"Jacqueline Bir est formidable. Drôle, bouleversante, cinglante" - Le Soir
Jacqueline Bir et Alain Leempoel se sont choisis pour défendre cette partition magnifique, la rencontre au sommet d’une mère et son fils. Ils vivent ce projet du bout de leur être, en orfèvres du jeu, en équilibristes des mouvements de l’intime, en éveilleurs d’esprit. Sous la conduite attentive et amicale de Pietro Pizzuti, ils portent par une tendre complicité ce dialogue engagé qui ne manque pas de distiller l’humour et l’émotion au fil des scènes.
Mamà a 82 ans, Jaime en a 50, elle l’a mis au monde à 32 ans et continue de l’éduquer avec l’autorité tranquille d’une mère miraculeusement castratrice et aimante, comme au premier jour. Ils pourraient se détester, se louper, se haïr, s’adorer… entre une mère et son fils il n’est pas rare que différents états sentimentaux se mélangent en un cocktail relationnel au dosage aussi délicat qu’inévitable. Que nous soyons pères, fils, mères ou filles nous sommes tous affectés par des liens de parenté irréductibles et avec lesquels il nous faut apprendre à construire notre vie d’humains au milieu d’humains. Ce que nous sommes envers l’autre nous concerne tous.
Mamà et Jaime sont indispensables l’un à l’autre et le vivent passionnément … Aujourd’hui plus que jamais… Mais pourquoi diable !? C’est qu’un événement majeur est venu tout chambouler. Un séisme professionnel vient modifier crucialement leur rapport et leur donner l’occasion inouïe de se parler comme ils ne l’ont jamais fait. De se rapprocher à tel point qu’ils vont finir par loucher, par se regarder dans un tel gros plan qu’ils parviendront à décoder les plus petits rictus de leurs moues, traduire les moindres silences de leur âme.
La crise a mis Jaime au chômage, comme elle le fait avec des milliers de personnes dans des milliers de pays, la débâcle sociale du monde aussi nous concerne tous. Il avait une situation stable et enviable, tout bascule. La perte d’emploi est une perte de repères et le met au pied du mur, femme et enfants compris. Est-ce de cela qu’il est venu parler à sa mère ? Ou retrouver le sentiment de sécurité primordial ? Ou replanter ses racines dans la terre d’où elles ont pris vie ? Est-ce pour cela ou pour autre chose ?
Son mobile se dévoile au fil de leurs conversations, bouleversantes de sincérité. C’est impressionnant et jouissif, mais surtout sublimement interpellant de voir un fils et sa mère communiquer de la sorte, à leur âge et dans leur situation. Lorsque l’un cède, l’autre gagne du terrain et vice-versa, dans un prévisible mouvement de balancier.
Tout y passe… Ils ne s’épargnent aucun sujet, même quand pointe l’hypothèse spectrale de la maison de repos invoquée par Mamà, suave experte en chantage affectif ou au moment de réaffirmer la hargne envers la belle-mère aussi indésirable qu’incrustée et qui pourrait les séparer à jamais.
Ils en deviennent incandescents de vérité. Masques tombés. Chauffés à blanc tels les fleurets d’un duel d’amour inégalé. Ils se parlent comme s’ils avaient la conscience tacite qu’ils le font pour une ultime fois aussi intensément. Leur complicité est confondante et atavique. On dirait qu’ils ont du temps à rattraper et le rattrapent, goulument, comme il se doit dans toute bonne famille : à la cuisine… Ainsi livrent-ils leur joute par mots dits et mots tus, durant deux mois de retrouvailles que séparent un pot au feu et une paëlla, au cours desquels ils savourent, en fins gourmets, des secrets plus croustillants les uns que les autres. Jusqu’au jour où…
Jacqueline Bir et Alain Leempoel ont choisi et portent ce projet du bout de leur être, en orfèvres du jeu, en équilibristes des mouvements de l’intime, en éveilleurs d’esprit. Ils ont accepté de « jouer » avec une part de leur affect, pour interpréter à travers leur personnage ce que la vie ne leur a pas épargné, parfois au prix de douleurs inévitables. Ils seront Mamà et Jaime au-delà d’eux-mêmes. Leur invitation à les diriger est un don qui m’émeut et me comble. Je leur en suis éternellement reconnaissant, pour le grand bonheur de tous, nous l’espérons.
Pietro Pizzuti
Nardò, le 16 juin 2013
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