L'histoire des quatre âges de la vie,
avec un irrésistible humour
Dominique Bréda a voulu raconter l’histoire d’un personnage qui décide de ne pas lire Flaubert parce qu’elle pense qu’il est l’ennemi. Elle s’appelle Emma (pas Bovary, mais... ). Emma, elle nous ressemble.
Autour de la Bovary de Flaubert, la pièce retrace le parcours d’une femme moderne entre premiers pas, adolescence, quarantaine et fin de vie. D’un simple geste pour remonter son pantalon et ses longs cheveux roux, la comédienne Julie Duroisin se métamorphose avec une palette de jeu époustouflante en bébé grimaçant, en ado rebelle, en adulte alcoolo ou en vieillarde coquine.
Seule en scène, Julie Duroisin interprète "Emma" de Dominique Bréda. Un texte sensible et drôle, une mise en scène astucieuse, une comédienne talentueuse.
Il était une fois Dominique Bréda, auteur et metteur en scène, qui promet à la petite sœur de sa femme, qui se rêvait comédienne, d'écrire un texte spécialement pour elle et de la mettre en scène. Quelques années plus tard, c'est chose faite et au sortir de l'IAD, Julie Duroisin découvre "Emma". En réalité, Dominique Bréda avait déjà écrit un texte court sur une élève qui se révolte contre le système scolaire à cause des lectures imposées, inintéressantes à ses yeux. Puis, il y a quelques mois, la relecture de "Madame Bovary" de Flaubert l'a secoué. Comment un si beau roman, d'une écriture si fluide et au propos si juste peut-il être considéré par les adolescents comme " l'ennemi " ?
La jeune Emma, dix-sept ans, ne comprend pas pourquoi on devrait s'intéresser aux "grands auteurs morts" et particulièrement Flaubert qui "dépeint la société de son époque", les gens qui vivaient dans des châteaux forts, précise-t-elle, "c'est super vieux".
Seule en scène, avec la voûte et l'escalier de la Samaritaine pour seul décor, Julie Duroisin interprète Emma ado rebelle, Emma bébé de 1 an et demi, Emma de quarante-cinq ans dont le mari vient de la quitter et Emma petite vieille vivant ses derniers instants à l'hôpital. Une femme qui, à toutes les étapes de sa vie, a eu affaire à madame Bovary. Modifiant la longueur de ses manches et de son pantalon, Julie Duroisin passe d'un âge à un autre avec habileté, adaptant le jeu du corps, de la voix, des expressions du visage pour atteindre le ton juste. Cet exercice difficile de métamorphose semble naturel tant elle est sincère et ne tombe jamais dans la caricature.
Humour et sensibilité
A un rythme trépidant, parfois en musique, face au public, elle s'adresse à ses peluches et raconte ses colères, ses désappointements, son incompréhension, avec beaucoup d'humour.
Comme des fragments de vie, les Emma se succèdent, créant un personnage très drôle qui met en valeur les fins jeux de mots. Son témoignage émaillé de petites réflexions sur la vie et la société est plein de vérité et de poésie. Avec sensibilité, elle écrit à ceux qui l'ont trahi pour avoir trop promis - le père Noël, Ikea, Marc Levy, La Bibliothèque verte - la critique n'est pas loin. Certaines images sont très belles, comme le bip bip du monitoring à l'hôpital qu'Emma qualifie de "compte à rebours avant le grand décollage" parce que "la machine à faire des montagnes est fatiguée".
Lors de cette période de fin de vie, Emma finit par se rendre compte à quel point la lecture de "Madame Bovary" aura changé sa vie mais prévient consciencieusement ses peluches d'une telle lecture : " Quand on lit des choses comme ça, on trouve de la vérité [...] et la vérité est sans compromis." En fin de compte, "nous sommes tous un peu madame Bovary", nous sommes tous un peu Emma.
La Libre Belgique - 16/5/2008 - Camille Perotti