Véronique Dumont et Valérie Bauchau
Une pièce délicate et passionnante portée par deux grandes interprètes
Un homme convoque ses deux grands-mères pour qu’elles lui racontent leur unique rencontre, dans les années 1960 à Linden. Pourquoi ces femmes venues du même village et ayant marié leurs enfants ne se sont-elles parlé qu’une seule fois ? Il veut comprendre, savoir ce qui s’est joué dans cette petite cuisine, alors il leur offre le temps et l’espace pour recréer cette discussion – lui écoute, « se met à la place de leur silence ». Au début avec réticence, la parole se met doucement en branle et les récits fascinants de ces deux femmes se croisent, de l’enfance à la fameuse rencontre en passant par la Seconde Guerre mondiale. Les deux comédiennes au sommet de leur art nous emmènent loin. Très loin.
Eugénie est fille de garde-chasse. Et flamande. Sa famille est pauvre et nombreuse, on y met les enfants aux champs dès que possible et les heures de lecture se font en accompagnant les chèvres au pré. Elle vit avec une fratrie pleine de vie, avec la campagne comme terrain de jeu. Marie-Claire, elle, vient de l’aristocratie. À la maison, comme chez tous les gens bien éduqués, on parle français. Une bonne éducation qui est au centre de tout, car de même qu’on élève les garçons pour réussir, on apprend aux filles tout ce dont elles ont besoin pour trouver un mari. On se tient bien – toujours, partout –, on ne se laisse jamais aller, on étudie, on va à l’opéra, aux dîners mondains, etc. Les seuls moments enfantins sont ceux grappillés sur les genoux de la cuisinière, femme aimante faisant figure de maman parce que père et mère sont trop occupés pour passer du temps avec les gamins.
À travers le parcours d’Eugénie et Clairette, Loin de Linden raconte une page d’Histoire de la Belgique et pointe par petites touches fines les différences de classe et leurs conséquences sur les destinées individuelles. Ces récits, par leur intimité profonde, atteignent à l’universalité. Ce texte intelligent est servi ici par deux comédiennes hors pair. Valérie Bauchau et Véronique Dumont sont incroyables de vérité dans des compositions fortes et pourtant toujours subtiles. Ce n’est pas qu’une formule que d’affirmer que leurs performances sont exceptionnelles. Plus en retrait, Giuseppe Lonobile est toujours pertinent dans ses interventions pour relancer le dialogue quand les mots deviennent trop durs à dire. Également metteur en scène de la pièce, outre son talent de directeur d’acteurs, on saluera une mise en scène inspirée, où même manger un sandwich en silence en dit long.
Avec Loin de Linden, la scène belge nous propose encore une fois l’une des pièces les plus fortes de ce festival d’Avignon Off. On applaudit des deux mains devant tant d’humanité et de talent – chapeau bas chers voisins et voisines du Nord!