L'Illustre Théâtre

Patrick Chaboud, quelle était votre intention principale de mise en scéne en créant cette piéce hommage, « L'illustre théatre » ?
Mon intention principale était de faire un bond dans le temps : de vivre et faire revivre le théatre tel qu'il existait a l'époque de Moliére. Et cela a trés vite sonné comme une évidence parce quill existe de nombreuses similitudes entre notre troupe du Magic land et celle de Moliére, comme s'il avait toujours été un modéle pour nous. En effet, Moliére a longtemps pratiqué un théatre de troupe, itinérant et de tréteaux, dans lequel I'humour lui permettait d'étre critique de son temps, des grands comme des petits. C'est exactement ce nous faisions a nos débuts et la pandémie nous a permis de retourner a ces premiéres amours : le thédtre de tréteaux, de troupe et d'humour.

En quoi la pandémie a-t-elle eu un influence sur la création de ce spectacle ?
La pandémie nous a obligé a nous réinventer. Tout était fermé. Les centres culturels comme les salles de spectacle. Pour continuer 2 aller a la rencontre de notre public, il fallait une idée originale. Nous avons donc décider de créer notre propre réseau de diffusion. Nous avons proposé a notre public de venir jouer dans leur jardin et cela a fonctionné ! Nous avons ainsi pu mettre en place une véritable premiére tournée d'été en 2020. « Liillustre théatre » siinscrit dans ce projet plus global, il est un des spectacles que nous faisons tourner, sur tréteaux, a travers Bruxelles et la Wallonie.

Vous jouez donc « L'illustre théatre » hors des salles de spectacles, dans les jardins et dans la rue, c'est bien cela ?
Oui, parce qu'a l'époque de Moliére, le théatre se passe rarement en salle, il se déroule sur les places des villages, en extérieur et sur tréteaux. Cest précisément cela que nous avons reproduit dans « Lillustre théatre ». Et ¢a nous a permis un retour a nos premiéres amours : le théatre de rue. C'est la que nous avons appris l'art de séduire un public de passage mais aussi celui du contact direct et d'une proximité humaine et humoristique. Cela reste aujourd'hui notre marque de fabrique et un ingrédient indispensable a chacune de nos représentations.
Jouer en rue est un exercice tres particulier : le public n'est pas venu pour vous, il faut l'alpaguer et surtout continuer de I'intéresser pour qu'il ne parte pas quand ¢a lui chante. Le spectateur n'est pas assis dans une salle sombre et fermée. Il est en plein air et peut quitter son siége trés facilement. Le comédien doit donc « aller le chercher » et ne plus le lacher. C'est un exercice difficile qui demande de porter la voix au-dessus des chants d'oiseaux, du vent, des bruits d'avion, de tram ou d'autoroute. C'est un art de bateleur qui s'apprend sur le terrain et en groupe.
Pour les membres du Magic land théatre, la rue est la plus belle école de théatre qui soit. Au- dela des grands principes enseignés dans les conservatoires, la rue permet une confrontation brutale au public, elle ne fait pas de cadeau et oblige le comédien a se mettre au service du public, et non l'inverse.

Quant a la dramaturgie a proprement parler, comment avez-vous procédé pour emmener le public au coeur du travail de troupe de Moliére ?
Nous proposons au public d'assister a une répétition d'une piece inédite de Moliére. C'est de la mise en abime « au carré ». Parce qu'au-dela d'assister a une répétition d'une piece de théatre, le spectateur et la spectatrice sont emmenés a |origine méme d'un genre théatral : celui de la comédie. Le public assiste a une répétition certes, mais il a surtout la chance d'assister a une répétition de la troupe de la Moliére : il peut donc voir le grand dramaturge mettre en scéne, donner des instructions a ses comédiennes et comédiens, faire face a la réalité d'une troupe et de ses atermoiements.

Cela implique-t-il un travail particulier de mise en scéne ?
Oui, L'exercice de mise en abime nécessite un jeu extrémement juste. Il ne s'agit pas de jouer a jouer, il faut incarner ! Le dispositif permet ainsi de questionner les comédiens sur leur métier, d'apprendre au spectateur que ce qui se passe en coulisse est parfois bien loin des paillettes et de la lumiére éclatante des projecteurs. En mettant en scene Moliére qui met lui-méme en scéne, j'ai vraiment eu la sensation de pouvoir aussi raconter ce qu'est la mise en scéne pour moi, et ce dans les pas de Moliére. C'est aussi ma facon de travailler que je présente et chacune, chacun des comédiens, en incarnant un membre de la troupe de Moliére, se raconte aussi, explique son propre rapport au metteur en scéne. Le lien entre le metteur en scéne et le comédien, la comédienne, est complexe, puissant et parfois conflictuel. Cela aussi, je voulais le raconter.

Tout cela semble bien sérieux, avez-vous malgré tout conservé le ton habituel du Magic land. Le spectacle est-il un spectacle d''humour ou pas ?
Oui, bien sGr ! Moliére utilisait I'humour pour faire passer des messages importants, nous faisons de méme a sa suite. Au XViléme siécle, humour était un genre mineur, aujourd'hui encore, il doit parfois batailler pour prouver sa noblesse, i] est pourtant un immense travail d'équilibriste. Trouver les mots qui feront que, doucement, les visages se détendent et les rires finissent pas fuser n'est pas chose aisée. Rire c'est un peu comme pleurer, ce n'est pas toujours quelque chose qu'on partage dans un public d'inconnus. Mais une fois que les gens rient ensemble, ils sont unis, le temps d'un instant et cela n'a pas de prix. Cela permet aussi de déposer des messages forts, de véhiculer des valeurs qui comptent pour la troupe. Quand on rit, le coeur s'ouvre un peu, c'est cela aussi qui améne les gens a vivre une expérience ; ils et elles assistent a un spectacle certes, mais surtout, ils et elles vivent, ensemble, un moment fort, particulier.

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