1.1.2.
La création du
St Empire Romain Germanique

 1.2.
1806-1813
Confédération du Rhin

 2.
1848-1898
Les années Elisabeth

Durant ces 180 dernières années, le Royaume-Uni a été dirigé par des femmes pendant 130 ans les Reines Victoria et Élisabeth II... Cette exception mondiale a-t-elle permis d'une manière ou d'une autre de légitimer l’égalité homme-femme? Non, jamais... Mais qu'en est-il de la condition de la femme au cœur de cette Angleterre victorienne du milieu du XIXe siècle?

Les femmes sont considérées comme des «citoyens de seconde classe». Qu’elles soient riches ou pauvres, paysannes ou ouvrières, bourgeoises ou aristocrates, elles n’ont pas davantage de droits qu’un criminel ou qu’un enfant. À métier équivalent, elles gagnent le tiers du salaire d’un homme et n’ont pas accès à l’éducation. La femme mariée? Elle ne s’appartient plus, «son identité est subordonnée à celle de son mari». Certaines pourtant vont tenter de faire évoluer cette conception rétrograde de la femme. Et c’est par le droit de vote, qu’elles sont persuadées que passe l’amélioration des conditions de vie des femmes.

A) The Reform Act - 1832

En 1832, le Parlement adopte une loi modifiant en profondeur le système électoral britannique. Auparavant, le droit de vote était réservé à une petite minorité: aristocratie, fermiers cossus ou marchands fortunés; en clair, les riches ou ceux qui payaient de lourds impôts. Les nombreux membres des couches ascendantes de la bourgeoisie et l’ensemble des classes populaires en étaient donc exclus. Rappelons que nous sommes en pleine révolution industrielle et que la société est en profonde évolution.

Le Reform Act de 1832 modifie fondamentalement les choses, mais restons raisonnables: le droit de vote jusqu'alors réservé à 3% de la population ne sera accordé qu’à près de 18% des Anglais, seulement. Une augmentation de 600%, cependant! En clair, on a simplement diminué le niveau de richesses nécessaire. Pour accéder au droit de vote: il faut pouvoir prouver que l'on possède un bien d'au moins 10£. Bref, la bourgeoisie peut désormais partager ce pouvoir avec l’aristocratie, à l’exclusion toujours des classes laborieuses...

Un autre changement totalement imprévu intervient, particulièrement dans un pays dirigé par une femme. Dans le texte de loi définissant le droit de vote, on remplace le terme habituel d'«homme» - au sens être-humain - par l'expression «personne mâle». Un net recul pour le droit de vote des femmes: elles sont désormais légalement exclues du corps électoral, quel que soit leur niveau de fortune.

Très vite, des pétitions sont organisées en réaction. Le vendredi 3 août 1832, la requête d'une certaine Mary Smith, de Stanmore est même analysée; elle affirme que, payant les mêmes impôts et étant soumise aux mêmes lois que n’importe quel homme, elle doit avoir le droit de participer à leur élaboration en élisant des représentants. C'en est trop pour le député Sir Frederick Trench qui fait remarquer «judicieusement» qu’en cas de jurys paritaires, hommes et femmes se verront contraints à des situations moralement équivoques, comme être enfermés toute une nuit lors de délibérations. Quand on lui rétorque qu’«il est de notoriété publique que l’honorable et galant député passe des nuits entières en compagnie de dames sans qu’il considère que ce soit indigne», Trench se contente de répondre: «Oui. Mais nous ne sommes jamais enfermés.» L’assistance rit, et le premier débat sur le suffrage féminin de l’histoire de la Grande-Bretagne se clôt sur cette pirouette.

Les défenseurs des droits des femmes représentent alors une toute petite minorité: le mouvement féministe vient à peine de naître. On refuse aux femmes les droits civiques et politiques dont jouissent les hommes, et même si les célibataires et les veuves ont plus de libertés que les femmes mariées – lesquelles ne peuvent avoir de propriétés, rédiger de testament ou détenir la garde de leurs enfants –, elles sont aussi soumises à de grandes restrictions. Elles ne peuvent exercer de professions dans le domaine de la médecine ou du droit ni accéder à des postes dans l’administration. Et ne peuvent donc plus voter. Dans la mentalité de l’époque, cette subordination fait partie de l’ordre social. Les hommes, soi-disant mieux dotés intellectuellement et physiquement, doivent prendre en charge la sphère publique, tandis que les femmes occupent la sphère privée, placée sous leur protection. Et malheureusement, bon nombre de femmes partagent docilement cette opinion, transmise de mère en fille.

B) Le mouvement des suffragistes à partir de 1865

En 1865, plusieurs femmes issues de la classe moyenne commencent à se réunir à Londres au sein d’un groupe de discussion, la Kensington Society, pour débattre de leur droit de vote. Parmi elles, figurent des femmes investies depuis des années dans la reconnaissance de leurs droits comme Barbara Bodichon, Emily Davies, Elizabeth Garrett Anderson et Jessie Boucherett, mais aussi de nouvelles militantes comme Helen Taylor, belle fille et assistante du député John Stuart Mill dont l’adhésion en faveur du droit de vote aux femmes est connue.

C) The Reform Act - 1867

En 1866, une nouvelle réforme de la loi électorale est portée devant le Parlement. Dans ce cadre, en mai 1866, Barbara Bodichon et Helen Taylor lancent une pétition en faveur du suffrage féminin. John Stuart Mill accepte de son côté de présenter la pétition devant la Chambre des Communes à la condition que celle-ci recueille au moins une centaine de signatures; les Suffragistes obtiennent en quelques semaines près de 1500 signatures. Mill présente donc la pétition devant la Chambre des Communes le 7 juin 1866 et la soutient le 17 juillet 1866, avec l’appui d’un autre député radical acquis à la cause féministe, Henry Fawcett. Mais sans aucun effet constructif.

En mai 1867, Mill propose alors un amendement au projet de loi sur la réforme électorale examinée par le Parlement consistant à remplacer le mot «man» par «person», ouvrant ainsi le vote aux femmes. L’amendement est rejeté par 196 voix contre 73.

En 1867, finalement, le suffrage censitaire masculin est considérablement élargi: la loi donne le droit de vote à la plupart des ouvriers qualifiés citadins alors que dans les comtés le cens reste suffisamment élevé pour exclure les travailleurs agricoles et d’autres catégories, comme les mineurs de puits situés en zone rurale. Quoi qu'il en soit, le corps électoral passe à plus de 2 millions d’électeurs. Mais toujours pas de femmes...

Une anecdote? Encore que, anecdote... En 1867, le nom de Lily Maxwell, propriétaire d’un petit magasin à Manchester, apparaît par erreur sur les listes électorales pour un suffrage à la Chambre des Communes. Il s’agit une erreur administrative, une femme ne peut légalement voter. Lydia Becker, fondatrice de la National Society for Women’s Suffrage, qui a vent de cette affaire, l’encourage à se rendre aux urnes et à aller voter. Le jour de l’élection, elle l’accompagne au bureau de vote. Son bulletin, qui avait été accepté sous le coup de la surprise, est finalement annulé.

Suite à cette affaire, dont on parle largement dans la presse, la Manchester National Society for Women’s Suffrage tente de faire inscrire toutes les femmes dont les conditions de revenus correspondent aux conditions imposées aux hommes pour pouvoir voter. Elles sont 5.347 dans la ville de Manchester. La grande majorité est refusée. Plusieurs femmes contestent en saisissant la justice. Leurs recours sont rejetés, la cour rappelant l’incapacité juridique des femmes.

D) Un combat au long cours

Entre 1867 et 1884, des propositions de lois et d’amendements en faveur du droit de vote des femmes sont présentées et débattues à peu près tous les ans au Parlement. Après 1884, certaines sont encore déposées...

Deux lois majeures de 1870 et 1882 octroient aux femmes mariées le droit de propriété. Dorénavant, leurs biens ne sont plus sous le contrôle de leur époux. Les Suffragistes fondent l’espoir que ces réformes entraîneront dans leur sillage le droit de vote des femmes. En effet, le suffrage réservé aux hommes est essentiellement basé sur la propriété. Elles vont cependant vite déchanter.

E) The Reform Act - 1884 et ses conséquences

Une troisième réforme électorale très importante survient en 1884. Le droit de vote qui avait été accordé aux classes ouvrières qualifiées des villes est étendu aux campagnes. Environ 60% des hommes adultes peuvent désormais voter. De nouvelles classes ouvrières accèdent au suffrage parmi eux les ouvriers agricoles. En revanche, sont toujours exclus du scrutin de nombreux ouvriers non qualifiés, des travailleurs à l’emploi et au domicile précaires, qui déménagent souvent au gré de l’offre sur le marché du travail, les soldats et les marins, les domestiques et tous les travailleurs logés par leur employeur, les pauvres; en tout, cela représente environ 40% des hommes adultes. Et les femmes n’ont toujours pas le droit de vote.

Cette troisième réforme électorale est une véritable douche froide pour toutes les femmes Suffragistes qui ont espéré que la loi de 1882 donnant aux femmes mariées le droit de propriété allait leur permettre d'obtenir aussi le droit de vote.

À partir de ce moment-là, Millicent Garrett Fawcett - militante Suffragiste active depuis 1870 - décide de se consacrer pleinement à la politique. Persuadée qu’en faisant pression sur les députés, les Suffragistes parviendront à les convaincre qu’elles sont aptes à faire partie du système politique, Millicent sensibilise les femmes à la question du droit de vote. En posant des questions aussi simples que «Qui définit les lois?», «Qui décide qui est citoyen et qui ne l’est pas?», «Selon quels critères?», les Suffragistes ébranlent tout le système de l’Angleterre victorienne.

Les oppositions sont immédiates. Cette révolution apparaît comme une réelle menace. Le rôle des femmes est différent de celui des hommes: elles sont avant tout des épouses destinées à faire des enfants et à s’occuper de leur foyer. Si les femmes s’occupent de politique, qui s’occupera du foyer?

Celles qui osent s’exprimer en public sont qualifiées d’hystériques.

Des petites victoires sont cependant obtenues: en 1894, le droit de vote au niveau local est octroyé aux femmes mariées.

En 1897, Millicent Fawcett prend la tête d’une toute nouvelle organisation qui réunit toutes les sociétés suffragistes du pays: la National Union of Women’s Suffrage. Sous son impulsion, la NUWS, qui compte des sympathisants féminins comme masculins, devient le principal mouvement Suffragiste du monde.

Rassemblées sous une campagne unique pour plus d’efficacité, les Suffragistes multiplient les actions militantes, toujours dans la légalité. Selina Cooper, femme emblématique dans le monde de l’industrie textile, tente de mobiliser les ouvrières en faveur du droit de vote pour les femmes et rejoint le mouvement suffragiste.

En 1900, 29.859 signatures sont présentées aux députés de Londres. Pour autant, pas d’embellie sous le ciel de la politique britannique. Cela fait pourtant 30 ans que Millicent Garrett Fawcett milite pour le droit de vote des femmes…

En 1903, Emmeline Pankhurst fonde, avec ses filles Christabel, Sylvia et Adela, une organisation rivale à la NUWS, la Women’s Social and Political Union (WSPU).

F) Les suffragettes, une nouvelle génération

Membre du Parti travailliste indépendant, femme au caractère autoritaire et fortement engagée, Emmeline Pankhurst souhaite que la WSPU se concentre sur des actions concrètes, d’où leur slogan: «des actions, pas des mots». Mais sa fille Christabel veut aller plus loin. Comme beaucoup de femmes de sa génération, elle est frustrée par les méthodes légalistes de Millicent Garrett et de ses pairs qui, selon elle, n’ont abouti à rien.

En 1905, Christabel et une de ses amies se font éjecter d’un meeting politique pour avoir posé la question du droit de vote des femmes en haussant le ton car personne ne daignait leur répondre. Christabel crache sur un policier. Les jeunes femmes sont arrêtées et emprisonnées, 7 jours pour Christabel, 5 jours pour son amie. Toute la presse en parle. Prenant conscience du pouvoir des manifestations et des actions d’éclat, Emmeline Pankhurst se range à l’avis de sa fille, et opte pour une stratégie de confrontation.

Un journaliste (Charles E. Hands) nomme en janvier 1906 de manière péjorative les militantes de ce mouvement les «Suffragettes». Depuis ce jour, Emmeline Pankhurst s’approprie le terme de Suffragettes.

Elle fait une fierté de ce qui a voulu être une insulte masculine pour son combat politique. Dorénavant, elle l’utilisera pour désigner les militantes de son mouvement.

Les actions offensives des Suffragettes se succèdent alors: elles s’enchaînent à des lampadaires ou aux grilles du Parlement, provoquent des incendies ou coupent les fils du télégraphe. Millicent Garret, leader des Suffragistes, n’approuve pas et ne collabore pas avec Emmeline Pankhurst, leader des Suffragettes. Même si elle reconnaît que les Suffragettes font avancer la cause des femmes de façon fulgurante, Millicent continue de croire en ses méthodes pondérées, légales et constitutionnalistes. Le 7 février 1907, les Suffragistes organisent une grande manifestation: 5.000 femmes de toutes origines sociales et de tous âges traversent Londres, dans le froid et sous la pluie.

En 1906, le parti libéral avait enfin pris le pouvoir après 11 ans de règne conservateur. Enfin! Mais les nouveaux espoirs sont vite déçus: ce gouvernement est certes réformateur, mais pas pour les femmes, bien au contraire. Le Premier Ministre, Herbert Henry Asquith, est anti-Suffragistes et anti-Suffragettes. Il joue sur le fait que les femmes ne veulent pas de ce droit de vote. Si elles ne se mobilisent pas en nombre suffisant, c’est qu’elles ne sont pas intéressées! Les Suffragettes décident de relever le défi.

Le dimanche 21 juin 1908 a lieu à Hyde Park une manifestation gigantesque sous un soleil radieux. 50.000 femmes en robe blanche défilent, 200.000 personnes sont présentes. On est loin des 5.000 Suffragistes de février 1907.

Pourtant, le Gouvernement reste sourd, personne ne souhaite s’engager en faveur du droit des femmes. Même le Parti travailliste hésite entre batailler pour le droit des ouvriers, ou y intégrer les ouvrières. Après des années de lutte, la déception est lourde. Les Suffragettes perdent des militantes, qui se révoltent contre les manières violentes employées par la WSPU, et la personnalité trop despotique de leur fondatrice Emmeline Pankhurst.

F.1) Autocrates et martyres

En 1907, Emmeline et Christabel Pankhurst annulent la conférence annuelle de la WSPU et annoncent qu’elle sera dirigée par un comité réduit. De nombreuses militantes leur reprochaient déjà de prendre les décisions sans consulter démocratiquement les autres membres du mouvement. Elles déploraient l’influence autoritaire d’un petit groupe de femmes riches sur l’organisation. Deux des filles d'Emmeline, Adela et Sylvia Pankhurst, sont elles aussi très critiques.

À l’automne, plus de 80 femmes font sécession pour créer la Women’s Freedom League (Ligue pour la liberté des femmes) qui refuse la violence, mais refuse aussi d’obéir aux lois écrites contre les femmes. Elles ne participent pas au recensement et ne paient pas leurs impôts.

Pendant l’été 1908, la WSPU commence sa tactique de casse des vitres des bâtiments gouvernementaux. Le 30 juin, les suffragettes descendent Downing Street et jettent de petites pierres à travers les vitres de la résidence du Premier ministre.

Vingt-sept femmes sont arrêtées et emprisonnées. Emmeline Pankhurst est condamnée à 6 semaines de prison. Elle sait à quoi s’attendre, car ses trois filles ont déjà fait de tels séjours et lui ont raconté leur expérience. Ce sera néanmoins plus dur qu’elle ne le pensait.

En 1909, les suffragettes emprisonnées commencent à réclamer d’être traitées en prisonnières politiques. Elles entament des grèves de la faim et reçoivent des messages de soutien de toute l’Europe. En août, le gouvernement décide qu’elles seront nourries de force, ce qui se fait par gavage avec un tuyau dans la bouche (ou dans le nez quand la bouche est trop blessée) et un entonnoir. Certaines mourront de ce nourrissage forcé, dont probablement Mary, la sœur d’Emmeline.

Une campagne de protestation internationale est lancée contre cette torture. 116 médecins protestent, des députés libéraux quittent leur parti. En 18 mois, Emmeline Pankhurst endurera 10 grèves de la faim.

La répression n’empêche pas la WSPU d’aller encore plus loin dans la violence: caillassage de la voiture de Lloyd George, Ministre des Finances, agression des ministres Herbert Gladstone et Herbert Asquith sur un terrain de golf, agression au fouet de Winston Churchill...

F.2) La violence en question

En 1910, l’opinion semble avoir basculé: le pays considère que les femmes doivent voter comme les hommes. En janvier, une trêve de la violence est acceptée par la WSPU pour permettre la mise en place d’un comité de conciliation, et un projet de loi est préparé qui doit donner le droit de vote à 1 million de femmes. Il est abandonné en novembre.

Trois cents femmes emmenées par Emmeline marchent alors vers le Parlement et sont victimes de graves violences policières, deux mourront des suites de leurs blessures. Le jour de la manifestation reste dans les mémoires comme le «vendredi noir» (Black Friday).

La police laisse désormais les badauds libres d’attaquer les Suffragettes, de les blesser ou même de les... violer. Le public ne distingue pas Suffragistes et Suffragettes, toutes se font agresser.

Des membres de la WSPU, dont Adela Pankhurst, s’interrogent à propos de l’augmentation de la violence dans la stratégie de l’organisation, violence qui pourrait lui faire perdre du terrain dans l’opinion publique. Ne pouvant se faire entendre, elle quitte la WSPU en octobre 1911. Sylvia Pankhurst est également critique vis-à-vis de cette stratégie.

En mars 1912 a lieu une action massive de bris de vitres. Des dizaines de femmes sortent avec un petit marteau caché dans leur manchon et, à une heure convenue, brisent les vitres à leur portée. Les membres de la WSPU militent pour qu’on parle d’elles, même en mal, afin d’intimider. Elle reconduiront plusieurs fois cette action de bris de vitrines.

Les arrestations sont nombreuses, la police investit leur QG. Emmeline est arrêtée et emprisonnée, Christabel fuit en France. Les militantes sont jugées et plaident qu’elles sont techniquement coupables, mais moralement dans leur droit. Le jury les suit.

Sylvia Pankhurst, à côté de ses engagements féministes, est une militante socialiste convaincue et elle désapprouve les mesures de plus en plus autoritaires de sa mère et de sa sœur. Elle quitte la WSPU pour se consacrer au Labour Party.

En 1913, la violence de la WSPU s’accroît encore. Des Suffragettes essaient de brûler les habitations de deux membres du gouvernement et une bombe explose dans la maison de campagne du chef du parti libéral. D’autres attentats à la bombe et d’autres incendies sont déclenchés dans tout le pays. Les arrestations et les condamnations à la prison se succèdent.

Le mouvement commence à se fissurer face à cette violence déraisonnable. Sylvia décrit sa sœur Christabel comme la plus extrémiste de la famille, comme une personne ayant perdu toute raison:

«Christabel s'est tournée vers moi: «Tu as tes propres idées. Nous ne voulons pas de cela; nous voulons que toutes nos femmes suivent leurs instructions et marchent comme une armée!»

Trop fatiguée pour discuter, je n'ai pas répondu. J'étais opprimée par un sentiment tragique, affligée par son côté impitoyable. Sa glorification de l'autocratie me paraissait bien éloignée de la lutte que nous menions, le combat sinistre se déroulant même maintenant jusque dans les cellules de prison.»

Leur mère va arbitrer entre ses filles... Il faut dire qu'elle est la fondatrice du mouvement des Suffragettes et est devenue elle-même autocrate. Elle va virer sa fille modérée Sylvia du mouvement et forcer son autre fille, Adela, à s'exiler en Australie.

Elles ne se reparleront plus jamais.

F.3) Cat and Mouse Act : la loi du chat et de la souris

Les femmes arrêtées se mettent en grève de la faim. Soucieux de ne pas en faire des martyres, le gouvernement prend une mesure de libération temporaire. Les peines des suffragettes sont suspendues dès qu’elles s’affaiblissent. Elles sortent se soigner et, une fois retapées, sont réincarcérées pour le reste de leur peine. Le texte qui réglemente cette pratique a été appelé le Cat and mouse act, la loi du chat et de la souris.

En juin 1913, Emily Davison essaie d’attraper les rênes du cheval qui court le derby d’Epsom pour le roi George V, afin d’y suspendre une écharpe aux couleurs de la WSPU. Mais elle sous-estime la vitesse du cheval et meurt des suites de ses blessures quatre jours plus tard. Cette action a été filmée, ce qui lui donne un écho médiatique considérable; 250.000 à 300.000 personnes accompagneront son cercueil. Mais l’opinion publique se préoccupe surtout de la santé du cheval et Emily passe pour une folle fanatique.

De nombreuses femmes quittent la WSPU parce qu’elles pensent que cette violence est contre-productive et nuit à leur combat.

Mais Emmeline Pankhurst persiste dans cette stratégie, qui l’oblige à imaginer régulièrement de nouvelles actions pour rester présente dans la presse.

En mai 1914, Emmeline est arrêtée en voulant remettre une pétition au roi.

Elle crie «Arrêtée aux portes du palais. Dites-le au roi!» La photo fait la une de tous les journaux.

G) La fin d’un combat et le début d'un autre

Le 4 août 1914, l'Angleterre entre en guerre. C’est évidemment une impasse dans la lutte pour le droit de vote des femmes, qui passe au second plan. Le rôle de la femme dans la société va pourtant s'en voir profondément et définitivement modifié.

Emmeline et Christabel estimèrent que la menace posée par l'Allemagne était un danger pour l'humanité tout entière et que le gouvernement britannique avait besoin d'un soutien total de toute la nation.

La mère et sa fille vont totalement se transfigurer, ne s'opposant plus au pouvoir en place... Grâce à leur soutien à l’effort de guerre, les Suffragettes sont libérées de prison. Elles se battent maintenant pour faire travailler les femmes à la place des hommes partis combattre et obtenir par là leur émancipation.

Une preuve parmi d'autres, en octobre 1914, le journal de la WSPU, The sufragette est rebaptisé Britannia.

Emmeline Pankhurst a mis la même énergie et la même détermination qu’elle avait précédemment appliquées au suffrage des femmes dans la défense patriotique de l’effort de guerre. Elle a organisé des rassemblements, prononcés de très nombreux discours et fait pression sur le gouvernement pour qu'il aide les femmes à entrer sur le marché du travail pendant que les hommes se battaient à l'étranger.

La révolution russe de février '17 avait renforcé les bolcheviks, qui réclamaient la fin de la guerre et étaient prêts en juin 1917 à négocier avec les Allemands pour obtenir la paix. L'autobiographie traduite en russe de Pankhurst a été largement lue en Russie et elle y voit l'occasion de faire pression sur le peuple russe. Elle espérait les convaincre de ne pas accepter les conditions de paix de l'Allemagne qui affaibliraient l'alliance à laquelle appartenait la Grande-Bretagne. Le Premier ministre britannique David Lloyd George - dont elle avait fait caillasser la voiture quelques années auparavant - a accepté de parrainer le voyage en Russie, qu’elle a effectué en juin. Elle y a déclaré devant une foule:

«Je suis venue à Pétrograd avec une prière de la nation anglaise à la nation russe: continuez cette guerre dont l'issue définira le visage de la civilisation de demain et permettra de garantir la liberté».

H) Representation of the People Act - 1918

La guerre est loin d'être gagnée, ou même finie d'ailleurs, mais on sait que plus rien ne sera jamais comme avant. En février 1918, la quatrième grande modification du droit de vote, la Representation of the People Act (loi sur la représentation du peuple) accorde le droit de vote à tous les hommes de plus de 21 ans - il est clair qu'il était devenu impossible que tous ces hommes qui se sont battus de manière terrifiante dans les tranchées de France pour sauver une idée de la liberté, ne disposent pas de ce droit démocratique, et ce, quelle que soit leur fortune. En outre, les femmes de plus de 30 ans (répondant à certains critères) se voient aussi accorder le droit de vote. Elles faisaient tourner toutes les usines du pays depuis trois ans...

Et comme rien n'est jamais prévisible ou simple, alors que les Suffragistes et les Suffragettes célèbrent cette nouvelle loi, un nouveau schisme éclate: maintenant que de nombreuses femmes disposent du droit de vote, se pose la question: les organisations politiques de femmes doivent-elles unir leurs forces à celles des hommes ou rester dans des organisations propres, réservées aux femmes?

Emmeline et Christabel Pankhurst s'insurgent contre toute mixité et fondent le Women's Party, un parti politique uniquement ouvert aux femmes ayant pour slogan: «Victoire, Sécurité nationale et Progrès». Le parti est favorable à des lois sur l'égalité homme-femme face au mariage ou un salaire égal pour un travail égal. Et bien sûr des chances égales pour les femmes. Conscientes qu’il s’agissait de préoccupation pour l'après-guerre, ce parti sera dissous en 1919.

Après l’armistice de 1918, Pankhurst continua de promouvoir sa vision nationaliste de l’unité britannique. Elle a continué de mettre l'accent sur l'autonomisation des femmes, mais ses jours de lutte avec les autorités gouvernementales étaient derrière elle. Elle continuera à défendre l’Empire britannique:

«Certains parlent de l’empire et de l’impérialisme comme si c’étaient des choses à décrier, dont on puisse avoir honte. C’est une grande chose d’être les héritiers d’un empire comme le nôtre … grand par le territoire, grand par sa richesse potentielle… Si nous ne pouvons que transformer et utiliser cette richesse potentielle, nous pourrons détruire la pauvreté, nous pourrons éliminer et détruire l'ignorance.»

Emmeline Pankhurst


Pankhurst fit de nombreux voyages en Amérique du Nord et se passionna pour le Canada, pays où selon elle l'égalité homme-femme était la plus avancée. Même si des combats - non violents cette fois - devaient encore être menés. Elle est, par exemple, devenue active au sein du Conseil National canadien de Lutte contre les Maladies vénériennes. Dans ce cadre, lors d'une visite de la ville de Badhurst, lorsque, très fier, le maire lui présente une maison sociale d'accueil pour les femmes adultères, elle lui répond du tac au tac: «Et irons-nous aussi visiter celle que vous avez fait construire pour accueillir les hommes adultères?».

Elle a fini par se lasser des longs hivers canadiens et a manqué d'argent. Elle est retournée en Angleterre à la fin de 1925.

En 1926, Pankhurst se joignit au Parti conservateur et, deux ans plus tard, se présenta comme candidate au Parlement. Sa transformation de révolutionnaire radicale, adepte de la violence en membre officiel du Parti conservateur a surpris beaucoup de monde. Elle y a répondu sereinement:

«La guerre et mon expérience de l'autre côté de l'Atlantique ont considérablement changé ma vision quant aux méthodes acceptables de lutte politique.»

Emmeline Pankhurst


Tous ses biographes insistent sur le fait que cette profonde transformation est tout sauf anecdotique et reste complexe. Deux certitudes l'ont animée jusqu'à son dernier souffle: le combat pour l'obtention de l'autonomie des femmes et celui contre le communisme. Tous les partis politiques avaient de lourdes rancunes à son égard particulièrement quant à sa justification de la lutte politique violente avant-guerre: aussi bien le Liberal Party, le Labor Party que le Conservative Party. Mais ce dernier était celui qui avait gagné la guerre et disposait... d'une majorité significative au Parlement. Pankhurst n'a-t-elle pas rejoint le parti conservateur plus pour obtenir le vote des femmes que par affinité idéologique?

Les années de tournées, de conférences, d'emprisonnement et de grèves de la faim ont eu des conséquences néfastes; la fatigue et la maladie sont devenues partie intégrante de la vie de Pankhurst. Alors que sa santé se détériorait, elle a déménagé dans une maison de retraite à Hampstead. Le jeudi 14 juin 1928, Pankhurst mourut à l'âge de 69 ans. Deux semaines avant la victoire finale: l'obtention du suffrage universel, le 2 juillet 1928.

I) Equal Suffrage Act - 1928

En 1928, c’est (enfin) l’égalité: cette loi de 1928 élargit le suffrage en donnant aux femmes l'égalité électorale avec les hommes. Il a accordé le droit de vote à toutes les femmes de plus de 21 ans, indépendamment de la propriété. La loi a été adoptée par le Parti conservateur sans trop d'opposition des autres partis. Millicent Fawcett était toujours en vie et a assisté à la session du Parlement le jour où le vote a eu lieu. Le même soir, elle écrivait dans son journal:

«Il y a presque 61 ans, John Stuart Mill a présenté son amendement sur le suffrage au projet de loi sur la réforme le 20 mai 1867...»

La loi a ajouté cinq millions de femmes sur les listes électorales et a eu pour effet de les rendre majoritaires: 52,7% des électeurs aux élections de 1929.

Il n’est pas aisé de savoir ce qui a finalement emporté la décision politique d’accorder le droit de vote aux femmes: la pression des Suffragistes et des Suffragettes? La conséquence de leur présence sur le terrain politique et dans les entreprises pendant la guerre? La maturité de l’opinion?

J) Et ailleurs?

Le droit de vote nous semble aujourd’hui un droit évident. Il faut pourtant rappeler que les femmes ne l’ont obtenu qu’à partir de la fin du XIXème siècle. Le premier pays à avoir accordé le droit de vote aux femmes fut la Nouvelle-Zélande en 1893. Dans les autres pays, ce droit a été donné plus tard et parfois après des luttes enflammées menées par les mouvements de femmes. Encore aujourd’hui, certains pays refusent d’accorder le droit de vote aux femmes.

Voici une liste non exhaustive de l'année à laquelle le droit de vote universel a été accordé aux femmes, dans différents pays...

  • 1893: Nouvelle-Zélande
  • 1901: Australie
  • 1907: Finlande:
  • 1913: Norvège
  • 1915: Islande, Danemark
  • 1917: URSS, Canada
  • 1918: Autriche
  • 1919: Allemagne, Pays-Bas
  • 1920: États-Unis
  • 1921: Suède
  • 1923: Roumanie
  • 1928: Grande-Bretagne
  • 1930: Brésil
  • 1931: Portugal
  • 1932: Uruguay
  • 1934: Chili, Cuba, Turquie
  • 1935: Inde
  • 1937: Philippines
  • 1945: Japon
  • 1946: Italie, France
  • 1948: Belgique
  • 1952: Grèce
  • 1953: Mexique
  • 1971: Suisse
  • 1975: Espagne
  • 2011: Arabie saoudite

K) En Belgique

La première victoire des femmes belges est remportée en 1921: elles obtiennent le droit de voter aux communales et l'éligibilité, à l'exception des prostituées, qui n'étaient «ni homme, ni femme», ironise Valérie Piette. Depuis 1919, les veuves de guerre et les femmes héroïques pouvaient également voter.

La Belgique s'est ainsi montrée moins frileuse à accorder le droit aux femmes d'être élues que de voter. «Pendant l'entre-deux-guerres, des femmes sont élues par des hommes. On leur a accordé ce droit, car on savait qu'elles seraient très peu nombreuses à remporter l'élection. C'était symbolique. On reste dans l'idée que le suffrage est un droit que les femmes sont incapables d'exercer», explique Valérie Piette.

L'année 1948 marque ainsi un changement. La Seconde Guerre mondiale est passée par là et elle a «joué un rôle déterminant. C'était une guerre idéologique, qui a ravivé la foi dans le régime démocratique» souligne Valérie Piette. «À l'issue de chaque guerre mondiale, la Belgique a étendu le droit de vote. Après la Première Guerre, on a accordé le suffrage universel masculin et après la Deuxième, on octroie le droit de vote aux femmes. Cela part d'un besoin de refonder le pacte social en réunissant toutes les personnes qui ont participé au conflit», explique Pascale Vielle.

L'après-guerre marque également la création des Nations Unies et les conventions internationales excluent les discriminations basées sur le sexe.

L) Une femme vote comme un homme !

«La question n'était pas juste qu'une femme dispose de droits politiques, mais pour qui va-t-elle voter», explique Valérie Piette. C'est ce qui intéresse la classe politique. On pense que les femmes seraient plus conservatrices que les hommes. On est aussi au moment de la question royale (qui a abouti à l'abdication du roi Léopold III en 1951) et l'on craint que les femmes ne votent pour le retour du Roi parce qu'elles sont plus maternelles, plus compréhensives...

«L'électrice est considérée comme une femme, pas comme une citoyenne. La femme serait plus conservatrice, les catholiques réclament donc qu'elle obtienne le droit de vote et les libéraux comme les socialistes s'y opposent.» La réalité contredira finalement les stéréotypes: la constitution du Parlement ne change pas avec le suffrage féminin. «Une femme vote comme un homme!»

Alan Jay Lerner (1918-1986)


Les paroles d'Alan Jay Lerner sont empreintes de chaleur et d'urbanité civilisée, associées à un savoir-faire artisanal de haut niveau.