La vraie vie de Sissi
Une impératrice solitaire qui se bat pour l'amour - Une femme passionnée qui risque tout pour la liberté
Le musical ELISABETH retrace la vie de l'Impératrice Elisabeth - la légendaire et mythique Sissi - de ses 15 ans à son assassinat à Genève en 1898. Son histoire nous est racontée sans complaisance par son assassin, l'anarchiste Luigi Lucheni. L'histoire fascinante de cette femme qui a cru qu'il lui était possible d'être libre tout en étant l'impératrice de l'Empire austro-hongrois, ce grand bateau qui n'allait pas tarder à sombrer.
★★★★★ Douze millions de spectateurs dans le monde
«Le monde est un bateau. Et le bateau coule»
L'Impératrice d’Autriche est une héroïne tragique et romantique propre à enflammer l’imagination des artistes. Son destin, tel que le retrace Élisabeth, la comédie musicale de Michael Kunze et Sylvester Levay, est plus proche de la réalité historique que les films où Romy Schneider prêtait sa beauté à la princesse rebelle. « Elle est une femme qui s’est retrouvée à un endroit où elle n’aurait pas dû être », constate Simon Paco, l’un des deux metteurs en scène. Le spectacle commence en
effet au moment où l’empereur François-Joseph, qui devait épouser sa soeur, la remarque cachée derrière sa promise et en tombe follement amoureux. Et lorsqu’elle est assassinée à soixante-et-un ans, c’est encore par hasard qu’elle se trouve sur la route d’un anarchiste qui voulait tuer une personnalité.
VALSE MÉLANCOLIQUE
Par son mariage, la jeune princesse, qui rêvait d’être libre, se retrouve enfermée dans une prison dorée, soumise à une étiquette aussi corsetée qu’une camisole de force. Dominée par une belle-mère tyrannique, elle est peu soutenue par son mari, trop occupé à gérer l’instabilité politique de son pays. Toutefois, ajoute Jack Cooper, le second metteur en scène, le personnage est complexe et ambigu. Derrière ses beaux côtés, comme son engagement pour la Hongrie, elle a aussi une face sombre. Elle qui rêvait d’amour n’a pas vraiment réussi son mariage et elle est passée totalement à côté de son fils Rodolphe, qui tentera toute sa vie de quémander un peu d’affection maternelle.
C’est l’histoire de toute une vie qui est racontée dans ce spectacle, avec ses joies et ses drames, sa complexité et ses contradictions. Luigi Lucheni, l’assassin, en est le narrateur, un maître de cérémonie un brin fanfaron. Il raconte combien Élisabeth a vécu en permanence dans la confrontation, que ce soit avec sa belle-mère, son mari ou son fils. Avec le personnage de la mort, il forme un duo qui rôde autour d’elle, dans une sorte de danse macabre. Sissi, personnage profondément mélancolique, est en effet obsédée depuis toujours par la camarde, mais, à chaque fois, elle s’arrache de ses bras parce que son désir de vivre est le plus fort. Une des forces de l’oeuvre est de ne jamais basculer dans l’ésotérisme ou l’abstraction. Même s’il y a des moments magiques qui ne manqueront pas de surprendre, elle retombe dans le concret de la vie, celle d’une femme à la beauté fascinante qui accepte mal son vieil- lissement. Il faut se souvenir qu’en en prenant de l’âge, Sissi cachait son visage sous un voile, truquait ses photographies ou envoyait des doublures lors d’événements où elle n’était pas visible de trop près.
EXPLOITATION POLITIQUE
Par ailleurs, l’histoire de l’Autriche a été importante dans la création de l’Europe d’aujourd’hui. À la scène 3 de l’acte 1, par exemple, un prince déroule une carte et demande ce que l’on va faire de la Crimée. Cependant, les metteurs en scène rappellent que la jeune souveraine n’a aucune importance dans l’histoire de Vienne à ce moment-là. Il est pourtant intéressant de voir comment son image a été utilisée après sa mort. En 1956, peu après la Seconde Guerre mondiale, lorsque sort le premier film avec Romy Schneider, il s’agit de redorer l’image d’un pays collaborationniste. Et la mère de la jeune actrice, qui joue d’ailleurs le rôle de celle du personnage, veut faire oublier les rumeurs selon lesquelles elle aurait été la maîtresse d’Hitler. En 1992, lorsque Michael Kunze crée le musical Élisabeth, c’est pour expliquer comment on en est arrivé à la chute du mur de Berlin. On le constate, si l’impératrice s’est peu souciée de politique, la politique, elle, s’en est bien occupée.
Le festival Bruxellons! en est à sa 24ème édition. Pour sa sixième production de comédie musicale, il met les bouchées doubles. Le spectacle est grandiose. Le décor évoque de manière très impressionnante la chute de la maison Habsbourg. De ses doigts de fée, Béatrice Guilleaume fait à nouveau des miracles. Elle a créé plus de deux cent cinquante costumes historiques qui ressuscitent la splendeur de la cour d’Autriche entre 1854 et 1898. Ses robes suivent l’évolution de la mode, de la crinoline au cul de Paris. Les changements de costumes sont à eux seuls une performance époustouflante pour les chanteurs, comédiens et danseurs, et on imagine aisément le travail de précision en coulisses autour de la trentaine d’artistes. Une occasion rare en Belgique de voir une production de cette ampleur et de cette qualité.
MUSIQUE EN DIRECT
Musicalement, Élisabeth surpasse les autres comédies musicales montées jusqu’ici au château du Karreveld. Dix-huit musiciens jouent la partition tous les soirs en direct, même s’ils ne sont pas visibles. La musique, aux accents parfois grandiloquents, transporte les spectateurs au cœur de l’intrigue. Elle raconte l’histoire aussi bien que les textes. Quant à Marie-Pierre de Brienne, qui incarne le rôle principal, elle vient du Canada et a découvert le festival en 2015, lors d’une visite dans la capitale belge.
L’ambiance de Bruxellons! est due en grande partie à la qualité des spectacles proposés et au rôle essentiel des bénévoles. Sans ceux qui assurent la production, l’accueil ou le bar, il serait déjà mort depuis longtemps puisqu’il ne bénéficie d’aucun subside des pouvoirs publics. Jack Cooper est infiniment reconnaissant à tous ces gens qui viennent faire vivre le théâtre entre 18h et minuit. Leur enthousiasme est perceptible et communicatif, mais cela suffira-t-il ? Les producteurs ne sont pas prêts à augmenter les tarifs des billets, ce qui exclurait de facto une partie du public qui n’en aurait plus les moyens. On peut espérer que la ministre de la Culture vienne un soir à la sortie et entende les commentaires, qu’elle voie la magie du spectacle briller encore dans les yeux des enfants et de leurs parents ou grands-parents. Parce qu’Élisabeth réconcilie tous les publics avec la culture, il est urgent que les responsables politiques soutiennent cet événement estival pour le maintenir en vie.
Jean Bauwin - L'appel - Juin 2022