Tout le monde a déjà écrit une lettre d’amour.
Ici, la correspondance dure toute une vie. Ce qui implique que l’espérance, comme le désir, se perpétuent, s’enrichissent et se transforment. superbement rythmée, au cœur de tout ce qui compte, du jardin de l’enfance au jardin éternel, l’auteur explore l’art de la théâtralité jusque dans ses abîmes. Côte à côte, sans se voir, l’homme et la femme s’écrivent et sont en porte-à-faux, parce que le temps du courrier n’est pas le temps de la vie. C’est triste ou désopilant mais c’est toujours inattendu. Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen se prêtent sur scène aux jeux de l’amour et du hasard de la correspondance. Et ça donne une furieuse envie d’écrire des mots d’amour.
Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen lisent 50 ans d’échanges épistolaires.
Couple dans la vie, les comédiens et co-directeurs du Théâtre Le Public, Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen, s'offrent le plaisir de monter sur scène dans un texte à deux voix, Love Letters de l'Américain Albert Ramsdell Gurney. Écrite à la fin des années 80, cette pièce a la particularité qu'elle ne doit pas être mémorisée par ses interprètes puisqu'elle est directement lue sur scène. Gurney a, en effet, tissé son récit sous la forme d'une correspondance écrite entre Melissa Gardner et Andrew Ladd Makepeace.
Tout commence en 1937. Le petit Andy prend pour la première fois la plume pour répondre à l’invitation au goûter d’anniversaire de Melissa. S’ensuivront des échanges ininterrompus de lettres, cartes vœux, petits mots, cartes postales, faire-parts… pendant cinquante ans. Des éclats de rire d’enfants au dernier soupir, une vie d’encre et de papier avec l’amour en filigrane.
Assis côte à côte
Comme dans la pièce originale (traduite et adaptée par Alexia Périmony), Anne Sylvain a privilégié une mise en scène où Melissa (Patricia Ide) et Andrew (Michel Kacenelenbogen) sont assis côte à côte, sans jamais (ou à peine) se regarder. Chacun lit ce qu’il a écrit à l’autre. Et c’est là que se niche toute la force de l’interprétation : rendre par la voix des émotions, des confidences couchées sur le papier tout au long d’une vie. Cette même voix qui, par ses inflexions, ses silences permet aux spectateurs de saisir le caractère, l’univers social, le mode de pensée, les réactions, la tension… de chaque personnage.
Née dans une famille très aisée, Melissa a un esprit rebelle, impertinent ; elle n’hésite pas à “bousculer” Andrew, trop sage, trop lisse à ses yeux. Lui est issu d’une famille plus modeste, mais plus équilibrée. Son salut sera son ascension sociale, là où Melissa s’enfoncera dans l’alcool et la dépression. Deux vies en parallèle qui, malgré l’amitié, malgré l’amour, ne se croiseront que très, trop subrepticement, comme autant d’actes manqués. Anne Sylvain en creuse ainsi la symbolique en jouant sur la symétrie de certains gestes, notamment lorsque Melissa et Andy tournent les pages qu’ils lisent.
Empreint de douceur, Love Letters nous rappelle tout le charme des échanges épistolaires. Dont d'aucuns sûrement se sentent nostalgiques à l'heure des textos, Whatsapp, Twitter… souvent dépourvus d'âme et de consistance.
Stéphanie Bocart - La Libre Belgique - 26/11/2021