Un amour naissant en pleine guerre des gangs

Soixante-cinq ans après sa création, West Side Story n’a rien perdu de sa modernité et de son actualité. Nous sommes très fiers de vous présenter au Festival Bruxellons! ce chef d'œuvre immortel de la comédie musicale qui, emporté par la musique de Leonard Bernstein et les mots de Stephen Sondheim, célèbre le choc des corps.


Après s'être aventurés dans les musicals britanniques avec Blood Brothers en 2021 et le théâtre musical viennois avec Elisabeth l'année dernière, le Festival Bruxellons! revient à Broadway avec une toute nouvelle version de West Side Story, sans doute la meilleure comédie musicale de tous les temps, certainement la plus connue et la plus aimée d'Europe. Le spectacle a frôlé la surexposition au cours des dernières années, principalement en raison du brillant remake de Steven Spielberg pour le grand écran, qui valait bien l'attente même s'il a été un échec au box-office.

Une tournée américaine a prévu de passer au Châtelet, et il y a eu des versions modernes à l'Opéra du Rhin et à Orléans, après des montages réussis à Leicester et Manchester. De toutes ces productions contemporaines qui s'écartent de la mise en scène et de la chorégraphie originales de Jerome Robbins, la seule que j'ai vue est la désastreuse reprise de Broadway en 2013, mise en scène par le metteur en scène belge Ivo van Hove et chorégraphiée par sa compatriote belge Anna Teresa De Keersmaeker. Il a éliminé « I Feel Pretty », ajouté beaucoup plus de violence et réduit l'ensemble de la pièce à un acte de 90 minutes avec principalement du hip-hop et de la danse latine - des choix qui ont tous échoué malgré les efforts non crédités de Sergio Trujillo, qui a été appelé au dernier moment pour essayer de sauver le désordre!

Je suis donc très heureux que Bruxellons! nous ait donné – à travers un travail d'amour, comme d'habitude, du metteur en scène et coproducteur Daniel Hanssens et du metteur en scène et co-chorégraphe Kylian Campbell avec Antoine Pedros comme chorégraphe urbain associé – une nouvelle perspective sur ce classique sans jamais en dénaturer l'essence. La danse est définitivement plus contemporaine dans son jeu de sol et ses portés élaborés, mais elle intègre toujours le vocabulaire caractéristique de Jerome Robbins, tandis que la mise en scène crédible des combats de Bertrand Daine penche vers le réalisme du film de Spielberg.
La scénographie déstructurée de Philippe Miesch, les éclairages de Laurent Kaye et les costumes de Béatrice Guilleaume s'écartent également de la production originale. Il faut reconnaître le mérite de Stéphane Laporte pour sa remarquable traduction française, même si les paroles françaises peuvent parfois sembler plus sentimentales que les versions originales. Les paroles de « America », « Cool », « Gee, Officer Krupke » sont très politiquement conscientes et tout simplement brillantes, tout comme celles de « A Boy Like That » et « I Have a Love », le véritable point culminant de la partition et peut-être le meilleur duo de l'histoire du théâtre musical.

Une attention particulière est portée aux détails, en particulier lorsque la police vérifie les corps des victimes de meurtre pendant l'entracte, gardant le public dans l'action même lorsque les lumières sont éteintes!

Mais la plus grande force de cette production de premier ordre est son excellente distribution, en particulier Kaplyn, qui donne vie au personnage difficile de Tony mieux que quiconque avant lui, que ce soit à l'écran ou sur scène. Prenant l'approche d'un acteur plus que celle d'un chanteur, il nous emmène dans un voyage personnel avec, dans le rôle de Maria, la tout aussi brillante Romina Palmeri (du Conservatoire de Bruxelles), qui a sauvé le spectacle l'année dernière en reprenant le rôle principal d'Elisabeth au pied levé.

Comme toujours, Marina Pangos vole la vedette, mélangeant colère, force et vulnérabilité dans son portrait unique d'Anita, malgré sa capacité spectaculaire à chanter et à danser. Le Belge Bart Aerts, déjà familier du rôle de Riff, et Loaï Rahman (formé à Nantes) ont une présence imposante en tant que deux chefs de gang des Jets et des Sharks. Une mention spéciale va à Bruce Ellison, né aux États-Unis, dans le rôle de Doc, qui suit Rita Moreno dans sa prestation de « Somewhere », ramenant le spectacle sur terre à l’encontre du « dream ballet », qui n'est d'ailleurs apparu dans aucune des versions du film.

L’ensemble est également irréprochable et l'orchestre, protégé de la pluie potentielle, fait également un travail incroyable.

Comme toujours, Olivier Moerens, Jack Cooper et toute l'équipe de Bruxellons! nous ont régalé sur le site magnifique du Château de Karreveld, prenant la bonne décision de donner à l'œuvre une nouvelle approche comme si c’était une création, tout en rendant hommage aux géants qui se cachent derrière: Leonard Bernstein, Stephen Sondheim et Arthur Laurents. Qui sait si ce siècle parviendra à nous donner un tel chef-d'œuvre, capable de remuer nos cœurs et de submerger nos sens, de nous faire pleurer et rire à chaque fois!

Nous sommes également ravis que le Festival Bruxellons! ait choisi de présenter un musical contemporain relativement peu connu du monde non anglophone, bien que très primée, Come From Away pour la saison prochaine.

Patrick Honré (traduit de l'anglais) - Broadway World - 27/8/2023

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