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Partitions de «Mlle. Modiste» (1906)

Après le grand succès de Mlle. Modiste () (224 représentations durant la saison 1905-1906), The Red Mill () de Victor Herbert est le musical ayant la plus longue série de la saison 1906-1907 et contenait certaines de ses chansons les plus mémorables, dont l’éternel The Streets of New York alias In Old New York. Leur nouvelle œuvre a été jouée 318 représentations et a fait l’objet d’un US-Tour de deux ans, a été filmé en 1927, télévisé en 1958 et a été repris à Broadway en 1945 pour 531 représentations, ce qui en fait, à l'époque, la plus longue reprise de l’histoire du théâtre de New York.

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Playbill du revival de 1945

Pour la production originale de Broadway en 1906, le producteur Charles Dillingham est entré dans l’histoire du théâtre en plaçant devant le Knickerbocker Theater un moulin à vent rouge tournant alimenté et éclairé à l’électricité. Il s’agissait du premier panneau lumineux mobile de Broadway.

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David C. Montgomery and Fred A. Stone
© Collection de John Guidinge

Ce musical mettait en vedette le duo comique de Fred Stone et David Montgomery, qui avaient récemment fait une apparition dans le succès The Wizard of Oz () dans les rôles respectifs de l’épouvantail et de l’homme d'étain. The Red Mill () fut encore plus populaire et a consolidé leur place au sommet de l’échelle des duos comiques les plus importants de l’époque, et le New York Sun s’est exclamé que "les deux comédiens n’ont jamais été mieux distribués, même dans The Wizard of Oz ()".

Stone et Montgomery jouaient respectivement Con Kidder et Kid Conner, deux New-Yorkais "visitant" l’Europe et qui se retrouvent bloqués en Hollande à court d'argent. Afin de payer leurs dus et d’économiser assez d’argent pour retourner à New York, Con devient guide touristique et Kid serveur à la Red Mill Inn pour l’aubergiste Willem (David L. Don). Con et Kid ont promis à la fille de Willem, Tina (Ethel Johnson), qu’ils l’emmèneraient à New York pour en faire une star de la scène. Pendant ce temps, Gretchen (Augusta Greenleaf), la fille du bourgmestre Jan Van Borkem (Edward Begley), est amoureuse du capitaine Van Damm (Joseph M. Ratliff) et défie ainsi la volonté de son père qui lui ordonne d’épouser le gouverneur de Zeeland (Neal McCay), qui est lui amoureux de la sœur veuve du maire Bertha (Aline Crater, Mrs. Fred A. Stone hors scène).

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Scène de «The Red Mill» (1906)
Collection de John Guidinger

Van Borkem enferme Gretchen dans le moulin rouge abandonné et réputé hanté près de l’auberge, mais Kid et Con se déguisent en Sherlock Holmes et Docteur Watson, et ils aident Gretchen à s’échapper du moulin. Cette séquence était peut-être la "scène du chandelier" de 1906. Pour sauver Gretchen, nos héros montent sur la roue du moulin, puis se balancent sur une aile. L'un d’eux attrape Gretchen, puis les trois se balancent, suspendus à l'aile descendante. The Times a déclaré que la séquence était "palpitante", et Fyles a indiqué que l’exploit était acrobatique et grotesque, mais pittoresque et mélodramatique.

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Scène de «The Red Mill» (1906)
Collection de John Guidinger

La comédie musicale se termine sur une note heureuse, lorsqu’une Bertha voilée prend la place de Gretchen au mariage et que Bertha et le gouverneur deviennent ainsi mari et femme; lorsque l’on apprend avec joie que Van Damm, le bien-aimé de Gretchen, est le fils de parents aisés, Van Borkem donne son consentement à leur mariage. Et, sans doute, Con, Kid et Tina se dirigent vers New York.

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«The Fifth Avenue Girls» - «The Red Mill» - Acte II

Outre la scène spectaculaire du moulin à vent et les rôles de Holmes et Watson, le livret a donné au duo d’autres occasions de donner libre cours à leur folie. Fred Stone a eu la chance de montrer davantage de ses talents sportifs dans une scène d’échelle, décrite par Charles Darnton dans le New York Evening World. Toute personne descendant une échelle en premier descend les pieds en premier. Mais, même si Stone tente une descente conventionnelle, il échoue et se retrouve à la descendre la tête en premier. The Sun a fait remarquer qu’une autre nouveauté athlétique pour Stone et Montgomery était un «match de boxe mis en musique». Et quand Stone et Montgomery ne se faisaient pas passer pour des serveurs, des guides touristiques, des boxeurs, Holmes et Watson, le livret a trouvé un moyen pour eux de se transformer temporairement en joueurs d'orgues qui chantent en anglais approximatif (Good-a-bye, John avec des paroles de Harry Williams et une musique d’Egbert Van Alstyne, était la seule chanson de la partition non écrite par Herbert et Blossom). Le New York Times a dit que le duo était "plus drôle que jamais" dans cette séquence, et le Sun a déclaré qu’ils "se surpassaient".

Herbert a écrit aux jeunes amants des duos d'opérette comme The Isle of Our Dreams et Moonbeams, mais a écrit pour Montgomery et Stone le tube de comédie musicale The Streets of New York. Sur une musique de valse, les paroles de Blossom rappellent Ned Harrigan de la meilleur époque:

In old New York! In old New York,
The peach crop’s always fine!
They’re sweet and fair and on the square!
The maids of Manhattan for mine!
You cannot see in gay Paree,
In London or in Cork,
The Queens you’ll meet
On any Street
In old New York.

Extrait de la chanson «Moonbeams» tirée de «The Red Mill» (1906)

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Fred Stone dans le rôle de l’épouvantail
et David C. Montgomery dans le rôle de l'homme d'étain
dans «The Wizard of Oz», l’extravaganza théâtrale de 1902

Pour terminer, même si The Red Mill () a été un succès, mettons en évidence la difficulté de sa création. Le communiqué de presse qui fut envoyé pour l’ouverture du try-out à Buffalo, au Star Theater, le 3 septembre 1906, soulignait le travail des créateurs et des interprètes ainsi que la sophistication de la production. Le librettiste Blossom aurait choisi les Pays-Bas comme décor pour "créer une nouvelle atmosphère" dans laquelle s’inscrirait la comédie de Montgomery et Stone, dont on a souvent parlé du succès dans The Wizard of Oz (). Le producteur Dillingham a notamment envoyé des scénographes en Hollande pour faire des esquisses pour les décors. Tous les créateurs avaient fait le voyage jusqu'à Buffalo. Dillingham était inquiet au sujet du spectacle, et a insisté pour que la préparation du spectacle soit intense. Peut-être parce que cette production suivait directement celle de son énorme succès, Mlle. Modiste ()... Quelle qu’en soit la raison, la presse rapportait: «Toute l’après-midi d’hier et jusqu’à minuit aujourd'hui, la troupe était occupée par des répétitions générales». Après une nouvelle répétition générale qui a duré jusqu’à l’aube, la compagnie était épuisée et Dillingham était convaincu qu’il allaient droit vers un échec retentissant. Seul Herbert est resté optimiste. Pour remonter le moral, il a invité la troupe à un petit-déjeuner au champagne, agrémenté de son propre remède spécial contre le blues: un cocktail de champagne avec de la sauce du Worcestershire dégoulinant sur le bord du verre. La potion a eu son effet magique sur le casting, mais le producteur est resté sombre. Il avait très peur des risques physiques que prenait son duo de stars (scène du moulin, échelle descendue tête en bas ...). Ses stars, non assurées, n’avaient en plus pas d'understudies!

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Paritions de Improvement, chanson de Dream City
© Library of Congress, Music Division.

L'annonce d'une collaboration entre Victor Herbert et Joe Weber (l'un des deux membres du célèbre duo comique Weber & Fields () a du en étonner plus d'un, car leurs styles théâtraux respectifs et leurs sensibilités très différentes étaient risquaient de donner vie à un spectacle à deux vitesses. Mais le résultat fut une parodie inhabituelle qui permit à Victor Herbert de faire un clin d’œil au grand opéra et donna à Joe Weber la liberté de se livrer à ses charmantes routines comiques, toujours généreusement accompagnées du dialecte allemand (c'était sa "carte de visite artistique"). La comédie musicale a été présentée pendant trois mois à New York, puis en tournée. Aujourd'hui, son regard satirique sur des démunis qui devienent des nantis serait plus moderne.

Dream City () a été joué en deux actes, suivi par le burlesque The Magic Knight (). Contrairement aux burlesques qui accompagnaient la plupart des spectacles de Weber, le musical et le burlesque étaient ici tous deux organiquement liés, et la parodie d’opéra était l’aboutissement des aspirations sociales et culturelles des personnages principaux.

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Paritions de Une scène de Dream City
© Photographie de Joseph Byron Clayton - University of Washington: Special Collections

Le premier acte de la comédie musicale se déroule à l’époque contemporaine (1906) et nous présente un fermier de Long Island, Wilhelm Dinglebender (Joe Weber), qui vit au Malaria Center. Le contrebandier J. Billington Holmes (Otis Harlan) veut acheter les terres de Dinglebender, qui sont apparemment sans valeur, et les transformer en une métropole sophistiquée pour rivaliser avec Manhattan. Cette métropole sera baptisée Dream City (Ville des Rêves). Les perspectives étourdissantes de transformer le Malaria Center en une merveille urbaine - ce qui lui apportera une incalculable richesse - suffisent à catapulter Dinglebender dans un "avenir immédiat" via un rêve éveillé (qui constitue le reste de la comédie musicale).

Dans son rêve, Dinglebender, sa famille et ses amis ne sont plus des péquenots mais des membres de la classe moyenne. C'est le cas de leur fille Nancy (Cecilia Loftus) qui préfère être la belle de Dream City plutôt que du Malaria Center. Dinglebender confie: «Je ne sais pas comment elle est devenue mein fille, mais elle l’a fé.». Apparemment son comportement à l’opéra provoque un malaise car elle applaudit si fort qu’elle réveille le public. Et oui, toutes les routes de Dream City mènent au Dream City Opera où est joué The Magic Knight () (le livret était d’Edgar Smith, et la partition d’Herbert utilisait des citations musicales de l’opéra Lohengrin de Richard Wagner de 1850). Cet opéra dans le spectacle est joué avec une richesse de détails comiques, dans la présentation desquels chaque membre de la distribution a amplement l’occasion de briller.

À la fin de la représentation, Dinglebender déclare que, si la fréquentation de l’opéra est le prix de la richesse, il préfère rester un pauvre agriculteur au Malaria Center. Il appuie sur un bouton qui déclenche une charge de dynamite, et l'on se retrouve dans le décor de la toute première scène. Dinglebender découvre qu’il dort et se réjouit que tout cela ait été un rêve. Rideau!

À côté du génie comique de Joe Weber, plusieurs chanteuses exceptionnelles ont contribué au succès de la soirée. Lillian Blauvelt, artiste de concert et d’oratorio avec un grand sens de l’humour, n’ayant pas peur de la parodie personnelle, jouait Elsa dans la satire de Wagner. Madelyn Marshall a incarné une caricaturale fille de la campagne portant des jupes courtes alors qu'elle avait de longues jambes, avec un rire drôle et un désir pour les hommes qu'elle exprimait dans la chanson I Don’t Believe I’ll Ever Be a Lady. Cela fait d’elle l’Ado Annie d’Oklahoma! () qui ne pouvait pas dire "Non". Cecilia Loftus dans le rôle de la fille de Dinglebender a presque volé le spectacle (et les cœurs des critiques) avec son double talent de comédienne (ingénue comique) et d'imitatrice experte: elle imitait Ethel Barrymore dans l'opéra Captain Jinks of the Horse Marines et Nazimova dans A Doll’s House.

Dream City () était sans aucun doute le spectacle le plus drôle que Victor Herbert ait jamais écrit. Et, sans doute, le plus injustement négligé.

Dans Dream City (), l'œuvre précédente de Victor Herbert, l'acteur comique Joe Weber avait obtenu un gros succès. Alors, Hebert s'est demandé pourquoi ne pas ramener les jours de gloire du premier succès comique d’Herbert en 1895, The Wizard of the Nile ()? Son manager Charles Dillingham a pensé la même chose et a entrepris de réunir son ancienne équipe de stars: le comédien Frank Daniels, le librettiste-parolier Harry B. Smith et Victor Herbert. Ils ont tenté de construire un nouveau succès, mais en suivant le modèle de l’ancien. The Tatooed Man () est une tentative de reconstitution en deux actes de The Wizard of the Nile (). Il repose sur un scénario tout aussi invraisemblable que l'original: Omar Khayam Jr règne sur la Perse pendant les absences fréquentes du Shah. Mais il a une marque de naissance particulière, et il a été décrété que, si jamais un autre homme apparaissait avec la même marque, les deux hommes devraient mourir ensemble. Fatima, repoussée par Omar, tatoue la marque sur non pas un, mais deux autres hommes, et Omar doit passer le reste de la soirée à concevoir des moyens d’éviter l’inévitable. Le Shah revient et le condamne à mort, ou pire, à la vie avec Fatima. Omar choisit cette dernière après quelques hésitations.

Après une semaine de try-out à Baltimore débutée le 11 février 1907, le spectacle a ouvert au Criterion Theatre de New York le 18 février 1907. Le critique du Times a aimé la musique "accrocheuse" de Herbert, la mise en scène "charmante" de Mitchell et les "filles, paillettes et gags". Quant à Frank Daniels, "il est très drôle".

Un autre critique, moins enthousiaste, fait remarquer que «le premier acte contient toute la trame et la plus grande partie de l’amusement... La musique est d’une grande qualité mais ce n’est pas la meilleure de Victor Herbert», mais il a admis que «la pièce serait probablement un succès populaire».

Les deux critiques avaient raison. The Tattooed Man () n’était pas une création inspirée, et est restée à l'affiche moins de huit semaines à New York. Ça s’est mieux passé en tournée. Apparemment, le public de Chicago a trouvé suffisamment d’amusement pour accueillir le spectacle huit semaines. Puis la production a été fermée pour l’été et ... des adaptations. Le comédien Frank Daniels a géré ces changements. Il ajouta des imitations très populaires de célébrités et, pour le grand amusement des foules, une version burlesque de la Danse des sept voiles de Salomé de Strauss qui avait récemment scandalisé le monde de l’opéra. Ces nouveaux éléments ont fait le bonheur des vendeurs de billets. Ironiquement, quand la nouvelle version de The Tattooed Man () a débarqué à Boston, elle a joué dans l’ombre de son modèle, car un revival de The Wizard of the Nile () venait d’ouvrir en ville. Le critique Wilder Quint a bien cerné les choses:

« Victor Herbert a écrit la musique. Il y a maintenant deux Herberts compositeurs: celui de la beauté et du goût de The Serenade () et de Mlle. Modiste () et l’autre, celui des lourdes casseroles qu’il a produites avec une telle facilité fatale. Celui de The Tatooed Man () est le deuxième. La musique de Herbert est meilleure que la meilleure de beaucoup d’autres compositeurs américains, mélodieuse, délicate et bien orchestrée et parfois tout à fait charmante. Pourtant, cette rare individualité et perfection de forme qu’il excelle à son meilleur n’est nulle part entendue dans cette œuvre. »

Wilder Quint

 

Tout le monde s’accorde à dire que le succès du spectacle est dû à l’humour inspiré de Frank Daniels, et certainement pas à la musique d'Herbert... Mais il a tourné pendant près de deux ans.

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«The Rose of Algeria»

L’opéra comique Algeria () de Victor Herbert a reçu des critiques mitigées et n’a réussi à tenir l'affiche que 6 semaines à Broadway. Les critiques étaient généralement satisfaits de la partition de Victor Herbert, mais estimaient qu’elle ne contenait aucune chanson à succès et se plaignaient que quelques-uns des chanteurs principaux n'avaient pas le niveau, et ils ont aussi fortement critiqué le livret de Glen MacDonough. La comédie musicale semble avoir subi un try-out difficile, comme en témoignent les remplacements de dernière minute de deux des trois comédiens principaux du spectacle (un trio de déserteurs de la Légion étrangère). Il semble qu’Ernest Lambart (en tant que Van Cortlandt Parke) soit le seul des trois à avoir gardé son rôle, le metteur en scène George Marion reprenant le rôle de C. Walsingham Wadhunter et William Cameron a lui repris le rôle de Trainor Crewe.

L’histoire se déroule en Algérie française à l’époque contemporaine (1908). Zoradie (Ida Brooks Hunt) est la sultane de la tribu du désert des Barakeesh, et elle contrarie les Français et leur chef militaire, le gouverneur général Petipons (William Pruette), en refusant d’envisager une alliance. De plus, elle est captivée par The Rose of the World, un poème écrit par un homme sous un nom d’emprunt, et elle jure de ne se marier qu’avec cet insaisissable et mystérieux écrivain. Se faisant passer ppour une certaine Miriam, Zoradie part à la recherche du poète anonyme et, sur un marché situé dans une oasis désertique, elle rencontre le jeune officier de l’armée française, le capitaine DeLome (George Leon Moore). Il est caserné dans un poste militaire frontalier sous le commandement de son oncle, le général Petibons. Ignorant que DeLome est en fait l’auteur du poème, "Miriam" et DeLome tombent amoureux, et, lorsque le général découvre que la sultane ne se mariera qu’avec le poète, il force trois aventuriers américains - qui sont des déserteurs de la Légion étrangère française - à prétendre être les auteurs. Quand DeLome se rend compte que Miriam est en fait la sultane, il avoue tout, l’alliance est ratifiée, et les deux amants sont sans doute prêts à visiter une oasis de leur propre.

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Si l’histoire de la production d’Algeria () est unique dans le canon des œuvres de Victor Herbert, ce n’est pas parce qu’Herbert a été impliqué dans une révision majeure de la pièce. Les révisions étaient courantes à l'poque dans le développement des œuvres théâtrales, et dans les siennes aussi. Mais ces révisions étaient généralement effectuées lors des try-out, avant une ouverture à Broadway, et étaient en grande partie motivées par les demandes des producteurs, qui avaient une influence majeure sur la forme artistique et le contenu des œuvres théâtrales à l’époque d’Herbert. Mais pour la seule fois de sa carrière, il a assumé le rôle à la fois de producteur et de promoteur. Algeria (), a-t-il estimé, était beaucoup trop fort pour qu'il agonise rapidement (48 représentations au Broadway Theatre), victime d’un livret de MacDonough qui, dans son format original, n’avait pas réalisé son potentiel. Le fait qu’Herbert s’est impliqué non seulement en tant que créateur, mais aussi en tant que promoteur financier est une preuve forte de l’amour qu’il a ressenti pour cette partition. Des récits contemporains rapportent qu’à la maison, assis au piano, il jouait souvent des parties de la partition d’Algeria () pour son propre plaisir et amusement. Stahlberg rapporte: «Algeria () était une de ses préférées. En fait, il avait tellement confiance dans cette partition que quand la série s’est écroulée et est morte, il a acheté les droits de production, et l’a rebaptisée 'The Rose of Algeria ()'. Puis, il a loué le Criterion Theater et a dirigé la totalité de la partition devant un public enthousiaste.»

L'année suivante, Herbert et MacDonough retravailleront le spectacle, qui ouvrira à Broadway, avec comme nouveau titre The Rose of Algeria (). Même si elle ne fut jouée aussi que 48 représentations, cette deuxième version a eu plus de succès auprès de la critique et du public.

Au début du XXème siècle, la concurrence était féroce dans la presse quotidienne new-yorkaise. L'apparition de bandes dessinées dans ces journaux est devenue une arme majeure dans cette concurrence.

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Dernière bulle de l’épisode du 11 février 1906 de Little Nemo in Slumberland par le dessinateur américain Winsor McCay.
© Winsor McCay

Le 15 octobre 1905 commençait à paraître dans la presse américaine une bande dessinée qui allait révolutionner le monde de la narration par l’image: Little Nemo in Slumberland. Ce héros de bande dessinée a vécu les aventures les plus folles de ses rêves. Winsor McCay, qui fut aussi un des pionniers du dessin animé, a créé avec son Little Nemo, un personnage tout aussi attachant que l’Alice de Lewis Carroll. Par la qualité, voire l’audace de ses dessins, par la subtilité de sa réflexion sur le monde du rêve, Little Nemo reste un exemple inégalé. Accompagné de personnages permanents, Flip (un clown sans illusions sur la vie), le Cannibal (une sorte d’âme pauvre), Dr. Pill (un portrait satirique du professionnel qui sait tout); et Princess (une fille de rêve), Nemo allait vivre avec joie des aventures fantaisistes qui finissent toujours avec notre héros en sécurité à la maison dans son lit.

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Cette matière était parfaitement adaptée à un compositeur dont l’évocation efficace de l’innocence de l’enfance, et sa capacité à produire des partitions pour des extravaganzas, avait été prouvée avec Babes in Toyland (). Lorsque les producteurs Klaw et Erlanger ont proposé à Victor Herbert de créer le premier spectacle de Broadway basé sur un dessin animé, Herbert a accepté avec enthousiasme. Cependant, vu un certain nombre de mauvaise expériences du passé, il a insisté qu'il soit prévu dans son contrat qu'il avait un droit de regard sur l'engagement des artistes. Ce sera le cas dans le brouillon de contrat mais pas dans le tecxte final! Mais il y avait d’autres clauses qui reflétaient l’expérience de Herbert avec les tournées post-Broadway. Dès que les recettes de billetterie commencent à décliner, la première mesure prise par la plupart des producteurs revient à réduire le nombre de musiciens dans l’orchestre. Herbert a exigé contractuellement un orchestre d’au moins 23 musiciens dans toutes les grandes villes.

Le choix d’un librettiste approprié pour la transformation à la scène de cette bande dessinée fut compliqué. Le producteur Erlanger pensa à George V. Hobart avec qui Herbert venait de participer en composant la musique d'une chanson de The Land of Nod and The Song Birds () (où il se moquait de la rivalité entre le Metropolitan Opera et la Manhattan Opera Company d’Oscar Hammerstein). Hobart fut intéressé par la proposition mais un profond désaccrod survint entre lui et Erlanger à propos de ses droits d'auteur The Land of Nod and The Song Birds (). Hobart changea de producteur et Erlanger décida qu'il ne voulait plus travailler avec lui. Erlanger porposa le travail de librrettiste de Little Nemo () à Henry Blossom qui fut intéressé... Mais ... Par solidarité, quand il apprit que c'était en remplacement de Hobart, Blossom refusa. Et Herbert quitta lui aussi le projet!

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À ce moment-là, l’un des futurs principaux investisseurs du spectacle, Frederick Thompson, est apparu comme un honnête courtier. Il a réussi à convaincre Herbert de revenir sur sa décision et de travailler avec un autre librettiste. Et la tâche revint à… Harry B. Smith, "toujours prêt".

Little Nemo () de Victor Herbert fut l’un des musicals les plus chers de son époque (Franklin Fyles dans le Salt Lake Herald estimait qu’il en coûtait 50.000$ (2 millions d'euros aujourd'hui), mais le Brooklyn Daily Eagle estimait que l'on était au-delà des 100.000$ (4 millions d'euros aujourd'hui). Les critiques ont apprécié le décor somptueux, les effets scéniques et la musique d’Herbert, qui rappelait Babes in Toyland (), une autre de ses "comédies musicales familiales". La comédie musicale a été jouée à Broadway au New Amsterdam Theatre pendant 11 représentations, puis, avec quelques petites retouches, elle a bénéficié d’une longue tournée post-Broadway.

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Master Gabriel dans Little Nemo (1908)
© New York Star (November 14 1908) Vol.1 No.7

La soirée, qui ressemblait à une revue, se concentrait sur les rêves du Petit Nemo (joué par Master Gabriel, un célèbre acteur nain) et ses aventures picaresques quand il est dans Slumberland. Il visite le Pays de Saint-Valentin, le bureau de l’Usine météorologique à Cloudland, le Navire des Rêves, l’île de Table d’Hôte, un parc d’attractions dans la jungle, le Palais du patriotisme et le pont d’un cuirassé, où il rencontre des personnages de contes comme Cendrillon, le Petit Chaperon rouge, le Chat botté, Little Boy Blue, Little Miss Muffet, Bo-Peep et Alice au Pays des Merveilles. Ses compagnons de Slumberland sont le Docteur Pill (Joseph Cawthorn), Flip (Billy B. Van) et le Dancing Missionary (Harry Kelly), et, en chemin il rencontre Gladys (un chat), Teddy (un ours) et Nutty (un écureuil), tous joués par Dave Abrams.

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Dr Pill et Little Nemo dans son lit
dans Little Nemo (1908)

© New York Public Library

The Eagle a déclaré que la présentation était «la plus belle extravaganza jamais vue à New York» avec une troupe de 200 artistes, des costumes et des décors «magnifiques». Le New York Times a déclaré que «New York n’a rien vu de plus grand ou de meilleur» que ce «scintillant et magnifique spectacle». Charles Darnton dans le New York Evening World a dit que «l’énorme et magnifique album photos était si grand qu’on avait envie d’emprunter les yeux de son voisin pour tout voir». En ce qui concerne la partition, le Tribune indique qu’Herbert avait créé une musique «particulièrement adaptée aux rêves de l’enfance», «mélodieuse» et «tendre» et comprenant des marches et des valses, et le Times note que Herbert a composé «une musique agréable, et bien qu’elle soit très légère, elle sert bien son but».

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Little Nemo () est peut-être aujourd’hui une note de bas de page dans l’histoire du théâtre musical américain, mais il a laissé pour la postérité le terme "Whiffenpoof". Apparemment, quelques années avant la production, le mot avait été inventé par l'acteur de la distribution Cawthorn et, dans son rôle de docteur Pill, il l’a incorporé à l’une des prouesses du médecin lorsqu’il prétend avoir abattu un oiseau local. Mais le docteur Pill n’est pas impressionné car il est le seul homme au monde à avoir capturé un Whiffenpoof. The Times a rapporté la description du médecin de la créature: «Elle a un long cou comme un poisson, un visage comme un ver, sans aucune expression», et on ne peut pas tirer sur des Whiffenpoofs parce que «ils sont couverts d’armure et sont très rapides». Pour en attraper un, "on creuse un trou dans un lac et on dépose un morceau de fromage sur le bord du trou". Le Whiffenpoof sortira du trou et mangera le fromage, puis il "gonflera pour qu’il ne puisse plus passer par le trou" et "alors vous vous asseyez et vous riez de lui jusqu’à ce qu’il meure».

The Prima Donna () est le troisième spectacle créé par Victor Herbert pour Fritzi Scheff (après Babette () et Mlle. Modiste ()). Elle avait triomphé dans Mlle. Modiste (), mais avec The Prima Donna (), elle n’a pas rencontré le même succès. Le spectacle n'a tenu l'affiche que 9 semaines à Broadway, mais, comme la plupart des "non succès à Broadway" de l'époque, le spectacle a bénéficié d’un long US-Tour. Après après Babette (), Mlle. Modiste () et The Prima Donna (), Scheff créera son quatrième et dernier rôle dans une opérette d’Herbert avec The Duchess () (1911), qui, elle, ne sera jouée à Broadway que pendant 3 semaines.

Scheff y jouait le rôle de Mlle Athenee, la primadonna de l’Opéra-Comique de Paris. Un jour, elle se retrouve dans un café situé dans la banlieue parisienne de St. Germain où une soprano a été engagée pour jouer, mais est obligée d’annuler à cause d’une subite maladie. Athenee, qui est présente incognito, se porte volontaire pour remplacer l’interprète et chante une valse (Dream Love) composée par le lieutenant Fernand Drouillard (Donald Hall), dont le régiment est stationné dans le quartier.

Athenee et Fernand tombent amoureux. Le supérieur hiérarchique de Fernand, le capitaine Bordenave (William K. Harcourt) tente lourdement de la séduire, mais est repoussé. Plus tard, à un moment où elle est seule, il entre et la drague outageusement. Il se comporte mal avec elle qui doit lui dire à un moment donné «Lachez-moi, monsieur!». Il est visiblement éméché. Survient une lutte physique entre eux, et elle, agile et pleine de courage, le pousse dans une autre pièce et l’enferme à clé. Quand les autres se précipitent, elle ouvre la porte... Fernand et le Capitaine sont sur le point de se battre quand Athenee prévient Fernand qu’il ne doit pas frapper son supérieur. Elle avoue alors qu’elle ne fait pas partie "de l’armée" et qu'elle est la Prima Donna Athenee, saisit le gant de Fernand et gifle le capitaine. Par ailleurs, les amants ont aussi un problème avec la famille de Fernand car ils s’opposent à sa relation avec Athenee. Mais toutes les complications se résolvent avant le rideau final.

Très bien produit par Dillingham, le spectacle n’a jamais atteint son potentiel. Et Scheff en était en grande partie responsable. En jouant The Prima Donna () sur scène, elle s'est prise une primadonna: les évanouissements et les crises de colère étaient monnaie courante.

Henry Blossom avait fourni un livret efficace, et Herbert une partition qui était de très bon niveau. Bien que l’inspiration ne soit pas égale à celle de The Red Mill (), ni à celle de Mlle. Modiste (), mais avec The Prima Donna () en matière d’inventivité novatrice, il y avait un aspect qui était unique dans l’opéra-comique. Dans The Prima Donna (), le premier acte se termine par une scène étonnamment réaliste dont nous avons parlé ci-dessus: rien de moins qu’une tentative de viol.

Comme le dit le Boston Evening: «Ce fut une fin de premier acte palpitante et dramatique. La création musicale de M. Herbert s’est de nouveau montrée... très habile à la scène. Pétrifié par la brutalité mélodramatique de la scène, le public semblait autant le souffle coupé que la jeune fille sur scène."

Rien de tel n’avait été vu auparavant dans l’opéra-comique. Une telle menace sexuelle, dans le cadre d’un spectacle scénique, allait bientôt apparaître sur la scène musicale américaine. Rose-Marie (), The Desert Song (), Porgy and Bess (), Pal Joey () et Oklahoma! () ont tous intégré cet élément. Une fois de plus, le très sous-estimé Henry Blossom est venu avec une scène qui a donné à Herbert l’occasion d’afficher sa théâtralité musicale. Les critiques de New York ont été impressionnés.

Il s’agit d’un opéra-comique avec une intrigue qui se tient, avec de la vraie musique, aucun numéro de vaudeville... En fait, c’est un vrai opéra-comique. Le livret est bien construit, l’humour débridé et le dialogue sont naturels. La musique de Victor Herbert est du meilleur style: sobre, accrocheur, discret et, surtout, adapté. Les critiques ont loué toutes les qualités de Herbert, son humour dans les touches orchestrales en particulier. Et, bien sûr, malgré les difficultés rencontrées par les producteurs avec Fritzi Scheff, la primadonna a été encensée:

« La petite dame a été le principal facteur de succès du spectacle. Elle chante, elle bat le tambour, elle est capricieuse, elle est tentante... elle a une valse et un peu de bravades, elle porte des robes du soir élégantes et la jupe courte de la soubrette. Les admirateurs de Mme Scheff ne pourraient certainement pas en demander plus... Elle montre tout son talent... L'honneur lui appartient de faire de The Prima Donna () un des délices de la saison théâtrale. »

Revue de presse

 

The Prima Donna () est un opéra comique propre, amusant, intelligent et mélodieux. Pourquoi alors est-il aujourd'hui virtuellement oublié? D’abord, parce que c’est du «bon Herbert» mais pas de l'«exceptionnel Herbert». Mais aussi parce que, le deuxième acte, après la fin étourdissante du premier acte, s’effondre. Blossom a écrit un second acte très faible avec un dénouement mince et ténu, mais aussi rempli de blagues aussi anciennes que celle-ci:

Dowager:
I'm sorry to hear your wife
has run away with the chauffeur.
Comic:
Oh yes ... and he was such an excellent chauffeur.
Douairière:
Je suis désolée d’apprendre que votre femme
s’est enfuie avec le chauffeur.
Comic:
Oh oui... et c'était un excellent chauffeur.

The Prima Donna - Victor Hebert


Quoi qu'il en soit, le spectacle s'est joué 72 représentations à New York et a fait des tournées pendant deux saisons. La musique était agréable; Fritzi Scheff était un délice. Mais, comme le disait George S. Kaufman: «N’importe qui peut écrire un premier acte.»

En 1904, les deux membres du vénérable duo de choc du Vaudeville, Weber et Fields (), décidèrent de prendre des chemins différents.Suite à cette séparation, Victor Herbert travaillera tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre. Herbert ne se sentit jamais à l’aise dans cette position médiane, mais il voulait rester en bons termes avec les deux artistes, puisque le succès de plusieurs de ses comédies musicales dépendait des contributions de leurs contributions. En outre, après leur séparation, Weber et Fields avaient décidé d’ajouter la production théâtrale à leurs activités, et chacun d'eux désirait travailler avec Herbert. Weber était le premier à avoir réussi pour le spectacle Dream City (). Mais comme nous l'avons vu, les choses s'étaient très mal passées.

Le Old Dutch () de Victor Herbert allait être cette fois un véhicule pour l'autre membre du duo, Lew Fields (qui a coproduit la comédie musicale avec les Shuberts). Le spectacle se jouera 88 représentations à Broadway avant d'entamer un US-Tour comprenant un 'return engagement' à New York le 11 avril 1910 au West End Theatre pour 8 représentations.

Lors de sa création, cette histoire avait déjà un aspect "vieux", même pour 1909. Elle était en fait une version retravaillée de la source dont s'était inspiré le succès londonien de 1885 (et le triomphe à Broadway subséquent de 1886) Erminie (). En plus, la partition de Victor Herbert n’a donné aucun standard.

L’histoire se déroulait à l’Hôtel Schoenwald dans le Tyrol autrichien sur l'espace de quelques heures: un après-midi, un soir et une nuit. Le riche, mais distrait inventeur Ludwig Streusand (Lew Fields) et sa fille Liza (Alice Dovey) y passent des vacances, et parce qu’il ne veut pas être reconnu, il s’inscrit sous le nom de Leopold Mueller. Mais c'est malheureusement le nom d’un escroc notoire. Ludwig perd son portefeuille et ses papiers d’identité, que le vrai Leopold Mueller (John E. Henshaw) trouve facilement, et donc le faux Mueller est reconnu par tous comme Ludwig. Et Ludwig ... est considéré comme le fraudeur. Parce que Ludwig ne peut pas payer sa facture d’hôtel, la direction le met au travail dans l’écurie de l’établissement où il devient "valet" d'un cheval. Pendant ce temps, Liza tombe amoureuse du lieutenant Alfred von Bomberg (William Raymond). On peut à peu près deviner comment se sont déroulées la confusion Ludwig-Mueller et l’histoire d’amour Liza-Alfred.

The New York Sun se plaignait que la star Lew Fields était beaucoup plus présente sur les affiches et dans le programme que sur scène, parce qu’il n’avait pas reçu un «rôle à sa mesure», et c’était «décevant de le voir si négligé». Mais Alexander Woollcott dans le New York Tribune a indiqué que le spectacle donnait à Lew Fields des chances d’être «drôle», et le comique en a «profité dans son style qui ne vieillira jamais».

Old Dutch () est aujourd’hui presque oublié. Il est toutefois entré dans l'histoire, car, il est le spectacle dans lequel une petite fille, alors âgée de 9 ans, a fait ses premiers pas à Broadway: Helen Hayes. Et quand elle a grandi, elle est devenue connue comme la 'First Lady of American Theatre'.