Un hymne à la tolérance et à la vie servi par une magistrale interprétation d’Itsik Elbaz et de Janine Godinas
Le chef d'oeuvre de Romain Gary, récompensé d'un Goncourt en 1975, est un hymne à l'amour, un éloge à la vie pour tous ceux qui pensent que quels que soient les aléas de l'existence, d'où qu'on soit, où qu'on aille, on a toujours la vie devant soi.
Le Public propose son adaptation du superbe texte d'Ajar/Gary. Janine Godinas y est une immense Madame Rosa et Itzik Elbaz, un bouleversant Momo. On rit, on pleure.
N'y allons pas par quatre chemins : La vie devant soi au Public est un cadeau, à chambouler chacun ! Les raisons ? Un texte (très efficace adaptation de Xavier Jaillard), des comédiens, un juste équilibre de la scène. La langue de Roman Gary/Emile Ajar flamboie, elle s'invente des détours cocasses, des subversions ironiques qui pressent le sens du mot, pour qu'en jaillisse le jus de la vie. Alors, forcément, on rit et on pleure. Et ce texte redoutable, sans gras ni complaisance, dépasse de loin d'autres œuvres sur ce même sujet, dans le même registre : l'histoire d'une amitié doublée d'une initiation à la vie, à la vieillesse, à la mort, à la tolérance, à l'amour. De bien grands mots ? Il y a tout cela, imbriqué dans ce quotidien que se tissent Madame Rosa et Momo.
Elle, la vieille dame juive, malade, usée par son 6e étage sans ascenseur, ses kilos, rescapée d'Auschwitz « par erreur », ex-prostituée. Elle l'aime comme une mère ce Momo, le gamin musulman, le seul qui lui reste de tous ceux qu'elle a recueillis, ces enfants de toutes les couleurs, abandonnés parce que les putes n'ont pas le droit de les garder… Et Madame Rosa, avec ses faux papiers, éloignait ainsi le spectre de l'Assistance publique. « Parfois, on se regardait en silence et on avait peur ensemble parce qu'on n'avait que ça au monde. » Entre ces deux-là c'est à la vie… et à la mort. Le cynisme, la haine n'a aucune place entre ces écorchés, elles se sont fondues en une humanité rejetant le pessimisme. La vie devant soi n'a rien d'une tranche de vie naturaliste !
Janine Godinas est Madame Rosa, des pieds à la tête, immense, poignante, en parfait équilibre des multiples couches qui l'habitent, toutes perceptibles sans une once de « théâtre ». Elle est femme, mère, elle a son poids de vie, de chair, elle traverse des phases de « déconnexion » dit Momo, elle est grandiose, rayonnante quand elle réveille en elle sa jeunesse, elle a de ces regards, de ces silences qui disent tout un monde.
Une formidable complicité l'unit à Itzik Elbaz, à la fois récitant de cette histoire à l'avant-scène et interprète de Momo. Pas facile de se glisser dans la peau d'un enfant/adolescent, ce qu'il réussit avec son grand corps mince, ses longues mains qui trahissent admirablement son désarroi, son amour, ses révoltes. Une boule de nerfs, Momo, submergé d'émotion. A leurs côtés, Benoît Van Dorslaer (le docteur) et Nabil Missoumi (Mr Youssef), excellents et sobres. Rien, dans la mise en scène de Michel Kacenelenbogen, qui détourne du corps, de la voix des comédiens. C'est un art, pas un défaut. Réaliste, le plateau vit aussi de la musique à la manière Klezmer écrite par Pascal Charpentier, du beau travail des ombres et des lumières de Maximilien Westerlinck et… d'une montagne d'objets où l'on pêche ce dont on a besoin : la cave, là où Madame Rosa fait son trou de Juive, mais aussi l'amoncellement de toute une vie.
Le Soir - 6/9/2011 - Michèle Friche