« Si vous trouvez que l’Education coûte trop cher, essayez l’Ignorance »
(Abraham Lincoln)

Dès son entrée en scène, on sent le bonheur de Jacques Viala, bonheur pour un comédien de camper un personnage à la mesure de sa fantaisie, à la mesure de sa gouaillerie, de sa gourmandise des mots, bonheur d’autant plus éclatant que le comédien est aussi le créateur de ce professeur au dernier jour de sa carrière d’enseignant. Et Viala, comme Flaubert, a ciselé chaque phrase pour qu’elle lui aille comme un gant.

Si vous avez la nostalgie du professeur idéal, courez voir ce spectacle mis en scène par Eric de Staercke ! Installez-vous dans cette salle de classe, soyez le potache près du radiateur, le chahuteur, le faux paresseux, le studieux, la délurée sexy ou d’autres encore, étudiants aux noms d’Afrique ou d’Orient à qui successivement s’adresse le professeur Viala. Si vous avez envie de raviver en vous le sens primordial de l’enseignement, cette utopie répétée chaque jour dans toutes les écoles du monde, poussez la porte de la classe de français et entrez dans la magie de l’école…


Sa dernière heure est arrivée... Sa dernière heure de cours... 50 minutes pour tout donner à ses élèves, tout : la création du monde, les sciences, la parole... 50 minutes, c’est trop peu pour résumer l’histoire de l’humanité, c’est pourquoi il ne peut que leur expliquer le propre de l’homme !

L’homme est un animal et pourtant à la différence de ceux-ci, il naît sans rien savoir du passé de ses semblables. D’autres se chargent de l’instruire. C’est le rôle de Jules Spindonègre, professeur réfractaire, militant, incorruptible, incorrigible, ex-délinquant, ex-loubard, ex-cancre lui-même, transmettre aux générations futures « les armes d’instruction massive ».


CREATEURS
AuteurJacques Viala 
Mise en scèneEric de Staerke 
AVEC
Jacques Viala 
Une production des Riches-Claires

Tableau noir, compas, latte de bois, seau en aluminium, grosse éponge et un prof à lunettes d’écaille. Image d’Épinal, classique vue d’une classe comme les autres, que dès la sonnerie de fin des cours, on souhaiterait faire nôtre.

Jules Spindonègre célèbre aujourd’hui son soixante-cinquième anniversaire. En guise de cadeau, il reçoit une mise à la pension à effet immédiat. Le pédagogue idéaliste, l’homme tolérant, profondément humain a juste une cinquantaine de minutes pour transmettre tout son savoir, toute son expérience à ses étudiants.
Impossible de résumer les connaissances accumulées tout au long d’une vie dans ces satanées cinquante longues et si courtes minutes.

Pour cet ultime cours d’un genre un peu particulier et qui sonne tristement comme un adieu, un testament et une ode à l’espoir, à la tolérance et à l’humanisme, c’est le public des Riches-Claires qui chaque soir se transforme en potache ou en élève studieux. Le propre de l’homme devient non pas le rire rabelaisien, mais bien le langage. Derrière ce propos tout à la fois tendre et ironique, derrière ce dernier message lancé comme une bouteille dans la mer de l’inculture se profile la révolte d’un enseignant contre un ordre établi qui tend plus à faire de l’école une garderie abrutissante qu’un lieu qui dispense savoir et savoir-vivre. D’une réforme à l’autre, d’un ministre ignorant à un sinistre j'en-foutre, il a tout connu, tout subi et a vu s’installer le découragement, la résignation et le je-m’en-foutisme chez ses collègues.

Aujourd’hui, il règle ses comptes en bloc avec cette administration qu’il a adulée et qui le rejette comme un vieux débris. Pourtant derrière sa rage et son intense sentiment d’injustice, se profilent une grande tolérance et une belle largeur d’esprit. Ainsi, sous sa docte férule, mais si facile à comprendre, l’humanité se décline des australopithèques à nos jours ou des singes à notre animalité. Une pointe de sociologique se marie avec une généreuse rasade de linguistique, axée sur nos codes verbaux, exemples à l’appui.

Si les mots de Jules Spindonègre peuvent paraître comme ironiques ou cinglants envers ses élèves, ils dénotent cependant d’une belle dose d’observation et d’une certaine manière bourrue de les pousser vers l’excellence. Pas celle qui vous oblige à faire du 90% et à rivaliser avec les grosses têtes de la classe, mais celle qui vous incite à vous dépasser à repousser vos propres limites. Rare et précieux, ce style de prof je vous souhaite d’en avoir connu. Si vous n’avez pas vécu ce petit bonheur scolaire, je ne peux que vous convier à découvrir Monsieur le Professeur Jacques Viala. Sous la houlette de son metteur en scène, Eric De Staercke, il nous offre un texte de son cru et une prestation remarquable.

Un spectacle jubilatoire à découvrir de toute urgence.

Muriel Hublet - Plaisir d'offrir - 12/3/2009

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Quel a été votre parcours scolaire?
Jacques VIALA: Au départ, en raison de problèmes de santé, j’avais du retard à l’école. Mais j’ai eu la chance d’avoir une institutrice qui avait des dons de conteuse et grâce à laquelle j’ai pu récupérer mon retard. Ensuite, j’ai eu un professeur magnifi que, extrêmement juste, et d’une sévérité bienveillante. J’ai alors énormément travaillé pour être premier de classe et il a eu ce mot terrible, qui m’a accompagné toute ma vie et m’a permis de ne jamais trop me prendre la tête: "VIALA, vous êtes premier, mais au royaume des aveugles, les borgnes sont rois!"
En secondaire, je suis un peu parti en vrille, parce que cela ne me convenait pas. J’ai connu un prof formidable, de latin et de français, qui était le seul à croire en moi, une sorte de phare dans cette nuit du secondaire. Je venais d’une petite école très familiale, chaleureuse, et là, j’étais confronté à un univers extrêmement hostile. J’ai tout de même réussi la 6ème, et en 5ème ils ont mis tous les élèves problématiques dans la même classe. Nous avions comme prof de latin et de français un homme qui était tout à fait insuffisant, et cela a donné un résultat abominable. Je n’ai même pas été au bout de cette deuxième année. Je suis retourné à mon école de quartier pour passer mon certifi cat d’études primaires. Après, j’ai travaillé, et je n’ai repris des études artistiques que beaucoup plus tard, vers 20 ans, pour faire du théâtre.
Pour écrire une pièce comme "Le propre de l’homme", on puise sans doute dans son expérience…
JV: Bien sûr, et j’ai aussi puisé dans celle de mes deux filles. La situation entre mon époque et la leur s’est terriblement dégradée. En plus, le temps s’est rétréci, les enseignants ont moins de temps pour enseigner de plus en plus de choses. Et il y a une sorte d’étrange attitude, qui consiste à utiliser des moyens un peu démagogiques vis-à-vis des élèves pour faire passer telle ou telle matière.
Je crois, par exemple, que ce n’est pas le rôle de l’école d’emmener des élèves au cinéma, mais celui des parents. Par ailleurs, on a l’impression que l’enseignement se dessèche. Moi, j’avais un rapport intéressé à mes profs. Leurs paroles, c’était quelque chose, c’était ludique, intéressant. On sentait que les profs avaient une certaine joie à transmettre le savoir.
Qu’avaient vos enseignants que n’ont plus eu ceux de vos fi lles?
JV: Il y a de moins en moins de conteurs. Même quand on enseigne les maths, on peut être un conteur… C’est d’une importance capitale! Les profs doivent aussi être craints, de même que les parents. Il ne s’agit pas qu’ils fassent peur, mais que les élèves sachent que s’ils dépassent une certaine limite, ils seront confrontés à une autorité. Ce pouvoir doit être bienveillant et toujours orienté dans l’intérêt
de l’élève.
Quel genre de prof est Jules SPINDONÈGRE, l’enseignant de votre pièce?
JV: C’est un passionné, il aime sa matière et ses élèves. Il n’hésite pas à faire part de ses opinions, mais il respecte celles de ses élèves, tout en étant extrêmement sévère. Il pratique volontiers l’ironie, mais c’est un conteur et il aime faire le lien avec les poètes, auxquels il voue un culte. Ce n’est pas moi, mais c’est un double.
Enseignant, c’est un métier inabouti?
JV: Je ne crois pas. Je pense que l’enseignement est inabouti, parce que la somme des connaissances est continuellement en évolution, que les institutions sont ce qu’elles sont et que leur histoire est contrariée. Mais je crois que l’enseignant, lui, est quelqu’un de tout à fait abouti. C’est un adulte qui sait où il se trouve. Je parle des vrais enseignants, qui ont la vocation et qui remplissent leur mission.
Je crois qu’une vie d’enseignant est une vie de joie pour ceux-là, et donc pour Monsieur SPINDONÈGRE. Il est dans un moment de crise puisqu’il vient d’apprendre qu’il doit absolument prendre sa retraite le jour même, et ça lui fait très mal. Mais peu importe, il va donner son dernier cours.
Le prof est confronté à l’échec potentiel de ses élèves…
JV: Bien sûr, et c’est la croix de SPINDONÈGRE: il voudrait parvenir au niveau zéro d’échec, mais tous les ans, ça retombe! Il va jusqu’à tricher, en donnant à l’avance les sujets d’examen aux élèves, mais il y a toujours deux ou trois hurluberlus qui échouent tout de même. Et ça le mine: l’idée qu’il y ait du "déchet" parmi les êtres humains, qu’une partie de l’humanité n’a pas accès à ce qu’il y a de mieux… Or,
comme il pense que la meilleure chose que l’être humain ait touchée dans son héritage, c’est le langage articulé complexe, il a du mal à accepter, tous les ans, de laisser sur la touche quelques élèves qui n’ont toujours pas compris ce qu’était l’importance du langage.
Pour faire passer son savoir, un bon prof, c’est aussi un acteur?
JV: Je crois, oui. Un conteur doit être un bon acteur et un auteur en même temps. Mais je pense que nous sommes tous potentiellement acteurs. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas de bons ou de mauvais acteurs. Certains ont de la chance, et d’autres pas. Avoir des dons, c’est une chance. Nous avons tous grandi dans le jeu de rôle. Et c’est là-dedans que les êtres humains se forment.
Vous avez donné cours? Quel genre de prof étiez-vous?
JV: J’ai beaucoup enseigné sur mon artisanat. Je pense être un prof qui ressemble assez à Jules SPINDONÈGRE. Maintenant que je suis à un âge où l’on peut commencer à faire un bilan, je me rends compte que les choses que j’aurais aimé faire sont très humbles.
J’aurais pu être heureux en étant artisan dans le bois, boulanger ou prof de français. Mais je suis très heureux, je considère que le théâtre a bien rempli ma vie et m’a fait vivre, pas seulement matériellement, mais dans une certaine joie.
Comme acteur, qu’éprouve-t-on comme satisfaction?
JV: C’est variable, d’un spectacle à l’autre. La pièce que je joue pour le moment ("Le Piano de Staline", de David POWNALL), j’en tire du plaisir mais elle est diffi cile, épuisante, c’est une épreuve. Dans le rôle de Jules SPINDONÈGRE, j’ai été très étonné de la qualité d’écoute que j’obtenais, dès le début, et même lorsque je commence le discours un peu pointu sur ce qu’est un être humain. Je suis très fier de ce spectacle, et du public! J’ai travaillé avec Éric DE STAERCKE, qui est un magnifi que metteur en scène et à qui je dois beaucoup, parce qu’il a fait un travail, et sur l’écriture, et sur la mise en scène, qui est très soignée.
Pour quelles raisons les enseignants pourraient-ils venir voir "Le propre de l’homme"?
JV: C’est très diffi cile de répondre, parce que je n’ai pas écrit cette pièce pour les enseignants ni pour les élèves, mais pour le public. Par contre, j’ai reçu des témoignages de profs, notamment un mail d’une dame, qui disait: "Je leur ai lu tel passage, j’ai fait le singe et ils étaient morts de rire!". J’étais très honoré, très fi er et heureux de savoir qu’il y avait au moins une prof qui, tout à coup, s’est dit qu’elle allait changer la perspective de son enseignement et essayer de se servir de ce qu’elle avait vu au théâtre pour varier l’ambiance de la classe et la façon de distribuer le savoir.
Cela fait plaisir et donne envie de continuer. Là, je touche vraiment à ma mission, qui consiste à donner l’envie de vivre, de rêver, d’agir aux autres humains.

INTERVIEW FRANÇOIS TEFNIN - TEXTE BRIGITTE GERARD - "Entrées libre" - N°40 - Juin 2009

 

Jacques Viala s’est éteint en laissant derrière lui une carrière fournie sur les planches belges.

On apprenait ce jeudi le décès de Jacques Viala, des suites d’un cancer fulgurant. Le comédien, que l’on applaudissait encore cette saison dans « Démocratie » de Michael Frayn, s’est éteint en laissant derrière lui une carrière fournie sur les planches belges.

Une Belgique où il a atterri dans des conditions rocambolesques. Né en France en 1945, il grandit dans le quartier de Pigalle avec des potes d’enfance comme Johnny Hallyday et Fabrice Luchini et apprend le métier de comédien sur le tas. En Mai 68, agitateur recherché par la police, il fuit à Bruxelles où il décide de reprendre ses études.

« Il a fait le Conservatoire à 30 ans », explique son ami Eric De Staercke, avec qui il a réalisé plusieurs projets dont Le propre de l’homme ou encore Coco Parachute. « Ses collègues d’alors, Pierre Laroche ou Claude Etienne, sont devenus ses profs. Il avait une soif insatiable de perfection, de formation. Il était capable de tout arrêter pendant un an simplement pour avoir le temps de lire. De la même manière, il a commencé la Ligue d’impro à 45 ans parce qu’il trouvait que le théâtre s’embourbait. »

Jacques Viala a tout joué (Shakespeare, Tchékhov, Artaud, Piandello) et partout (National, Parc, Rideau, Poche). Mais l’homme aux lunettes rondes, aux yeux doux et au charisme discret était aussi passionné par la mise en scène et l’écriture. En 1993, il a reçu le Grand Prix de l’Union des Artistes et le Prix SACD pour sa pièce La course du Spermatozoïde.

Catherine Makereel - Le Soir - 12/7/2012