Toute la poésie de l'un des plus grands auteurs belges
Prix Goncourt de la poésie en 2015 pour l’ensemble de son œuvre

Ironique, cinglant et incisif, Cliff déploie une parole forte qui poursuit à sa manière, dans notre siècle, les mouvements d'âme des " Fleurs du mal ".
Il parle de tout ce qui fait une vie et évoque des bribes d'enfance et d'adolescence, des rencontres et déambulations… L'école, les profs, l'amour, le désir, la mort, l'abîme. Le monde incompréhensible et qu'il faut, malgré tout, tenter de dire.


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Comme je tiens William Cliff pour l’une des plus grandes et des plus insolites voix de la poésie francophone d’aujourd hui, j’avais beaucoup d'appréhension en me rendant au Rideau de Bruxelles ou son «Autobiographie » est portée à la scène. Des vers qui tirent leur force de mots si concrets et d une métrique si rigoureuse, ne seraient-ils pas déformés, malmenés par le filtre corporel et verbal de ses interprètes ? La lumière s’est éteinte, deux garçons sont entrés, ils ont entamé la récitation du poeme. Et j’ai été rassuré.

Ils martèlent les syllabes, respectent les césures et les enjambements, marquent les blancs entre les sonnets (car ce sont des sonnets !), et puis soudain font entendre comme la mélopée d’un cœur dont les battements se font chant dans la monodie éclatée d’un trop plein d'images et de sensations. Superbe travail réglé par Frédéric Dussenne comme un office des ténèbres où Couperin rejoindrait Ronsard, et le Rimbaud de «La saison en enfer», les «Répons de la Semaine sainte» du prince de Venosa.

Jacques FRANCK - La Libre Belgique, 21/03/1996

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Les échappées belles de l'enfance dans la campagne gorgée de vie, les humiliations du père qui ordonne, un quotidien qui, dès l'école, se fait l'esclave d'horaires peu exaltants, la langue des adultes qu'on ne comprend pas et puis le lycée, les premières prises de conscience, le plaisir de découvrir à travers la littérature que ces expériences que l'on croyait uniques, lourdes ou miraculeuses, ont été vécues par d'autres qui en témoignent magnifiquement.
Et puis l'amour que l'on apprend d'abord en solitaire, puis qui se réfugie entre les bras d'un jeune compagnon de collège. L'amour homosexuel, difficile, clandestin, éphémère... Enfin la perdition au cœur de Barcelone, crasse, mi­séreuse mais exaltante, la ren­contre avec le poète Gabriel Ferrater et l'envie d'écrire qui soudain grimpe comme la fièvre ...

Se partageant habilement la parole à offrir, Bernard Sens et Thierry Lefèvre s'approprient chacun à leur belle tacon cette langue troublante de transparence. Avec tendresse, subtilité et ironie, Thierry Lefèvre se charge davantage de l'enfance, des questions que le père, sa soumission au travail, sa peur de cette mort qu'il a si souvent reculée chez ses patients, engendrent. Frondeur, Bernard Sens assume avec langueur, fièvre et fragilité, l'émergence de la sensualité, présente aussi bien dans le tempérament orgiaque de la nature que dans la chair du poète et des hommes qui attirent ses lèvres, ses yeux, sa main.

Fins, justes d'un bout à l'autre dans les mots, dans les gestes, ces deux superbes comédiens font surgir tout l'humour, toute l'émotion, la force charnelle que William Cliff dégage de ces confidences données dans une langue pleine de torsion qui aime rire d'elle mais émeut aussi terriblement.

Christelle PROUVOST - Le Soir, 06/09/1996