre de comédies musicales cinématographiques a lui aussi chuté. Pour cette raison, la Warner Bros qui avait signé avec Kern un contrat d’exclusivité pour plusieurs années, a rompu ce contrat.

image
Souvenir Brochure

Kern est donc revenu vers la scène et a collaboré avec Otto Harbach pour créer le musical à Broadway The Cat and the Fiddle () (1931). La trame du spectacle est originale. Dans la ville de Bruxelles, Victor Florescu, un sérieux compositeur de musique classique roumain, est attiré par Shirley Sheridan, une jeune compositrice de jazz américaine, arrivée dans la ville avec son frère Alexander et son épouse, Angie. Victor est outré lorsque Clement Daudet, le producteur de son opérette un peu trop sérieuse «The Passionate Pilgrim», décide de l’alléger un peu en y incluant quelques-unes des pièces jazzy up-tempo de Shirley.

Le musical comprend des chansons importantes comme She Didn’t Say Yes et The Night Was Made for Love. Il s’est joué durant 395 représentations, un succès remarquable pour ces années de terrible dépression, et sera transféré à Londres en 1932, où il tiendra l’affiche 219 soirs du Palace Theatre. Enfin, un film sera tiré du musical en 1934 avec Jeanette MacDonald.


B) Music in the Air (1932)

image
Souvenir Brochure

L’année suivante, il refit équipe avec son co-équipier de Show Boat (), Oscar Hammerstein II, pour un nouveau musical, Music in the Air (), qui ouvrit à l’automne 1932 pour une honorable série de 342 représentations. On y suit un jeune compositeur et son amour qui voyagent de la simple campagne bavaroise vers la sophistiquée ville de Munich à la recherche d’un éditeur de musique. Une fois dans la ville, ils tombent amoureux d’autres personnes, mais finissent par apprendre que leur place est à la maison, ensemble; ils reviennent et se réunissent. Bien que l’intrigue semble aujourd’hui éculée, Brooks Atkinson a écrit dans The New York Times: «Enfin, la comédie musicale s’est émancipée. […] Pas de danseur ultra-agile, pas de comédien loufoque, pas de chanson flamboyante, pas de pièce de théâtre grandiose, pas de trompettes éculées. Avec un musical rempli de chansons très différentes, mais toutes séduisantes, M. Kern a trouvé un moyen de les faire chanter spontanément, et M. Hammerstein a écrit une aventure sentimentale qui réchauffe les cordes vocales

Obligés à se restreindre financièrement dans la production de leur nouveau musical, pour cause de terrible crise économique, Kern et Hammerstein se sont concentrés sur la narration de leur histoire. Le résultat fut un véritable musical épuré des habituelles danses superflues, des effets scéniques massifs, des artistes spécialisés présents uniquement pour divertir et amuser. Avec Music in the Air (), Kern et Hammerstein sont arrivés à créer un musical parmi les plus vrais de ceux qui aient jamais été vus à Broadway.

image
Souvenir Brochure

C) Roberta (1933)

Roberta (), créé en novembre 1933, avec un livret et des paroles d’Otto Harbach, a connu un succès – pour l’époque – avec 295 représentations. Certains ont estimé qu’avec Roberta (), Jerome Kern faisait un pas en arrière après avoir composé Show Boat (), The Cat and the Fiddle () et Music in the Air (). Ces trois musicals avaient d’une façon ou d’une autre repoussé les limites de la narration lyrique et offert des sujets frais et novateurs. Roberta () par contre, était une comédie musicale «à l’ancienne» qui se déroulait dans le monde d’une modiste parisienne chic appelée Roberta. Mais comment un spectacle peut-il être un pas en arrière quand il comprend Smoke Gets in Your Eyes, l’une des plus imposantes ballades de l’histoire de la comédie musicale américaine? La magnifique musique de Kern transcende le livret un peu ordinaire et offre trésor après trésor. Outre le Smoke Gets in Your Eyes, qui est rapidement devenu un classique, il y avait un certain nombre de superbes ballades, certaines majestueuses et certaines vives (Yesterdays, The Touch of Your Hand, You’re Devastating, Let’s Begin, Some’s Got to Happen ou Something Had to Happen), une chanson de collège (Alpha, Beta, Pi ou Madrigal), et un avertissement comique un peu coquin (I’ll Be Hard to Handle), qui semble avoir été retiré du show à la demande de Lyda Roberti, qui a joué Clementina Scharwenka, la «cliente vedette» de Roberta.

L’histoire se concentre sur le jeune fullback (arrière au foot) John Kent (Raymond E. Middleton), qui hérite de Roberta, la boutique de mode parisienne de sa tante Minnie (Fay Templeton). Stephanie (Tamara) est la gérante de Roberta, et bientôt elle et John tombent amoureux et planifient de se marier. John découvre plus tard que Stéphanie est en fait une princesse russe en exil, une Russe blanche comme on dit, qui est manager de Roberta le jour, mais qui est par ailleurs vénérée par la population émigrée russe à Paris.

Le musical a été accueilli de façon mitigée lors des try-out à Philadelphie, et le producteur Max Gordon l’a renforcé en injectant de l’argent supplémentaire dans les costumes et le décor, et au moment où le spectacle a atteint New York, sa capitalisation initiale d’environ 80.000$ avait grimpé à 110.000$ (à des fins de comparaison, quand le révolutionnaire Oklahoma! () a ouvert dix ans plus tard, il a alors coûté environ $80,000). Les photographies du décor révèlent une production somptueuse, et une photo d’une scène dans le bar américain de Willy à Paris démontre qu’il pouvait se targuer d’être le bar le mieux approvisionné en cette période de prohibition. Quoi qu’il en soit, cette histoire a plu au public en cette période de Dépression.