4.
1866 - «The Black Crook», première création américaine

 5.3.
Harrigan & Hart

 5.4.A.
Franz Lehár (1870-1948)

 5.4.C.
Les dernières années de Lehár

 5.5.
Victor Herbert

 6.
1927 - «Show Boat»

B) Die Lustige Witwe (La Veuve Joyeuse - The Merry Widow)

B.1) Une bataille des sexes

Die Lustige Witwe () (The Merry WidowLa Veuve Joyeuse) (Vienne 1905, plus de 400 représentations) débute lors d’un bal à l'ambassade parisienne du Pontevedro, un royaume fictif des Balkans qui ferait faillite si la riche et jeune veuve Hannah Glawari décidait d’épousait un étranger. L'ambassadeur Zeta ordonne au comte Danilo, diplomate playboy, de courtiser la veuve. Son choix n’est pas innocent : il sait qu'Hannah et Danilo avaient autrefois été amants et que leur romance a pris fin parce que le roi a interdit à son noble neveu d'épouser la jeune fille qui n’était alors qu’une paysanne.

Hannah a fini par épouser l'homme le plus riche du Pontevedro mais il est mort le soir de leur mariage. Elle «vaut» maintenant 20 millions (la monnaie n'est pas spécifiée), et sa fortune représente la majeure partie de l'économie de Pontevedro. Actuellement en visite à Paris, elle attire les chasseurs de fortune. Faisant une entrée spectaculaire au bal, Hannah se rend compte que les hommes qui lui déclarent leur amour ne s'intéressent qu'à ses millions. Quand elle est ailleurs dans l'ambassade, Danilo arrive, totalement ivre, effet d'un séjour frénétique de trois jours à la célèbre boîte de nuit Maxim's et de sa consommation d'alcool.

Lorsque les anciens amants se rencontrent, Hannah raille Danilo, et une joute verbale s’ensuit. Le dialogue ci-dessous est tiré de l'adaptation de Londres de 1907, qui a rebaptisé la veuve "Sonia". Bien qu'il ne s'agisse pas d'une traduction exacte de l'allemand original, c'est le texte qui a enchanté le monde anglophone :

SONIA: Well now, in view of my estates, my houses, my horses, my cows, my pigs ...
DANILO: Quite a menagerie!
SONIA:... and my millions—I believe the noble old uncle would no longer object to the noble young nephew bestowing his affections on me if it had rested with him.
DANILO: (Going to her) And do you think that I?
SONIA: All men are alike.
DANILO: All other men may be, but I’m not
SONIA: When a man says to me, “I love you,” I know he means my money.
DANILO: You class me with all other men?
SONIA: You are all alike!
DANILO: (Angrily) I, at any rate ...
SONIA: Yes, they all say that.
DANILO: Do they? I, at any rate, shall never say to you, “I love you.”
SONIA: (Going right up to him with upturned face) Never?
DANILO: (Rushing away from her) Never, never, never.

Extrait de «Die Lustige Witwe» (Adaptation anglaise de 1908)


Pour tout compliquer, Valencienne, la très jeune épouse de l’ambassadeur pontévédrin Zeta, entretient une liaison secrète avec le Comte parisien Camille de Rosillon, tout en affichant partout une image d’«épouse vertueuse». La perte de l’éventail de Valencienne, sur laquelle Camille a griffonné les mots « Je t'aime », laisse les deux dans la crainte que leur liaison puisse être découverte.

Le bal de l'ambassade arrive à son paroxysme lorsque les prétendants d'Hannah lui imposent presque qu’elle « élise » l'un d'eux pour la prochaine danse. À une époque où les femmes étaient en croisade pour le droit de vote – les suffragettes entre autres – c'était un développement opportun. Danilo, poursuivant sa mission de protection, fait entrer les femmes de ces messieurs pour écarter les prétendants. Et Hannah choisit le seul homme qui n'est clairement pas demandeur à danser avec elle: Danilo. Lorsque le rideau tombe sur le premier acte, il est clair que ces deux sont toujours amoureux et refusent toujours de le reconnaître.

Le deuxième acte s'ouvre le soir suivant, lors d'une fête pontévédrine dans le jardin du manoir parisien d'Hannah. Elle ravit ses invités en interprétant la chanson de la Fée Vilja (Es lbt’eine Vilja, ein Waldmägdelein), une histoire d'amour vouée à l'échec entre un jeune homme et un esprit de forêt. L'Ambassadeur Zeta, Danilo et les hommes de l'ensemble portent un toast aux complexités fascinantes des « femmes » (Wie die Weiber man behandelt). Cette chanson est un des tubes, acclamée fiable chaque fois que The Merry Widow est jouée.

Au fur et à mesure que la fête progresse, Valencienne et Camille décident de mettre fin à leur liaison. Lorsqu’ils se donnent un baiser d'adieu dans un pavillon du jardin, ils sont vus par l’ambassadeur Zeta. Pour éviter un scandale, Hannah se glisse dans le pavillon et prend la place de Valencienne. Hannah profite de la situation en annonçant qu'elle épousera Camille. Ce bluff provoque une crise de jalousie de Danilo. Cela rassure Hannah : il l'aime toujours.

Dans la production originale de Vienne, le troisième acte se déroule la nuit suivante lors d'une autre fête, cette fois dans le manoir d'Hannah à Paris. Elle l’a décoré pour ressembler à l'intérieur de Chez Maxim’s. Après que les grisettes aient exécuté un can-can, Danilo affronte Hannah. Elle lui explique que ses fiançailles ont été une ruse pour protéger la réputation d'une femme mariée. Au cours d'une valse sensuelle, les deux admettent presque leur amour l'un pour l'autre. De la traduction anglaise de 1907 :

I hear the music play,
It carries me away.
All sorrows will have flown
When you are mine and mine alone.

Love unspoken, faith unbroken,
All life through.
Strings are playing, hear them saying,
“Love me true.”
Now the echo answers,
“Say you want me too.”
All the world’s in love with love
And I love you.

Extrait de «Die Lustige Witwe» (Adaptation anglaise de 1907)


Danilo assure l'ambassadeur Zeta que la Veuve n'épousera pas Camille. Hannah explique que selon les termes du testament de son mari, si elle se remarie, elle perd automatiquement sa fortune. Danilo proclame immédiatement : « Je t'aime ! » En entendant cela, Danilo lui avoue son amour et lui offre de l’épouser déshéritée. Hanna précise alors seulement que son héritage lui est retiré mais … au profit de son nouveau mari. L'attaché d'ambassade Njegus aporte l’éventail perdu de Valencienne. Zeta est exaspéré par le "Je t'aime" griffoné, mais Valencienne oblige Zeta à lire le message inscrit sur l’éventail, « Je suis une femme comme il faut » : Zeta annule le divorce et demande pardon à sa femme. Tout le monde est heureux. Les femmes ont bien joué et, comme d’habitude, elles ont gagné… (Ja, das Studium der Weiber ist schwer)!

B.2) Un succès surprise

Lorsque Die Lustige Witwe () a ouvert ses portes le 30 décembre 1905, les critiques de Vienne eurent l’éloge modeste et les ventes de billets furent faibles. Mais, petit à petit, les mélodies entraînantes de Lehár ont fait leur chemin dans les cafés et les salles de bal. À la 25ème représentation, le Theatre an der Wein était complet. Les producteurs ont célébré la 300ème représentation en investissant dans de nouveaux décors et costumes. Lehár a marqué le 400ème en ajoutant une ouverture. À cette époque, Die Lustige Witwe () avait déjà débuté son voyage à travers le monde.

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Daly's Theatre Vu depuis Leicester Square (Londres) (env. 1905)
Remplacé aujourd'hui par le Vue Cinema Complex (9 salles)

Après des productions réussies à Hambourg, Berlin et Budapest, la première version anglaise de The Merry Widow () est présentée à Londres (1907, 778 représentations au Daly's Theatre) par George Edwardes. Le producteur a commandé le parolier Adrian Ross et le librettiste Edward Morton pour créer la première traduction anglaise de The Merry Widow (). Lorsque leur travail s'est avéré décevant, le dramaturge Basil Hood a été amené pour des révisions approfondies, mais il n'a pas été crédité que des années plus tard.

Le royaume des Balkans du Monténégro, où la famille royale s'appelait Njegus et le prince héritier s'appelait Danilo, s'était plaint du texte original allemand. Dans l'intérêt de la diplomatie britannique, l'adaptation anglaise a apporté plusieurs changements. Pontevedro est devenu Marsovia, l'attaché d’ambassade Njegus est devenu Nish, le comte Danilo a été promu au rang de prince, et l'acte final a été déplacé au restaurant de Chez Maxim’s. L'ambassadeur Zeta a reçu le nom plus risible de Popoff, et pour des raisons que personne n'a jamais compris, Valencienne est devenu Natalie et Hannah Glawari a été rebaptisé Sonia Sadoya.

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Lily Elsie (rôle de la Veuve) - Joseph Coyne (rôle du Prince Danilo)
Création à Londres - Daly's Theatre - 1907

Edwardes a estimé que les voix d'opéra ne plairaient pas aux publics du West End publics, alors il a engagé des artistes comédie musicale. La relativement inconnue Lily Elsie (rôle de la Veuve) avait une voix de soprano légère et était jeune et mince – en la rencontrant, Lehár a plaisanté en disant qu'elle ressemblait plus à «la fille de la veuve». L'Américain Joseph Coyne (rôle du Prince Danilo) n'était pas chanteur, mais a été choisi pour le rôle de Danilo en raison de son apparence élégante et la maîtrise des dialogues comiques. Lehár, qu’Edwardes a invité à diriger la première de Londres, rechigna quand il entendit Joseph Coyne parler plutôt que chanter. Mais comme Edwardes s'y attendait, le public britannique était ravi de cette approche. Ouvert au Daly's Theatre le 8 juin 1907, elle a tenu l’affiche pour 778 représentations.

Soupçonnant que le public britannique voulait plus d'humour que ce que contenait cette traduction anglaise, Edwardes encouragea George Graves (jouant l’ambassadeur Zeta devenu Popoff) à « en faire des tonnes » dans son jeu scénique. Graves a triomphé auprès du public anglais, à un tel point qu’il a joué le rôle plus de 3.000 fois au cours des quatre décennies suivantes. C’est ce que l’on appelle « le rôle d’une vie ».

The Merry Widow () est devenu un tube mondial de la culture populaire. Le public a été inondé par du merchandising non autorisé : des cigares, des parapluies, des tas de desserts et de cocktails alcoolisés, et même un style populaire de corset. Lehár et ses collaborateurs n’ont jamais été rétribués pour la vente de ces produits mais, malgré tout, les lois internationales sur le droit d'auteur sur les représentations et sur la vente des partitions, les ont rendus très très riches.

Mais qu’allait-il se passer lorsque cette très viennoise veuve allait quitter l’Europe pour traverser l'Atlantique?

B.3) Amener «la Veuve» à Broadway

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Henry W. Savage (1859–1927)

Pratiquement tous les producteurs de New York voulaient présenter le chef-d'œuvre de Lehár en Amérique. Certains furent surpris lorsque Henry W. Savage a obtenu les droits, car il avait une réputation d’avarice absolue. Avec ce spectacle, il a basculé en première classe dans tous les domaines. Il a décidé d’utiliser la traduction britannique, a investi dans de somptueux décors et costumes, et réservé le New Amsterdam Theatre, l'un des théâtres les plus récents et les plus désirés de New York. Avec ses 1.900 sièges, les profits potentiels seraient substantiels. Les sièges en première catégorie se vendaient à 2$ à la billetterie du théâtre, mais bien plus auprès des revendeurs privés. George M. Cohan a payé 200 $ pour acheter à ses parents deux billets pour la soirée de Première.

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Donald Brian (rôle du Prince Danilo) - Ethel Jackson (rôle de la Veuve)
Création à Broadway - New Amsterdam Theatre - 1907

La soprano Ethel Jackson (rôle de la Veuve) et le beau Donald Brian (rôle du Prince Danilo) se formaient le couple parfait sur scène, surtout lors de leur valse du troisième acte. En négociant avec Brian, le rusé Savage l'a convaincu de déterminer son salaire par un tirage au sort. Et oui! Brian n’a pas eu «de chance» et a été payé 75$ par semaine, une fraction de son salaire habituel. Des années plus tard, Brian a appris que Savage portait toujours une pièce de monnaie contrefaite avec deux côtés identiques pour garantir le résultat de ces paris. Mais Donald Brian est resté une star de Broadway pendant des décennies… À long terme, il a donc été gagnant.

La production de Broadway de 1907 s’est jouée durant 416 représentations. En possession de l’exclusivité des droits pour les Etats-Unis, Savage envoya des troupes en tournée à travers tout le pays, répandant la veuve-mania dans toutes les États américains. La « valse de Lehár » faisait fureur partout, bien en dehors des salles de spectacle. Il y avait même un cocktail Merry Widow : 1,5 once de Dubonnet, 1,5 once de Vermouth Sec, 1/4 d’once de Luxardo Maraschino ou de Grand Marnier, un trait de Bitters Orange de Regan; le tout mélangé avec de la glace, servi dans un verre à cocktail et décorer avec une tranche de citron.

Peu de temps après l'ouverture à Broadway, l'humoriste Joe Weber a annoncé qu’il souhaitait créer une parodie complète de la veuve. Henry Savage, en vrai homme d’affaire, a vu cela comme une vraie publicité et a fourni à Weber les orchestrations originales, ainsi que le costume et les scénographies, le tout sans frais. Mis en scène par Julian Mitchell, The Merry Widow Burlesque () (1908, 156 représentations) est devenu un succès à part entière, et ils furent des milliers ravis à voir les deux œuvres.