Jacqueline Bir au Festival Bruxellons!

Accueillir une actrice comme Jacqueline Bir est pour nous bien sûr un énorme plaisir, mais c'est avant tout un honneur. C'est pour nous une référence, au sens noble du terme: une diection à suivre.

Après Danielle Darrieux (que dirigeait Christophe Lidon), « Oscar et la Dame Rose » connaîtra bientôt une autre interprète d’exception. Jacqueline Bir, figure emblématique du théâtre belge, portera ce texte magnifique sur les planches. La comédienne, qui fêtait en 2003 ses 50 ans de carrière, a toute la verve, l’espièglerie, la simplicité aussi d’une mamie Rose. Elle sera mise en scène par une autre grande dame : Daniela Bisconti, dont l’acuité, le charisme et la sensibilité devraient faire merveille dans cette création.
Un duo de femmes dont on attend avec impatience le fruit de l’échange et de la complicité.


Dommage qu'au théâtre, les sièges soient comptés. On souhaiterait à tout le monde, adultes, adolescents, enfants, grands-parents, de pouvoir s'asseoir et écouter « Oscar et la dame rose », d'Eric-Emmanuel Schmitt, tel qu'il résonne dans la voix et dans le corps de la comédienne Jacqueline Bir. Ce spectacle, propulsé par l'Adac en Wallonie et à Bruxelles, est de ceux qui ne s'oublient jamais, parce qu'on en sort bouleversé, réjoui, ému, enrichi - en un mot : plus sage, peut-être.
Il fallait de l'audace pour porter à la scène ce roman épistolaire. Jacqueline Bir elle-même en tremblait : J'ai une trouille bleue, ce livre est tellement important pour les gens !, confiait-elle lors des répétitions (le « MAD » du 6 octobre). Enorme succès en librairie, trésor pour la plupart de ses lecteurs, « Oscar et la dame rose » est en effet une sorte de viatique que l'on se prête précieusement, l'espoir au coeur.

Dans la salle du Théâtre de Namur, que l'on ait lu le livre ou non, l'attente paraît énorme. La foule aussi : rarement le théâtre a-t-il été aussi plein. Il y a toujours une part de spectateurs qui réservent, puis ne viennent pas, nous avait-on avoué à la billetterie. Cette fois-ci, même eux sont là ! Le talent de Jacqueline Bir sera de leur répondre avec tout ce qui constitue une actrice : ses forces, ses faiblesses, sa sensibilité.

L'ouvrage semble taillé pour le théâtre. Une douzaine de lettres, adressées à Dieu par un enfant de dix ans atteint de leucémie, repoussent le cadre du temps. Selon la suggestion de Mamie Rose, une de ces vieilles dames qui entourent bénévolement les patients à l'hôpital, le petit Oscar, dit « crâne d'oeuf », vivra une décennie par jour : dix ans le matin, vingt le soir. Il mourra à 110 ans, dix jours plus tard. En chemin, c'est toute une vie qu'il aura vécue, en accéléré, et une mort qu'il aura acceptée, grâce à l'« Etrangleuse du Languedoc » - Mamie-Rose se dit en outre catcheuse !

On l'a deviné : « Oscar et la dame rose » n'est pas un spectacle tape-à-l'oeil, mais tape-au-coeur. La mise en scène de Daniela Bisconti ne cherche ni le pathos ni le rire forcé, malgré l'humour du texte. Elle laisse la place à des sentiments plus subtils que le jeu magistral de Jacqueline Bir décuple.

On pourrait parler de mise en scène serrée - comme notre gorge. La scénographie de Vincent Lemaire bâtit un petit plateau incliné, avec un gros fauteuil, loin de toute illustration d'un hôpital. Abstrait ? Oui, comme les douces lumières de Nathalie Borlée, qui créent de vibrants contre-jours ou une aurore violette.

Mais de cette abstraction naît le jeu concret de Jacqueline Bir. La comédienne s'enfonce dans le fauteuil trop grand et, jambes courtes, devient Oscar. L'instant d'après, elle s'assied avec élégance sur l'accoudoir, et la voilà Mamie Rose. Sa voix suit : ses inflexions sont incroyables, ses métamorphoses soufflantes. Elle a dix, vingt, trente ans... Et quand Oscar meurt, on a tous 120 ans et des rides en moins. Juste des larmes en plus, au coin des yeux.

Laurent ANCION - Le Soir, 15/10/2004

Retour à la page précédente