2.
Un mythe:
Romeo & Juliet

 3.1.
Robbins / Bernstein
Laurents / Sondheim
Les créateurs

 3.2.7.
Maccarthysme
Activités «anti-américaines»


 3.3.
West Side Story
La création en 1957

 4.
L'après 1957

B) Liste noire d'Hollywood

La première liste noire à Hollywood est publiée en novembre 1947, le lendemain du jour où dix artistes sont accusés d'outrage au Congrès pour avoir refusé de témoigner devant la HUAC. Un groupe de dirigeants de studios de cinéma, sous l'égide de la Motion Picture Association of America, annonce le licenciement de ces "Hollywood Ten" (Ils iront tous en prison).

Ecrivains, réalisateurs, comédiens : tous et toutes à Hollywood font face à un examen de plus en plus minutieux de leurs associations politiques. Une brochure intitulée Red Channels est publiée en juin 1950. Compilée par trois anciens agents du FBI, elle nomme 151 professionnels de l'industrie du divertissement "les fascistes rouges et leurs sympathisants".

LEONARD BERNSTEIN

Bernstein y est mentionné. En 1949, la Maison Blanche ordonne une enquête de sécurité à son sujet pour avoir dirigé un concert en l’honneur de Chaim Weizmann, le premier président d’Israel (le président Truman devait y assister mais il ne viendra pas). Il sera banni des émissions de télévision pendant quelques années et son passeport sera confisqué. Pour le récupérer, il devra écrire une longue lettre déclarant sa loyauté envers les USA et jurant qu’il n’a jamais été membre du parti communiste.

Bientôt la plupart de ceux et celles nommés dans Red Channel, ainsi que de nombreux autres artistes, sont interdits d'emploi dans le cinéma, la télévision et la radio. L'interdiction rouge se poursuit jusqu'à ce que la liste noire commence à s'affaiblir à la fin des années 50. L’un de ces professionnels est Arthur Laurents.

ARTHUR LAURENTS

La raison en est une critique de Home of the Brave (la Demeure des Braves), un film de 1949 tiré d’une pièce qu’il a écrite. Elle est publiée dans le Daily Worker (un journal affilié au parti communiste américain) et approuve ce qui semble être du matériel subversif aux yeux des studios de cinéma.

En 1950, le McCarran Internal Security Act est adopté : entre autres restrictions des libertés, il interdit aux personnes soupçonnées d'activités subversives d'obtenir des passeports.

Laurents décide de se réfugier en Europe, comme d’autres dans la même situation (Bertold Brecht, Charlie Chaplin, …) Dès qu'il tente de réserver un billet, son passeport est effectivement confisqué. Avec l'aide d'un avocat recommandé par Jerome Robbins, il réussit à le récupérer au bout de 3 mois.

Mais il y a quelque chose de louche dans la facilité avec laquelle il récupère son passeport : dès qu'il monte à bord du paquebot Île-de-France, il reçoit par télégramme une offre d'emploi de la MGM. « Tout cela était si flagrant et si efficace », écrit Laurents en 2000. « Le red tape (ruban rouge : l’impossibilité de travailler pour cause de communisme) pouvait être coupé en quelques jours si le Département d'État, le HUAC et l'industrie cinématographique le décidaient ».

Il revient ensuite à Broadway : le théâtre est plus à l'abri des listes noires que le cinéma. Comme il l’explique dans un de ses livres, les producteurs de théâtre sont plus indépendants et moins redevables aux banques, aux politiciens ou aux entreprises.

Les « audiences McCarthy » devant la HUAC battent désormais leur plein ; parmi les hommes de théâtre qui ont témoigné et dénoncé des communistes présumés figurent Elia Kazan (en 1952) et Jerome Robbins.

JEROME ROBBINS : BOURREAU OU VICTIME ?

En 1950, Jerome Robbins est invité dans la célèbre émission de variétés The Toast of the Town. Apprenant qu’il avait assisté à la célèbre Conférence scientifique et culturelle pour la paix mondiale au Waldorf-Astoria en 1949, le présentateur vedette Ed Sullivan est convaincu que Robbins est communiste. Trois semaines avant l'événement, il annule le contrat et menace même à un moment de le dénoncer comme homosexuel s'il ne livre pas (directement à Sullivan lui-même !) une liste de noms de communistes travaillant dans le show business. Robbins ne cède pas mais cet évènement déclenche une enquête au FBI.

Comme Laurents, il s’enfuit à Paris, Athènes et Israël, se sentant poursuivi par le FBI et effrayé de rentrer chez lui. Il revient finalement en 1951. Après plusieurs mois de harcèlement et de menaces par le FBI, Robbins est appelé à témoigner lors d'une session spéciale au palais de justice de New York le 5 mai 1953. Devant une foule de journalistes, d'avocats et de simples spectateurs affamés de scandale, il est interrogé sur son attitude actuelle envers le Parti communiste (dont il a en effet été membre) et sur d'autres personnes qu'il sait être impliquées. Il se souvient de la menace d'Ed Sullivan. Au début des années 1950, une panique homophobe connue sous le nom de Lavender Scare traverse le pays (les homosexuels n’ont plus le droit de travailler pour le gouvernement fédéral, ils sont publiquement dénoncés et licenciés). La peur de nuire à sa carrière est très réaliste.

Terrifié à l'idée que ses relations sexuelles avec d'autres hommes soient exposées, il dénonce d’autres artistes. La séance ne dure qu'une heure environ, mais il en restera mortifié toute sa vie et n'en reparlera plus jamais.

Lors de l’interrogatoire, il dit : « Je sens que je fais la bonne chose en tant qu'Américain. » Juste après, il dit à la presse que « la seule chose qu’ [il] regrette est d’avoir été affilié au parti communiste. » Mais plus tard, assis dans son appartement avec Laurents et le danseur Buzz Miller, Robbins n’est pas si positif : « Il faudra des années avant que je sache si j'ai fait la bonne chose. » Arthur Laurents lui répond: «Je peux te le dire tout de suite. Tu étais une merde. »

Parce qu'il a coopéré avec ceux qu’Arthur Laurents appelle les witch hunter (les chasseurs de sorcières), il n'est pas blacklisté (mis sur liste noire) et sa carrière ne souffre pas matériellement. Il ne sera cependant plus jamais en bons termes personnels avec certains collègues, dont par exemple l’acteur Zero Mostel, qui lui en voudra toujours en 1964 alors qu’ils travaillent ensemble pour la création de Fiddler on the Roof (Un Violon sur le Toit). Il souffrira également d’être mentionné dans presque tous les comptes-rendus historiques concernant le maccarthysme comme « celui qui dénonça ».

CONCLUSION

Pourquoi les « informateurs » dénoncent-ils leurs collègues, voire leurs amis ? Orson Welles fut lui-même blacklisté et nommé dans Red Channels. Il s’exilera en Europe à partir de 1948 et dira cyniquement que « un ami dénonce un ami non pas pour sauver sa vie mais pour sauver sa piscine". Laurents est plus pragmatique : «Ils voulaient travailler dans des films. C'est si simple." Le Comité est connu pour retirer le nom d'un "informateur" de la liste noire en échange d'un nouveau nom à ajouter.

En tant qu'homosexuel et juif, et ayant été mis sur liste noire de l'industrie cinématographique, Laurents est particulièrement attentif aux problèmes d'éthique, de pressions sociales, d'injustice, d'intégrité personnelle, d'amitié, d'amour, d'auto-tromperie et de trahison. Tous ses drames traitent, à un certain niveau, de ces questions.

Il est à l’époque le meilleur ami de Robbins et comprend en effet les motifs de la capitulation du chorégraphe. Il le sait terrifié à l'idée que s'il ne coopère pas, il risque d'être exposé en tant qu'homosexuel.

Bien que Laurents et Robbins continuent de créer ensemble pendant une autre décennie (principalement West Side Story et Gypsy), leur amitié se détériore parce qu'il est, comme Laurents le dit finalement, "un monstre".

Le dramaturge revisitera cet épisode amer en 1992 dans sa pièce de théâtre Jolson Sings Again : "Vous n'êtes pas méchant parce que vous avez dénoncé ; vous avez dénoncé parce que vous êtes méchant."

CITATION DE WSS: SCHRANK On vous a jamais expliqué qu’il y avait une différence entre moucharder et coopérer avec la loi? RIFF C’est vous qui nous avez expliqué, monsieur. Et on a démarré une tombola pour récompenser le premier qui pigera votre explication.