Une tempête de sentiments
Comme à son habitude, Reza puise dans notre quotidien banal des situations normales qu'elle exagère au maximum pour les rendre absurdes. Qu'il s'agisse de l'éducation, du jugement permanent de l'autre ou de l'irrespect, elle fait le portrait au vitriol d'une société qui évolue dans un manque qu'elle peine à combler, mais qu'elle tente de noyer dans des futilités, des téléphones et des cigares, des questions dont les réponses n'ont aucune importance.
Les mots s'accumulent mais les phrases n'ont aucun sens, le discours est inexistant: quand on parle, à quelle fin le fait-on?
Lors d’une bagarre à la sortie de l’école, Ferdinand Rreille a attaqué Bruno houillé à l’aide d’un bâton et lui a cassé deux dents. Pour résoudre l’affaire avec civisme, les parents du blessé ont convié ceux de l’agresseur à leur domicile. Tout le monde est de bonne éducation et soucieux de faire preuve de tolérance, n’est-ce pas? Mais les deux partis sont finalement bien peu enclins au compromis et la conciliation tourne court. C’est la débâcle et, de suffisances en coup bas, les « conciliateurs » ouverts et généreux ne parviennent plus à se contenir. Les masques tombent et la courtoisie de façade se noie dans une mer de mesquineries… La guéguerre des deux garnements va servir de ring de boxe aux parents bobos, péremptoirement ouverts d’esprit et au final très peu tentés par le « dialogue ».
VÉRONIQUE. Donc notre déclaration… Vous ferez la vôtre de votre côté… «Le 3 novembre, à dix-sept heures trente, au square de l’Aspirant-Dunant, à la suite d’une altercation verbale, Ferdinand Reille, onze ans, armé d’un bâton, a frappé au visage notre fils Bruno Houllié. Les conséquences de cet acte sont, outre la tuméfaction3 de la lèvre supérieure, une brisure des deux incisives, avec atteinte du nerf de l’incisive droite. »
ALAIN. Armé?
VÉRONIQUE. Armé? Vous n’aimez pas «armé», qu’est-ce qu’on met Michel, muni, doté, muni d’un bâton, ça va ?
ALAIN. Muni oui.
MICHEL. Muni d’un bâton.
VÉRONIQUE (corrigeant). Muni. L’ironie est que nous avons toujours considéré le square de l’Aspirant-Dunant comme un havre de sécurité4, contrairement au parc Montsouris.
MICHEL. Oui, c’est vrai. Nous avons toujours dit le parc Montsouris non, le square de l’Aspirant-Dunant oui.
VÉRONIQUE. Comme quoi. En tout cas nous vous remercions d’être venus. On ne gagne rien à s’installer dans une logique passionnelle1.
ANNETTE. C’est nous qui vous remercions. C’est nous.
VÉRONIQUE. Je ne crois pas qu’on ait à se dire merci. Par chance il existe encore un art de vivre ensemble, non ?
ALAIN. Que les enfants ne semblent pas avoir intégré. Enfin je veux dire le nôtre !
Valérie Lemaître, Olivier Massart, Damien Gillard, Véronique Biefnot - Photo Cassandre Stirbois
Valérie Lemaître, Damien Gillard, Véronique Biefnot - Photo Cassandre Stirbois
Avec Le Dieu du carnage, Yasmina Reza prouve que son doigté n’a pas faibli. (…) Formidablement dirigés, les comédiens couvent avec maestria ce « dieu du carnage », démon qui sommeille en nous, brisant, quand il sort de sa cage, tous nos beaux discours et nos remparts de bonne conscience. Les vrais visages se dévoilent et les failles de chaque couple apparaissent. Le tout avec un humour féroce qui nous laisse pantois face à ce sublime carnage !
Consulter article completCatherine Makereel - Le Soir - 15/11/2008
L’auteur exploite à fond la situation. Ses dialogues féroces, percutants montrent l’affrontement des couples, le déchirement entre les époux et l’explosion des ego. Dopés par de larges rasades de vieux rhum, ces bobos font voler en éclats les règles de bienséance et perdent la face. Alain nous choque par son égocentrisme, sa muflerie et son cynisme. Brandissant la misère du Darfour, Véronique agace par ses leçons de morale. Annette finit par se décoincer et surprend par sa mauvaise foi. Plus authentique que les trois autres, Michel ne supporte pas la condescendance des intellos. C’est un fils attentionné, un brave type qui souhaite que chacun vive en paix. Cependant, il s’est laissé déguiser par sa femme en homme de gauche et a lâchement abandonné le hamster de sa fille. Par phobie des rongeurs.
Cette démystification est d’autant plus réjouissante que ces adultes civilisés nous désarment parfois par leur comportement enfantin. Observez les protestations rageuses d’Alain, quand on lui a cassé son beau jouet. Dans sa mise en scène, Michel Kacenelenbogen canalise avec doigté la montée de la violence. Le rythme de la représentation s’accélère insensiblement. On rit beaucoup, mais la comédie ne tourne pas au vaudeville. Grâce à la justesse de leur interprétation, les quatre acteurs, au mieux de leur forme, incarnent des personnages dérisoires et humains. Leurs certitudes, leurs illusions, leurs prétentions, leurs faiblesses réfléchissent les nôtres. Comme un miroir.
Jean Campion - Demandez le programme - 25/11/2008
Michel Kacenelenbogen signe à Bruxelles une mise en scène discrètement efficace qui laisse la part belle à l’humour féroce de Yasmina Reza. (…) Les Houillé (Valérie Lemaître et Olivier Massart) et les Reille (Véronique Biefnot et Damien Gillard,) se rencontrent, car leurs enfants se sont battus et la séquelle est deux dents cassées pour le petit Houillé. Dans une ambiance où une mouche téméraire n’oserait risquer une pointe d’aile suicidaire, ces BCBG font des assauts de politesse que ne désavoueraient pas les derniers médaillés d’Or de fleuret moucheté. Dans ce florilège de pensées stéréotypées (toujours très comparables à celles de nos voisins) et derrière ces paroles d’une mauvaise foi crasse, c’est un peu un nous que l’on retrouve dans ces bobos (bourgeois-bohèmes) en apparence. Car quand le vernis craque, que la colère prend le pas sur la civilité et que la bienséance de rigueur, chacun même le plus policé se montre finalement très primaire. (…)
Jubilatoire !!!
Muriel Hublet - Plaisdir d'Offrir - 19/11/2008
Valérie Lemaître, Damien Gillard, Véronique Biefnot - Photo Cassandre Stirbois
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J’ai vu cette pièce hier. Quels acteurs ! Un excellent moment que l’on vit en spectateur, en acteur, en complicité avec les personnages. Le fond est terriblement juste malgré les rires dans lesquels on nous emporte. Des rires pour le jeu, pour le regard sur notre propre fonctionnement et sur notre aveuglement. |
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