Elisabeth, impératrice d’Autriche (1837-1898) apparaît dans ce drame musical comme une femme en lutte pour obtenir sa propre liberté. Parce qu'elle est issue d’un monde dont le déclin est évident, la "modernité" d’Elisabeth la contraint à une isolation désespérée. Et pourtant, elle porte sur elle l’image obsolète du pouvoir des Habsbourg. Son assassinat par l'anarchiste italien Luigi Lucheni était en fait un crime symbolique qui a anticipé la fin d'une époque qui a duré mille ans....
Les apparitions de l'impératrice dans l'Empire sont, on le sait, rares depuis la mort de Rodolphe et quand elle vient à Vienne, elle descend à la Villa Hermès et non à la Hofburg. Elle n'en sort que pour assister à des cérémonies funèbres, faire un pèlerinage à Mayerling où un Carmel a été installé à la place du bâtiment détruit, suivre les obsèques d'Andrassy, "son dernier et unique ami". Elle a bien aussi, en novembre 1897, présidé à Vienne un grand dîner offert en l'honneur du Prince héritier de Russie, le futur Nicolas Il. Mais sa grande, quoique fugitive rentrée, c'est en Hongrie qu'elle la fera.
En juin 1896, la Hongrie célèbre son millénaire en même temps que l'anniversaire du couronnement de François-Joseph et d'"Erzebeth" avec le même décorum médiéval. Toutes les villes et tous les comitats ont envoyé une délégation que précède la traditionnelle bannière armoriée. Le défilé est long et magnifique; tout s'accorde et s'harmonise: beauté racée des montures, prestance des cavaliers, éclat des tenues brodées, des armes ciselées, fourrures et harnais. La couronne de Saint Etienne reposant sur un coussin de velours rouge est portée dans un carrosse que tirent huit pur-sang à robe blanche. C'est la réplique des cérémonies de 1867.
Un tel rappel ne peut qu'être douloureux au cour d'Elisabeth qui avait d'abord refusé de venir, mais qui a cédé aux supplications. Lors de l'inauguration du monument de Marie-Thérèse, devant lequel elle passe, Rodolphe était à son côté... Cependant, les cris qui retentissent, la vénération qui se lit dans tous les yeux, l'admiration qui s'exprime dans tous les gestes, l'enthousiasme d'un peuple qui n'a pas oublié, qui lui rend ce qu'elle lui a donné, lui fait, un instant, écarter son chagrin et dominer son horreur du cérémonial. Elle est la reine, authentiquement la reine de cette nation hongroise qui repousse la violence et méprise la flatterie. Alors que les chants retentissent, que les discours officiels se déchaînent et s'enchaînent, que des ovations se répètent, elle se tient toute droite, le visage blanc d'émotion, serrée dans sa robe de jais, les cheveux dissimulés sous un voile de deuil, le cou orné d'un collier de perles noires; elle apparaît comme la victime expiratoire offerte à la foule en liesse et aux dieux altérés de la Cité. La fête terminée, la reine de Hongrie dira à son époux: "Il me semble avoir mille ans, moi aussi".