Musical (1992)


Musique: Sylvester Levay
Paroles: Michael Kunze
Livret: Michael Kunze

Elisabeth, impératrice d’Autriche (1837-1898) apparaît dans ce drame musical comme une femme en lutte pour obtenir sa propre liberté. Parce qu'elle est issue d’un monde dont le déclin est évident, la "modernité" d’Elisabeth la contraint à une isolation désespérée. Et pourtant, elle porte sur elle l’image obsolète du pouvoir des Habsbourg. Son assassinat par l'anarchiste italien Luigi Lucheni était en fait un crime symbolique qui a anticipé la fin d'une époque qui a duré mille ans....

Revenons sur ces morts qui ont fait basculer sa vie.

Le 13 juin 1886, on découvre le Roi Louis II de Bavière noyé avec son médecin dans le Lac de Stranberg. Elisabeth est justement de l'autre côté de la rive dans un hôtel. Le Roi, qui avait été interné au Château de Berg quelques jours auparavant sous des allégations plutôt discutables de folie, avait toujours été très proche de sa cousine. A l'annonce de cette mort, Elisabeth est désespérée et une violente dispute s'engage entre elle et sa famille bavaroise qui appuyait les gestes des ministres et l'internement du roi.

Elisabeth se remet péniblement de cette épreuve et trouve consolation dans les rapports spirites qu'elle engage avec son défunt cousin par l'intermédiaire d'une ancienne amie. L'impératrice s'est prise d'intérêt pour ce genre de chose, ce qui soulage sa fille Marie-Valérie qui y voit une consolation et un apaisement à la nervosité de sa mère.

L'année suivante, un nouveau et brutal coup du sort la viendra frapper. Le 6 mai 1897, alors qu'elle se trouve à Lainz, Elisabeth apprend que, la veille, sa sœur Sophie est morte brûlée vive, à Paris, dans l'incendie du Bazar de la Charité, victime d'une invention toute récente, mais appelée à un grand avenir, et qu'expérimentent alors les Louis Lumière et les Georges Méliès: le cinématographe.

Sophie, ses fiançailles rompues avec Louis de Bavière, a épousé le duc d'Alençon, prince français, petit-fils de Louis-Philippe.

Le Bazar de la Charité est l'une de ces ventes mondaines dont le produit est destiné aux pauvres mais dont les comptoirs sont tenus par les dames de la Société. Le clou de la manifestation est une projection de "Photographies animées, la plus merveilleuse découverte du siècle, donnant l'illusion de la réalité".

Soudain, une pellicule en celluloïd prend feu. C'est dans la fumée et l'affolement, la ruée sur les portes rares, étroites, qui s'ouvrent en dedans et que l'on a, par comble d'imprudence, doublées de tambours pour éviter les courants d'air. Les boiseries et les tentures s'enflamment. Les gens sont transformés en torches vivantes. Peu peuvent échapper à ce supplice qui réduit en tas de cendres les plus grands noms de l'Armorial.

Ce qui reste de Sophie est identifié au milieu de chairs calcinées grâce a ses bijoux et à ses dents. Malgré l'habitude qu'elle a de la souffrance, cette nouvelle accable Sissi et la laisse désespérée.

En novembre 1888, c'est au tour du Duc Max en Bavière, père d'Elisabeth, de s'éteindre. Les semaines passent, Mayerling se pointe à l'horizon…

Le Prince héritier Rodolphe qui, dès l'enfance, manifestait une grande précocité intellectuelle, est maintenant dans la vingtaine (dans les années 1880). De belle apparence, intelligent, cultivé, il est particulièrement intéressé par les sciences naturelles.

En mai 1881, il a épousé le Princesse Stéphanie de Belgique, une jeune femme peu spirituelle, mais toute dévouée à ses tâches de représentation et entièrement préoccupée par l'aspect extérieur des choses, ce qui l'éloigne considérablement de sa belle-mère, qui en vient à la mépriser. Le 2 septembre 1883, elle donne naissance à une fille, Elisabeth, dite Erzsi, mais l'accouchement est difficile et l'empêche d'avoir d'autres enfants ce qui distend les liens du couple.

Rodolphe mène depuis plusieurs années, une vie décousue, aux mœurs plus que relâchées. Infidèle en mariage, il fréquente les lieux de mauvaise réputation et s'entoure de gens peu recommandables. En politique, ses vues sont libérables et il entrevoit l'avenir de l'Autriche de façon pessimiste. Son grand modèle et mentor n'est autre que Guyla Andrassy, à qui il voue une véritable admiration et affection.

Le Prince héritier va plus loin et écrit de nombreux articles sous le pseudonyme de Julius Félix dans lesquels il s'en prend à la politique de son père. Ses relations avec ses parents sont tendues, voire quasi inexistantes. L'empereur ne peut et veut pas comprendre ce fils aux manières si particulières. La vie de débauche du prince héritier, encore aggravée par sa dépendance à la morphine suite à une douloureuse maladie contractée en 1886, est une excuse à leurs différents personnels et politiques.

François-Joseph maintient Rodolphe à une bonne distance des affaires de la monarchie et se borne à lui confier des tâches de représentation, ce qui blesse la sensibilité de l'Archiduc. L'Impératrice Elisabeth a certes de l'affection pour ce fils unique qui lui ressemble tant, mais ses perpétuels voyages à l'étranger et son amour excessif et exclusif pour sa fille Marie-Valérie, l'éloigne de Rodolphe, qui devient jaloux de sa jeune sœur.

Au milieu de toutes ces tensions familiales, Rodol-phe se retire peu à peu de la Cour.

Il devient dépressif et désespéré. C'est dans ces circonstances qu'il rencon-tre la très jeune et jolie baronne Marie Vetsera, 17 ans. Amoureuse du prince héritier, elle est prête à tout pour lui. Ainsi débute leur idylle. Pour Rodolphe, tout semble dégénéré au cours de l'année 1888. Se sentant incompris, seul et malheureux, indigne de ses parents, il rumine des idées de suicide.


Marie Vetsera


Rodolphe





Il tente tout de même un dernier effort en demandant l'annulation de son mariage au Pape Léon XIII. Celui-ci refuse et en informe l'empereur ce qui engendre une terrible dispute entre le père et le fils. Dans les derniers jours de janvier 1889, au pavillon de chasse à Mayerling, Rodolphe décide d'en finir. En compagnie de la jeune Marie, qui accepte le dénouement comme une preuve d'amour, il la tue, puis se suicide.

L'émotion est immense à Vienne. On ne tarde pas à attribuer ce geste à un moment de folie passagère. Ce mensonge rassure l'Empereur mais a l'effet opposé sur Sissi. Cette dernière maudit le sang des Wittelsbach qu'elle lui a transmit et se sent responsable de ce suicide. Amère, elle déclare: "A présent tous ces gens qui ont dit tant de mal de moi dès mon arrivée en Autriche auront la consolation de ne pas m'y voir laisser de traces." Elle renonce à la poésie. Elle fait cadeau de la plupart de ses parures, de ses vêtements pour ne garder que de très simples robes noires et des perles noires. Désormais, elle cesse complètement de se battre.

Les mauvaises nouvelles continuent. Les années maudites s'étirent. En février, "l'Impératrice de la solitude" est au chevet de Guyla Andrassy, son ami et conseiller, son amant peut-être, avec qui elle avait créé le Compromis Austro-Hongrois de 1867. A peine quelques mois plus tard, le 16 mai 1890, c'est au tour de Néné, la chère Hélène Von Thurn und Taxis, sœur préférée, de mourir à Ratisbonne. Finalement, en janvier 1892, la Duchesse Ludovika, mère d'Elisabeth, rend son dernier souffle.

Elle n'a plus qu'une idée : fuir à tout prix l'atmosphère fatidique de Vienne…

Une passante. Une ombre. Une mouette. Elisabeth n'est plus qu'un fantôme pour ses proches et pour elle-même. La "plus belle femme du monde" de jadis a renoncé à sa beauté, à renoncé à la vie. Ce n'est désormais qu'une morte qui parcourt frénétiquement l'Europe en quête de solitude et de repos. Que le cortège des orts achève enfin ! Sous ses voiles de deuil, derrière l'ombrelle claire, par delà l'éventail de cuir, seule persiste l'image de la douleur…

Une terrible sciatique fait grimacer le beau visage vieilli par le malheur. L'intrépide cavalière d'autrefois ne recherche plus que des climats doux et chauds.

La mort et toujours la mort. Elle la convoite, elle l'espère, elle la chante. "J'aspire à la mort" confie-t-elle à des proches. "Je m'en irai comme la fumée qui s'envole, mon âme s'enfuira par une toute petite ouverture du cœur" prophétise-t-elle. Que peut encore lui offrir ce monde qu'elle fuit ? Rodolphe, ce fils unique, qu'elle n'a pas su protéger, qui est couché, inerte, dans la crypte des Capucins ? Tout près de lui, la petite Sophie, l'enfant inconnue. Ne doit-elle pas à Rodolphe de se cloîtrer dans une douleur hermétique, pour châtier l'incompréhension qu'elle lui a manifesté ? Même Andrassy l'a abandonnée. Le monde de son enfance n'est plus qu'un souvenir ombrageux et lointain. Plus rien ne la retient à la vie.

Sa fille chérie, la pieuse Marie-Valérie, tente bien de l'encourager à confier ses souffrances à Dieu, mais Elisabeth est passée au-delà de ces considérations. "Rodolphe a tué ma foi." Tout au plus, elle s'en prend à "Jéhovah", le Dieu de la sagesse, le Dieu de la colère, terrible et vengeur.

Ses régimes aberrants et sévères altèrent son humeur et la rendent maussade. Six verres de lait par jour, une glace à la violette ou le jus extrait d'une viande pressée, font bien peu pour sa forme et son moral, d'autant plus qu'elle persiste à épuiser son corps cinquantenaire sur les altères et anneaux de gymnastique. Sa belle silhouette de 1,72 m n'a plus que les chairs de 46 kgs et les repas pris en commun ne dure plus que quelques minutes.

Corfou, Budapest, le Cap Martin, Montreux, le Lac Léman… Elisabeth multiplie les destinations pour échapper à la mélancolie et à la douleur de ses remords. Tant de morts jonchent sa route…

Dès lors, l'idée du Destin n'abandonne plus Elisabeth dont l'esprit nourrit des pensées funèbres. Elle est convaincue qu'elle mourra, elle aussi, de mort violente. Elle a rayé les mots d'espoir et de joie de son langage. A ces tortures morales, s'ajoutent les maux physiques: troubles circulatoires qui lui gonflent les mains, ces belles mains longues, fines, presque diaphanes; inflammation des nerfs; dilatation du cœur. Son teint se fane, ses traits s'accusent, son écriture se déforme.

Après un séjour à Biarritz, en fin de saison, elle passe à Paris le début de l'hiver 1897-1898 avec ses deux sœurs, Marie, l'ex-reine de Naples, et Mathilde, la veuve du comte Trani. Elle y fête Noël et son soixantième anniversaire, puis s'envole pour San Remo dont elle se lasse vite. Le 1er mars, elle est à Territet, le mois suivant à Kissingeri, où, bien qu'elle ne croie plus guère à la médecine et que les charlatans l'aient déçue, elle attend d'une cure thermale le soulagement de ses nerfs.

François-Joseph, qui l'y retrouve quelques jours, est effrayé par les signes trop visibles de sa mauvaise santé. Mais le couple que la mort va bientôt dénouer, trouve à cette heure, une harmonie jusqu'alors refusée. Il semble qu'Elisabeth veuille oublier ses griefs et faire taire sa rancœur, car elle a besoin d'apaisement et cherche une illusion de paix. Elle tente de prolonger ce temps de grâce, mais l'Empereur doit regagner Vienne. Elle va alors s'installer à Ischl où François-Joseph la rejoint chaque samedi pour le week-end. C'est dans cette petit station alpestre, lieu de leur première rencontre, que ces deux époux, que la vie n'a pas réussi à durablement unir, se verront pour la dernière fois, le 16 juillet 1898. Leur entente est parfaite et dès son départ, François-Joseph lui écrit : "Tu me manques infiniment, mes pensées sont près de toi et je souffre à l'idée de cette longue, si longue absence…" Car Elisabeth part pour les bains de Nauheim puis revient à Territet où, le 30 août, elle s'installe au Grand Hôtel de Caux, sur une côte d'où l'on domine le plan d'eau du lac qui mire, le jour, dans la splendeur persistante de l'été, un ciel sans couture et la nuit, laisse traîner comme une écharpe oubliée, le flot d'un blanc laiteux que lui verse la lune.

Le 9 septembre 1898, Elisabeth accepte un dîner chez son amie la Baronne Julie de Rothschild à Pregny, près de Genève. A la surprise générale, elle goûte à tous les mets et mange de bon appétit. Elle se promet même d'envoyer le menu à François-Joseph. La visite dure 3 longues heures pendant lesquelles, elle parcoure les volières d'oiseaux rares et exotiques et les serres d'orchidées qui la charment tout particulièrement. Elisabeth et sa dame d'honneur regagnent l'Hôtel Beau-Rivage. Elle achète des pâtes de fruits, a fait de menus achats. Le lendemain, elles prendront le bateau à 13 h 40.

Mais tout près de l'hôtel, un jeune homme semble attendre. Il est italien et il se nomme Luigi Luccheni, maçon de son état. Par conviction idéologique, mais aussi parce que la vie ne lui a pas été très facile, il n'éprouve pour les grands de ce monde, que de la haine. Il rêve de vengeance. Et s'il est à Genève, c'est qu'il voulait justement s'attaquer à l'un de ces grands, le Comte de Paris, Henri d'Orléans, le prétendant au trône de France, dont on avait annoncé la venue. Mais ce dernier a annulé sa visite. N'ayant pas assez d'argent pour retourner en Italie afin d'y poignardé le Prince Humbert d'Italie, il apprend dans un journal que l'Impératrice d'Autriche, Reine de Hongrie et de Bohème va séjourner à l'Hôtel Beau-Rivage.

Cette indiscrétion journalistique lui remet du baume au cœur !

Le samedi 10 septembre 1898, il est onze heures et l'impératrice a dormi plus que de coutume. Il faut se dépêcher car on est en Suisse et le bateau n'attendra pas les retardataires. Le jeune homme de 26 ans aperçoit les deux femmes courant pour attraper le vapeur. Sans plus attendre, il se précipite sur Elisabeth et lui enfonce dans la poitrine un poinçon finement aiguisé, avant de s'enfuir. Il est vêtu d'une veste noire et d'un foulard rouge. On relève l'impératrice abasourdie qui remercie en français, anglais et allemand ceux qui sont venus lui porter secours. Les deux femmes pressent le pas et arrivent au bateau. Elisabeth, soudainement très pâle, demande à la Comtesse Irma Sztàray de la soutenir alors qu'elle s'effondre sur le plancher. On la ranime difficilement mais Elisabeth a tout juste le temps de demander ce qui s'est passé et referme les yeux définitivement. La Comtesse dégrafe sa robe et découvre sur le cache-corset en soie, une fine goutte de sang. Alarmée, elle dévoile l'identité de la passagère et demande qu'on accoste. Ramenée à l'hôtel, trois médecins procèdent à l'autopsie. Celle-ci révèle que l'arme du meurtrier, une lime qu'il a pris soin de finement aiguiser, a pénétré sur 85 millimètres, traversant le ventricule gauche. Ils vont extraire de ce pauvre corps, le cœur et les viscères qui doivent, tradition des Habsbourg oblige, être conservés séparément, pour procéder à l'embaumement.

On télégraphie à l'Empereur la mort de son épouse: "Sa Majesté l'Impératrice Elisabeth décédée à l'instant". Lorsque François-Joseph prend connaissance du message, s'affaisse dans son fauteuil en murmurant "Rien ne me sera donc épargné sur cette terre!" (Mir Bleibt auch nichts ersparrt !). "Personne ne peut savoir combien j'ai aimé cette femme", déclare-t-il.

En poignardant Elisabeth d'Autriche, Luccheni avait cru blesser mortellement l'aigle à deux têtes ; il n'a su tuer qu'une morte. "Elle avait déjà passé outre" disait Barrès. Le meurtrier n'est pas allé loin. La police l'arrête, ou plutôt il s'est rendu. Fièrement, il déclare : "un anarchiste frappe une impératrice, pas une blanchisseuse !" En prison, il développa ses idées : "Qui ne travaille pas, n'a pas droit à manger !". Il fut jugé un mois après l'attentat. Il n'exprima aucun regret.



Les quarante jurés genevois le condamnèrent à la peine maximum, la réclusion à perpétuité. A la lecture du verdict, il s'écria : "Vive l'Anarchie. Mort aux Aristocrates !".

Après avoir fait les gros titres dans le journaux pour qu'on parle de lui, Luigi Luccheni se pendra sans sa cellule en 1910 sans que cela n'intéresse personne.

Par l'ironie du destin, l'anarchiste italien venait de tuer la plus anarchiste des impératrices !

A Vienne, la nouvelle fut rapidement connue et les journaux titrèrent : "L'Impératrice Elisabeth assassinée !"

La défunte fut ramenée dans sa capitale, pour y être enterrée dans la crype des Capucins.

"Je suis Elisabeth, pauvre pécheresse, je requiers humblement la grâce divine".

Elisabeth s'éteint. La mouette s'envole.

Ainsi la légende peut commencer…


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