La plus drôle des comédies de Molière avec la création d'une musique originale
Pourquoi avoir monté aujourd'hui "Le Bourgeois Gentilhomme"? Simplement parce que cette pièce nous fait hurler de rire. Et que nous voulions en confier le rôle-titre à Michel Hinderyckx.
Notre "Bourgeois" était ambitieux ... Daniel Hanssens à la mise en scène, la création d'une nouvelle adaptation musicale signée Dominique Jonckheere qui a été exécutée chaque soir par des musiciens live, 25 artistes sur le plateau (comédiens, danseurs, chanteurs, musiciens et acrobates), plus de 50 costumes, une impressionnante scénographie signée Xavier Rijs qui avait déjà conçu celles de "Le Songe d'une Nuit d'été" et de "Cyrano de Bergerac".
Un grand spectacle populaire des plus drôles et des plus amusants , une comédie ballet , une farce énorme et burlesque, une magnifique interprétation menée tambour battant avec en tête l’étonnant Michel Hinderyckx (M.Jourdain), une excellente mise en scène, truculente, vivante, farcie de gags réalisée par le comédien Daniel Hanssens ( c’est d’ailleurs sa première mise en scène des plus prometteuses).
M.Jourdain : Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien , et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela…
Bourgeois entiché de noblesse , monsieur Jourdain entend acquérir les manières des gens de qualité. Monsieur Jourdain est un fantoche, vaniteux. Il n’y connaît rien ni en musique ni en philosophie. Il est diablement affolé de noblesse et devient un père négligent et un mari insupportable. Mais s’il a l’adoration des titres, il a aussi la vanité de s’instruire. Il prête inconsidérément de l’argent , mais il sait exactement combien il a prêté. Il n’a pas totalement perdu la tête. C’est son incurable naïveté qui provoque le rire , son inaptitude aux belles manières.
M.Jourdain décide de commander un habit plus digne d’une personne de condition et se lance dans l’apprentissage des armes, de la danse , de la musique et de la philosophie , autant de choses qui lui paraissent indispensables à sa nouvelle condition de gentilhomme.
Madame Jourdain : Il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles ,et vous avez bien opéré avec ce beau monsieur le comte dont vous vous êtes embéguiné…
Monsieur Jourdain : Paix ! Songez à ce que vous dites. Savez-vous bien, ma femme , que vous ne savez pas de qui vous parlez , quand vous parlez de lui. C’est une personne d’importance plus que vous ne pensez ; un seigneur que l’on considère à la cour , et qui parle au roi tout comme je vous parle. N’est-ce pas une chose qui m’est tout à fait honorable que l’on voie venir chez moi si souvent une personne de cette qualité qui m’appelle son cher ami et me traite comme si j’étais son égal ?
La première représentation du « Bourgeois gentilhomme « a eu lieu le 14 octobre 1670 à Chambord devant la cour… Lulli fut chargé de la partie musicale. Molière , qui savait chanter et danser avec agrément, et auquel le sujet de la pièce : « une cérémonie turque burlesque « avait été imposé , s’avisa « de coudre les intermèdes au sujet de la pièce et de ne faire qu’une seule chose du ballet et de la comédie ». Cette pièce obtint dès la première le plus franc succès à la cour et à la ville…
Critiques de l’époque :
Voltaire : Cette pièce de Molière est un des plus heureux sujets de comédie que le ridicule des hommes ait pu fournir. La vanité , attribut de l’espèce humaine, fait que les princes prennent le titre de rois , que les grands seigneurs veulent être des princes… La folie du bourgeois est la seule qui soit comique et qui puisse faire rire au théâtre.
Rousseau : Quel est le plus blâmable , d’un bourgeois sans esprit et vain qui fait sottement le gentilhomme ou du gentilhomme fripon qui le dupe ? Dans cette pièce , ce dernier n’est-il pas l’honnête homme ?
Sainte-Beuve : Il faut admirer ce surcroît toujours montant et bouillonnant de verve comique , très folle , très riche , inépuisable , de la farce bouffonne .
Faguet : Molière est un des plus grands peintres de l’humanité que l’humanité ait produits. Il a enfoncé plus loin qu’aucun autre avant lui dans la connaissance de l’homme et l’anatomie des caractères.
G.Lanson : La comédie de Molière nous offre un vaste tableau de la France du XVII e siècle , étonnant de couleur et de vie.
Monsieur Jourdain : J’ai toutes les envies du monde d’être savant , et j’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j’étais jeune.
Maître de philosophie : Ce sentiment est raisonnable. « Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago ». Vous entendez cela , et vous savez le latin sans doute ?
Monsieur Jourdain : Oui, mais faites comme si je ne le savais pas. Expliquez-moi ce que cela veut dire…
Il faut voir ce spectacle qui déborde de joie, de rire, de rythme sans une seconde de relâchement.
Daniel Hanssens a remarquablement dirigé ses acteurs , nombreux au demeurant. Ici aussi, aucune faiblesse d’interprétation ; une distribution des plus homogènes : Michel Hinderyckx nous montre de bien belles palettes de son grand talent . Il est suprêmement drôle , nous rappelant parfois des mimiques à la « de Funès ». Sa « bouille « est inénarrable. Marie-Hélène Remacle joue avec autorité , sobriété et sincérité Madame Jourdain, une femme très proche du peuple par son bon sens , sa tête chaude , sa parole bruyante et sa bonté foncière. Jasmine Douieb, Lucile la fille de Mr et Mme Jourdain ; elle a peu de scènes et de textes mais elle est naturelle. Monia Douieb joue Nicole , la servante qui se moque et s’inquiète de voir son maître ainsi grisé de belles manières. Vincent Lécuyer est Cléonte, l’amoureux de Lucile, un honnête homme, loyal et sympathique , réduit à participer à un stratagème invraisemblable à cause de l’entêtement de M.Jourdain(intéressant dans l’évolution de son personnage ). Laurent Renard joue à la perfection et avec habileté Dorante, un personnage assez équivoque , noble , ruiné , intrigant et qui emprunte à M.Jourdain des sommes d’argent considérables. Il pratique sans scrupule l’abus de confiance.
Pierre Pigeolet est Covielle , valet dévoué, ingénieux , peu scrupuleux sur les moyens quand il s’agit de jouer et de flouer un personnage ridicule. La très belle Laurence d’Amelio représente avec éclat et sensualité Dorimène , une marquise authentique dont M.Jourdain est amoureux , amante de Dorante ; elle traverse l’action sans bien comprendre l’intrigue où elle tient un rôle.
Et puis, il y a les fameux maîtres de musique : Ronald Beurms, à danser : Alexis Gislain, d’armes : Pierre Plume, tailleur : Gérald Wauthia. Ils sont merveilleux tous les quatre et désopilants.
Et je m’en voudrais de ne pas citer les laquais de Monsieur Jourdain : Othman Moumen et Thibaut Neve. Impeccables tous deux dans leurs jeux de scène.
Monsieur Jourdain : Hé bien , messieurs ? Qu’est-ce ? Me ferez-vous voir votre petite drôlerie ?
Maître à danser : Comment ? Quelle petite drôlerie ?
Monsieur Jourdain : Eh !là…Comment appelez-vous cela ? Votre prologue, ou dialogue de chansons et de danse.
Maître de musique : Vous nous y voyez préparés.
Monsieur Jourdain : Je vous ai fait un peu attendre, mais c’est que je me fais habiller aujourd’hui comme les gens de qualité , et mon tailleur m’a envoyé des bas de soie que j’ai pensé ne mettre jamais…
Il y a également les danseurs et chanteurs, qui souvent font preuve de dons d’acteurs : Isabelle Beirens- Antoine Guillaume- Véronique Lacroix- Sarah Peters ( danseurs) , Jean Prévot ( flûte) – Sandra Lemaire( clarinette) – Isabelle Delory ( hautbois) – Jean-François Carlier ( basson).
Un beau monde réuni sur ce grand plateau construit face à l’entrée du château. La volonté de Daniel Hanssens a voulu ne pas jouer avec les éléments naturels ( une innovation au Karreveld à ma connaissance). Le décor est plutôt terne, tristounet malgré les bonnes lumières de Laurent Kaye mais reproduit bien les praticables dressés pour le théâtre en plein air à l’époque de Molière.
Daniel Hanssens, décidément bel innovateur , a « rejeté « la musique de Lulli et a demandé à Dominique Jonckeere d’en écrire une autre très légère , sautillante, rythmée et anachronique par rapport à l’époque. Excellent clin d’oeil à des musiques d’aujourd’hui…avec un ajout - lors d’une sortie fracassante des personnages- de la sirène de police…On rit, on rit …nos zygomatiques en prennent un sérieux coup…
Covielle : Le fils du Grand Turc veut être votre gendre. Comme je le fus voir , et que j’entends parfaitement sa langue , il s’entretint avec moi ; et après quelques autres discours , il me dit : « Acciam croc soler ouch alla moustaph gidelum amanahem varahini oussere carbulath « C’est- à -dire « N’as-tu point vu une jeune belle personne qui est la fille de monsieur Jourdain , gentilhomme parisien ?«
Monsieur Jourdain : Le fils du Grand Turc a dit cela de moi ? Covielle : Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement et que j’avais vu votre fille : « Ah ! me dit-il, « Marababa sahem « , c’est-à-dire « Ah ! que je suis amoureux d’elle« …
Monsieur Jourdain : Voilà une langue admirable que ce turc. Covielle : Plus admirable qu’on ne peut croire. Savez-vous bien ce que veut dire : » Cacaracamouchen « ?
Monsieur Jourdain : Cacaracamouchen ? Non. Covielle : C’est-à-dire « Ma chère âme ».
Monsieur Jourdain : Voilà qui est merveilleux ! Cacaracamouchen , ma chère âme : dirait-on jamais cela ? Voilà qui me confond…
Dominique Jonckeere (compositeur) : Vive Molière, qui nous rassemble dans cette hygiénique leçon d’humour. Pas d’humilité , d’humour !
Trois heures de spectacle hilarant ( avec un thème cependant profond et sarcastique signé Jean-Baptiste Poquelin)…
Trois heures de spectacle où les scènes s’enchaînent à un tempo vertigineux, avec en exergue la leçon de philosophie, le ballet « à la turque « , la rencontre avec le fils du Grand Turc ( jouée et parlée dans une langue savoureuse) et la toute dernière séquence où se trouvent réunis sur la scène tous les personnages du « Bourgeois… »et où éclate un magnifique feu d’artifice, un authentique feu d’artifice . Daniel Hanssens se paye ce luxe incroyable dans une compagnie théâtrale ! Génial ! De bon goût ! A voir absolument…
A signaler que « Le Bourgeois gentilhomme « se joue en alternance avec « Les légendes de la Forêt viennoise «. Consultez bien les affiches et renseignez-vous !
La production « Bulles Production « propose non seulement ces deux grands spectacles mais également « La nuit des rois « de Shakespeare, sur les toits de l’Inno à Bruxelles ( du 15 au 31 août) et trois soirées « café-théâtre « ( au Karreveld et les lundis ) : « Nuages au Nord, Soleil au Sud « de Négar Djavadi , « Pour qui tu te prends » de Patrice Mincke et enfin « Rebecca’s dream « de A.Guillaume et Pedrinelli.
C’est la fête du théâtre grâce à toute cette équipe nombreuse , joyeuse et talentueuse, en tête de laquelle je nommerai Olivier Moerens , un jeune homme heureux chaque soir de la représentation de voir le public quitter le Karreveld avec un merveilleux sourire , ne manquant pas d’ailleurs d’exprimer leur bonheur d’avoir passé une soirée inoubliable !
« Quels spectacles charmants , quels plaisirs goûtons-nous !
Les dieux mêmes , les dieux n’en ont point de plus doux ! » (Molière)
Cinemaniacs - 7/2002 - Roger Simons