Chant du cygne de la mythique Sarah Bernhardt
Vingt-quatre ans après son interprétation de Sarah Bernhardt, au Théâtre du Parc, Jacqueline Bir rendosse le costume de La scandaleuse (un des surnoms de la comédienne). «Divine» aux yeux d’Oscar Wilde, «Voix d’or» pour Victor Hugo, «monstre sacré» du théâtre français selon l’expression choisie de Sacha Guitry, la grande tragédienne Sarah Bernhardt inspire Sarah et le cri de la langouste au dramaturge John Murrell. Dialogue intimiste et vibrant, drôle autant qu’émouvant, la pièce en deux actes, est une évocation bouleversante de l’actrice au soir de sa vie qui, se confiant à son fidèle majordome, fait revivre ses souvenirs
Sarah Bernhardt, entre grandeur et fragilité. Bir et Von Sivers sont sublimes.
Sarah et le cri de la langouste". Ne cherchez pas le crustacé. Vous ne le retrouverez pas ou alors peut-être après, en y réfléchissant bien. Le texte que le Canadien John Murrel a écrit dans les années 70, est peut-être un hommage à Sarah Bernhardt. Mais c’est aussi une réflexion parfaitement sentie sur la vie, la vieillesse et le jeu avec la mort. Un jeu qui devient subtilement sournois lorsque celle qui affronte son destin est une comédienne pétrie de souvenirs et de mensonges.
"Sarah" est une œuvre superbe. Après que Georges Wilson l’a adaptée pour la première fois en 1982, en se mettant en scène avec Delphine Seyrig, la pièce a traversé les âges. Jacqueline Bir s’y était déjà impliquée. C’était il y a 25 ans avec Roger Dutoit. Elle réapparaît aujourd’hui, dans une adaptation d’Eric-Emmanuel Schmitt et une mise en scène signée Daniel Hanssens, à propos de laquelle il n’y a rien à redire. C’est beau, c’est décadent, c’est tendre, c’est violent.
A la fin de sa vie, la grande Sarah Bernhardt, fatiguée et mutilée, se lance dans le récit de ses mémoires. Pour l’assister dans cette ultime mission vers le public, Pitou, son secrétaire, à la fois confident et souffre-douleur. Celui à qui elle veut tout confier, se confier. Alexandre Von Sivers intègre avec superbe et discrétion ce rôle de faire-valoir tantôt docile, tantôt rebelle et qui procure aux dialogues une force humaine qu’on ressent jusqu’au dernier rang. Il y a entre ces deux-là une complicité qui transcende le scénario, et une forme de respect mutuel dont le public se contente de jouir.
Sarah voit le soleil décliner et ce soleil est son miroir. Lorsqu’elle décide de l’affronter en face à face, elle découvre dans ce reflet les souvenirs d’une vie qu’elle a oubliée. Ou plutôt dont elle ne veut pas se souvenir. Dans ses mémoires, à la lettre "A", le dossier "amour maternel" est resté vide. Il y a des souvenirs qui doivent disparaître et qu’il faut briser avec violence pour ne laisser au public que "les miettes de ma vie". Sa mère, sa sœur, son fils, son mari ce machiniste qui est la cause de l’amputation de sa jambe. Tous ces souvenirs enfouis refont surface, alors que le soleil se couche. Mais Sarah refuse de les entériner tels quels. Elle veut les amender, les réécrire, les mettre en scène Pitou se prête au jeu et donne à ce drame des allures burlesques, drôles et tellement sincères qu’on ne peut s’empêcher de sourire, alors que la vieille dame indigne s’éteint comme un soleil couchant. Mais Pitou se veut prévenant : "Ah, Madame, vous mourez toujours très bien !" Mais c’est parce que la comédienne est comme le soleil : "Il ne se couche pas, il se lève ailleurs." La mort n’est donc qu’une illusion, un grimage de la vie. Sarah, fardée comme un Pierrot, veut nous en convaincre. Et on y croit. Merci Monsieur Von Sivers. Merci Madame Bir.
La Libre Belgique - 11/10/2010 - Yves Cavalier