0.
Introduction

 1.3.
Les gangs
à New York

 1.4.4.
Housing Act
of 1949

 1.4.6.
Construction du
Lincoln Center


 2.
Un mythe:
Romeo & Juliet

Robert Moses (18 décembre 1888 - 29 juillet 1981) est un urbaniste et fonctionnaire américain qui travaille dans la région métropolitaine de New York du début au milieu du 20e siècle. Bien qu'il n'ait jamais été élu à aucun poste, Moses est considéré comme l'un des individus les plus puissants et les plus influents de l'histoire de la ville et de l'État de New York. La magnitude de ses projets d'infrastructure et sa philosophie du développement urbain ont influencé une génération d'ingénieurs, d'architectes et d'urbanistes à travers les États-Unis.

Moses a occupé divers postes tout au long de sa longue carrière de plus de quarante ans. Il a parfois détenu jusqu'à 12 titres simultanément. Travaillant en étroite collaboration avec le gouverneur de New York Al Smith au début de sa carrière, Moses devient expert dans la rédaction de lois et dans la navigation et la manipulation des rouages ​​​du gouvernement de l'État. Il crée et dirige de nombreuses structures publiques semi-autonomes, à travers lesquelles il contrôle des millions de dollars de revenus. Il émet directement des obligations pour financer de nouvelles entreprises avec peu de surveillance extérieure.

À la fin des années 1930 et au début des années 1940 son influence change à jamais l'Upper West Side. Il décide de remodeler Riverside Park, développé pour la première fois en 1874 avec Riverside Drive, mais qui n'était devenu rien d'autre qu'un terrain vague le long de l'Hudson. Pour cela il crée le projet « West Side Improvement », achevé en 1941, qui crée le Riverside Park qui existe aujourd'hui. Bien que l'Upper West Side bénéficie grandement du projet, Harlem et le nord de Manhattan (des quartiers majoritairement peuplés par des Afro-américains) n'ont pas autant de chance.

Moses dirige la construction de tous les projets de logements sociaux de la New York City Housing Authority (NYCHA) ainsi que de nombreuses autres entités, mais c'est sa présidence de la Triborough Bridge Authority qui lui donne le plus de pouvoir.

Grâce à elle, il exerce un contrôle presque complet sur les ponts et les tunnels de New York ainsi que sur les péages qui y sont perçus. Il construit, entre autres, le Triborough Bridge, le tunnel Brooklyn-Battery et le Throgs Neck Bridge, ainsi que plusieurs grandes autoroutes. Ces routes et ces ponts entraînent la destruction d'immenses pans de logements et leur remplacement par de grands projets de logements sociaux.

Le Triborough Bridge (rebaptisé plus tard officiellement Robert F. Kennedy Bridge) ouvre ses portes en 1936, reliant le Bronx, Manhattan et le Queens via trois travées distinctes. L'Autorité lève des centaines de millions de dollars en vendant des obligations. Alors que l'État de New York est perpétuellement à court d'argent, les revenus de péage du pont s'élèvent à des dizaines de millions de dollars par an et augmentent rapidement car le trafic dépasse toutes les prévisions. Plutôt que de rembourser les obligations, Moses utilise les revenus pour construire d'autres projets à péage, dans un cycle qui se nourrit de lui-même.

San Juan Hill, qui a été nommé le "pire quartier de bidonvilles de la ville" par la NYCHA dans les années 1940, devient la prochaine cible de Moses lorsqu'il devient chef du comité du maire sur l'élimination des bidonvilles (slum clearance). À ce moment-là, San Juan Hill a évolué en tant que quartier. La population afro-américaine a diminué, car les nouveaux immeubles de Harlem sont plus attrayants pour les résidents noirs de la classe moyenne et les nouveaux migrants du Sud. Un important contingent d'immigrants portoricains les a remplacés. En 1948, la NYCHA expulse 1’100 familles pour construire le projet de logements sociaux Amsterdam Houses, un complexe de 13 bâtiments en briques rouges avec 1’080 appartements qui remplace les immeubles "dégradés" qui occupaient les quatre blocs entre les 61e/64e rues et Amsterdam/West End.

Robert Moses emploie une loi fédérale (title I du Housing Act of 1949) permettant la saisie de terres à San Juan Hill et l’expropriation (eminent domain) pour faciliter ses projets de rénovation urbaine.

Les travaux de conception et l'acquisition de terrains pour le complexe commencent en 1941, bien que la construction soit ralentie par la Seconde Guerre mondiale. Environ 1’400 personnes (dont 80% sont afro-américaines) sont déplacées par la démolition d’une centaine de bâtiments résidentiels ; la majorité sont des immeubles "Old-Law", construits avant 1901. La plupart des résidents déplacés se voient offrir des appartements «réhabilités» à Harlem appartenant à la Housing Authority. Le plan est de rapatrier les résidents dans les Amsterdam Houses après l'achèvement de leur construction, mais avec la crise du logement qui suit la Seconde Guerre mondiale et les exigences légales selon lesquelles la priorité doit être donnée aux anciens combattants de retour, peu de résidents d'origine de San Juan Hill reviennent dans leur quartier quand le complexe est achevé le 17 décembre 1948. Bien que 4 400 nouveaux logements sont destinés aux futurs résidents, le prix réel des chambres à louer après l'achèvement du projet de rénovation urbaine varie de 40 $ à 50 $ l'unité, bien en dehors de la fourchette de prix abordable pour les résidents d'origine.

Les combats de gangs dans le quartier sont si fréquents et l’endroit si connu comme le centre de la vie noire et hispanique de Manhattan que Robbins, Bernstein et Laurents installent West Side Story dans le quartier. Les plans d'introduction de la version cinématographique de 1961 y sont tournés. Mais bien sûr, comme c'est Hollywood, tous les figurants embauchés sont blancs… De nombreuses scènes sont tournées juste avant et après la démolition du quartier, l’immortalisant dans le film. En tout, 18 pâtés de maisons sont rasés au bulldozer.

Pire encore, l'aide à la réinstallation promise par le comité (et évoquée dans le remake de West Side Story de 2021) ne se concrétise jamais. "Moses ne faisait même pas semblant de créer de nouvelles maisons pour les familles déplacées", a écrit Robert A. Caro dans "The Power Broker", la biographie (récompensée par le prix Pulitzer) sur la vie et la carrière de Moses.

La mémoire de San Juan Hill et de ses habitants (et même le nom de leur quartier) a été en grande partie effacée de l’histoire afin de laisser la place au dernier grand projet de Moses : le Lincoln Center for the Performing Arts, un centre culturel proposé qui serait rendu plus accessible aux navetteurs blancs via des autoroutes massives et des parkings.