0.
Introduction

 1.3.
Les gangs
à New York

 1.4.2.
L'Upper West Side

 1.4.4.
Housing Act
of 1949


 2.
Un mythe:
Romeo & Juliet

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Localisation de «San Juan HIll», dans le bas de l'Upper West Side de Manhattan

A) L'upper West Side et ses «quartiers»

La notion de «quartier» - qu'il faut presque entendre comme «territoire» - est très importante dans le développement de West Side Story (), comme l'opposition des deux familles à Vérone l'était dans Roméo et Juliette de Shakespeare.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, Lincoln Square était communément défini comme un quartier du sud de l'Upper West Side, s'étendant de la 57ème à la 72ème Street, à l'ouest de Central Park. Il abritait des populations diverses et largement ségréguées, y compris une majorité ethnique blanche originaire principalement d'Italie, d'Irlande, d'Allemagne, de Russie et de Grèce, ainsi que d'importantes minorités noires et portoricaines.

Au sud de Lincoln Square - nous ne sommes plus dans l'Upper West Side - se trouve le quartier Hell's Kitchen qui est principalement tenu par les irlandais, organisés en gangs.

Mais au sein d'un quartier, on peut aussi avoir une sorte de sous-quartier. C'est le cas de San Juan Hill qui occupait le sud de Lincoln Square. Il abritait l'une des plus grandes populations noires de la ville jusqu'aux années '40 avant que le quartier ne soit déffriché pour y accueillir les «Amsterdam Houses», un projet de logement public. Mais les rues qui entourent le quartier San Juan Hill (en jaune sur la carte ci-dessus) vont aussi être totalement rasées dans le cadre de la création du Lincoln Center. Nous allons longuement y revenir dans cette page et les suivantes. Mais commençons par nous intéresser à ce quartier tant décrié et de voir son évolution en cinquante ans. Cela nous permettra de mieux comprendre l'impact des transformations qu'il va subir dans les années '50.

B) Un quartier du sud de l'Upper West Side: San Juan Hill

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Soldats afro-américains («Our brave colored Boys») ayant participé avec bravoure à la bataille de San Juan Hill lors de la guerre hispano-américaine.
© Library of Congress

Comme nous l'avons, l'Upper West Side voit sa population profondément modifiée à la fin du XIXème siècle. Le San Juan Hill est un quartier à prédominance afro-américaine.

Le nom de ce quartier rend-il hommage à la cavalerie entièrement noire qui a aidé à gagner la bataille décisive de San Juan Hill à Cuba (1er juillet 1898) lors de la guerre hispano-américaine (avril-août 1898), ou provient-il des tensions raciales rancunières avec les gangs irlandais de Hell's Kitchen à quelques pâtés de maisons au sud? Nul ne le sait aujourd’hui...

L'historienne Marcy Gray souligne «la violence et les conflits qui se déroulaient constamment entre les résidents noirs de San Juan Hill, les Italiens au nord et les Irlandais au sud dans Hell's Kitchen».

La violence dans le quartier de Hell's Kitchen était si courante à la fin du XIXème siècle qu'il était presque inévitable que quiconque vivant dans le quartier y soit un jour confronté ... ou impliqué. Certains pourraient attribuer cette agressivité générale à la présence des Irlandais, dont la réputation était enracinée dans un désir de boire et de se battre mais c'est sans doute beaucoup trop caricatural. Par contre, il est clair que les gangs qui s'y sont formés ont propagé et entretenu cette violence. Le premier gang de rue à attirer l'attention du public après la guerre civile fut le Nineteenth Street Gang, qui forma plus tard le Tenth Avenue gang puis finalement le Hell's Kitchen Gang. Ne fut-ce que par le nom de ces gangs, nous voyons très clairement naître l'idée de territoire...

Le chef de ce Hell's Kitchen Gang, Dutch Heinrich, était responsable de nombreux vols ce qui lui avait donné la réputation d'être un cerveau du crime. Bien que le Hell's Kitchen Gang a disparu après une bataille rangée avec la police, ce n'était pas la fin du règne des gangsters dans ce quartier de Manhattan. D'autres groupes tels que le Battle Row Gang, les Gophers, le Rhodes Gang et les Gorillas se sont tous développés à Hell's Kitchen pour combattre toute manifestation de la loi et de l'ordre qui restait dans cette communauté.

La violence de la rue était un incontournable de la vie quotidienne, même pour ceux qui n'étaient pas directement affiliés à des gangs. Les affrontements se terminaient souvent avec des morts et presque n'importe quel méfait pouvait être acheté moyennant finance, même un meurtre. Les habitants du quartier n'étaient pas les seuls à utiliser la violence comme moyen de pression; les forces de police de la région ont souvent utilisé l'agression pour maintenir un semblant d'ordre dans la région. En 1900, les Blancs et la police se révoltent pendant deux jours après l'arrestation d'un Afro-Américain: il a poignardé un policier en civil qui accusait sa petite amie de «racolage». Les policiers et les Blancs se déchaînent dans les rues, battant les Noirs de San Juan Hill.

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The New York Times
15 juillet 1905

Le New York Times publie en juin 1905: «Guerre entre Noirs et Blancs dans un quartier surpeuplé - Des blocs du West Side sous la loi de la matraque pendant des heures». L'article sous-entend que cela se produit régulièrement à l'époque.

A cette époque, il y a donc une vraie confrontation violente et permanente entre les deux «quatiers»: Hell's Kitchen (irlandais) et San Juan Hill (afro-américains).

C) La musique dans San Juan Hill

Bien que les guerres de gang et les bagarres de rue y sont fréquentes, San Juan Hill abrite bien plus que de la violence. On y trouve aussi des salles de billard, des saloons, des salles de danse et de très nombreux bordels.

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James P. Johnson

Nous avions vu au chapitre précédent que les années '20 avaient connu un mouvement majeur afro-américain avec la Renaissance de Harlem. Ce mouvement est bien sûr réel et très important, mais si on demande aujourd'hui à un fan de jazz de décrire les principaux lieux d'innovation du jazz à New York, il répondra sans doute: Harlem, Swing Street ou The Village. Mais peu parlerons de San Juan Hill. Pourtant la riche histoire de ce quartier en matière de réalisations artistiques noires, de collaborations musicales et d'œuvres de génie est une réalité oubliée. Bien qu'éclipsées par la Renaissance de Harlem, les cultures musicales de San Juan Hill ont finalement contribué à façonner les innovations de son voisin des quartiers chics.

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San Juan Hill, le quartier le plus densément peuplé de Manhattan - plus de 5.000 personnes occupent chaque bloc d'immeubles de faible hauteur - abrite avant guerre certains des meilleurs clubs de jazz de New York, dont le Jungle's Casino sur la 62ème rue. C'est dans ce club qu’en 1913, le pianiste James P. Johnson écrit une mélodie pour accompagner la «danse sauvage et comique» des dockers en congé. Ces dockers qui travaillent sur les quais d'expédition sont principalement des Afro-Américains émigrés des États du Sud (d’où ils amènent le jazz) et qui, le soir, se rendent dans les clubs en sous-sol de San Juan Hill pour se détendre. C’est de là que ce style de musique va conquérir New York. Le morceau de James P. Johnson s’appelle The Charleston; il est ensuite utilisé dans un spectacle de Broadway intitulé Runnin' Wild () en 1923 et lance la mode de cette danse qui sera le style musical phare de la décade.

La musique qui anime San Juan Hill met le feu à la ville et bientôt, New York dépasse la Nouvelle-Orléans et Chicago en tant que capitale du jazz.

Il est impossible d'imaginer le développement du jazz à cette époque
sans les artistes qui ont grandi à San Juan Hill.
Du brillant travail de trompettiste de Rex Stewart avec des chefs d'orchestre comme Fletcher Henderson jusqu'aux brillants arrangements d'Edgar Sampson pour Chick Webb et Benny Goodman, les œuvres de ces voisins ont été une source de réconfort et de joie pour des millions d'Américains.
Dans l'histoire de la musique noire à New York, San Juan Hill constitue le lien musical et géographique entre les innovations du XIXème siècle et l'épanouissement de la Renaissance de Harlem.


En dehors de James P. Johnson, on pourrait citer de nombreux artistes. Attardons-nous encore sur Thelonius Monk qui est un immense pianiste de Jazz. Il est né le 10 octobre 1917 en Caroline du Nord, un État du Sud des États-Unis. En 1922, alors qu'il a quatre ans, le futur pianiste, sa mère Barbara, sa grande sœur Marion et son petit frère Thomas s'établissent à San Juan Hill. Ils quittent le Sud certainement parce que le sort des Noirs y reste difficile. Pourquoi choisir ce quartier de Manhattan? Et bien, parce qu'à cet endroit existent ce que l'on appellerait aujourd'hui des «logement sociaux», les Phipps Houses.

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325-335 East 31st Street
© Museum of the City of New York. X2010.7.1.417

D) Les «Phipps Houses»

Comme nous l'avons vu, la qualité des logements dans San Juan Hill était très faible. Ce sont pour la plupart des taudis. En 1905, Henry Phipps Jr., co-fondateur de Carnegie Steel (grande entreprise métallurgique) a fait don d'un million de dollars pour construire un premier projet de logements sociaux à New York, qui prndrait le nom de Phipps Houses. Les premières Phipps Houses, trois immeubles de six étages, furent construites en 1906 au 321-337 East 31st Street: 142 appartements de deux à cinq pièces, chacun avec sa propre salle de bain. Les bâtiment comprenaient une cour intérieure permettant de fournir de la lumière et une ventilation naturelles, ainsi que des arcades spectaculaires de quatre étages qui servaient d'espaces communautaires permettant d'éloigner les habitants de l'influence corruptrice de la rue.

La même année, le fonds Phipps Houses a lancé un nouveau projet: quatre bâtiments de six étages au 233-247 West 63rd Street, en plien milieu de San Juan Hill.

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233-247 West 63rd Street
© Museum of the City of New York. X2010.7.1.417

Ces quatre bâtiments étaient beaucoup plus conventionnels que ceux de la 31ème Street. La conception plus simple était probablement une tentative de réduire les coûts. Il faut dire que ces bâtiments sont vraiment construits dans un quartier très pauvre. Les immeubles d'appartements de la 63ème Street ont été construits principalement pour les Noirs, qui ont beaucoup souffert de la discrimination en matière de logement. Ces bâtiments que l'on voit sur la photo ci-contre ont permis d'atténuer cette discrimination en matière de logement ressentie par la population afro-américaine de San Juan Hill. Comparons les deux premiers projets de Phipps Houses. Dans les bâtiments de East 31st Street, la plupart des chefs de famille étaient nés dans le pays, mais beaucoup étaient d'origine allemande, finlandaise, suédoise, canadienne et italienne, et le bâtiment était tout blanc. Dans les bâtiments de West 63rd Street, à San Juan Hill, la situation est profondément différentes: tous les locataires sauf deux étaient noirs.

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233-247 West 63rd Street aujourd'hui,
avec deux étages qui ont été rajoutés
© Museum of the City of New York. X2010.7.1.417

En ce sens, l'objectif social du projet est atteint.

En 1912un troisième projet de Phipps Houses a été construit au 234-248 West 64th Street, adossé aux bâtiments de la 63rd Street et également presque entièrement pour les locataires noirs.

Ces deux groupes de bâtiments existent toujours à New York. Celui de la 63ème rue a été rehaussé de deux étages supplémentaires.

Ce sont ces immeubles qui ont attiré la famille de Thelonius Monk. C'est là qu'il a grandit avec pour voisin James P. Johnson. Les résidents se souviennent de Thelonius Monk comme d'un homme excentrique qui se promenait sous leurs fenêtres en chantant pour lui-même, composant sans aucun doute certaines des mélodies les plus mémorables du jazz.

Bien sûr, ces projets pilotes du quartier San Juan Hill et qui ont participé à faire du quartier une pépinière d'artistes, n'a pas suffi à en éradiquer la violence, ni à diminuer la rivalité avec son voisin au sud, le Hell's Kitchen très irlandais.

San Juan Hill reste vu comme un quartier de taudis et est qualifié de «pire quartier de bidonvilles de New York» par la New York City Housing Authority. Petit-à-petit, les afro-américains commencent à se déplacer vers le nord, quittant San Juan Hill pour Harlem. La population afro-américaine diminue tandis que la population portoricaine augmente. De plus en plus de familles portoricaines commencent à s'y installer dans ce qui a été baptisé «la grande migration».

E) La «grande migration» - San Juan Hill se portoricanise

Quelques petites choses à savoir concernant Porto Rico. Suite aux voyages de Christophe Colomb, Porto Rico a été colonisé et géré de manière assez dure par l'Espagne. Par exemple, l'esclavage n'y fut aboli qu'en 1873. En 1898, comme nous en avons déjà parlé, éclate la guerre hispano-américaine. En décembre 1898, l'Espagne cède ses dernières possessions d'Amérique latine — Cuba et Porto Rico — aux États-Unis. A partir de ce moment, Porto Rico est devenu un «territoire géré par les États-Unis mais non incoproré aux les États-Unis». Porto Rico n'est donc pas un nouvel état américain. Depuis 1917, les habitants nés à Porto Rico sont des citoyens américains: ils peuvent circuler librement dans les autres Etats américains sans passeport et sont protégés par le Bill of Rights (les 10 premiers amendements de la Constitution) des États-Unis. Cette modification a été apportée principalement parce que l'on avait besoin d'eux pour mener la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, selon différents sondages, à peine la moitié des Américains savent que les Portoricains ont la citoyenneté américaine. Par contre, cette citoyenneté ne leur a jamais accordé pour autant le droit de vote aux élections nationales!!!

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, plus de 65.000 militaires portoricains ont servi dans l'effort de guerre américain. Après la fin de la guerre, cependant, la migration portoricaine a augmenté de façon spectaculaire. En 1945, il y avait 13.000 Portoricains à New York; en 1946, il y en avait plus de 50.000. Au cours de la décennie suivante, plus de 25.000 Portoricains ont émigré chaque année aux États-Unis, avec un pic en 1953, lorsque plus de 69.000 Portoricains s'y installent. En 1955, près de 700.000 Portoricains étaient arrivés et au milieu des années '60, ils seront plus d'un million.

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Un vol charter emmène des travailleurs
portoricains aux États-Unis vers 1948.
© Archives de la diaspora portoricaine, Centro de Estudios Puertorriqueños

Plusieurs raisons expliquent cet afflux soudain. La dépression persistante à Porto Rico a rendu de nombreux Portoricains impatients de prendre un nouveau départ, et les propriétaires d'usines et les agences de placement américaines avaient commencé à recruter massivement sur l'île. De plus, les années d'après-guerre ont vu le retour chez eux de milliers d'anciens combattants portoricains, dont le service dans l'armée américaine leur avait montré le monde. Mais la cause la plus importante a peut-être été la disponibilité soudaine de voyages aériens abordables. Après des siècles d'immigration par bateau, la migration portoricaine est devenue la première grande migration aérienne de l'histoire des États-Unis.

De nombreux ouvriers agricoles portoricains ont été transportés dans des avions-cargos militaires réaffectés équipés de bancs en bois ou de chaises de jardin boulonnées au sol. La grande majorité des émigrés de l'île ont acheté des billets pour le vol commercial de six heures vers New York, persuadés que de bons emplois et une vie meilleure les attendaient, eux et leurs familles. Peu de ces agriculteurs ont rejoint les campagnes des États-Unis. Environ 85% des émigrés portoricains d'après-guerre - des citoyens américains, issus d'un territoire américain - se sont installés à New York. Mais ils ont toujours été considéré comme des étrangers.

Beaucoup de portoricain s'installeront à San Juan Hill.

Nous sommes proches de la situation de West Side Story, où les irlandais font face aux portoricains.



THE steel magnate Henry Phipps built one of the most expensive houses in New York on Fifth Avenue in 1905, a low, broad Renaissance design of marble with a wide garden and driveway. But he simultaneously established a namesake organization devoted to housing for the poor and working class. Although his house is long gone, most of the projects of his creation, Phipps Houses, still survive, and now the organization is preparing a book on its work -- which is still going on.

In 1901, Phipps sold his holdings in the Carnegie Company -- which he owned with Andrew Carnegie -- to J. P. Morgan for more than $50 million. He had lived in Pittsburgh, and in 1904 he built a town house at 6 East 87th Street -- ample in size, but nothing compared with the great mansion he began in 1905 across the street at the northeast corner of 87th and Fifth. Designed by Trowbridge & Livingston, who had also designed the St. Regis Hotel at 55th and Fifth, the new marble house was set well back on its 100-by-175-foot plot.

At the same time that Phipps was planning his own luxury, he became involved with the lives of the less fortunate. He had been concerned about the problems of tuberculosis -- which to any turn-of-the-century reformer meant dealing with slums, because the poor ventilation and cramped quarters of the typical tenement were considered a major contributing factor in the disease.

Working with Elgin R. L. Gould, an advocate for model tenements, Phipps established a $1 million fund for building the model tenements that would be called Phipps Houses. He said he wanted a 4 percent annual return on his investment because he wanted to demonstrate to builders of conventional tenements that money could be made producing housing with reasonable standards of ventilation and comfort. At the time there were 80,000 tenements in New York City.

The first Phipps Houses were at 321-337 East 31st Street, three six-story tenements between First and Second Avenues, completed in 1906 and designed by Grosvenor Atterbury, who had also designed Phipps's original 87th Street house (now the Liederkranz Club). At a typical rent of $1.25 a room per week, or $14 a month for a three-room apartment, they were more expensive than the usual $10 a month other tenement tenants were paying. Atterbury's 31st Street complex had 142 apartments of from two to five rooms, each with its own bathroom, and a finished courtyard to improve ventilation and avoid the typical dank back-alley look of such housing. Earlier model tenements had been spare in exterior expression, but Atterbury, with the goal of better ventilation of the interior court, gave his a heroic four-story-high archway.

His building prototype, with its varied brickwork and window patterns, overhanging tile roof and elaborate central roof pergola, was entirely new for New York. The ground-floor entrance courts were designed to serve as social centers, to keep the residents away from the corrupting influence of the street. But Phipps Houses made every attempt to avoid the aura of high-mindedness. An early brochure said: ''This enterprise is not a charity. Tenants are not asked to accept anything free. All that they pay for in their rent they will receive.''

In the same year that the 31st Street buildings were opened, the Phipps Houses fund began a new project, four six-story buildings at 233-247 West 63rd Street. Designed by Whitfield & King, these were much more conventional than the 31st Street row. The simpler design was probably an attempt to cut costs.

The 63rd Street apartment buildings were built primarily for blacks, who suffered greatly from housing discrimination. And the 1910 census documented the racial segregation of the two projects.

On East 31st Street, most heads of households were native born, but many were of German, Finnish, Swedish, Canadian and Italian heritage, and the building was all white. On West 63rd Street, part of a section of Manhattan that in those days was called San Juan Hill and had many black residents, all but two of the tenants were black.

A typical tenant was the steamboat steward Joseph Craig, 36, classed as ''mulatto,'' who was born in Trinidad and arrived in the United States in 1891. Another was the horse breeder Daniel Moore, 43, born in Missouri and married for six years to Tilly Moore, 30, born in Cuba and in the United States since 1892; she worked as a domestic.

In 1907 the magazine Brickbuilder predicted that Mr. Phipps's initial investment would be like ''a living organism,'' quickly producing a new generation of model tenements erected on the same enlightened models.

In 1912, Phipps Houses did build a third group of buildings, at 234-248 West 64th Street, backing up onto the 63rd Street buildings and also almost entirely for black tenants. These were retrograde designs, following the barracks-like pattern of earlier model tenements, just plain buff brick with no decoration. But the expected new generation of model Manhattan tenements did not arrive, and according to ''Phipps Houses,'' a 1980 study by Roger Starr, the organization's trustees did not even meet from 1912 to 1919.

IN those days, the model tenement movement was criticized by some who said that it was actually reaching middle-class tenants, and that perhaps because of the somewhat higher rents, it missed its real targets, the poor who lived in the traditional dank and ill-ventilated tenements.

Phipps Houses continued to run the 31st, 63rd and 64th Street complexes, but it did not build again until 1931, when it put up Phipps Garden Apartments in Sunnyside, Queens, an intelligent and idealistic complex. Rather than trying to solve the housing problem of the inner city -- which was the goal in 1905 -- the Sunnyside apartments sought to draw its residents to an entirely new environment.

In the 1950's, Phipps Houses built and operated staff housing for New York Hospital. Over the next few years, Phipps Houses let the 31st Street houses go in a condemnation proceeding for the new Kips Bay Plaza (now Kips Bay Towers) and sold the 63rd and 64th Street complexes, in part to finance other housing developments, like the more than 1,600-unit mixed-income Henry Phipps Plazas complex from 25th to 29th Streets and First to Second Avenues.

Only the 63rd and 64th Street buildings still stand. They are now conventional apartment buildings, and a more recent owner has added two floors to those on the 63rd Street side, which now sprout metal and glass canopies. One-bedroom apartments rent for about $1,800 a month.

Phipps Houses now owns and manages 4,000 apartments and manages an additional 8,800; its annual operating budget is $50 million. Current projects include La Casa de Felicidad, at Third Avenue and 157th Street in the Bronx, which consists of 85 apartments for those over 62.

John Fox, a longtime trustee of Phipps Houses and chairman of its finance committee, is writing a study of the organization's first century. He said he expects to finish next year.

Why was the 1905 plan of Phipps Houses to reform the New York tenement market not successful? Mr. Fox said his research indicates that tenement developers were looking for returns of 15 to 20 percent a year, and were not at interested in idealistic proposals that offered only 4 percent.